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La dépendance du coaché

Dans le document Frank Bournois Thierry Chavel (Page 155-158)

Le coach accompagne la libération des potentiels du coaché, et j’aime bien la formule selon laquelle « il l’autorise à s’autoriser à… », ce qui ouvre un espace de liberté avec des limites, des garde-fous, et donc une certaine sécurité. Le coaché se met alors relativement en risque et peut développer ses capacités. Si à chaque séquence je me sens mieux, plus performant et que ça contribue à ma réussite, que je gagne plus d’argent, me sens plus libre et plus apte à prendre ma vie en main, je peux rapidement devenir dépendant de toutes ces sensations et solliciter toujours plus, et sur de nouvelles problématiques, mon coach qui m’aide tant.

De plus, si le coach, en travaillant à l’atteinte d’objectifs professionnels, soulage au passage mes souffrances (solitude, culpabilité, timidité, honte, angoisse, peur, colère, haine), la dépendance peut s’installer très rapidement : je ne me sens plus coupable et je n’ai plus honte, car je suis accueilli avec bienveillance ; ma timidité s’efface, car je suis en confiance avec mon coach ; mon angoisse et ma peur s’estompent car je suis rassuré (garde-fou, contrat, sécurité, déonto-logie) ; ma colère et ma haine n’ont alors plus lieu d’être.

Cependant, gardons les pieds sur terre, car il peut être difficile de dupliquer les sensations agréables vécues en séance de coaching dans la « vraie vie », comme de mettre en pratique des « vérités absolues », redécouvertes en séance mais peu adaptées au monde actuel. Sinon, je risque de fuir la réalité, pour me réfu-gier le plus souvent possible en séance de coaching. À l’extrême, je pourrais imaginer ne plus vivre que pour ça (à comparer au stade de déchéance de l’alcoolisme – cf. supra). Ceci me semble valable aussi pour la thérapie : les ser-vices spécialisés de certains hôpitaux voient aujourd’hui arriver des personnes se plaignant de dépendance à la thérapie. C’est certainement aussi une des meilleures armes des sectes pour rendre les personnes dépendantes : on vous fait entrevoir un monde meilleur, voire idéal, mais inadapté à la réalité, et on vous prend en charge psychologiquement, moyennant le plus souvent finance et dévotion.

© Groupe Eyrolles

Cet aspect de manipulation mentale mis à part, à travers le coaching je vis des expériences nouvelles et si je sollicite plusieurs coachs, je peux expérimenter des techniques différentes, allant de l’analyse transactionnelle à l’hypnose érickso-nienne, en passant par la PNL et l’approche non directive centrée sur la per-sonne – la plupart de ces techniques sont aussi utilisées en thérapie –, ce qui me permet de pousser toujours plus loin mon développement personnel et je peux alors devenir « accro » au coaching, au développement personnel ou au coach qui me l’apporte : l’association (cf. réflexe conditionnel) peut se faire indifféremment sur chacun des trois.

Enfin, c’est valorisant socialement d’avoir un coach, c’est à la mode, c’est aussi considéré comme un des attributs du pouvoir. Pouvoir, qui, en tant que béné-fice secondaire, est un facteur de dépendance particulièrement puissant. Et comme le coaching peut servir aussi bien des objectifs de dépassement de soi que de dépassement des autres, si j’aime la compétition, la domination, le pou-voir et que je réussis à atteindre mes objectifs grâce au coaching, je serai logi-quement enclin à continuer pour gagner toujours plus, et je risque de devenir dépendant. La relation de coaching apparaît ici comme un terrain très favo-rable à la naissance et au développement de la dépendance.

Les risques de dépendance au coach sont comparés le plus souvent aux risques de dépendance au thérapeute ou au « gourou » : le coach, tout comme ces der-niers, travaille sur les croyances du coaché, ses représentations de la réalité. En tant que coach, je suis donc dans une position où il m’est facile de rendre mon client dépendant : il me suffit de soulager ses souffrances en lui donnant par exemple les conseils, méthodes ou solutions qui lui permettront de résoudre ses problèmes ou de l’accompagner dans son développement personnel et spirituel.

Le client me sollicite alors systématiquement chaque fois qu’il est confronté à une difficulté.

De plus, si je détecte une faiblesse psychologique chez mon client, je peux l’exploiter et le rendre dépendant. Si la personne manque de confiance en elle par exemple, je peux la rassurer, voire utiliser mon influence pour la protéger.

Je pourrai alors aller jusqu’à la guider et lui dicter sa conduite. À cet égard, la compassion peut être un bon « cheval de Troie », vraisemblablement souvent utilisé par les sectes, pour rendre dépendantes les personnes en détresse : la per-sonne se sent prise en charge et se repose sur le « coach », elle n’a pas besoin de se remettre en cause, c’est plutôt confortable et sécurisant. Mais c’est aussi déresponsabilisant.

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Si je rends mon client dépendant, ce peut être pour gagner du temps et de l’argent, car la mission de coaching est souvent de courte durée et son but est de rendre le coaché plus autonome, le plus rapidement possible. Or, en rendant mon client dépendant et en faisant durer la mission, je m’assure un revenu récurrent. Je suis alors aux antipodes de l’objectif du coaching, qui est de révéler le potentiel du coaché, de permettre à la personne de construire et de mettre en œuvre son propre modèle de réussite, et de la rendre ainsi plus autonome face à la problématique vécue, pour pouvoir mettre fin à la relation de coaching…

Même si je ne recherche pas la dépendance du coaché, ce point présente un risque particulier : le coaché ayant réussi à solutionner son problème devient plus autonome face à la problématique rencontrée, mais logiquement plus dépendant de moi, qui l’ai aidé, ou de la technique que j’ai utilisée, et aussi de la méthode qu’il a mise en pratique lui-même pour s’en sortir. C’est alors à moi de remédier à la situation. Le cas échéant, une bonne supervision devrait me permettre d’en prendre conscience, si ce n’est déjà fait, et de trouver une solu-tion pour rendre le coaché plus autonome.

Mais si je fournis des solutions toutes faites ou des conseils et méthodes « clés en main », j’évite au coaché de se mettre en risque et de se responsabiliser, de s’impliquer, et lui permets de se retrancher derrière mes conseils. Si le coaché réussit, il sera félicité par tous, y compris par moi. S’il échoue, la responsabilité pourra m’être attribuée, ce qui est plutôt confortable pour le coaché. Et la rela-tion de coaching peut alors devenir un instrument de justificarela-tion quasi systé-matique en cas d’échec, jusqu’à changement de coach ou épuisement des budgets. Ce qui donne une autre forme de dépendance, où le coaché instru-mentalise le coach pour justifier ses erreurs et échecs.

Enfin, en tant que coach, j’apporte une bienveillance et une présence dont la dimension affective est significative. Je connais un coach qui pense qu’il ne peut y avoir de coaching sans transfert amoureux. J’aime bien cette idée, mais sans aller jusqu’à parler d’amour, j’évoque ici une dimension affective qui me semble incontournable du fait de l’essence même de la relation de coaching, qui repose sur une alliance. De plus, face à un coaché en demande, je peux venir remplacer inconsciemment un proche absent et combler un manque affectif. Ce qui risque à nouveau de générer des bénéfices secondaires pour le coaché en demande ; bénéfices secondaires qui peuvent à leur tour générer une dépendance, l’affectif étant un facteur particulièrement puissant de renforce-ment de la dépendance.

© Groupe Eyrolles

Mieux-être, spiritualité, développement personnel, pouvoir, soulagement des souffrances, valorisation sociale, prise en charge, liberté, sécurité, sauf-conduit – et cette liste n’est certainement pas exhaustive – sont autant de bénéfices qui favorisent la dépendance du coaché. Mais qu’en est-il du coach ?

Dans le document Frank Bournois Thierry Chavel (Page 155-158)