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L’incidence de la libéralisation politique sur les mutations du droit administratif

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A. L ES FACTEURS MEDIATS : LA LIBERALISATION DU DROIT ADMINISTRATIF

1. L’incidence de la libéralisation politique sur les mutations du droit administratif

La libéralisation dans le champ politique a permis de mettre en place des institutions, des procédés juridiques et plus globalement un cadre conceptuel et matériel favorable au développement de la contractualisation dans l'action publique. Cette libéralisation s'est manifestée à travers le choix de la démocratie libérale opéré dans les années 90 en Afrique noire francophone.

La philosophie qui anime les régimes constitutionnels va participer à la refondation des régimes administratifs8. Irriguant de sa sève le droit administratif, le droit constitutionnel9 va lui insuffler son précepte majeur: le respect de l'Etat de droit. Selon Raymond CARRE de MALBERG l'Etat de droit est celui «qui dans ses rapports avec ses sujets et pour la garantie de leur statut individuel, se soumet lui même à un régime de droit et cela en tant qu'il enchaîne son action sur eux par des règles, dont les unes déterminent

8 Placide MOUDOUDOU, «Les tendances du droit administratif dans les Etats d'Afrique noire francophone», Revue juridique et politique, 2010, n° 1, p. 45). Lebris Gustave BITJOCA, «L’élection comme mode de (re)fondation du pouvoir d’Etat en Afrique», Actes du colloque sur Pouvoirs et Etats en Afrique francophone, Droit Sénégalais, 2010, n° 9, 145-184, Célestin KEUTCHA TCHAPNGA, «Les mutations récentes du droit administratif camerounais », Afrilex 2000/01. Jacques CHEVALLIER, «Le droit administratif entre science administrative et droit constitutionnel» in Jacques CHEVALLIER (sous la dir. de) Le droit administratif en mutation, Paris, PUF, 1993, pp. 11- 40

9 Gérard CONAC, «Le juge et la construction de l’Etat de droit en Afrique francophone», in L'État de droit:

Mélanges en l'honneur de Guy Braibant, Paris, Dalloz, 1996, p. 107). Louis FAVOREU, «la constitutionnalisation du droit administratif», in Etat, loi, administration: Mélanges en l'honneur de Epaminondas P. Spiliotopoulas, Athènes, éd. Ant. N. Sakkoulas, Bruxelles, Bruylant, 1998, pp. 97-114.

Bernard STIRN, Les sources constitutionnelles du droit administratif, Paris, LGDJ-Lextenso, 8e éd., 2014, 197 p.

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les droits réservés aux citoyens, dont les autres fixent par avance les voies et moyens qui pourront être employés en vue de réaliser les buts étatiques»10.

Appliqué aux Etats d'Afrique noire francophone, il prend forme à travers les réformes initiées dans le champ de la justice constitutionnelle11 et de la justice administrative12, dispositif nécessaire au contrôle de l'Etat et à la protection des droits et libertés des citoyens. Comme dirait le professeur Jean RIVERO, l'Etat de droit offre à l'administré la possibilité de s'en prendre aux décisions administratives qui méconnaitraient la règle de droit13.

L'avènement de l'Etat de droit conduit à repenser le rôle de l'administration, ainsi que la nature des procédés juridiques qu'elle utilise pour accomplir sa mission. Il est plus précisément question de la place du contrat dans son action14. Le droit administratif

10 Raymond CARRE de MALBERG, Contribution la théorie gnrale de l'Etat spécialement d'après les données fournies par le Droit constitutionnel français, Sirey, 1920, rééd. Paris, CNRS, 1962, Tome premier.

p. 490

11 Babacar KANTE, «Les juridictions constitutionnelles et la régulation des systèmes politiques en Afrique», in Constitutions et pouvoirs, mlanges en l'honneur de Jean Gicquel, Paris, Monchrétien-Lextenso, 2008, pp. 265-276. Comlanvi Prudent Tchihoungnan SOGLOHOUN, Le juge constitutionnel dans le processus de démocratisation en Afrique, Analyse comparée des cas du Bénin, du Mali, du Sénégal et du Togo, Paris, Presse Universitaire francophone, 2013, 656 p.; Ibrahim SALAMI, La protection de l'Etat de droit par les cours constitutionnelles africaines: analyse comparative des cas béninois, ivoirien, sénégalais et togolais, Lille, ANRT, 2006, 445 p.; Gérard CONAC, «Le juge et la construction de l’Etat de droit en Afrique francophone», op. cit.; Mouhamadou Mounirou SY, La protection constitutionnelle des droits fondamentaux en Afrique: L'exemple du Sngal, Paris, L'harmattan, 2007, 562 p.

12 Babacar KANTE «Conseil d’Etat et Etat de droit, La contribution des Hautes juridictions administratives à l’édification de l’Etat de droit, Rapport général», Revue administrative, n° spécial 6 – 1999, pp. 113-118 Claude MOMO, «L'évolution du modèle de justice administrative en Afrique subsaharienne francophone», RJP, 2013, n° 3, pp. 314-361.

13 Jean RIVERO, «L'administré face au droit administratif», AJDA, 1995, n° spécial, p. 148.

14 Les contrats auxquels il est fait référence ici sont ceux par lesquels l'administration confie la gestion d'un service public à un tiers (délégation de service) ou achète les prestations nécessaires à la gestion courante (marchés publics). Ne sont donc pas concernés les contrats utilisés comme méthode d'administration (Ex: les contrats - plan, les conventions d'établissement, les accords de programmes, les contrats de stabilité). Leur point commun est qu'au même titre que l 'acte unilatéral, il s'agit d'instruments de gestion et d'administration des affaires publiques. Mais contrairement à ce dernier, ils permettent à l'administration d'obtenir l'accord et l'engagement de son partenaire pouvant être une entreprise privée ou semi- public moyennant des avantages qui peuvent être fiscaux, douaniers, règlementaires. Alain BOCKEL, «Les contrats administratifs», in Abd-el Kader BOYE, (sous la dir.), Encyclopédie juridique de l’Afrique, vol. 9, Abidjan Dakar, Lomé, Nouvelles éditions africaines, 1982, p. 215 et s). Demba SY, La technique des contrats-plan au Sngal: contribution

l'étude de la contractualisation des relations entre l'Etat et les entreprises du secteur parapublic, Thèse de

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africain était au service d'une administration de souveraineté15. Autrement dit, il était tourné vers la volonté d'affirmer l'autorité de l'Etat et de consolider l'unité nationale. Le maintien de l’ordre public et la mise en place d’une stratégie de développement focalisaient toute action étatique. C'est la raison pour laquelle ce droit administratif a aussi été qualifié de droit administratif du développement16. L’Etat agissait davantage par voie d’acte administratif unilatéral17 d’un point de vue juridique et à travers son secteur public sur le plan économique. Les marchés publics étaient alors le principal outil contractuel utilisé. Ce type de contrat avait l'avantage, pour reprendre les mots de Thomas BIDJA NKOTTO, de circonscrire la collaboration du partenaire étranger à la durée de la prestation et ce, moyennant un prix qui préserve les susceptibilités nationales18.

La démocratisation des instances de gouvernance19figure aussi parmi les ferments au développement d'un droit administratif donnant plus de place au contrat. Jadis caractérisés par une centralisation du pouvoir20, les Etats-nations en Afrique ont manifesté la volonté d'atténuer la centralisation. Il ne faudrait cependant pas éluder le rôle des

droit public, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, 1989, 682 p. Moustapha SOURANG, La technique contractuelle dans les rapports Etats-entreprises étrangères : contribution à l'étude des conventions d'établissement conclues par les Etats africains, Doctorat d'Etat, Droit public, Université Bordeaux 1, 1980.

15 Joseph BINYOUM, «Bilan de 20 ans de jurisprudence de la Cour suprême du Cameroun , première partie, 1957-1965», Revue camerounaise de droit, n° 15 et 16, 1978, p. 31.

16 Demba SY, «L’évolution du droit administratif sénégalais», Revue EDJA, décembre 2005, p. 52.

17 François FERAL, «Contrat public et action publique»: au cœur d'une administration régulatrice», in Contrats publics: Mélanges en l’honneur du professeur Michel GUIBAL, Montpellier, Presses de la Faculté de droit de Montpellier, 2006, vol. 1, p.529 à 532)

18 Thomas BIDJA NKOTTO, Les contrats de l’administration au Cameroun, Lille, Agence nationale de reproduction des thèses, 2000, p. 2).

19 Célestin KEUTCHA TCHAPNGA, «Les mutations récentes du droit administratif camerounais, op. cit.

NATIONS UNIES, Département des affaires économiques et sociales, Monographie sur les réformes de l'administration publique de quelques pays africain, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Sénégal, Nations Unies, 1999. Une comparaison peut être faite avec les évolutions observées dans le fonctionnement et les méthodes de l'administration intervenues en Europe du fait de la crise de l'Etat providence. Comme l'explique le professeur CHEVALLIER, dans tous les Etats occidentaux on a pu observer un mouvement de fond tendant à l'assouplissement des méthodes de gestion, à la responsabilisation des dirigeants et à l'amélioration du service rendu aux usagers. Jacques CHEVALLIER, «La politique française de modernisation administrative», in L'État de droit: mlanges en l'honneur de Guy Braibant, Paris, Dalloz, 1996, pp. 69-87. Voir aussi Charles DEBBASCH «Le droit administratif face à l'évolution de l'administration française», in Le juge et le droit public, Mlanges offerts Marcel Waline, Paris, LGDJ, 1974, pp.343-354.

20 Voir Gérard CONAC, «Le développement administratif des Etats d'Afrique noire», in Gérard CONAC (sous la dir. de), Les institutions administratives des Etats francophones d'Afrique noire, Paris Economica, 1979, pp. V-LXIV

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bailleurs de fonds dans ce choix. La marche vers la décentralisation doit aussi être lue sous l'angle des conditionnalités démocratiques21. Toutefois, quelles que puissent être ses origines, la décentralisation permet de procéder à une répartition des compétences et des ressources entre l'administration centrale et les collectivités locales amenées à s'administrer librement.

L'apparition des autorités administratives indépendantes doit aussi être classée dans cette démarche de démocratisation des institutions de gouvernance22. Elles participent au partage des pouvoirs de l'exécutif, fonction à laquelle il faut ajouter un objectif de protection attentive et équitable des libertés. Ce double rôle des autorités administratives indépendantes sera abordé ultérieurement lorsque l' étude se penchera sur la question des autorités de régulation dans le champ de la commande publique.

La libéralisation dans le champ politique a aussi entrainé une modification de la physionomie des relations entre les gouvernants et les gouvernés23. Les citoyens africains

21 Charles NACH MBACH, Gense et dynamiques des rformes dcentralisatrices dans les Etats d'Afrique subsaharienne (1900-2000): une approche comparée: Bénin, Burkina Faso, Gabon, Cameroun, Mali, Niger, Thèse de doctorat, Université Bordeaux IV, 2000, 2 vol., 283 p et 253 p. Matthieu FAU-NOUGARET,

«Originalité et convergence des phénomènes de décentralisation en Afrique subsaharienne», Afrilex, 2009.

La contrainte des forces extérieures ne se limite pas à la décentralisation. Elle constitue un fil conducteur des transitions démocratiques au même titre que les contraintes économiques et les revendications des populations en faveur de la démocratie. Comme l'explique le professeur du BOIS de GAUDUSSON, «il a souvent fallu tout le poids de "la nouvelle conditionnalité" des organismes internationaux et des bailleurs de fonds, ou pour les Etats liés à la France, de ce que l'on a surnommé la "Paristroïka" pour surmonter les réticences des chefs d'Etats». Jean du BOIS de GAUDUSSON, «Trente ans d'institutions constitutionnelles et politique. Points de repère et interrogations», Afrique contemporaine, 1992, n° 164, pp. 50-58. Voir aussi Romuald Bienvenu GOBERT, «De la conditionnalité économique à la conditionnalité politique: les vicissitudes de la démocratie en Afrique subsaharienne francophone», RJP, n°2, 2007, p-p. 149-179. Ahmed MAHIOU, «Droit international et droit constitutionnel: de la non intervention à la bonne gouvernance», in Droit constitutionnel et mutations de la société internationale, Recueil des cours de l'Académie internationale de droit constitutionnel, Tunis, 2003, pp. 157-228.

22 Sébastien Y. LATH, «Les caractères du droit administratif des États africains de succession française.

Vers un droit administratif africain francophone?», RDP, 2011, n° 5, p. 1279. Voir aussi, Jean du BOIS de GAUDUSSON, «Le juriste français et l'institution des autorités administratives indépendantes en Afrique», in L'esprit des institutions, l'équilibre des pouvoirs: Mélanges en l'honneur de Pierre Pactet, Paris, Dalloz, 2003, pp. 65-76. 29. Ngor NGOM, Réflexion sur un phénomène récent en Afrique: les autorités administratives indépendantes, Thèse de doctorant, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2000.

23 Bénédicte FISCHER, Les relations entre l'administration et les administrés au Mali: contribution l'étude du droit administratif des Etats d'Afrique subsaharienne de tradition juridique française, Thèse de doctorat

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n'ont cessé de manifester leur attachement d'une part, au rejet des pratiques qui se trouvent en marge du droit et d'autre part, en faveur de l'effectivité de l'Etat de droit, dont les nouvelles constitutions se voulaient porteuses24. Ainsi, s’est clairement imposée, au lendemain des transitions démocratiques, l’idée que tant la légitimité des pouvoirs publics que du droit public ne pouvait plus reposer que sur le but d’intérêt général que poursuivent les autorités publiques, mais devait être assis sur « les méthodes du pouvoir, leur efficacité, leur acceptation par les citoyens»25.

C’est dans ce contexte que la transparence s’est introduite dans le fonctionnement de l’administration et dans l’élaboration du droit administratif. Peu à peu, elle s’est érigée comme le but et le moyen de l’action publique. Elle est devenue une condition de l’action administrative et le secret qui, jusque là, entourait le travail des administrations publiques a commencé à reculer. C’est à ce titre que la transparence est considérée comme l’une des

«manifestations les plus frappantes de la transformation du droit administratif»26. Dans le champ des contrats administratifs, elle a été une réponse aux attentes des citoyens pour un système honnête et performant, aux demandes des milieux économiques en faveur de mécanismes leur permettant de se porter candidats aux marchés dans les meilleures conditions et aux requêtes de l’administration elle même qui réclament des procédures simples et indiscutables27.

Le choix de la démocratie libérale a eu des prolongements importants dans le droit administratif des Etats d'Afrique noire francophone. Mais, ainsi qu'il a été invoqué, le contrat administratif est aussi un acte économique. La libéralisation du droit des contrats

en droit public, Université de Grenoble, 2011, 701 p. Maurice KAMTO, «Les rapports Etats société civile en Afrique», RJPIC, n° 3, octo-déc 1994, pp 285-291.

24 Florence GALETTI, Les transformations du droit public africain francophone: entre étatisme et libéralisation, op. cit. p. 508.

25 Isabelle Muller-Quoy, «Que reste-il des «transformations du droit public» de Léon Duguit?» in Geneviève KOUBI et Isabelle MLLER-QUOY (sous la dir. de), Sur les fondements du droit public – De l’anthropologie au droit, Bruylant, Bruxelles, 2003. p. 150).

26 Roberto CARANTA, «Transparence et concurrence» in Rozen NOGUELLOU et Ulrich STELKENS (sous la dir.) Droit compar des contrats publics, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 146.

27Babacar GUEYE, «Le nouveau code sénégalais des marchés publics, entre réponse aux attentes de la société civile et prise en compte des influences communautaires», Revue des marchés publics, n°4, septembre 2011, p. 23).

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