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De quelques actes de l’acheteur public susceptibles de générer une situation anticoncurrentielle

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 195-200)

Par la signature d’un contrat de concession contenant une clause de droits exclusifs, l’administration place incontestablement le concessionnaire dans une situation de position dominante. Ni l’octroi d’un monopole, ni l’octroi de droits exclusifs, ne sont interdits par les règlements de la CEMAC437. Toutefois le règlement n° 04/99 relatif aux pratiques étatiques affectant le commerce entre les États membres impose aux entreprises qui en bénéficient de respecter la prohibition des pratiques commerciales anticoncurrentielles et en particulier celle de l’abus de position dominante. Mais, le fait que l’Etat place une entreprise en situation de monopole, ne revient-il pas à l’inciter à exploiter sa position dominante de façon abusive? Ni la Cour de justice de la CEMAC, ni les autres

«Remarques sur la passation des délégations de service public et les atteintes au droit de la concurrence», Revue juridique de l’économie publique, Août-septembre 2007, pp. 288-292

436 Ibidem. En ce qui concerne les clauses relatives au tarif, parce qu’elles concernent d’abord et avant tout les usagers, le doute s’était posé quant à la possibilité pour le juge de l’administration, de les contrôler sur la base du droit de la concurrence. Ce doute semble être levé depuis 2002 par le Conseil d’Etat (CE, 29 juillet 2002, Société CEGEDIM, n° 200886, Recueil Lebon, 2002, p. 280). Dans cette affaire, le juge a contrôlé le niveau d’un tarif sur la base du droit de la concurrence. A ces différentes clauses, le professeur NICINSKI ajoute celles qui permettent au partenaire de l’administration de se prévaloir de l’image de marque de cette dernière, par exemple en installant des locaux commerciaux dans ceux de l’administration, les clauses qui obligent celle-ci à protéger son cocontractant, par exemple en restreignant l’octroi d’autorisation d’exercice d’une activité similaire à celle de son cocontractant sur l’aire géographique d’exécution du contrat qui les lie.

Toutefois ces dernières clauses sont autorisées lorsqu’elles n’ont pas pour but de protéger le cocontractant de la concurrence mais lorsqu’elles sont destinées à lui apporter l’appui nécessaire à l’exploitation du service public, elles rentrent dans le cadre des prérogatives légitimes de l’administration. Sophie NICINSKI, Droit public de la concurrence, Paris, L.G.D.J., 2005, p. 57 et s.

437CONSEIL des MINISTRES de la CEMAC, Règlement n°1/99/UEAC-CM-639 du 25 juin 1999 modifié par le règlement n°12-05-UEAC-639 U-CM-SE du 27 juin 2005, op. cit., art. 8.

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instances de la communauté ne se sont pour le moment prononcées sur cette question. Mais la juridiction communautaire européenne y a répondu par l’affirmative et a développé la théorie de l’abus automatique438.

Selon cette théorie, en conférant à une seule entreprise des droits qui la placent dans une position dominante, l’administration contrevient aux dispositions qui prohibent l’abus de position dominante. Autrement dit en passant un contrat qui place le cocontractant dans une position où il pourrait contrevenir aux règles de la concurrence, l’administration génère une situation sanctionnée par le droit communautaire de la concurrence et peut donc se voir opposer les règles de prohibition des pratiques anticoncurrentielles.

Cette jurisprudence présente un intérêt certain. En Afrique, l’Etat est encore très présent sur le marché. La libéralisation est loin d’en être au même stade qu’en Europe et l’essentiel des grands services publics est géré soit directement par l’Etat soit par des entreprises détentrices de droits exclusifs ou de monopole. La prise en compte par les autorités communautaires et nationales de «l’abus automatique de position dominante»

éviterait aux collectivités publiques d’assécher la concurrence par l’attribution de droits exclusifs et de monopole. Pour les petites entreprises, il s’agirait d’un important moyen de droit pouvant être soulevé à l’appui d’un recours. Il appartiendra cependant aux autorités de la concurrence de concilier ce moyen avec l’exigence d’efficience dans le fonctionnement des services publics.

Au titre des clauses qui peuvent soulever la question de la conformité du contrat au règles de la concurrence il y a aussi celle relative à la durée du contrat439. Le contrat qui confie un monopole à une entreprise, ferme aux autres entreprises le marché couvert par ce monopole durant toute sa durée. Lorsque cette durée est longue, il peut y avoir atteinte au

438 CJCE (CJCE, 23 avr. 1991, aff. C-41/90, Höfner et Elser c/ Macrotron, n° C-41/90 Recueil de jurisprudence de la Cour, 1991, p. I-01979, paragraphe 29.

439Jacques-Henri STAHL, «L'application, par le juge administratif, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence», op. cit., p. 1237 et s.

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droit des concurrents. Par conséquent, lorsque la durée d’un contrat «excède sans justification ni motif d’intérêt général, la durée d’amortissements des biens nécessaires à l’exploitation du service», la clause qui la détermine peut être considérée comme générant un comportement anticoncurrentiel440.

Dans la zone CEMAC, plusieurs législations nationales apportent des précisions quant à la nécessité de prendre en compte l’exigence d’une mise en concurrence périodique lorsque l’on détermine la durée d’un contrat. Selon la loi camerounaise du 29 décembre 2006 qui fixe le régime général des contrats de partenariat, la durée du contrat doit correspondre à la durée d’amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues441.

Il en est de même du décret du 19 juillet 2012 portant Code des marchés publics au Gabon, qui précise à propos des contrats de partenariat public-privé, qu’ils doivent avoir

« une durée limitée qui tient compte de l’amortissement des dépenses de l’opérateur du projet»442 et que cettedu rée ne «peut être allongée qu’en raison de conditions particulières, prévue dans le contrat, et pour une durée maximale de cinq ans»443.

L’on voit cependant que les précautions qui sont prises à propos de la durée des contrats concernent surtout les grands projets d’investissements. Ces contrats, constituent, certes le domaine de prédilection des clauses de monopole ou de droit exclusif. Toutefois de telles précautions doivent aussi être prises concernant les marchés publics, qui eux,

440 Ibidem.

441 Loi n° 2006/12 du 29 décembre 2006 fixant le régime général des contrats de partenariat au Cameroun.

«le contrat de partenariat est un contrat par lequel l’Etat ou l’un de ses démembrements confie à un tiers, pour une période déterminée, en fonction de la durée d’amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues, la responsabilité de tout ou partie des phases suivantes d’un projet d’investissement».

442 Décret n° 0254/PR/MEEDD du 19 juin 2012 portant code des marchés publics au Gabon, op. cit., art.

116.

443 Ibidem.

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constituent le champ privilégié des avenants. Car ces derniers ont aussi pour effet de proroger, parfois de façon excessive, la durée des contrats444.

La violation du droit de la concurrence peut également avoir pour origine les choix techniques du pouvoir adjudicateur. Tel peut être le cas lorsque l’entité acheteuse fait le choix d’une procédure contractuelle qui limite le nombre de candidats de façon excessive. Le regroupement de toute la commande en un seul lot fait aussi partie des choix techniques qui peuvent fausser la concurrence. L’allotissement de façade ou la constitution d’un seul lot a pour effet soit d’éliminer les petites entreprises soit de les inciter à se regrouper. De ce regroupement peut naître une entente entre entreprises. On peut même parler ici d’entente automatique445.

L’obligation d’allotir le marché, en même temps qu’elle cherche à faciliter l’accès des petites et moyennes entreprises à la commande publique, doit aussi permettre de lutter contre de telles pratiques. Toutefois, les dispositions relatives à l’allotissement dans les Codes nationaux des marchés publics ne semblent pas prendre en compte cette seconde dimension. Le Code des marchés publics du Cameroun fait certes référence à l’allotissement mais ne pose pas, à la charge des administrations contractantes, une obligation expresse d’y procéder lorsqu’elles lancent des appels publics à la concurrence.

Toutefois, la circulaire du 31 janvier 2011, met en avant l’idée que le «principe de

444 Toutefois les codes nationaux des marchés publics contiennent des dispositions d’encadrement des avenants. En guise d’exemple, l’article 26 du Code tchadien des marchés publics exige pour la conclusion d’avenant que le prix et le volume des prestations en cause ne soient pas supérieurs à 30% du volume des prestations et du prix du marché initial. Toujours selon cette disposition, l’avenant ne doit pas avoir pour effet de modifier l’objet du marché ou d’en bouleverser l’économie. Il doit être conclu, approuvé et notifié dans les mêmes conditions que le marché initial. République du Tchad, Décret n° 503/PM/SGG/2003 du 5 décembre 2003, op. cit.

Ces contraintes procédurales et matérielles se retrouvent aussi à l’article 115 du Code des marchés publics du Congo. Il résulte de cette disposition, que «les stipulations d’un marché public ne peuvent être modifiées que par voie d’avenant et dans la limite de 20% de la valeur totale du marché de base. L’avenant est adopté et notifié selon la même procédure d’examen que le marché de base. Il ne peut modifier ni l’objet du marché, ni le titulaire du marché, ni la monnaie de règlement, ni la formule de révision des prix. La passation d’un avenant est soumise à l’autorisation de la Direction générale du contrôle des marchés publics» République du Congo, Décret n° 2009-156 du 20 mai 2009 portant code des marchés publics, op. cit.

445 Laurent AYACHE, «Doit de la concurrence et secteur public – Applicabilité et compétence», op. cit.

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l’allotissement doit être privilégié autant que possible»446. Au Congo, le pouvoir adjudicateur peut répartir les marchés en lots lorsque «l’allotissement est susceptible de présenter des avantages financiers ou techniques (…)»447. Ces deux exemples montrent que dans ces pays de la CEMAC, l’allotissement n’est pas une règle obligatoire devant être mise en œuvre à chaque fois que des conditions définies de façon objectives sont réunies. Il apparaît comme un procédé technique auquel le pouvoir adjudicateur peut recourir à sa discrétion448. S’agissant des contrats de délégation de service public, la question de l’allotissement reste entière449.

L’opposabilité du droit de la concurrence aux contrats de l’administration générateurs de pratiques anticoncurrentielles pose aussi la question de savoir s’il existe à la charge de la personne publique une obligation de contrôler et de sanctionner ces comportements. Autrement dit, les entreprises qui répondent à un appel d’offres dans la zone CEMAC – ou UEMOA – disposent-elles du moyen de contester la décision d’attribution au motif que l’autorité contractante a fermé les yeux sur une entente ou un abus de position dominante impliquant l’attributaire? Soulever un tel moyen devant le juge reviendrait à considérer l’administration contractante comme une autorité de contrôle de la concurrence. La perspective qu’un tel moyen de droit offre aux entreprises soumissionnaires, dans les pays de la zone CEMAC ou de la Zone UEMOA, est plus qu’intéressante.

446 République du Cameroun, Circulaire n°02/CAB/PM du 31 janvier 2011 relative à l’amélioration de la performance du système des marchés publics. Publiée sur le site des services du premier ministre du Cameroun: http://www.spm.gov.cm/fr/documentation/textes-lois.html

447 République du Congo, Décret n° 2009-156 du 20 mai 2009 portant code des marchés publics, op. cit., art.

24. A propos de ce texte, voir le Dossier intitulé «Le nouveau droit des marchés publics au Congo», Revue congolais de droit et des affaires, n° 1, éd. spéciale, 2010. Aussi, Lewis NSALOU NKOUA, Les marchés publics et le développement économique au Congo, Thèse de doctorat, Université Paris-Sud, 2012.

448 Les dispositions des codes nationaux relatifs à l’allotissement peuvent s’expliquer par le fait que le saucissonnage des marchés pour échapper aux seuils d’application des règles de publicité et de mise en concurrence est beaucoup plus courant que la constitution de lot unique. Et c’est cette première pratique que les réglementations visent le plus souvent à combattre.

449 Sur ce pont voir, Laurent AYACHE, «Passation des délégations de service public: existe-t-il une obligation d’allotir?», AJDA, 2009, pp. 1240-1244.

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Les organes de règlement des litiges pourraient trouver dans le droit de la commande publique les moyens de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles. En se fondant notamment sur l' article 24-3 nouveau du Code des obligations de l’administration, la Cour suprême du Sénégal a interprété l'obligation faite aux autorités contractantes de respecter les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures comme imposant à l'autorité contractante de ne pas entraver le libre exercice de la concurrence entre les entreprises. La Cour a en effet jugé que cette disposition interdit à l’autorité contractante «de violer les règles de concurrence et de libre accès aux marchés publics en insérant dans les dossiers d’appel d’offres (DAO) une clause relative à l’autorisation du constructeur à fournir par les candidats au marché de véhicules neufs»450. Cette décision fait écho a celle rendue par le Conseil d'Etat français et selon laquelle il a estimé qu'il «appartient à la personne publique responsable du marché de s'assurer, lorsqu'elle engage une procédure de passation d'un marché public, que les règles de libre concurrence sont effectivement respectées»451.

Le tribunal administratif de Lille a aussi jugé à ce propos, qu’ «il appartient à l’autorité délégatrice de contrôler, lors de l’examen des offres, le respect de l’égal accès des candidats aux marchés publics (…)». En refusant de vérifier la recevabilité de l’offre d’un candidat soupçonné d’avoir bénéficié pour la détermination de ses prix d’un avantage découlant de ressources et moyens qui lui sont attribués au titre de sa mission de service public, l’autorité délégante a commis un manquement à ses obligations de mise en concurrence452. Dans ces décisions, l’administration est sanctionnée parce qu’elle a refusé de contrôler et de sanctionner une pratique commerciale anticoncurrentielle.

Sauf que, ce n’est pas dans le droit de la concurrence que le juge est allé chercher la base légale de sa décision mais dans le droit de la commande publique. Une autre juridiction a estimé, quant à elle, qu’un pouvoir adjudicateur qui refuse d’éliminer des

450 CS/CA, arrêt n° 47 du 22 août 2013 Société SARRE-CONS c/ARMP et Etat du Sénégal.

451 CE, 28 avril 2003, n° 233360, Fédération nationale des géomètres experts, AJDA 2004, p. 166

452 TA de Lille, Ordonnance du 05 juillet 2001 cité par Sophie NICINSKI, Droit public de la concurrence, op. cit., p. 63.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 195-200)

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