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L'incidence de la libéralisation économique sur les mutations du droit administratif

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A. L ES FACTEURS MEDIATS : LA LIBERALISATION DU DROIT ADMINISTRATIF

2. L'incidence de la libéralisation économique sur les mutations du droit administratif

économique.

2. L'incidence de la libéralisation économique sur les mutations du droit administratif

Soucieux de garder le monopole de l’économie nationale afin de mener à bien leur politique de développement, les dirigeants africains ont adopté des politiques économiques qui restreignaient la liberté d’entreprendre. Ils optaient par la même, pour une stratégie de développement du secteur public. La philosophie interventionniste qui régissait le fonctionnement des Etats Africains dans les années qui ont suivi les indépendances est bien décrite par Hachimi SANNI YAYA selon qui «pour nombre de gouvernements à cette époque, seul l’Etat était capable de prendre en charge la création et le développement d’infrastructures publiques, et c’est également à lui que revient, à travers les entreprises publiques, d’élaborer les politiques de développements en pesant de tout son poids sur les divers paramètres économiques»28. Le professeur Maurice KAMTO justifiera l’extension du rôle de l’appareil d’Etat africain à tous les aspects de la vie nationale par la nécessité de venir à bout de l’immense responsabilité qui lui incombait à l’époque à savoir «gagner le pari du développement et de la modernisation de leur pays»29

L’interventionnisme économique des Etats va se traduire notamment par la nationalisation d’entreprises étrangères présentes sur leur sol et par la création d’entreprises publiques. Les nationalisations on pu être justifiées par la volonté de lutter contre tout néocolonialisme30. Mais la mainmise de l'Etat sur l'activité économique en

28 SANNI YAYA Hachimi, Les privatisations en Afrique occidentale, entre mythes et réalités, promesses et périls: l’administration publique africaine à la croisée des chemins, Québec, Presse de l’Université de Laval, Coll. Nord-Sud, 2007, p. 66.

29 Maurice KAMTO, note sous CS/CA jugement du 26 mai 1984, Dame veuve Ongono Régine, Penant 1989, n°801, p. 519)

Dans le même sens l'on explique qu'au lendemain des indépendances, on attendait de l'Etat qu'il soit «le démiurge du développement». Jean-François Médard, «L’Etat patrimonialisé », Politique Africaine, 1990, n°

39, p. 25.

30 Jean-Claude GAUTRON et Bernard ZUBER, «Les entreprises publiques et semi publiques du Sénégal» in François CONSTANTIN, Christian COULON et Jean du BOIS de GAUDUSSON (sous la dir. de), Les

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général participait aussi à la légitimation du pouvoir politique, laquelle était intrinsèquement liée à la maîtrise du pouvoir économique. «L’Etat avait besoin de s’ériger en Etat-patron pour mieux conforter son autorité régalienne d’autant plus que les pays considérés disposaient de ressources naturelles importantes (café, cacao, bauxite, coton etc.)»31. Le service public a servi à renforcer la puissance publique, pour reprendre les mots de Florence GALETTI32.

Sont alors mises en place des politiques garantissant la gestion de toutes les activités économiques par les entreprises publiques. L’Etat régnait en maître sur tous les secteurs de l’économie que ce soit dans le secteur industriel, commercial, bancaire ou agricole. L’économie était administrée, soumise aux autorisations, licences et à toutes sortes de restrictions33. De telles politiques ne laissaient que très peu de place à la contractualisation dans l'action publique et au développement d’un secteur privé qui puisse fournir des cocontractants sérieux et efficaces capables de soutenir la commande publique.

Mais cet Etat, «promoteur du développement économique n'est pas parvenu à tenir son rôle d'accumulateur de capitaux susceptibles de le financer»34. Les causes de cet échec sont multiples: corruption, dépenses de prestige, surendettement consécutif au premier choc pétrolier, retournement de conjoncture à la fin des années 1970 se traduisant pas la

entreprises publiques en Afrique noire, tome I, Sénégal- Mali- Madagasar, Paris, Pédone, 1979, p. 3 et 4).

Pour ces auteurs, les nationalisations remplissaient plus une mission de lutte contre tout néocolonialisme qu’une simple volonté d’intervenir dans le secteur privé. Ils expliquent ainsi que «l’irradiation du secteur public participe donc de l’idéologie de la décolonisation, à la fois rupture avec l’ordre ancien et tentative d’établir sinon l’égalité des intérêts en présence (publics privées) du moins une impossibilité durable de recolonisation pour l’avenir. Elle étend le domaine des responsabilités de l’Etat à la gestion directe et contribue à lui donner une assise plus large».

31Hachimi SANNI YAYA, Les privatisations en Afrique occidentale, entre mythes et réalités, promesses et périls: l’administration publique africaine à la croisée des chemins, op. cit. p. 69

32Florence GALETTI, Les transformations du droit public africain francophone: entre tatisme et libralisation, op. cit. p. 452

33Voir en ce sens Léopold N. BOUMSONG, «Le rôle de la politique de concurrence dans la promotion du développement économique au Cameroun», Sixth United Nations Conference to review all aspects of the set of multilaterally agreed equitable principles and rules for the control of restrictive business practices, Geneva, 8-12 novembre 2010, Session III: The role of competition policy in promoting economic development.

34 Abdoulaye NIANDOU SOULEY, «Ajustement structurel et effondrement des modèles idéologiques : Crise et renouveau de l'État africain», Études internationales, 1991, n° 2, vol. 22, p. 254. Jean du BOIS de GAUDUSSON, «Crise de l’Etat interventionniste et libéralisation de l’économie en Afrique» RJPIC, janv.

1984, p.1-11.

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baisse des recettes d'exportation, hausse des taux d'intérêt, déficit du budget de l'Etat et de la balance des paiements etc. Il faut aussi mentionner la part de la charge sociale qui pesait sur les Etats, en tant que premier employeur, dans cette crise35. L'échec des stratégies de développement autocentré eurent raison de l’interventionnisme de l’Etat36. Les théories libérales du développement firent leur retour37. L'offensive de désétatisation est lancée38. Le libéralisme entendu comme «la pensée que l'art de mieux gouverner serait celui de moins gouverner»39 se déploie dans tous les Etats en proie aux ajustements structurels. Ils sont contraints de privatiser40. Les services publics dont la gestion a été externalisée par ce

35 Demba SY, «L’évolution du droit administratif sénégalais», op. cit. p. 56

36 Lise BREUIL, Renouveler le partenariat public-privé pour les services d'eau dans les pays en développement - Comment conjuguer les dimensions contractuelles, institutionnelles et participatives de la gouvernance?, Thèse de doctorat, Ecole nationale du génie rural, des eaux et des forêts, 2004, p. 100 et s.

37 Ce retour s'opère à travers les programmes d'ajustements structurels. Le professeur Bonnie CAMPBELL souligne à cet égard que, «loin d’être politiquement neutres et de jouer un rôle d’efficacité technique comme on le suggère, ces programmes sont conçus de façon à orienter les interventions de l’Etat de manière à délaisser certaines stratégies de développement. Plus précisément, ce sont des stratégies non orientées vers l’exportation et celles qui favorisent des réformes sociales qui sont remises en cause par le processus d’ajustement et de désétatisation». Bonnie CAMPBELL, «Débats actuels sur la reconceptualisation de l’Etat par les organismes de financement multilatéraux et l’USAID», in GEMDEV (Groupement Economie mondiale, Tiers monde, Développement), Les avatars de l’Etat en Afrique, Paris, Éd. Karthala, 1997, p. 80.

38 Jean-Bernard AUBY, «La bataille de San Romano, Réflexions sur les évolutions récentes du droit administratif», AJDA, 2001, p. 914.

39 Jacques Donzelot et Colin Gordon, «Governing Liberal Societies – the Foucault Effect in the English-speaking World», Foucault studies, 2008, p. 57. Dans le même sens, Frédéric SAULNIER, «Essai sur la gouvernance et les transformations actuelles du droit public», Revue de la recherche juridique, 2007, n°1, pp. 305-326

40 Patrick PLANE relève à cet égard que «Les privatisations nous apparaissent plutôt comme le résultat des contraintes conjuguées de l’environnement interne et externe. Ce faisant, le désengagement de l’Etat serait davantage dicté par des sentiments de résignation que par une adhésion de cœur». Patrick PLANE, «Les services publics africains à l’heure du désengagement de l’Etat», Problèmes économiques, n° 2.587 du 21 octobre 1998, p. 21. Voir aussi Jean du BOIS DE GAUDUSSON, «Crise de l’Etat interventionniste et libéralisation de l’économie en Afrique», RJPIC, 1984, vol. 38 / 1, p. 6 et s.

Sur le thème général des privatisations, on peut voir par exemple: Filiga Michel SAWADOGO, «La privatisation des entreprises publiques au Burkina Faso», Revue Burkinabé de droit, 1995, n°27, pp. 9-38.

Célestin TCHACOUNTE LENGUE, Les privatisations en Afrique, l'exemple du Cameroun, Paris, L'Harmattan, 2011, 315 p. Ibrahim CHITOU, La privatisation des entreprises du secteur moderne en Afrique subsaharienne: Bénin, Côte d'ivoire, Sénégal, Togo, Thse de doctorat en Sciences économiques, Université Paris 1, 1991, 440 p. Afeikhna JEROME, «La participation du secteur privé aux infrastructures en Afrique»

in BANQUE AFRICAINE de DEVELOPPEMENT et NATIONS-UNIES (Commission économique pour l'Afrique), Mondialisation, institutions, et développement économique en Afrique, Actes de la conférence économique 2008, Paris, Economica, 2010 pp. 301-327. Michel KERF et Warrick SMITH, Privatizing Africa's Infrastructure, Promise and Challenge, World Bank Technical Paper, n°337, 1999/09, 99 p.

WORLD BANK, Adjustment in Africa, Reforms, Resultats, and the road ahead, Oxford University Press, 1994.

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biais sont nombreux41. Ceci prend la forme d'un transfert vers les personnes privées des moyens d’intervention de l'Etat (par exemple: la cession de ses actifs dans les sociétés publiques). L'externalisation se matérialise aussi à travers l’association plus importante des personnes privées à l'action étatique par la contractualisation (contrats de concession, affermage,). Ce qui donne une impulsion nouvelle au contrat dans l'action publique.

Le désengagement de l'Etat des secteurs productifs va produire des effets sur son droit42. Le droit administratif va accélérer sa mutation. En effet, le recul de l'interventionnisme de l'Etat en Afrique est allé de pair avec la contestation du droit de l'Etat interventionniste: le droit administratif43. Ainsi, «la purge libérale» aura pour conséquence d'une part de mettre un terme à l'omnipotence du droit administratif, en tant que «droit des structures de l'Etat et droit de la philosophie de l'action publique» et d'autre part de réorienter le droit administratif industriel et commercial édicté jadis par l'Etat interventionniste44.

Le droit administratif de l'Etat interventionniste, fondé sur l'inégalité en raison de la particularité de sa finalité, de la spécificité des personnes auxquelles il s'applique et de celle des procédés utilisés par ces derniers, était devenu incompatible avec l'idée de libéralisation de l'économie qui met sur le même piédestal les intérêts publics et privés45. La limitation de son développement, devenue nécessaire, se fit à travers les atteintes portées à ses notions fondamentales que sont le service public, la puissance publique,

41 Bertrand du MARAIS, «Les délégations de service public au service du développement: expérience et approche de la Banque Mondiale», RFDA n°3, juin 1997, pp 101-113. Moussa SAMB, «Privatisation des services publics en Afrique Subsaharienne», Afrilex, juin 2009, 39 p. Célestin SIETCHOUA DJUITCHOKO, «Recherches sur la concession en droit administratif camerounais dans le contexte de la libéralisation économique à la fin du XXe s.», Revue EDJA, n° 52, janv.-fév.-mars 2002, pp. 7-30.

42 Magloire ONDOA, «Ajustement structurel et réformes du fondement théorique des droits africains post coloniaux: l'exemple camerounais», RASJ, vol. 1, 2001, p. 8 cité par Jacques BIAKAN, «La réforme du cadre juridique des finances publiques au Cameroun: La loi portant régime financier de l'Etat», in ONDOA, Magloire (sous la dir.), L’administration publique camerounaise l’heure des réformes, Paris, l’Harmattan, 2010, p. 16.

43 Florence Galletti, Les transformations du droit public africain francophone: entre étatisme et libéralisation, op. cit. p.464 et s.

44 Ibidem. p. 465 45 Ibidem. p. 467

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l'intérêt général. L'on assista à la désagrégation du service public à travers la suppression des budgets qui lui sont destinés, l'arrêt de la création de nouveaux services publics et la suppression de certains existants. La remise en cause du droit administratif est aussi passée par celle de sa finalité, qu'est l'intérêt général46. Dans la conception libérale qui sévit alors, le droit administratif devrait davantage s'attacher à l'objet de l'acte qu'à la finalité de celui-ci.

L'orientation libérale des transformations du droit exige aussi que le droit administratif soit défini suivant une perspective nouvelle fondée sur le lien entre l'Etat et le marché d'une part et l'Etat et l'entreprise d'autre part47. Ce qui signifie que le droit administratif économique africain devrait alors traiter de sujets tels que la fiscalité, la monnaie, la finance, les échanges nationaux et internationaux etc. Prenant en compte les liens entre l'Etat et l'entreprise, ce droit administratif économique traiterait de la concurrence entre les opérateurs économiques, il superviserait leurs rapports contractuels etc. Telle est la conception du nouveau droit administratif africain que les bailleurs de fonds voulaient voir émerger et intégrer au droit économique.

Les transitions démocratiques et le retrait de l'Etat des secteurs productifs ont modifié le droit administratif et les procédés juridiques qu'il consacre ouvrant ainsi la voie au développement de l'action contractuelle des personnes publiques. Mais ces facteurs sont insuffisants pour justifier l'état actuel du droit des contrats administratifs. En effet, à la contractualisation croissante de l’action publique va répondre un vaste mouvement d'internationalisation du droit des contrats administratifs parce que l'objet de cette discipline présente plusieurs enjeux qui dépassent les espaces nationaux48. C'est à partir de là que se sont dessinés les paradigmes qui fondent le droit des contrats administratifs tels qu'il ressort des textes les régissant aujourd'hui.

46 Ibidem. p. 468

47 Ibidem. p. 473. Voir aussi, Auguste NGUELIEUTOU «L'évolution de l'action publique au Cameroun:

l'émergence de l'Etat régulateur», Polis, Revue camerounaise de science politique, 2008, n° 15, pp. 85-109.

48 Jean-Bernard AUBY, La globalisation, le droit et l’État, Paris, LGDJ, 2010, 264 p.

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ES FACTEURS IMMEDIATS

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