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Expérience terrestre, le paysage concerne non seulement le corps mais aussi l’âme de l’homme.

C’est un moyen de dévoiler la pensée de l’écrivain. Il faut noter une intimité entre les idées

lecléziennes et le paysage leclézien. Pierre Lhoste a indiqué que dans les œuvres lecléziennes

depuis les années 80, « les idées, justement, sont produites par la nature »

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prise par les

personnages, soit par le paysage naturel. On a déjà montré dans la première partie que le

paysage moderne de la ville se lie bien à une pensée de la modernité de Le Clézio. Dans cette

partie, on va approfondir cette relation entre les idées principales de l’écrivain et le paysage

dans ses œuvres.

Le Clézio est nourri depuis toujours par les paysages différents du monde. Dans ses œuvres, le

paysage apprend aux personnages à penser autrement. « Il ne fait pas de doute que le paysage

appelle à penser d’une certaine manière, et même que certaines idées nous viennent justement

du paysage. »

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Le paysage ouvre une voie vers le monde, la forme de la perception décide du

paysage qui exprime la forme de la pensée des personnages. Unité géographique, historique,

esthétique et culturelle, le paysage réserve et donne des idées profondes, qui se transmettent à

l’homme sensible. « Ma pensée est faite de cette terre et de cet air » (EM 64), avoue l’écrivain

dans son essai. Le paysage « n’est pas seulement un terrain d’action ni un objet d’étude : il

donne à penser, et à penser autrement. Il nous propose, entre autres choses, un modèle pour

l’invention d’un nouveau type de rationalité : pensée-paysage »

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. Dans les œuvres de Le Clézio,

on voit que le paysage, comme un vrai personnage, influence les personnages, en leur donnant

de nouvelles idées et en changeant leur vision du monde. Comment le paysage fait-il la pensée

des personnages lecléziens ? Comment la pensée de l’écrivain s’éclaire-t-elle à travers son

paysage ? Dans cette partie, on préfère suivre le pas de Gaston Bachelard et de Jean-Pierre

Richard, en prenant des « éléments sensibles » de Le Clézio, soit des paysages récurrents

auxquels revient toujours sa rêverie, tels que le paysage météorologique, le paysage

cosmogonique, le paysage du ciel étoilé, le paysage insulaire... Il ne faut pas considérer le

paysage comme un simple dispositif extérieur mais comme ce qui nous structure et comme ce

dont nous sommes des parties intégrantes.

On va entreprendre les recherches selon quatre axes significatifs. Tout d’abord, La vie et la mort

s’enchevêtrent dans les paysages leclézien. La conscience de la mort serait souvent réveillée

par un paysage. Se répètent dans les œuvres lecléziennes les paysages de grisaille, de vieillesse

ou de fin du monde, qui poussent les personnages à reconnaître leur destin. La dualité du

1 Jean-Louis Ezine, Ailleurs, op. cit., p. 65.

2 Augustin Berque, La Pensée paysagère, Paris, Archibooks, 2008, p. 7.

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paysage diurne et du paysage nocturne fait ressortir le rythme de la vie et celui de la mort. C’est

en décrivant le paysage de l’orage que l’écrivain manifeste un paradoxe éclatant entre la vie et

la mort : l’orage donne un paysage de destruction et de renaissance, qui se lie à une pensée du

sublime.

L’enchaînement de la vie et de la mort caractérise une force vivante et contradictoire du paysage

leclézien. Dans le deuxième chapitre, on étudie la vivacité du paysage leclézien, qui s’attache

à une pensée animiste, mythique et sacrée. Le monde leclézien est dominé par la force minérale,

la force végétale, la force animale et les forces des éléments, lesquelles luttent l’une contre

l’autre sans cesse. Le paysage de début du monde résonne avec le paysage de fin du monde

dans les œuvres lecléziennes, ils bouclent le récit en créant un cycle du temps et de l’espace.

Cette pensée mythique se voit surtout dans le paysage fluvial, qui combine le mystère, la

légende et la religion primitive. Pour des personnages lecléziens comme pour l’homme

religieux, si le monde est vivant, c’est parce qu’il est habité par des dieux invisibles. Le paysage

s’associe ainsi toujours à une force surnaturelle, à la fois attirante et terrible, qui projette le

personnage vers un Tout Autre.

Les personnages lecléziens non seulement voient le paysage mais aussi le rêvent. La

contradiction et la vivacité du paysage mélangent souvent le réel et l’irréel. La récurrence des

mythes, des légendes et des rêves augmentent aussi l’atmosphère onirique du paysage leclézien.

Le paysage fait rêver et il plonge les personnages dans des rêveries profondes. Touchant le sacré

du paysage, les personnages lecléziens se laissent entrer dans un autre monde, où le paysage

devient merveilleux et fantastique. Pour arriver à des rêveries, il y a une voie secrète, c’est la

voie méditative, qui concerne une autre façon de voir le monde.

Enfin, le paysage, comme porteur des souvenirs des personnages, de la famille, de l’histoire et

du monde, se lie étroitement à l’origine. Le paysage leclézien se présente par les souvenirs et

comme les souvenirs. Les personnages cherchent non seulement à arriver à un ailleurs mais

aussi à un début du temps, où se trouve un paysage beau, calme et sauvage. Le retour au paysage

originel, c’est le retour aux origines et au paradis. Même si le paradis est perdu pour jamais, le

paysage laisse voir une vérité de l’histoire et du monde, qui apprend aux personnages à vivre

librement.

Avec ces études, on voit que le mythe, la rêverie et les souvenirs s’enchaînent dans le paysage

leclézien, qui est à la fois réel et imaginaire. La vie et la mort, le sublime et le sacré, la nostalgie

de l’origine et l’aspiration au paradis, toutes ces pensées se parlent et s’éclairent à travers le

paysage leclézien.

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Chapitre 1

Le paysage et la conscience d’être :

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