Après cette introduction, nous étudierons tout d’abord dans la première partie les éléments
sensibles du paysage leclézien. Nous commencerons par les topoï fondamentaux du paysage
leclézien, soit les structures du paysage où le regardant et le regardé se lient par des schémas
récurrents. D’après nous, il existe trois topoï principaux du paysage dans les œuvres
lecléziennes : le topos de la fenêtre, le topos d’en haut et le topos de la frontière. Ces trois topos
consistent en des vues différentes et des lieux différents, ils dévoilent aussi les relations
différentes entre le regardant et le regardé, en montrant une évolution du rapport de l’homme
au monde. Puis nous étudierons le vertige du mouvement qui influence l’apparition du paysage
Fredrik Westerlund étudie d’un point de vue phénoménologique le fleuve dans l’écriture romanesque leclézienne. Il souligne la relation entre la perception et la présence du fleuve. Mais il considère le fleuve comme espace, non comme paysage. Voir Fredrik Westerlund, Les fleuves dans l’œuvre romanesque de Jean-Marie Gustave Le Clézio, thèse, Université de Helsinki, 2011. En un mot, le paysage reste, semble-t-il, un mot fortuit dans les recherches des critiques et il demeure obscur et minimal. Il n’a pas une existence indépendante, ses confins ne sont jamais dessinés. Michèle Gazier, « Paysages de Maurice », in Thierry Léger, Isabelle Roussel-Gillet et Marina Salles (dir.), Le Clézio, passeur des arts et des cultures, Rennes, PUR, 201
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et qui détermine l’évolution des topoï spatiaux. Le vertige du mouvement se lie à la marche, au
roulement de la voiture et à la navigation du bateau. Avec la modification du mouvement,
l’espace évolue, le paysage change, la psyché des personnages se transforme aussi. Nous
consacrerons le troisième chapitre au paysage urbain tout en nous référant au paysage naturel.
Nous aurons à discuter comment la ville devient le paysage dans les œuvres lecléziennes, quelle
est la différence entre les lieux et les non-lieux de la ville, quelle est la vraie beauté urbaine par
rapport au paysage naturel. A la fin de la première partie, nous monterons que le paysage
leclézien ne se limite pas à la vue et qu’il est produit par tout le corps. Il s’associe absolument
à des sensations violentes des personnages et il conduit à une initiation exceptionnelle qui
transforme les personnages en autres.
Fort de ce départ phénoménologique, nous pourrons étudier, dans la deuxième partie, la
pensée-paysage de Le Clézio, soit une intimité entre le pensée-paysage et les idées principales de l’écrivain.
Le Clézio pense par le paysage ou le paysage pense par l’écrivain. En détaillant les paysages
récurrents, nous pénétrerons le paysage intérieur de l’auteur. Tout d’abord, nous verrons que le
paysage leclézien s’attache à une lutte entre la vie et la mort. La dualité de la vie et de la mort
se fait ressortir surtout par la dualité du paysage diurne et nocturne, elle atteint l’apogée à travers
le paysage de l’orage, où les personnages sont saisis à la fois par la peur et l’extase. En regardant
la dualité de la vie et de la mort, nous découvrons que le paysage leclézien est souvent dominé
par les forces paradoxales, qui le rendent tellement vivant. Le deuxième chapitre sera attribué
à la pensée cosmique et mythique du paysage leclézien. La dualité de la vie et de la mort
s’attache à une cosmologie et à un cataclysme, elle produit un sacré du paysage, qui met en
accent une co-naissance de l’homme avec le monde. Parfois le paysage dépasse la limite de la
réalité et il se présente dans le rêve ou par la rêverie. Ainsi examinerons-nous dans le troisième
chapitre l’onirisme du paysage leclézien. C’est surtout la rêverie qui donne la valeur importante
au paysage. Elle se rapporte souvent à une méditation ou à une contemplation, qui pourraient
nous conduire à l’autre côté du monde. Si les souvenirs sont utiles pour la naissance de la rêverie
du paysage, le paysage pourrait réserver les souvenirs. Dans le dernier chapitre de la deuxième
partie, nous observerons l’intimité entre le paysage et l’origine chez Le Clézio. Le paysage reste
dans la mémoire, il se présente quand on s’en souvient, en même temps, le paysage est capable
d’évoquer les souvenirs ou le temps passé. Cette relation entre le paysage et les souvenirs
occupe une place importante dans la création du cycle de Maurice, où le paysage insulaire
implique l’origine de la famille, de l’individu, du monde et même du langage. Le paysage
spatial a une existence temporelle, qui suscite la nostalgie et une aspiration à l’utopie. La
conscience, la rêverie et la nostalgie se fondent en une pensée-paysage.
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Ayant étudié les éléments sensibles et les pensées-paysages, nous nous tournerons vers la
fonction diégétique du paysage dans les œuvres lecléziennes. Nous nous concentrerons sur le
rapport entre la description textuelle et la construction de l’intrigue. Le paysage participe en
effet de sa propre façon à la narration du texte. Nous éclairerons trois modes de l’engagement
descriptif : la description peut structurer le récit, elle peut prévenir, contredire et doubler
l’action événementielle. Il faut aussi pénétrer l’intimité entre la langue et le paysage chez Le
Clézio. La langue pourrait conduire le personnage vers le paysage, à l’inverse, le paysage
pourrait aussi exalter la langue. Nous comprendrons mieux la fonction diégétique du paysage
en examinant son existence comme un personnage dans la création leclézienne. Le paysage est
décrit comme une personne, avec sa propre volonté, sa propre idée et sa propre force. Il engage
dans l’expérience des personnages humains, en leur donnant des aides ou en leur offrant des
obstacles. Il accompagne les personnages, les conduit, les transforme et les initie. Le paysage
devient un vrai acteur du récit. En même temps, des personnages sont décrits comme des
paysages, surtout des femmes idéales, dont le corps nu se rend sans cesse à un paysage naturel.
Le personnage-paysage et le paysage-personnage s’attachent certainement à la pensée animiste
et mythique de l’écrivain, ils approfondissent en même temps la dimension poétique du paysage
dans le texte propre. Enfin, nous parlerons d’une transtextualité du paysage leclézien, qui
concerne un dialogue avec la géographie et l’art pictural. La toponymie, la topographie et la
cartographie ajoutent une réalité géographique au paysage imaginaire et littéraire. La
typographie, l’iconographie et la cartographie donnent à vrai dire des paysages de page, elles
contrastent avec une description picturale, qui produit l’effet tableau du paysage. Ce qui est
impressionnant, c’est qu’il existe vraiment des dessins ou des petits tableaux de paysage dans
des œuvres lecléziennes. En les analysant, nous présenterons le retentissement entre les signes
scripturaux et les signes picturaux. A travers ces dessins de paysage, nous découvrirons aussi
une métaphore de l’écriture et de la langue.
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