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De l’espace de la maison de poupées au récit de création de Wanda

Chapitre III : Séductions et mensonges du merveilleux de la Gauklerlegende à Leben und

B. Performance et travail de représentation dans Gauklerlegende

B. 1 De l’espace de la maison de poupées au récit de création de Wanda

poupées visitée par Wanda et Hubert. Cette exposition est le résultat d’un travail de représentation, plus précisément de construction muséale visant la production d’un récit historique. Il s’agit d’un travail de sélection et d’organisation en séquences narratives distinctes de vitrines présentant une série de maisons de poupées comptant elles-mêmes diverses pièces. Or la série des pièces de chacune des maisons de poupées reprises et organisées par l’exposition sont déjà elles-mêmes le fruit d’un travail de représentation en

trois dimensions d’un réel donné, soit les nombreuses pièces de maisons « réelles », d’intérieurs bourgeois. En bref, ils sont le fruit d’un travail de représentation, de construction matérielle autour des activités domestiques et sociales d’une classe et d’une époque spécifiques. Doit-on y lire un commentaire implicite sur les prétentions d’un certain réalisme à pouvoir représenter directement le réel ? L’exposition des maisons de poupées, qui servira de point de départ au travail de représentation de Wanda, puis de la narratrice et de l’auteure, est déjà fort éloignée de ce que l’on pourrait appeler le « réel ». Il implique déjà un travail de re-présentation en trois temps.

Dans ce qui correspond à un quatrième temps du travail de la représentation, les diverses scènes aperçues par le couple à l’exposition sont reprises et servent de matériel aux représentations miniatures en trois dimensions que la protagoniste aperçoit à l’intérieur des six dés à la fin de chacune de ses journées avec Rade, chaque dé servant tout à la fois de support et de vitrine à la re-présentation picturale en trois dimensions de l’une des scènes domestiques des maisons de poupées aperçues par le couple au musée. Cette représentation introduit par collage, sur chacune de ces scènes, le personnage du jongleur Rade, personnification du merveilleux et sorte de fou du roi, dont l’intrusion vient subvertir le travail accompli par la représentation historique et muséale sur l’espace domestique et bourgeois. L’apparition de Rade dans cet espace préfigure son intrusion sur la scène de la vie domestique de Wanda. En effet, les dés se retrouvent entre les mains de celle-ci à la fin de chacune des journées du récit de création, au moment où Rade disparaît pour laisser la place à Hubert. Ceci permet à Rade de demeurer indirectement présent sur la scène conjugale et d’influencer la dynamique de l’espace domestique.

Dans ce qui correspond à un cinquième temps du travail de la représentation, les miniatures aperçues à l’intérieur des dés par la protagoniste servent à leur tour de matériel au travail de représentation générateur du récit de création, qui reprend à son compte, dans un cadre narratif plus large organisé en six tableaux, les scènes contenues dans les six dés, de même que l’épisode de la visite du musée par Wanda et Hubert, mais cette fois avec

Rade et un groupe d’enfants comme protagonistes principaux. Cet épisode s’avère particulièrement intéressant au regard de la question du rapport à la tradition et du statut à accorder au geste de création. Revoyons la scène :

Rade führte den Kinderzug nach Arnstadt. Das Schloßmuseum öffnete der Übermacht seine Pforten. Der Museumsführer stieß flehentliche Worte aus seinem breitlippigen Mund, die rauchten und blieben ungehört. Flure und Zimmerfluchten hallten wieder von Schreien und Geplapper. Die Kinder nahmen Kanonenkugeln, eisenbeschlagene Truhen, Bilder, Gobelins, Porzellan und wurmstichige Möbel in Augenschein, die Vitrinen der Puppenstadt öffneten sie durch Steinwurf : zweiundachtzig Schaukästen. Der Museumsführer schrie um Hilfe. Rade lachte. [...]

Die Kinder betasteten die Exponate, pusteten Staub von ihnen, griffen nach den Puppen, spielten. [...]. Nichts blieb am Platz, wenig heil. So ward aus Morgen und Abend der sechste Tag.

Als die Kinder genug wußten, gingen sie nach Hause. Der Museumsführer aber holte die Kassenfrau zu den Trümmern. Sie nannte die respektlosen Kinderspiele Vandalismus. Rade nannte sie Aneignung der Historie.114

Dans le récit de la genèse, le sixième jour était le jour de la création de l’homme. Or, semble suggérer le récit de Wanda, l’homme a été créé, non pas uniquement pour régner sur la création, mais également sur l’Histoire, ainsi que sur les divers récits et représentations dont il hérite de la tradition, et ce, par le biais d’un travail d’appropriation. L’important, semble suggérer cet épisode, est moins le geste de création que la ré- appropriation de la tradition, héritage que certaines représentations, muséales, littéraires ou autres, nous ont appris à accepter comme autant de choses mortes, sacrées et intouchables. D’où l’importance d’accomplir un travail de déconstruction qui permette que devienne à nouveau possible l’émergence de nouvelles représentations. Le pillage du musée par les enfants vient justement achever le travail de subversion, de déconstruction de la

représentation muséale, amorcé par l’introduction du jongleur Rade sur les scènes d’intérieurs bourgeois du musée représentées dans les dés.

Dans un article paru en 1990 dans un recueil consacré à la réception du romantisme dans la littérature de la RDA, Hanne Castein fait référence à une entrevue accordée par Morgner à Eva Kaufmann (1984), dans le cadre de laquelle Morgner présente « [...] die

Kultur unserer Gegenwart, wie alle Kulturen, als das Produkt eines schöpferisch- destruktiven Aneignungsprozesses : [...] »115. Castein cite les paroles de Morgner :

Was für ein Glücksgefühl, plötzlich diese riesigen Schätze in sich hineinschaufeln zu dürfen. Und zu verdauen. Neue Kulturen entstehen ja nur, indem sie sich die alten aneignen und sodann verdauen.116

Il évoque comment, dans le cadre d’une entrevue, l’auteure encore étudiante explique comment elle en était venue à adopter cette « aggressives Erbeverständnis ». Alors qu’elle travaillait au Neuere Deutsche Literatur, elle mentionne qu’un collègue était responsable de la section poésie. Elle raconte :

Ihn sah ich eines Tages mit der Schere ein langes Gedicht auseinanderschneiden und neu zusammensetzen. Man stelle sich vor : ‚Heilige Worte’ mit der Schere zerschnippelt! Doch das Gedicht, das dabei herauskam, fand ich gut. Damals kam mir zum ersten Mal die Idee, dass auch ‚Heilige Worte’ nur mit Wasser gekocht werden, und ich versuchte es ebenfalls.117

Et Castein de conclure :

Den musealen Klassiker-kult und Kulturkonservatismus, die bis in die siebziger Jahre die ästhetische Diskussion der DDR bestimmten, macht Morgner zu dieser Zeit nicht mit. Bereits 1970, [...] hatte sie eine anti-museale Haltung zum kulturellen Erbe empfohlen.118

115 Hanne Castein, op. cit, p. 116.

116 Eva Kaufmann, «Interview mit Irmtraud Morgner’, dans Weimarer Beiträge 30 (1984 (9), p. 1505. Cité

dans Hanne Castein, ibid., p. 116.

117 Klara Obermüller, « Irmtraud Morgner », dans Neue Literatur der Frauen. Munich, Heinz Puknus , 1980,

p.178. Cité dans Hanne Castein, ibid., p. 116.

B. 2 Le conte de la narratrice : re-présentation, collage et fonction

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