• Aucun résultat trouvé

L’avènement de l’OMC et l’entrée en vigueur de l’Accord relatif aux aspects des Droits de la

Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce51, signé le 15 avril 1994, ont marqué une avancée

déterminante dans la protection internationale des dénominations géographiques et un tournant décisif pour les pays membres. Cet accord a été ratifié par plus d’États membres52 que les

conventions précédemment citées. Il fixe des standards minimaux de protection des dénominations

49 Les différentes tentatives engagées à l’époque sont détaillées dans le rapport de l’OMPI (2001).

50 Les Membres signataires des conventions devaient s’adresser à la Cour Internationale de Justice (CIJ) en cas de

différend sur l’application ou l’interprétation de la convention (voir l’article 28 de la Convention de Paris et l’article 33 de la

Convention de Berne, telles que modifiées à ce jour).

51 Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce [Accord sur les ADPIC], (Annexe

1C de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce, 1867 R.T.N.U. 3, adopté le 15 avril 1994, entré en vigueur le 1er Janvier 1995), 1869 R.T.N.U. 332. Voir l’extrait du texte de l’Accord sur les ADPIC, portant sur les dénominations géographiques, en annexe de la thèse.

52 L’Organisation mondiale compte à ce jour du 12 avril 2013, 159 Membres (mise à jour le 2 mars 2013), voir le lien:

géographiques entre autres droits de propriété intellectuelle protégés. Chaque Membre de l’OMC doit prévoir des moyens juridiques de protection des dénominations géographiques dans sa législation nationale. Cette reconnaissance internationale des dénominations géographiques, voulue par les Accords de l’OMC à travers l’Accord sur les ADPIC, permet la mise en œuvre d’une protection spécifique et d’un mécanisme de règlement53 des différends capable d’imposer le respect de l’Accord

et des normes établies par les Membres.

Les dénominations géographiques font l’objet de la section 3 de la Partie II de l’Accord sur les ADPIC. Ainsi appelées « indications géographiques »54 dans ledit accord, les dénominations

géographiques y sont définies comme « des indications qui servent à identifier un produit comme étant originaire du territoire d’un Membre, ou d’une région ou localité de ce territoire, dans les cas où une qualité, réputation ou autre caractéristique déterminée du produit peut être attribuée essentiellement à cette origine géographique »55.

53 Ce mécanisme de règlement des différends constitue l’une des avancées majeures dans la protection internationale

des dénominations géographiques. A ce jour du 15 mai 2014, seule une affaire sur les indications géographiques fait l’objet de jurisprudence à l’OMC : un différend impliquant conjointement des États-Unis (OMC-réf. : WT/DS174) et de l’Australie (OMC-Réf. : WT/DS290) contre les Communautés européennes portant sur les mesures de l’Union Européenne relatives à la protection des marques et indications géographiques pour les produits agricoles et les denrées alimentaires.

Dans cette affaire, les États-Unis alléguaient que le Règlement européen 2081/92 du 14 juillet 1992 contient des barrières inutiles au commerce au regard de sa violation du traitement national au profit des produits européens. L’Australie, par ailleurs, alléguait que ce règlement européen violait certaines dispositions de l’Accord sur les obstacles techniques au commerce (Accord sur les OTC). S’il a reconnu la licéité du règlement européen au regard des Accords de l’OMC, le Groupe spécial recommande toutefois à l’UE de modifier certaines dispositions de son règlement (les dispositions sur le processus d’enregistrement) de sorte à admettre les mêmes droits aux produits non-européens et européens (Pour des commentaires sur cette affaire, lire Charlier C., 2007, « La protection européenne des indications géographiques face au principe du traitement national de l’OMC », Économie rurale 299, p.70-83). A la suite du Rapport du Groupe spécial [OMC-Doc. : WT/DS174/R et WT/DS290/R] du 15 avril 2005 – adopté par l’ORD le 20 avril 2005 – le règlement européen 2081/92 fut remplacé en 2006 par le Règlement CE 510/2006, qui se trouve aujourd’hui remplacé par le Règlement UE n° 1151 du 21 novembre 2012 [en vigueur depuis le 3 janvier 2013]. Cette affaire souligne, par les questions discutées, les enjeux que représente la protection des dénominations géographiques dans le commerce international.

54 Cette terminologie est une récupération du concept fédérateur issu des travaux d’un traité de l’Organisation mondiale

de la propriété intellectuelle sur les appellations d’origine et les indications de provenance – abandonnés dans la foulée de la révision de la Convention de l’Union de Paris (Höpperger, 2003 ; Kalinda, 2010).

Cette terminologie utilisée par l’OMC vise ainsi à englober toutes les catégories de dénominations géographiques : appellation d’origine, appellation d’origine protégée, indication géographique protégée, appellation d’origine contrôlée, indication de provenance, etc.

© 2014 Zakaria Sorgho 23

L’Accord sur les ADPIC contraint les Membres de l’OMC, quel que soit leur niveau de développement, à une protection des indications géographiques contre la tromperie portant sur l’origine des produits et contre les actes constitutifs de concurrence déloyale. A cette fin, l’accord prévoit une protection à deux vitesses : il établit une protection minimale (protection standard) pour l’ensemble des produits, et une protection renforcée pour les vins et spiritueux. La protection standard vise à assurer uniquement que le public ne soit pas induit en erreur (art. 22.3) : cela implique que la charge de la preuve, démontrant le risque de confusion dans l’esprit du public, incombe à l’État plaignant (opposant). La protection renforcée, dédiée aux vins et spiritueux, permet de s’opposer à toute utilisation de l’indication protégée, quand bien même le public ne serait pas formellement trompé en raison de l’adjonction du lieu véritable d’origine ou de mentions telles que « genre », « type », « style » ou « imitation » (art. 23.1). En cas d’application d’une telle protection, la simple constatation de l’appellation sur l’étiquette du produit incriminé suffit pour formuler une opposition, et une demande de mise en conformité.

Cette échelle de protection à deux niveaux inscrite dans l’Accord sur les ADPIC ne satisfait pas l’Union Européenne (UE) qui estime que la protection standard n’est pas assez précise pour assurer une protection suffisante aux dénominations géographiques. Elle propose56 donc d’étendre les

dispositions de protection additionnelle – spécifique aux vins et spiritueux – à tous les produits. Mais pour les pays outre-Atlantique (notamment les États-Unis et le Canada), cette proposition européenne est infondée et engendrera des coûts inutiles au système commercial57. Afin de concilier

les divergences de vue entre les États membres sur la question des dénominations géographiques,

56 Dans sa demande (OMC-réf. : TN/IP/W/11) du juin 2005 – soutenue par la Suisse et un bon nombre de pays africains

– l’UE demande de modifier l’Accord sur les ADPIC de sorte que le niveau le plus élevé de protection prévu à l’article 23 et les exceptions prévues à l’article 24 puissent s’appliquer à tous les produits, afin de prévenir toute « usurpation » des indications. L’idée soutenue étant que cette mesure permettra de garantir une juste légitimité dans le commerce ; d’améliorer les produits conformément au choix des consommateurs ; d’assurer un meilleur accès au marché tiers tout en couvrant les coûts de production des producteurs des indications géographiques ; et de permettre des informations justes et transparentes sur les produits au choix des consommateurs (ACICI, 2005).

57 Selon un résumé des discussions rapportées par ACICI (2005), les États-Unis, le Canada, l’Australie et quelques pays

latino-américains estiment que le niveau de protection existant – en vertu de l’article 22 de l’Accord sur les ADPIC – est suffisant. Ils récusent les arguments de l’UE et rejettent l’idée de l’« usurpation » des indications car dans certains cas, des immigrants peuvent apporter avec eux et utiliser de bonne foi dans leur nouveau pays des méthodes de fabrication, du savoir-faire et des noms de produits. Selon les opposants à la proposition européenne pénalisera les producteurs qui quittent la zone de l’indication géographique protégée pour des raisons d’immigration ; elle aura des coûts supplémentaires de re-étiquetage et de marketing pour les entreprises ; elle entraînera des pertes de marché tiers pour les producteurs non protégés ; et pourra avoir un effet d’augmentation considérable sur les prix des produits (ACICI, 2005).

l’Accord sur les ADPIC prévoit que des négociations se poursuivront au sein du Conseil des ADPIC « concernant l’établissement d’un système multilatéral de notification et d’enregistrement des indications géographiques pour les vins susceptibles de bénéficier d’une protection dans les Membres participant au système »58.

Les discussions à l’OMC sur les dénominations géographiques portent, à ce jour, principalement sur deux aspects : l’établissement d’un registre59 multilatéral d’enregistrement des indications

géographiques de vins et spiritueux ; et l’extension60 des dispositions de l’article 2361 de l’Accord sur

les ADPIC à tous les produits.

Pour ce qui est de l’établissement du registre multilatéral pour les vins et spiritueux, les choses semblent avancer, à en croire le dernier rapport du Conseil des ADPIC (OMC-réf. : TN/IP/21) du 21 avril 2011, mais les Membres divergent encore sur la nature juridique de l’acte d’enregistrement : serait-il obligatoire (contraignant pour les Membres) ou volontaire (au gré des Membres) ? Mais, concernant les négociations sur l’extension des dispositions 23 et 24 de l’Accord sur les ADPIC à tous les produits, les discussions sont au point mort en raison de fortes divergences sur l’intérêt et les fondements62 d’une telle mesure, en plus des enjeux économiques63 associés.64

58 Article 23.4 de l’Accord sur les ADPIC.

59 La question de registre multilatéral d’enregistrement des vins et spiritueux est prévue à l’article 23.4 de l’Accord sur les

ADPIC, et dans l’agenda du mandat de Doha au paragraphe 18 de la déclaration de Doha (OMC-réf. : WT/MIN(01)/DEC/1 du 20 novembre 2001, adopté 14 novembre 2001).

60 Toutefois, la question relative à l’extension de la protection prévue à l’article 23 de l’Accord sur les ADPIC à tous les

produits n’est pas spécifiée dans le mandat de Doha mais considérée comme des questions en suspens au titre du paragraphe 12b de la déclaration de Hong Kong du 18 décembre 2005. Ladite déclaration donne mandat au Directeur général de l’OMC (au paragraphe 39 de la déclaration) de poursuivre les consultations en vue de la mise en œuvre des questions en suspens (OMC-réf. : WT/MIN(05)/DEC du 22 décembre 2005, adopté le 18 décembre 2005).

61 L’article 23 de l’Accord sur les ADPIC offre un niveau de protection supérieur pour les vins et spiritueux en interdisant

l’utilisation de l’IG même en traduction ou accompagnée d’expressions telles que « genre », « style », « imitation » ou autre. Alors que la protection conférée pour les autres produits est limitée à la protection générale qui protège contre toute utilisation susceptible d’induire le public en erreur ou constituant un acte de concurrence déloyale (confère l’article 22 de l’Accord sur les ADPIC). Selon cet article 22 de l’Accord sur les ADPIC, les désignations comme « fromage Roquefort produit en Norvège » ou « tapis Hereke fabriqués aux États-Unis » sont permises sur les marchés aux côtés des originaux : le vrai « formage Roquefort » de France et les vrais « tapis Hereke » de Turquie (Addor et al., 2003 : 31).

62 Alors que la littérature s’étoffe d’arguments en faveur de la protection internationale des dénominations géographiques,

des auteurs tels que Raustiala et Munzer (2007) réfutent – injustifiés, soutiennent-ils – les fondements juridiques d’une protection des dénominations géographiques au regard du droit international de la propriété intellectuelle.

© 2014 Zakaria Sorgho 25