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D’autres conventions bilatérales, voire parfois multilatérales,82 existent par ailleurs sur des

dénominations géographiques dans des secteurs spécifiques : par exemple, la Convention de Stresa

sur les dénominations d’origine et les noms de fromages du 1er juin 1951 (entrée en vigueur le 8

juillet 1959), et l’Accord83 sur les huiles d’olives et olives de table, signé entre l’Union Européenne

(UE) et 12 autres États tiers le 29 avril 2005 (entré en vigueur le 26 mai 2007). Ces instruments sont très peu importants et d’une maigre contribution substantielle à la présente thèse consacrée aux pays européens : les obligations de ces instruments ne sont plus pratiquement évocables dans les relations intra-européennes (entre pays de l’UE), alors que les pays européens constituaient la quasi- totalité des Membres signataires de celles-ci. En effet, la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) a estimé dans une affaire impliquant la France contre l’Allemagne, qu’un État de l’UE ne saurait invoquer les dispositions de la Convention de Stresa pour justifier des restrictions dans le commerce intra-communautaire dès lors qu’une information convenable des consommateurs est assurée84. Ainsi, cette section ne fait qu’une brève présentation de ces conventions particulières.

La Convention de Stresa définit les appellations d’origine et les indications de fromages (y compris notamment leurs caractéristiques distinctives) afin de protéger l’originalité des produits : les dénominations protégées doivent désigner des fromages fabriqués ou affinés, en vertu d’usages locaux, loyaux et constants, dans les régions traditionnelles et délimitées d’où ces fromages tirent leurs caractéristiques typiques.85 Elle établit une protection plus élevée pour quatre dénominations :

82 Notons que l’essentiel des conventions spécifiques sur les dénominations géographiques sont renfermées dans des

accords bilatéraux. Ces accords innombrables et très variés ont commencé dans les périodes d’avant l’Arrangement de Lisbonne, et se sont développés après ladite Convention. Le présent travail ne pourrait, pour des raisons d’intérêt de la thèse, s’étendre sur une liste exhaustive des conventions bilatérales : l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle publie régulièrement un Recueil des traités regroupant la plupart de ces conventions bilatérales. Pour une idée des accords bilatéraux ou régionaux conclus entre l’Union Européenne et d’autres pays, et qui abordent les aspects des dénominations géographiques, lire par exemple Mathieu (2010).

83 L’accord est administré par le Conseil oléicole international (créé depuis 1959) pour défendre et promouvoir

l’oléiculture, l’huile d’olive et les olives de table. Cet accord de 2005, placé sous l’égide de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) expirera en 2014 – Doc-réf. : TD/OLIVE.OIL.10/6. Il constitue le cinquième d’une série d’accords conclus sur les huiles d’olive et les olives de table : le premier en 1956, suivi de celui de 1963, puis celui de 1979, et le dernier en date était de 1986.

84 Voir le jugement : CJCE, 22 septembre 1988, Deserbais, aff. C-286/86, Rec. p. I-4921. 85 Article 3 de la Convention de Stresa.

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« Gorgonzola », « Parmigiano Reggiono », « Pecorino Romano » et « Roquefort », et reconnait tout

fromage répondant aux exigences des cadres de protection juridique nationaux (Allaire et al., 2005). La liste des dénominations protégées par la Convention se trouve jointe et mise à jour aux annexes A et B. Toutefois, la convention ne reconnait pas des dénominations géographiques (telles que,

Camembert, Danablu, Edam, Emmental, et Gruyère) perçues comme génériques et dont l’utilisation

doit seulement être conforme aux normes de production établies par le Codex Alimentarius.86

Les demandes d’inscription à cette liste sont traitées par le Conseil permanent (art. 5.5 de la Convention). Mais, avant toute demande d’inscription à la liste pour bénéficier d’une protection au sein de l’Union de Stresa, les dénominations doivent préalablement bénéficier d’une protection effective dans leur pays d’origine. Les dénominations, une fois inscrites dans la liste de la Convention, sont protégées contre l’emploi des fausses indications sur l’origine, l’espèce, la nature ou les caractéristiques des fromages, par la prohibition et la répression de ces fausses indications (Danovics, 2001).

Quant à l’Accord sur les huiles d’olives et olives de table, administré par le Conseil oléicole international, il définit le cadre et les conditions d’utilisation des dénominations « huile d’olive », « huile de grignons d’olive » et « olives de table » et donne la description des différentes catégories (et sous-catégories) de ces dénominations à ses annexes B (pour les huiles) et C (pour les olives de tables). Par exemple, l’accord définit la dénomination « huile d’olive » comme étant réservée à toute huile provenant uniquement de l’olive, à l’exclusion des huiles obtenues par solvant ou par procédés de ré-estérification, et de tout mélange avec des huiles d’autre nature87. Conséquemment, les Parties

à l’accord s’engagent à supprimer, dans leur commerce intérieur et international, tout emploi de la dénomination « huile d’olive », seule ou combinée avec d’autres mots, non conforme aux dispositions

86 Nous verrons sur cette question de généricité des dénominations géographiques que l’Union Européenne accepte de

protéger des dénominations complexes associant ces termes initialement perçues comme génériques, alors que, ses règles applicables nient toute protection de dénominations semi-génériques. Par exemple, « Camembert de Normandie » enregistré comme AOP française, alors que Camembert est reconnu comme étant un terme générique : conséquemment, on pourrait en déduire que l’UE protège des semi-génériques quand bien même son règlement le défend.

de l’article 20 de l’accord88.

Aussi, l’article 22.6 engage les Membres à établir un système de reconnaissance mutuelle des dénominations géographiques en vue d’assurer une protection ex officio de celles qui sont protégées par le droit national des Membres, et à prohiber et à réprimer l’emploi sur leur territoire, et dans le commerce international, des dénominations géographiques et de dénominations d’huiles d’olive, d’huiles de grignons d’olive et d’olives de table contraires aux principes et dispositions de l’accord. Les Membres peuvent recourir à la Cour Internationale de Justice (CIJ) « en cas d’insuccès, et après constat par le Conseil des Membres que tous les moyens ont été mis en œuvre pour arriver à un accord »89.

S

ECTION

3.P

ROBLEMATISATION DE LA RECHERCHE

En Europe, des rudiments de réglementation défendant la qualité par la protection des dénominations géographiques existaient depuis des siècles. Par exemple, en France, le fromage de Roquefort a fait l’objet au XVème siècle d’une Charte royale de Charles VI qui confère aux habitants

de Roquefort-sur-Soulzon « le monopole de l’affinage du fromage tel qu’il est pratiqué du temps immémorial dans les grottes dudit village » (Bienaymé, 1995 : 420). L’ordonnance de 1351 du roi Jean de France stipulait à son titre II qu’ « Il est ordonné que nul marchand de vin en gros ne pourra faire mêler deux vins ensemble, sous peine de perdre le vin et de l’amende » (Marie-Vivien, 2010 : 11). Des règles de fabrication du fromage de Laguiole, ainsi que les modalités d’exploitation des montagnes ont été fixées par les moines du monastère d’Aubrac dès le XIIème siècle (Rapport Dr.

Ayrinchac, 1992 : 35).

L’Union Européenne (UE) applique un instrument juridique spécifique de protection sui generis concernant les dénominations géographiques en plus de son régime sur les marques communautaires. Son cadre réglementaire sui generis est l’aboutissement d’une volonté de la

88 Précisément à l’article 20.3 de l’accord. 89 Article 23.2 de l’accord.

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Commission Européenne – engagée depuis une Communication de 198990 – de fixer des procédures

d’homologation et de reconnaissance réciproque des labels et indications de qualité. Cette volonté visait à adopter dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC) un outil qui instaure la politique de la qualité des produits agricoles et des denrées alimentaires afin de diversifier et valoriser les produits, dans le souci de stabiliser et améliorer les revenus des producteurs et aider les consommateurs dans leurs choix (Parlement européen, 1991). L’objectif économique majeur de cette politique de qualité était d’aider à l’aménagement du territoire (lutter contre la désertification rurale) en préservant les activités économiques agricoles contre la concurrence internationale issue de productions de masse à bas prix (Danovics, 2001 : 18-19)91. Ainsi, le 14 juillet 1992, deux premiers

règlements européens sur les signes officiels d’origine aboutissent : les Règlements (CEE) n°2081/92 et n°2082/92.92

La protection des dénominations géographiques en Europe s’inspire largement de la tradition française en matière d’appellation d’origine, dont la pratique date de plusieurs siècles. À l’exception de certains produits spécifiques, tels que la production du fromage « Roquefort » qui n’est pas un produit viticole, le premier instrument juridique français de protection de l’appellation d’origine a été officiellement mis en place en 1905 dans le domaine viticole (Dion, 1977). Le cadre juridique français sur l’appellation d’origine a connu une évolution significative depuis la Révolution française, passant d’une protection négative par la répression des fraudes et des tromperies aux fins de défense des intérêts des consommateurs, à une protection positive octroyant des droits préexistants à des ayants droits déterminés (Rochard, 2002 : 8).

Le régime sui generis appliqué dans l’Union Européenne protège les dénominations géographiques au-delà des normes négociées dans l’Accord sur les ADPIC, ce qui attirent la méfiance des États

90 Communication concernant la libre circulation des denrées alimentaires à l’intérieur de la Communauté (réf. : J.O.C.E.

C 271 du 24 octobre 1989).

91 Cette volonté de passer d’une politique quantitative à une politique qualitative trouve un écho dans ces propos de

Pascal Lamy, alors Commissaire européen au commerce, qui avançait que : « [T]he future of European agriculture lies not in quantity of exports but quality. [...] That is why we are fighting to stop appropriation of the image of our products and improve protection. » cité par Raustiala et Munzer (2007: 350).

92 Le règlement 2082/92 concerne les attestations de spécificité : objet que nous ne traitons pas dans la présente thèse.

Seul le règlement 2081/92 (réf. : J.O.C.E. n° L 208 du 24 juillet 1992) relatif aux indications géographiques et aux appellations géographiques intéresse l’objet de la thèse.

tiers (– point S3.1 –), notamment du Common Law, comme les États-Unis et le Canada. La complexité juridique des textes européens en matière de dénominations géographiques limite l’effectivité du système des DG dans certains États et l’interprétation des règles applicables paraissent dans certains cas controversée (– point S3.2 –). Cette faible participation globale des pays de l’Union se matérialise par une forte inégalité du nombre de dénominations géographiques (AOP/IGP) entre États membres (voir Tableau 1, plus bas). Ce qui laisse supposer que le système européen de protection des DG crée des conditions susceptibles de modifier la structure des échanges sur le marché communautaire (– point S3.3 –).