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La conception et la définition des marques de nature collective sont d’une grande multiplicité et d’une grande hétérogénéité dans les régimes juridiques nationaux des pays européens. Autant le droit européen reste assez imprécis quant à la distinction des marques collectives « simples » et des marques de certification, et ne donne aucune disposition spécifique quant à la protection de ce type de marque. Les marques de nature collective demeurent donc protégées sous le régime du droit commun : elles sont protégées, de manière classique, contre toute reproduction ou imitation, pour des produits identiques ou similaires, ainsi que, dans le cas des marques renommées, pour des

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produits différents, si l’usage du signe tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque, ou lui porte préjudice (Le Goffic, 2010 : 67).

Aussi, l’exploitation des marques de nature collective en droit européen est ouverte à toute personne qui respecte le règlement d’usage (art. 70), et tous les utilisateurs de la marque peuvent également intervenir dans une procédure entamée par le titulaire de la marque (art. 22.1 et art. 72.1) et obtenir réparation du préjudice qu’ils ont subi en cas de contrefaçon par un tiers, sous demande du titulaire de la marque (art. 72.2). Par conséquent, le règlement communautaire autorise les utilisateurs de la marque à introduire une action en contrefaçon avec le consentement du titulaire de la marque (art. 22.3 et art. 72.1). Toutefois, le droit communautaire ne prévoit aucune sanction en cas de violation des droits des bénéficiaires de la marque de nature collective (par la contrefaçon et autre utilisation abusive) : il renvoie les sanctions aux droits nationaux des États membres (art. 102), tout en permettant aux autorités douanières nationales de saisir des produits contrefaits en provenance d’États tiers253.

Concernant les conditions de déchéance de la marque de nature collective, le droit européen admet – en plus du défaut d’exploitation ou de la dégénérescence de la marque, conformément au droit commun – que la déchéance d’une marque de nature collective peut être prononcée « si le titulaire ne prend pas de mesure raisonnable en vue de prévenir un usage de la marque qui ne serait pas compatible avec les conditions d’usage prévues par le règlement d’usage » (art. 71.a), ainsi que lorsque « la manière selon laquelle la marque a été exploitée par le titulaire a eu pour conséquence qu’elle est devenue susceptible d’induire le public en erreur » (art. 71.b). Un corollaire à cette dernière cause de déchéance – semblable au cas de la marque de droit commun devenue trompeuse – est lié à ce qui adviendrait si le risque de tromperie provient d’une exploitation faite par un utilisateur de la marque collective, autre que le titulaire ? Il semble que la déchéance ne soit pas encourue dans un tel cas (Le Goffic, 2010)254.

253 Règlement (CE) n°1383/2003 du Conseil du 22 juillet 2003 concernant l’intervention des autorités douanières à l’égard

de marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains droits de propriété intellectuelle ainsi que les mesures à prendre à l’égard de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle (réf. : JOUE n° L 196 du 2 mars 2003), et le Règlement d’application n° 1891/2004 (réf. : JOUE n° L 328 du 30 octobre 2004).

En outre, le règlement européen paraît pour le moins ambigu sur le régime des marques de nature collective lorsqu’à l’article 67.2, il semble accorder un droit de sélection des titulaires potentiels de la marque (une marge au titulaire de la marque de choisir les utilisateurs)255 avant de préciser que,

s’agissant des marques de nature collective comportant une dénomination géographique, le règlement d’usage accompagnant la demande d’enregistrement « doit autoriser toute personne dont les produits proviennent de la zone géographique concernée à devenir membre de l’association qui est titulaire de la marque ». Selon Caroline Le Goffic, cette règle combine à la fois l’aspect libre du choix des membres (typique au régime des marques collectives « simples ») et l’ouverture de l’usage de la dénomination géographique (typique au régime des marques de certification), et évoque par conséquent certaines règles du régime des signes de protection sui generis.

D’une part, elle introduit, en filigrane, l’idée de délimitation d’une zone géographique, même si cette délimitation ne résulte d’aucun acte de l’autorité publique dans le cas des marques collectives. D’autre part, la disposition rappelle la nécessaire disponibilité des indications géographiques qui font l’objet d’appellations d’origine pour tout opérateur respectant les conditions de production fixées au cahier des charges. (Le Goffic, 2010 : 66).

Le régime des marques de nature collective rencontre différentes limites quant à sa qualification comme un droit de propriété : si les marques individuelles obéissent à une logique exclusivement privée – consacrant des prérogatives exclusives à leurs titulaires – pouvant justifier de leur nature en droit de la propriété, les marques de nature collective, quant à elles, sont gouvernées par une logique « hybride » partagée entre privée et publique. Cet aspect « hybride » des marques de nature collective vient de l’ingérence de la sphère publique ou l’intérêt des autorités publiques, notamment en Europe, dans l’encadrement de ces dernières, qui se traduit par des restrictions aux prérogatives de droit privé que possèdent les titulaires de marques individuelles (Le Goffic, 2010 : 221). Ces restrictions sont essentiellement dans les rapports qui lient le titulaire de la marque de nature collective et son bien.

Les marques de nature collective dérogent au principe de la libre cession de licences d’exploitation, telle que jouissent les titulaires des marques individuelles. Cela constitue une restriction importante

255 L’article 67.2 dispose d’abord que le règlement d’usage doit indiquer « les personnes autorisées à utiliser la marque,

les conditions d’affiliation à l’association ainsi que, dans la mesure où elles existent, les conditions d’usage de la marque ».

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au monopole du titulaire de la marque collective, contrairement au titulaire d’une marque individuelle qui bénéficie d’un droit de propriété absolu et exclusif. En effet, comme déjà souligné, le titulaire d’une marque de nature collective ne peut empêcher un tiers d’utiliser sa marque dès lors qu’il remplit les conditions inscrites au règlement d’usage. Cette règle limite effectivement le droit du titulaire de priver à sa guise (c’est-à-dire, arbitrairement) quiconque d’utiliser son bien, mais ne permet pas d’affirmer que le titulaire de la marque de nature collective ne contrôle pas l’utilisation de son signe et qu’il est privé du droit d’interdire cette utilisation aux tiers non autorisés. Comme le montre Le Goffic (2010), la différence avec le titulaire d’une marque individuelle réside dans le fait que le consentement du titulaire d’une marque de nature collective à l’utilisation de sa marque est donné par avance en définissant, lui-même, au règlement d’usage, les conditions d’usage et par conséquent sa sphère d’exclusivité.

Le droit de propriété est réaffirmé par le titulaire de la marque de nature collective lorsque celui-ci restaure sa sphère d’exclusivité en mettant fin à un préjudice par l’intermédiaire de l’action en contrefaçon qui constitue une manifestation fondamentale du caractère exclusif du droit de propriété du titulaire de toute marque (Caron, 2004)256. En substance sur ce dernier point, nous pouvons dire

que le titulaire d’une marque de nature collective, comme pour une marque individuelle, fixe les conditions et la manière dont l’on peut en jouir. Aussi, le propriétaire de la marque peut s’opposer à toute utilisation non autorisée de son signe malgré certaines restrictions impliquant la somme de ses pouvoirs, celles-ci n’ont pas d’importance du point de vue de la qualification de son droit (Bonnet, 2002).

Le caractère inachevé et l’information ambigüe que renvoie le règlement européen sur les marques, notamment sa dimension sur les marques de nature collective, font qu’en pratique, les marques de nature collective ne rencontrent que peu de succès en tant qu’instrument de protection des dénominations géographiques. Vu l’intérêt marginal qu’elles présentent auprès des opérateurs qui préfèrent recourir au système des signes de protection sui generis, les marques de nature collective

256 En effet, l’action en contrefaçon présente un caractère revendicatoire qui permet au titulaire de toute marque,

notamment de la marque de nature collective, de faire cesser les troubles de jouissance qui affectent sa propriété (Passa, 1997).

ne constituent qu’un instrument de complément dans la protection des dénominations géographiques en Europe.

S

ECTION

3.S

IGNES DE PROTECTION SUI GENERIS

Étant donné que l’Accord sur les ADPIC n’impose aucun mode de protection des dénominations géographiques, mais émet seulement des objectifs de protection, les États activent par différents moyens257 la mise en œuvre de cette protection. Bien que le système juridique européen admette en

principe, comme nous l’avons vu précédemment, la protection des dénominations géographique par l’enregistrement en tant que marques de nature collective (marques collectives « simples » ou marques de certification), il privilégie plutôt la protection de ces signes à travers une catégorie spécifique de droit de la propriété intellectuelle en leur consacrant des textes particuliers. Cet instrument juridique spécifique de protection constitue un mode de protection qualifié de « sui generis ».

L’objectif qui gouverne l’adoption d’un tel type d’instrument en Europe trouve son essence dans la politique de promotion de la qualité engagée lors des dernières reformes de la Politique agricole commune (PAC) de l’Union Européenne. En effet, dans le souci de promouvoir la qualité de ses produits agricoles et d’éliminer les distorsions de concurrence entre les entreprises de la Communauté tout en permettant la libre circulation des produits d’origine (Ruzek, 2009 : 28), les États européens ont adopté lors des réformes de la PAC des règles communes de protection des dénominations géographiques (Schmidt-Szalewski, 1997).258 Ainsi, le 14 juillet 1992, les produits

agricoles et les denrées alimentaires font l’objet de deux règlements européens qui vont définir le cadre légal de protection des dénominations géographiques dans l’espace européen : le règlement n° 2081/92 relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires259, et le règlement n° 2082/91 relatif aux attestations

257 Nous avons déjà parlé de cet aspect des différents instruments de mise en œuvre dans l’introduction. Ici, nous nous

intéressons uniquement aux instruments de protection dans l’Union Européenne (UE).

258 Le niveau assez hétérogène des pays membres de l’Union dans la protection des dénominations géographiques

freinait la libre circulation des produits d’origine au sein de la Communauté européenne. Une harmonisation par le sommet était donc nécessaire afin de faire converger les systèmes juridiques nationaux de protection des dénominations géographiques.

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de spécificité des produits agricoles et des denrées alimentaires260. Ces deux règlements ont été

abrogés et remplacées par deux nouveaux règlements, adoptés le 20 mars 2006, à savoir, le règlement nº 510/2006 relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires261, et le règlement nº 509/2006 relatif aux

spécialités traditionnelles garanties262. Le second règlement (le 509/2006) ne sera pas analysé dans

le cadre de cette thèse dont l’intérêt est consacré uniquement aux dénominations géographiques. Depuis le 3 janvier 2013, un nouveau règlement est en vigueur, relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires : le Règlement (UE) n° 1151/2012263.

Ce règlement abroge l’ensemble264 des précédents règlements nos 509/2006 et 510/2006.265

Le cadre européen comporte à ce jour trois règlements communautaires applicables qui régissent les règles d’enregistrement et les conditions de protection des dénominations géographiques au niveau communautaire. En effet, outre le règlement n° 1151/2012, deux autres règlements de 2008 encadrent les secteurs de vins et de spiritueux : ce sont respectivement, le règlement n° 479/2008 du 29 avril 2008 portant organisation commune du marché vitivinicole266, et le règlement n° 110/2008

260 Règlement (CEE) nº 2082/92 du 14 juillet 1992 (réf. : JOCE nº L 2082/92 du 24 juillet 1992). 261 Règlement(CE) nº 510/2006 du 20 mars 2006 (réf. : JOUE nº L 093 du 31 mars 2006).

262 Règlement (CE) nº 509/2006 du 20 mars 2006 (réf. : JOUE nº L 093 du 31 mars 2006). Le règlement définit le terme

« spécialités traditionnelles garanties (STG) » comme des produits agricoles ou denrées alimentaires traditionnels dont la Communauté Européenne (CE) a reconnu la spécificité par son enregistrement conformément aux conditions fixées par le présent règlement. Ainsi, conformément à la définition du terme donnée à l’article 2 dudit règlement (présentement à l’article 3 du nouveau règlement en vigueur – Règlement (UE) n° 1151/2012 du 21 novembre 2012), le signe STG garantit la qualité des produits en raison de leur spécificité liée aux méthodes traditionnelles de production et non à une zone de production (une origine géographique) déterminée. Le signe STG ne rattache pas les méthodes traditionnelles de production à un milieu géographique donnée (et défini), ce qui le distingue des signes AOP/IGP des dénominations géographiques. Toutefois, il arrive que des dénominations traditionnelles soient géographiques : elles peuvent dans ce cas constituer une AOP ou IGP. Par exemple, la dénomination « Feta » reconnue comme une dénomination traditionnelle grecque mais enregistrée aujourd’hui comme une AOP au profit de la Grèce.

263 Règlement (UE) n° 1151/2012 du 21 novembre 2012 (réf. : JOUE n° L343/25 du 14 décembre 2012). Les références

qui seront citées dans ce chapitre conféreront aux articles du présent règlement, avec mention de leurs correspondances au règlement 510/2006 (abrogé) entre parenthèses.

264 Toutefois, « l’article 13 du règlement (CE) n° 509/2006 continue à s’appliquer pour les demandes relatives à des

produits ne relevant pas du champ d’application du titre III du présent règlement, reçues par la Commission avant la date d’entrée en vigueur du présent règlement » (art. 58 du Règlement n° 1151/2012).

265Le nouveau règlement abroge et remplace les règlements (CE) nos 509/2006 et 510/2006 pour un souci de clarté et de

transparence, et vise à remédier à certaines difficultés, à clarifier et à simplifier certaines règles et rationaliser les procédures de ce système, à la lumière de l’expérience acquise à la suite de la mise en œuvre des règlements (CEE) n° 2081/92 et (CE) n° 510/2006 (Considérant 14 et 21 du Règlement (UE) n° 1151/2012).

266 Règlement (CE) n° 479/2008 du 29 avril 2008 (réf. : JOUE n° L 170/1 du 30 juin 2008), abrogeant le Règlement

du 15 janvier 2008 concernant la définition, la désignation, la présentation, l’étiquetage et la protection des indications géographiques des boissons spiritueuses267.

Tel que défini par ces règlements268, les produits bénéficiant de la protection européenne en tant que

dénominations géographiques communautaires sont accompagnées d’un signe leur garantissant le droit à une « appellation d’origine protégée (AOP) », ou à une « indication géographique protégée (IGP) ». Ces deux catégories de signes constituent des signes de protection « sui generis » dont nous allons à présent analyser les conditions d’accès (– point S3.1 –) et la protection communautaire réservée aux produits ayant droit (– point S3.2 –), avant de porter un commentaire sur la nature et la particularité de l’instrument (– point S3.3 –) par rapport aux marques de nature collective.