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La politique européenne des dénominations géographiques émane de très vieilles traditions nationales de certains États membres du Sud102 de l’Europe, essentiellement de celle de la France

(MPPM, 2005), alors que la plupart des États nordiques (notamment, les pays scandinaves) reste essentiellement influencés par le système des marques (marginalement concernés par la démarche de protection sui generis)103. Dans la panoplie d’instruments de promotion de la qualité, les pays tels

que la France, l’Italie, le Portugal et l’Espagne privilégient nettement la politique des dénominations géographiques (appellations d’origine et indications géographiques), alors que les pays scandinaves, davantage tournés vers l’agriculture biologique, s’intéressent plus au système de marques collectives qu’à celui des signes sui generis (Becker, 2009 : 128). La différence « idéologique »104 qui entoure le

102 Des pays tels que la Grande Bretagne (ou Royaume-Uni, en général), la Belgique, ou encore l’Allemagne semblent

plus orientés vers d’autres systèmes d’assurance de la qualité, autres que le système de l’appellation d’origine (Becker, 2009).

103 Il y a une perception très différente entre l’Europe du Nord (au mieux une indifférence, au pire aucun intérêt aux

questions de dénominations géographiques) et l’Europe du Sud qui cherche plutôt à faire reconnaître un statut particulier aux dénominations.

104 Qualifiée de « schisme idéologique de politique économique » (Kemps et Forsythe, 2006), la bataille entre système de

marque et système de l’appellation d’origine est davantage idéologique que juridique : ce d’autant que ces deux instruments peuvent chacun être utilisé pour assurer la protection des dénominations géographiques. Cependant ces instruments ont des portées juridiques différentes (voir les Chapitres 1 et 2 de la Partie 1 de la thèse).

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régime des dénominations géographiques (protection sui generis) versus celui des marques, divise tout autant en Europe qu’au sein du système multilatéral OMC, en particulier lorsque des textes de droit – notamment dans leur application – semblent privilégier un système par rapport à l’autre105.

Des conflits non résolus, ou du moins des résolutions non conciliantes, perdurent encore au sein des Communautés européennes : on pourrait sur ce point citer, par exemple le cas « feta » dont la reconnaissance « imposée » par la Commission européenne comme une appellation d’origine protégée au profit de la Grèce laisse encore un ressentiment dans certains États membres (notamment, le Danemark) qui y voient une reconnaissance non justifiée106.

Les États membres de l’UE ne présentent pas un front uni dans les négociations multilatérales sur la question des dénominations géographiques (MPPM, 2005). Cette situation s’explique en grande partie, par l’intérêt relatif des dénominations géographiques dans les différents pays européens. En effet, la forte inégalité du nombre de dénominations géographiques par pays européens confirme effectivement cette divergence d’intérêt. En 2009, les pays de l’Union Européenne (UE) comptabilisaient au total 867 dénominations géographiques protégées (DGP)107. L’Italie est le

premier pays de l’Union concerné par les dénominations géographiques avec un total de 192 DGP au niveau communautaire. La France, l’Espagne, et le Portugal suivent respectivement avec un total de 167 DGP, 126 DGP et 116 DGP, devant la Grèce (83), l’Allemagne (65), le Royaume-Uni (32), la République tchèque (22) et l’Autriche (13)108. Les 19 autres pays États membres, ensemble, ne

totalisent que moins d’une cinquantaine de dénominations géographiques protégées (soit très exactement 48 DGP), avec des pays comme la Bulgarie, l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie, Malte et la Roumanie qui ne bénéficient d’aucune dénomination géographique. Nous mesurons à l’aune de ces

105 En Europe, la protection des utilisateurs d’appellations d’origine est d’autant plus considérable qu’elle peut conduire à

faire prévaloir les appellations sur les marques, y compris les marques antérieures (Le Goffic, 2010 : 209, à la note 6).

106 CJCE, 16 mars 1999, Danemark c/ Commission, aff. C-293/02, Rec. p. I-1541. Une affaire qui va au-delà des

frontières européennes, et très souvent évoquée pour souligner l’exigence et la nature très stricte du système des dénominations géographiques tel qu’appliqué en Europe. Nous reviendrons plus tard dans la Partie 1 sur certaines interprétations de cette l’affaire « feta ».

107 Ces dénominations géographiques protégées sont l’ensemble des Appellations d’origine protégées (AOP) et les

Indications géographiques protégées (IGP) au bénéfice des pays de l’Union Européenne (UE). Ces données viennent de nos calculs sur la base des éléments de la base « DOOR » de l’UE (en date du 1 janvier 2010), donc ne tiennent pas compte des dénominations viticoles et des spiritueux.

108 Selon nos calculs sur la base des données enregistrées dans la base « DOOR » de la Commission européenne au 1er

détails, la différence de potentiel et/ou des dispositions institutionnelles entre les pays européens à tirer profit des mécanismes communautaires des dénominations géographiques.

Tableau 1: Nombre de signes AOP/IGP par État de l’UE (en déc. 2009).

Italie (192) Slovaquie (4) France (167) Danemark (3) Espagne (126) Finlande (3) Portugal (116) Chypre (1) Grèce (83) Slovénie (1) Allemagne (65) Bulgarie (0) Royaume-Uni (32) Estonie (0)

République tchèque (22) Lituanie (0)

Autriche (13) Lettonie (0)

Pologne (9) Malte (0)

Belgique (7) Pays-Bas (6)

Irlande (7) Roumanie (0)

Hongrie (4) Suède (2)

Luxembourg (4) Total des AOP/IGP : 867 Produits

Source: Registre « DOOR » d’enregistrement européen des produits AOP/IGP.

Les enjeux économiques et commerciaux liés à la politique des dénominations géographiques protégées sont pourtant considérables. En 2007, les produits européens bénéficiant d’une dénomination géographique protégée (AOP ou IGP) ont produit un chiffre d’affaires de 14,2 milliards d’euros pour plus de 800 produits enregistrés (CE, 2010). Plus spécifiquement, les spiritueux bénéficiant de dénominations géographiques protégées constituent 3,5 milliards d’euros sur les 5,4 milliards d’euros que rapportent les exportations européennes de cette catégorie de produits (CE, 2003). En France et en Italie, on estime que les produits sous dénomination géographique font vivre

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respectivement 138 000 exploitants agricoles et 300 000 personnes, dégageant respectivement des retombées de 19 et 12 milliards d’euros.

La protection des dénominations géographiques, telle que réglementée dans l’Union Européenne, intéresse les États membres d’autant plus qu’elle semble avoir un impact sur les rapports commerciaux intracommunautaires. La politique des dénominations géographiques est très présente dans la structure fonctionnelle du système agricole européen. L’offre et la demande sur les marchés agroalimentaires en sont naturellement affectées : d’une part, la concurrence de l’offre entre produits similaires (ou substituables) est de plus en plus forte, et d’autre part, la qualité est de plus en plus exigée par les consommateurs. Sur les marchés de consommation, la demande des produits sous dénominations géographiques protégées bénéficie d’un consentement des consommateurs à payer un supplément de prix pour les acquérir. Il ressort d’une étude réalisée en 1999 par la Commission européenne, que les consommateurs de l’Union européenne sont très attachés aux dénominations géographiques, montrant que, dans l’ensemble, 40% d’entre eux sont disposés à payer 10% de plus pour des produits d’origine garantie (CE, 2003). Par exemple, les fromages français qui bénéficient d’une Indication géographique protégée (IGP) se vendent à un prix majoré de 2 euros, ou l’huile d’olive « Toscano » (une IGP italienne), se vend 20% plus cher depuis l’enregistrement de cette indication géographique en 1998 (CE, 2003). Les produits sous dénominations géographiques protégées jouissent d’une crédibilité et d’une confiance auprès des consommateurs européens quant à leur qualité. Il n’est, dès lors, pas étonnant que les dénominations géographiques fassent l’objet d’intérêt particulier dans la politique agricole de l’Union Européenne.