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Les dénominations géographiques peuvent permettre d’autres formes de développement local, dont l’intérêt est tout aussi important que l’augmentation des revenus : elles ont le potentiel de valoriser des réalités socio-culturelles, telle la reconnaissance des coutumes et traditions à valeur ajoutée qui sont le reflet de la population, de la culture, et de leur relation de longue date avec une région (Giovannucci et al., 2009). Les produits désignés par des signes d’origine peuvent remplir une mission culturelle, soit par la culture de leur production, ou par la culture de leur consommation, ou tout simplement par leur identité culturelle (Broude, 2005).

La reconnaissance culturelle – à travers les signes distinctifs liés à l’origine géographique des produits – sur le marché facilite la transmission des savoirs traditionnels et artisanaux qui constituent des formes de communication culturelle. Ces valeurs traditionnelles et artisanales inclues aux signes d’origine confèrent, par ailleurs, aux produits désignés un caractère unique qui peut leur valoir des prix bien plus élevés sur le marché (Villalobos et al., 2007).

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Pour Ranaboldo et Schejtman (2008), les dénominations géographiques sont un moyen de promouvoir l’identité culturelle par le développement rural, même dans les régions reculées, ou même dans les cas où l’identité culturelle n’est pas incarnée par un seul produit mais qu’elle se retrouve dans des valeurs communes telles que l’histoire et l’architecture qui peuvent être mises en avant par le biais du tourisme, des arts décoratifs et de l’artisanat. La protection des signes d’origine peut ainsi être un outil de promotion de la culture et de la tradition, en ce sens que ces dénominations d’origine protégées résultent de considérations culturelles intégrées aux méthodes traditionnelles de production/transformation (ou valeurs communes) d’une région ou d’un lieu donné. Les dénominations géographiques sont dès lors considérées comme étant à la croisée des chemins entre culture et géographie (Rangnekar, 2004).

Un produit ne se voit pas attribué une protection de par la dénomination géographique qui le désigne, seulement en raison de son origine géographique, mais parce qu’il est conforme avec un ensemble de critères préétablis (dans un cahier des charges) concernant, entre autres, les méthodes de production. Dans bien des cas, les méthodes de production sont enracinées dans l’histoire traditionnelle et culturelle de la région ou lieu géographique – qui abrite la production/transformation du produit – depuis des générations. La particularité des dénominations d’origine en tant que droit collectif tient donc, tout comme dans le cas des droits culturels traditionnels, à l’absence de droit de céder le terme (nom ou signe) géographique (Giovannucci et al., 2009). La protection des dénominations géographiques améliore non seulement la valeur commerciale de ces produits artisanaux traditionnels couverts, mais aussi permet de conserver des pratiques de production ancestrales (Rovamo, 2006). Une cessation de ces pratiques aboutirait naturellement à l’éradication de la culture de production/transformation qui y est associée (Broude, 2005). Les règles sur l’usage des signes d’origine peuvent ainsi être perçues comme nécessaire pour préserver une certaine authenticité culturelle liée aux méthodes de production. Certains chercheurs pensent qu’elles peuvent contribuer au renforcement de l’équité sociale et accroitre la valeur accordée aux produits, services et terrains locaux (Ranaboldo et Fonte, 2007).

Au niveau international, l’Union Européenne (UE) est la principale promotrice de cette mission culturelle assignée aux termes/signes géographiques, affirmant que ces derniers sont essentiels pour préserver le patrimoine culturel, les méthodes traditionnelles de production et les ressources

naturelles des pays européens (CE, 2003). L’UE estime que certains noms ou symboles font partie de l’identité culturelle des pays. Ils doivent par conséquent être maintenus dans leur région d’origine. Ainsi des termes tels que « Parme », « Cognac », « Manchego » et « Scotch » font partie de l’identité culturelle, nationale et régionale, respectivement de l’Italie, de la France, de l’Espagne, et du Royaume-Uni, et doivent y être maintenus et protégés contre toute évasion (selon des propos de Pascal Lamy)238. Les termes géographiques peuvent symboliser ou même personnifier un pays ou

une région, accordant aux dénominations géographiques une mission de gardiens de l’identité culturelle et de défense contre l’homogénéité vocable (l’usurpation de termes) que pourrait inciter la mondialisation.

Cependant, les qualités et les caractéristiques des produits – liées à la dimension culturelle des méthodes de production/transformation – ne pourraient survivre que s’il existe une culture de la consommation (une niche de marché) conditionnée à cet effet. A bien des égards, force est de reconnaitre que la réalité des marchés affecte les modes de consommation et influe, directement ou indirectement sur les méthodes et pratiques de production. Dans la logique concurrentielle du marché, la singularité culturelle voulue dans la production/transformation des produits sous dénominations géographiques pourrait être inefficace et non viable, en ce sens que les modèles économiques recommandés exigent des normes plus homogènes. Mais, les signes officiels d’origine « étant des mécanismes axés sur le marché largement négocié, [ils] constituent une interface précieuse avec les régimes commerciaux, et sont considérés […] comme une forme d’exclusion ou de protectionnisme » (Giovannucci et al., 2009 : 39). Aussi, Broude (2005) distingue « la protection culturelle » du « protectionnisme culturel », en rappelant toutefois que lorsque les dénominations géographiques sont utilisées à des fins protectionnistes, elles risquent d’être moins efficaces car elles susciteront de la résistance à l’échelle internationale.

En définitive, les marchés et les intérêts associés sont tellement puissants et « omniprésents » que la protection des dénominations géographiques ne peut à elle-seule les empêcher d’influencer la culture locale, afin d’éviter une certaine transformation de la culture et une homogénéisation culturelle à l’échelle internationale (Broude, 2005). Par conséquent, d’autres instruments juridiques

238 Pascal Lamy, (à l’époque commissaire européen au commerce), SPEECH/03/292 : ‘Creation of the Organisation for

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(tels les brevets, etc.) ou formes de protection juridique (marques de certification, etc.) seraient donc nécessaires pour préserver cette particularité culturelle hors des frontières d’origine. Pour certains auteurs, la protection reconnue des dénominations géographiques, depuis l’échelle réduite de leurs communautés, accordant aux produits désignés une nette différenciation par rapport aux produits concurrents, permet de surmonter les difficultés liées au commerce à grande échelle (Giovannucci et

al., 2009).