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Dénomination géographique : Propriété intellectuelle « ? »

3.3. Nature juridique de l’instrument

3.3.1. Dénomination géographique : Propriété intellectuelle « ? »

Le droit des dénominations géographiques est très fréquemment inclu dans celui de la propriété industrielle, aussi bien dans les conventions internationales que dans les textes nationaux et communautaires (Le Goffic, 2010 : 235). Mais, cet état de fait ne suffit pas à les inclure dans le champ du droit de la propriété industrielle. Les dénominations géographiques sont perçues, au même titre que les marques, comme des signes distinctifs qui relèvent en général299 de la propriété

industrielle. Le droit des dénominations géographiques se constitue ainsi comme voisin de la propriété industrielle. Il présente une connexité pratique avec le droit de la propriété industrielle de par ses rapports particuliers avec les marques.

L’inclusion des dénominations géographiques aux côtés des marques dans les conventions, notamment dans l’Accord sur les ADPIC, s’expliquerait plus par la volonté d’étendre « les négociations commerciales multilatérales aux indications géographiques que d’une qualification

299 En effet, tous les signes distinctifs ne font pas l’objet de droit de propriété industrielle, notamment les noms

commerciaux et d’enseignes ne constituent qu’un droit « connexe » au droit de la propriété industrielle (Passa, 2006). Les signes distinctifs peuvent se définir comme « des moyens phonétiques ou visuels, en particulier des mots ou des images, qui sont utilisés pour désigner des produits, services ou entreprises opérant sur le même marché, afin de les distinguer les uns des autres » (Schmidt-Szalewski et Pierre, 2007). Préciser par ailleurs que les signes distinctifs ne constituent pas en droit, une véritable unité de régime juridique propre à eux : leur seule caractéristique commune est leur soumission au principe de spécialité (Le Goffic, 2010).

juridique précise » (Le Goffic, 2010 : 237). Au regard de l’indéniable proximité qu’entretiennent les dénominations géographiques et les marques, l’Accord sur les ADPIC n’a pas souhaité, à juste titre, séparer les droits de propriété intellectuelle stricto sensu (droits d’auteur, brevets, marques, dessins, modèles, etc.) des droits « connexes » comme le droit des dénominations géographiques. Le rapprochement et l’application du mécanisme de la propriété intellectuelle aux dénominations géographiques ne doivent pas préjuger de la nature de ces dernières comme des droits de propriété intellectuelle. Une telle qualification révélerait plutôt d’une « qualification opportune », d’une simple affirmation déductive, sans véritables fondements juridiques, pour deux raisons majeures.

Premièrement, les dénominations géographiques ne sont que des noms de produits empruntés à un lieu géographique avec lequel ils partagent des caractéristiques ou des propriétés particulières. Les dénominations géographiques se trouvent donc dépourvues de toute notion de création ou d’innovation intellectuelle car elles constituent des noms déjà existants, imposés par l’histoire des hommes et la nature. Alors que l’aspect commun à tout droit de propriété industrielle, ou à tout droit de propriété intellectuelle en général, est la création ou innovation intellectuelle (Le Goffic, 2010). Si l’on peut admettre que « le choix des zones de production ainsi que l’élaboration des méthodes spécifiques à chaque produit porteur d’une appellation sont le fruit historique d’une création de plusieurs génération de producteurs » (Le Goffic, 2010 : 238), l’objet de la dénomination géographique, elle-même, c’est-à-dire le fait d’identifier un produit par nom d’origine ne relève ni plus ni moins que d’une simple idée « opportune » qui ne ressort d’aucune originalité de création, encore moins d’une création intellectuelle.

La deuxième raison est simplement la différence entre les droits de dénomination géographique et les droits de la propriété industrielle quant à leur durée. En effet, les droits de la propriété industrielle ont une durée déterminée (Galloux, 2003), et peuvent par ailleurs être perdus en cas de déchéance. Par exemple, le droit des marques a une durée de dix ans, et sa prolongation est conditionnée par un renouvellement justifiée. En revanche, la durée du droit des dénominations géographiques est perpétuelle. Dans l’Union Européenne, les dénominations géographiques protégées, nous l’avons déjà expliqué, ne peuvent devenir génériques, tant qu’elles sont exploitées. La réglementation communautaire n’intègre pas explicitement le caractère perpétuel et imprescriptible des dénominations géographiques – quand bien même ce caractère reste présent au regard de la vision

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européenne sur ces signes – mais prévoit par contre une procédure d’annulation de l’enregistrement de dénomination géographique dans l’hypothèse où la Commission Européenne ou toute personne physique ou morale estime que les conditions du cahier des charges du produit ne sont plus respectées.

Malgré tout ce qui précède, force est de reconnaître que les dénominations géographiques sont bien reconnues et acceptées comme des droits de propriété intellectuelle. Les dénominations géographiques font partie des droits intellectuels en raison du monopole d’exploitation conféré au signe et de la nature de création de l’homme (Marie-Vivien, 2010). Si Visse-Causse (2007) concluait que « ce qui manque à l’appellation d’origine [ou en général, à la dénomination géographique] est l’aspect création intellectuelle », Marie-Vivien (2010 : 536) répond que la dimension de la création intellectuelle, des dénominations géographiques, proviendrait du fait de transformer un nom de pré- existence banale en un nom réputé et renommé, en un nom qui a un nouveau sens grâce aux savoir- faire de l’homme. Ainsi, l’auteure (Marie-Vivien) poursuit dans le même sens pour en déduire que la valeur accordée aux signes AOP/IGP, perçue comme une « innovation informelle »300, est en effet la

résultante de cette création de l’homme qui mérite d’être protégée.

Aussi, Addor et al., (2003) avancent que les dénominations géographiques sont des droits de propriété intellectuelle qui identifient un produit comme provenant d’un territoire ou d’une région particulière, lorsque la réputation, la qualité ou autre caractéristique sont essentiellement attribuables à l’origine géographique.301 Cette qualification des dénominations géographiques parmi les droits de

propriété intellectuelle trouve non seulement un écho dans la doctrine européenne, comme Plaisant et Fernand-Jacq (1921 : 44) qui défendent que « les noms de localités et d’origine sont une des variantes du nom commercial et celui-ci figure dans le droit comme une des branches de la propriété industrielle », mais aussi dans la jurisprudence européenne, notamment dans les affaires « Exportur »302 et « Rioja »303 dans lesquelles, la CJCE a justifié la protection des dénominations

300 Expression employée par Addor et al. (2002) pour qualifier la valeur des dénominations géographiques.

301 Dans le cas des dénominations géographiques, le produit protégé est “la réputation et/ou la qualité” que garantit le

terme géographique au produit désigné. Ce, d’autant plus que la protection des signes géographiques n’empêche pas les fabricants d’autres régions de produire le même type de produits, elle leur interdit simplement de les vendre sous la même indication géographique (Addor, al., 2002).

géographiques au titre de leur reconnaissance comme des droits de propriété intellectuelle et un moyen de s’attacher une clientèle. Par ailleurs, le Conseil Européen confirme cette qualification appelant à la reconnaissance de la nature des signes communautaires AOP et IGP comme des droits de propriété intellectuelle (CE, 2009).