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Chapitre 7 : Conception de l’ingénierie

7.3. Synthèse des connaissances mobilisées

7.3.2. Issues des sciences économiques

De nouveau, nous n’avons pas ici l’ambition de faire la synthèse de l’ensemble des acquis des sciences économiques sur la thématique des risques naturels, mais plutôt de rappeler quelques éléments de méthodes que nous avons été amenés à manipuler durant nos travaux. Nous avons déjà dans la deuxième partie de ce document fait état de quelques réflexions économiques en rapport à l’indemnisation des dommages dus aux catastrophes naturelles. Nous proposons de nous concentrer dans cette section sur quelques réflexions économiques relatives à leur prévention.

 Quelques généralités sur les méthodes d’évaluation économique

La politique de gestion des risques naturels, notamment celle des risques d’inondation, s’est longtemps focalisée sur la recherche d’une protection contres des crues de projet, généralement la centennale, déterminées par les hydrologues et hydrauliciens pour construire des mesures structurelles (barrages, digues) adaptées. Cet état de fait, conjugué au manque de statistiques sur les sinistres et les caractéristiques du système Catnat, explique en partie pourquoi les approches économiques sont très peu inscrites dans la tradition française, contrairement aux pays anglo-saxons (voir [FHRC, 2005]), et aux Pays-Bas en Europe, comme l’illustre la figure suivante :

Fig 129. Orientation des programmes de recherche dans les pays membres [ERA-Net CRUE, 2008]

Aujourd’hui, la recherche d’une allocation optimale de l’argent public et d’une plus grande transparence de sa gestion budgétaire73, l’évolution des stratégies de prévention s’orientant

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vers des méthodes « douces » et intégrées74, et du système d’indemnisation évoqué précédemment, conduisent à remettre à l’ordre du jour des préoccupations des Pouvoirs publics les approches économiques75. Outre l’inscription de ces dernières parmi les priorités de quelques programmes de recherche nationaux et européens76, le MEEDAT a récemment lancé un groupe de travail dédié visant à l’élaboration, avec les collectivités territoriales, d’un discours partagé sur le recours à l’ACB pour les projets de prévention des inondations, et l’accompagnement de son appropriation par les collectivités territoriales, en partenariat avec le CEPRI.

L’ACB constitue l’outil d’évaluation standard qui permet la comparaison de différentes décisions entre elles. Elle consiste à évaluer la balance entre les coûts et les bénéfices attendus d’un programme d’actions envisagées. Mais, comme le relève les experts en la matière, son application à la prévention des risques de toute nature soulève de nombreux problèmes, tant éthiques que pratiques. Par exemples, l’évaluation économique de la vie humaine est un sujet tabou et la pratique d’un taux d’escompte aux bénéfices futurs de la prévention restent très controversée, notamment par les écologistes défendant à juste titre que cette pratique favorise les projets qui bénéficient aux générations présentes au détriment des générations futures. De plus, les psychologues ont accumulés des données expérimentales montrant que les individus ont des biais de perceptions des probabilités et font des erreurs systématiques quand ils sont placés dans des situations d’incertitude. Ces biais et erreurs remettent en cause les fondements même de l’ACB basés sur les préférences révélées par les choix individuels. Enfin, ces problèmes se renforcent souvent lorsqu’il s’agit des risques de précaution, à savoir des risques entachés d’incertitudes scientifiques [Treich N., 2005], par exemple le changement climatique, comme l’ont montré les recherches en sociologie

Malgré tout, des décisions en matière de prévention sont et doivent être prises, et il y a du sens à préférer une société où il existe des critères de la qualité des décisions et où ces critères peuvent être évalués avec précision [Treich N., 2005].

[Grelot F., 2007] résume dans le tableau suivant les différentes méthodes d’évaluation des bénéfices mobilisables sur la base des travaux de [Shabman et Stephenson, 1996].

Tab 28. Classification des méthodes d’évaluation des bénéfices mobilisables [Grelot F., 2007]

La deuxième partie de cette section présente un exemple d’étude mobilisant la méthode des dommages évités sur le bassin de la Meuse aval, la plus courante dans les projets d’aménagement contre les inondations.

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Zones d’expansion de crues, réduction de la vulnérabilité des agents économiques, système de vigilance et d’alerte, etc.

75 Les directives communautaires y contribuent également (exemple de la Directive Inondation).

76 Voir le programme de recherche national de recherche Risque décision territoire (RDT) lancé en 2003 et me

La méthode des prix hédoniques repose sur la relation supposée entre le prix d’un bien marchand et certaines de ses caractéristiques. Nous prenons ci-après l’exemple d’une étude réalisée par la Direction des études économiques et de l’évaluation environnementale (D4E) du MEEDDAT sur la commune de Charleville-Mézières.

La méthode de l’évaluation contingente vise à obtenir directement par enquête auprès d’un échantillon représentatif de la population la valeur qu’elle attribue à un projet modifiant son environnement, ou le consentement à payer (CAP) pour être protéger contre les crues. C’est l’approche testée par [Grelot F., 2004].

Enfin, il convient de noter que deux autres méthodes d’évaluation économique peuvent être mobilisées :

- l’analyse coût efficacité qui consiste à fixer un objectif et à minimiser les coûts pour l’atteindre. [CEPRI, 2008] note qu’une des principales difficultés de cette méthode est de savoir comment définir le niveau optimal d’efficacité ;

- l’analyse multicritères qui fait appel à un certain nombre de critères à pondérer et pas forcément monétaires.

 Présentation de quelques travaux appliqués en France

Plusieurs travaux de recherche ([Torterotot J.-P., 1993] ; [Munier B. et al, 1997] ; [Hubert G. et Ledoux B., 1999] ; [Barthélémy J-R., 2002] ; [Ledoux B. et al, 2003] ; [Grelot F., 2004] ; [Treich N., 2005]) et quelques études réalisées sur les bassins de la Seine, de la Loire, de la Meuse ou encore de l’Oisne-Aisne, ont montré la limite des pratiques existantes : insuffisance des scénarios d’aléa, manque de données sinistres pour apprécier la vulnérabilité des enjeux, problème de l’actualisation, peu d’analyse de sensibilité des résultats obtenus, etc.

Néanmoins, la méthode des dommages évités semble la plus pertinente. S’il n’y a pas encore aujourd’hui de standard français en la matière, à l’image du Multi-coloured Book anglais [FHRC, 2005], toutes les approches relevées suivent la même démarche. Le programme de recherche FloodSite en propose une synthèse très pratique.

L’évaluation des dommages est à l’image des modules des modèles de catastrophes utilisés par certains (ré)assureurs. Les méthodes issues des sciences géographiques présentées succinctement précédemment permettent de déterminer l’exposition des enjeux, des courbes de vulnérabilité ou fonction de dommages propres à chacun permettent alors d’estimer les dommages correspondants, pour chaque scénario d’aléa considéré.

En pratique, seul les dommages directs tangibles, c'est-à-dire évaluables monétairement, sont généralement considérés.

Fig 130. Classification des dommages considérés [Messner F. et Meyer V., 2007]

Malgré toutes les limites et incertitudes déjà évoquées, elle permet obtenir une courbe de probabilité de dommages, illustrée par la figure suivante :

Fig 131. Illustration de la courbe de probabilités de dommages sur le bassin de la Meuse aval [EPAMA-BCEOM, 2006]

Comme pour un portefeuille d’assurance, ce type de courbe permet d’initier et d’optimiser une stratégie de gestion du risque, de préférence à l’échelle d’un bassin versant dans le cas des inondations, en mettant en regard de chaque « tranche de probabilités » les moyens de prévention, protection et/ou transfert de risques adaptés. L’aire totale sous la courbe, en rouge, représente le coût moyen annuel (CMA) et permet de réaliser pour chaque projet envisageable des ACB.

La D4E du MEEDDAT a évalué sur la commune de Charleville Mézières les bénéfices économiques de la protection contre le risque d'inondation d'une part, au travers des

transactions immobilières et, d'autre part, à partir d'une évaluation contingente du consentement à payer des habitants.

La méthode des prix hédoniques visant à déterminer l'impact de la localisation en zone inondable sur le prix des logements avant et après la crue de 1995 met en avant une différence significative de l’ordre de 20 000 euros. Il semble donc qu'il y ait une évolution de la perception du risque au cours du temps et une prise en compte du risque inondation par le marché immobilier.

L'évaluation contingente s'intéresse plus particulièrement à l'assurance du risque d'inondation en évaluant les consentements à payer des ménages pour une protection contre ce risque dans le cas du scénario fictif suivant : les personnes situées en zone inondable sont invitées à souscrire, s’il le désirent, un contrat d'assurance contre les inondations, qui constitue le seul système d'indemnisation. Cette assurance est totale et couvre les coûts matériels mais également le préjudice financier et moral. Le consentement à payer moyen dans le cas d'un tel scénario s'élève à 36 euros par logement et par an, et les dommages actualisés moyens sont estimés à 650 euros/logement sur 30 ans.

Un autre scénario est proposé aux habitants. Il consiste en une participation au financement de travaux de protection destinés à diminuer le risque d'inondation pour la crue centennale, de type 1995. Il est également précisé que le système d'assurance Catnat actuel est maintenu. L'étude souligne alors que les résultats relatifs à ce scénario sont « étonnamment proches » du premier, alors qu'il est proposé aux individus d'appréhender de manière différente le risque. Ainsi que le soulignent différentes études ([Kealy M.J., 1990] ; [Seip et Strand, 1992], [Shabman et Stevenson, 1996]), la crédibilité du scénario peut influer sur la capacité des individus à dire la vérité. En effet, le premier scénario repose sur une remise en cause du système actuel d'assurance des catastrophes naturelles et en particulier du rôle de l'Etat. Face à des risques potentiellement catastrophiques et considérés comme des risques collectifs, il est possible que les personnes sondées n'ait accordé que peu de crédit à un tel scénario.

[Treich N., 2005] conclu de ces expériences que dans une perspective d’aide à la décision, le décideur peut se référer à ces méthodes :

- comme source de connaissance quantitative ;

- pour servir de point d’appui à la délibération entre différents acteurs sociaux ;

- pour limiter la pression démagogique et celles des lobies.

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