• Aucun résultat trouvé

2.3.3) L’hypothèse de la gouvernance : une marge d’interprétation de la politique qui à la fois favorise et limite la cohérence entre les projets

Notre seconde hypothèse interroge la cohérence des projets de territoire compte tenu de l’importante marge d’interprétation et donc d’action qui est laissée aux acteurs sur la politique TVB. L’instabilité du socle scientifique s’est traduite par un cadre national de la TVB souple. Ceci entraîne (i) une multiplicité des objectifs de la politique, (ii) une liberté de méthode pour identifier les CE, (iii) un niveau d’opposabilité juridique peu contraignant (la « prise en compte »). La marge d’interprétation laissée peut être source d’incohérence entre les projets de CE.

L’identification des CE et leur intégration dans les projets de CE résultent de choix sociétaux qui dépendent directement de l’acceptation sociétale de la TVB. Ces choix dépendent également des moyens dont disposent les acteurs pour réaliser leurs aspirations, c’est-à-dire de leurs capabilités30 (Sen 1985; Debuisson 2014). Ces choix des CE ne sont pas évidents et des synergies sont à trouver, comme par exemple avec le tourisme, en lien avec les services écosystémiques dont peut bénéficier le citoyen. Cette recherche d'équilibre et de compromis, basée sur l'ingénierie31 et l'animation territoriale, implique des modes de gouvernance innovants permettant aux acteurs de fonctionner en réseau et de construire leurs territoires.

La décentralisation a permis aux territoires de faire valoir leurs spécificités et de développer de nouveaux modes de gouvernance, basés notamment sur l'acquisition de nouvelles compétences (Tonneau 2008; Maurel 2012). Mais le caractère indéterminé des mesures et des outils à mettre en œuvre au plan local met en exergue les difficultés de cohérence des projets sur les CE et les nécessaires adaptations locales, notamment en tirant parti de formulations restées vagues32 (Pollard et Prat 2012).

30

(Debuisson 2014) note « les individus ne sont pas égaux face aux besoins (Cohen, 2011). Certains peuvent souffrir d’un déficit de bien-être à cause de certains goûts naturellement attribués et plus difficilement satisfaisables, ou par une moindre capacité à convertir des ressources en bien-être. De plus, les capabilités varient selon les individus en fonction de leur environnement naturel, social, culturel, de leur dotation initiale en capital ou de leurs caractéristiques personnelles. Par exemple, une fille n’ayant pas le droit de monter sur un vélo aura une capabilité plus faible à se déplacer par rapport à un garçon. L’approche par les capabilités permet de prendre en compte cette multitude de composantes autres que le simple revenu considéré dans l’approche utilitariste, qui est une évaluation trop approximative de ce que les individus peuvent ou ne peuvent pas faire. La condition nécessaire à l’appropriation des enjeux de la soutenabilité passe donc par la disponibilité de l’information liée aux conséquences des actes individuels et collectifs. Celle-ci participe à la liberté positive des individus qui peuvent alors développer leurs capabilités à partir des conditions disponibles ».

31

L’ingénierie de la gouvernance territoriale peut se définir comme étant « l’ensemble des méthodes et outils permettant la coordination, la participation et l’apprentissage des acteurs ainsi que le pilotage des projets de territoires » (Rey-Valette et al. 2011).

32

La période de mise en place par les Etats occidentaux d’une planification à plusieurs échelles (le POS pour la commune, le schéma directeur sur le grand territoire) a notamment révélé que les documents à grande échelle, tels que les schémas directeurs en France, étaient « incapables d’assurer réellement la fonction de prévision et de prospection qui leur était attribuée » (Demazière et Hernandez 2013).

De nombreux acteurs participent à la construction des projets de CE et ont un rôle quant à la cohérence intra-projet qu’il est nécessaire d’animer. Notamment les acteurs leader d’un projet, porteurs d’un projet, ont un rôle essentiel (Gumuchian et al. 2003). Les acteurs politiques peuvent prendre le rôle de leader, non pas uniquement en se positionnant comme décideurs au sens strict, mais en se positionnant davantage comme des acteurs suscitant des formes de coopération entre (groupes d’)individus et en étant garant des accords pris pour la stratégie de l’action publique. “When some users of any type of resource system have entrepreneurial skills and are respected as

local leaders as a result of prior organization for other purposes, self-organization is more likely”

(Ostrom 2009).

Concernant la cohérence inter-projets, objet de la thèse, les acteurs « relais » (ou « intermédiaires » ou « passerelle » ou « médiateurs », etc.) ont un rôle déterminant de coordination, de communication, de médiation dans la dynamique des échanges entre acteurs d’horizons variés (Crozier et Friedberg 1977; Nay et Smith 2002; Gumuchian et al. 2003; Cash et al. 2006; Alphandéry, Fortier, et Sourdril 2012; Angeon et al. 2013; Debray 2015) mais surtout entre territoires (et donc entre projets). Ces acteurs présentent « l’étrange qualité de naviguer d’un groupe à l’autre, d’un

secteur à l’autre, et de participer à l’intégration de ces derniers » (Nay et Smith 2002). Ils jouent « le

rôle indispensable d’intermédiaire et d’interprète entre des logiques d’actions différentes, voire

contradictoires » (Crozier et Friedberg 1977). Ces acteurs participent à la traduction, au transcodage

des données, informations, connaissances et des pratiques pour un ajustement des référentiels (filtres cognitifs et normatifs) des acteurs (Cash et al. 2006; Debray 2015) et des apprentissages individuels et collectifs (Angeon et al. 2013) entre les territoires, entre les échelles.

Ceci étant, il va de soi que les acteurs peuvent être multi casquettes (Gumuchian et al. 2003) et avoir différents rôles à jouer dans la construction du projet de CE.

Pour vérifier cette seconde hypothèse sur la gouvernance, nous distinguons deux sous-hypothèses : - 3) la souplesse des cadres méthodologique et juridique laisse place à une importante marge d’interprétation et de manœuvre de la politique TVB par les acteurs, qui peut être paradoxalement facteur de cohérence et d’incohérence entre les projets selon les possibilités d'adaptation dont disposent les acteurs des territoires ;

- 4) les adaptations et articulations inter-échelles des projets dépendent de la qualité des acteurs « relais » scientifiques et techniques (lors de la construction du projet mais également une fois le projet adopté) facilitant la cohérence des projets entre les échelles et les secteurs d’activité.

Outline

Documents relatifs