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2.1.2) Le concept de projet de territoire ayant trait aux continuités écologiques

2.1.2.1) Définition du projet de territoire

Le « projet de territoire » est un terme polysémique et largement utilisé, en particulier dans le champ de l’aménagement du territoire. Il s’agit du projet stratégique, tel que porté par les décideurs du territoire, pour guider l’action collective dans la mise en œuvre d’une politique publique donnée (ici la TVB), pour un temps donné, sur un territoire donné. Nous retiendrons que le projet de territoire devrait être « la conjonction d’analyses, de désirs et de savoir-faire collectifs qui permet de polariser

l’action de chacun autour d’une ambition commune, de résister aux forces centrifuges, de surmonter les contradictions internes d’intérêts, de saisir les opportunités qui se présentent d’exploiter les marges de manœuvre, de replacer l’action de chacun improvisée en fonction d’événements aléatoires

dans une perspective à long terme » (Calame 1991; Angeon et Bertrand 2009).

La diversité et l’évolution des composantes écologiques, paysagères, sociales, économiques, politiques et culturelles des territoires impliquent une adaptation continuelle du projet au territoire qui évolue par lui-même et par rapport aux autres (coopération et compétitivité des territoires). Les réflexions et les politiques publiques sont à relocaliser, la gestion de la nature est réappropriée, les relations de pouvoir entre territoires sont redéfinies (Mathevet et Poulin 2006).

Le projet de territoire est associé à un groupe d’acteurs, dont l’enjeu est qu’il continue à accorder de l’intérêt au projet (qui doit donc évoluer pour que l’engagement collectif s’effectue dans la durée). La définition du rôle de chacun de ces acteurs dans le processus est importante afin d’éviter des confusions institutionnelles et que chacun puisse prendre ses responsabilités (Cumming, Cumming, et Redman 2006).

L’anticipation est au cœur du projet de territoire qui s’imagine, qui se projette dans l’avenir, pour ensuite se traduire en « intentions » (stratégies) et en « réalisations » (actions, mise en œuvre) (Tilman 2004 in Maurel 2012).

La thèse s’axe sur les « projets-intention », relatifs à la planification stratégique territoriale. Cette planification cherche à formuler une vision stratégique à moyen-long terme de développement « durable » du territoire (et donc de son aménagement), en coordonnant le jeu des acteurs pour partager une vision. La planification a un but d’abord spatial mais également de mobilisation sociale.

21 « Elle [l’interterritorialité] se dessine en pleins et en vides, en qualités et en apories. […] L’interterritorialité ne cultive pas l’ancrage territorial mais la centration [i.e., la limite n’est pas une frontière mais un espace intermédiaire, un tiers espace], elle ne prône pas l’unicité territoriale, le « tout dans le même territoire », mais la combinaison [i.e., complémentarité dans l’accès aux ressources des territoires], elle ne valorise pas la proximité territoriale, mais la connexion [i.e., marchande, physique, sociale] » (Vanier 2010).

La prospective (i.e., la connaissance et la définition d’une orientation pour le devenir d’un territoire) est au cœur de la planification, pour déterminer l’éventail des futurs possibles et d’améliorer la qualité des décisions à prendre (Destatte et Durance 2009; Perrin 2016). Ceci pour une diversité d’acteurs, dans le temps et l’espace (Demazière et Hernandez 2013).

2.1.2.2) Construction du projet de territoire

Les données, informations et connaissances (DIC) scientifiques et techniques sont à la base du projet de territoire et sont elles-mêmes influencées par le projet. Nous distinguons (i) les données que nous mobilisons, (ii) les informations que nous interprétons, (iii) les connaissances avec lesquelles nous faisons des liens (internalisation de l’information). Selon (Paquet 2006) :

- i) une donnée est « un élément brut livré en dehors de tout contexte », qui n’a aucune valeur en soi et qu’il n’est pas possible d’interpréter hors d’un contexte (Paquet 2006). Pour le Dictionnaire de l’Académie Française, la donnée est « une représentation d’une information

sous une forme conventionnelle adaptée à son exploitation ». Les données peuvent être

issues de capteurs humains (observations personnelles, opinions, etc.) ou de capteurs physiques (capteurs de température, optiques, etc.) ;

- ii) « une donnée devient une information lorsqu’elle est contextualisée ». L’information résulte souvent de la combinaison de plusieurs données et de la compréhension des relations entre ces données (Paquet 2006) ;

- iii) « la connaissance nait de la compréhension et de l’assimilation des règles qui régissent les

modèles ou les schémas mentaux sous-jacents à ces relations [les relations entre plusieurs données], permettant ainsi de comprendre comment la situation évoluera si les données se modifient. La connaissance permet d’aboutir à une action. Mais cette connaissance ne peut être considérée comme une vérité universelle et indiscutable. Elle est fortement dépendante

de l’individu qui la porte, empreinte de ses croyances et de son système de valeur » (Paquet

2006).

Généralement, deux grandes formes de connaissance sont distinguées (Johannessen, Olaisen, et Olsen 2001; Spiegler 2003; Paquet 2006) : (i) la connaissance explicite peut être « codifiée, exprimée dans un langage formel et partagée sous forme de formules, de

spécifications, de schémas, de manuels de procédures ou encore d’images voire de sons »

(Paquet 2006) ; (ii) la connaissance tacite « incorpore des éléments cognitifs et techniques qui

ne peuvent être codifiés » (Paquet 2006). Elle est donc directement dépendante de l’individu

qui l’exprime et qui la met en œuvre. Différents modes de transformation de la connaissance permettent de passer d’une connaissance tacite à une connaissance explicite (externalisation puis combinaison) et inversement (internalisation puis socialisation) (cf. Figure 12).

Nous considérons les DIC non neutres mais construites (voire co-construites, Armitage et al. 2011) par les acteurs les produisant (constructivisme). La théorie constructiviste montre qu’une représentation de la réalité résulte de partis pris par un ou une série d’acteurs (Boussard 2001). Par exemple, les DIC ne peuvent être dissociées des phénomènes de communication et des acteurs les véhiculant. Les significations de ces DIC ne sont ainsi pas directement contenues dans celles-ci mais se construisent dans les interactions entre individus ou collectifs, pris dans toute leur subjectivité (valeurs, opinions, modèles de la réalité, statut social, etc.) (Maurel 2012). Par exemple, les objectifs de recherche, qui sont dépendants pour partie des décideurs en demande (plus ou moins sensibles aux thématiques environnementales), ont un impact sur le nombre et la nature des caractéristiques de la biodiversité étudiée et donc des besoins en termes de conservation identifiés (Cumming, Cumming, et Redman 2006; Cormier 2011). Les délais dont disposent les décideurs s’appliquent aux producteurs de DIC qui doivent adapter leur temps de réponse, notamment les scientifiques qui adaptent leurs recherches (Roqueplo 1997). La mise en cohérence des agendas politique et environnemental a encore besoin d’être soutenu politiquement (Le Bourhis 2003; Folke et al. 2007). Ces DIC sont intégrées et valorisées dans le projet de territoire via divers processus de gouvernance qui aident à la décision (mais qui les transforment également). Leur transfert est essentiel au débat démocratique (Roqueplo 1997; Lascoumes 2002), débat dont les bénéfices pour les projets sont bien acceptés (Alban et Lewis 2005; Reed 2008; Young et McPherson 2013). La notion de gouvernance reste encore équivoque et polysémique avec de nombreuses définitions (Laganier, Villalba, et Zuindeau 2002; Leloup, Moyart, et Pecqueur 2005; Tonneau 2008; Rey-Valette et al. 2011). Masson- Vincent et al. (2012) notent que « pour les uns la gouvernance est un instrument au service de la

libéralisation des sociétés permettant de limiter le rôle des États et des élus (Ostrom 1990) ; pour d’autres elle est perçue comme une voie favorisant la démocratisation du fonctionnement étatique, avec la mobilisation civique et les initiatives locales et politiques (Le Galès 1995) ».

Diverses formes de gouvernance existent et se superposent comme par exemple la gouvernance territoriale (Rey-Valette et al. 2011, 2014), la gouvernance adaptative (Folke et al. 2005), la gouvernance de réseaux (Scarlett et McKinney 2016) ou encore la géogouvernance (Masson-Vincent

et al. 2012).

Les acteurs, individuels et institutionnels, sont au cœur des processus de gouvernance qui permettent in fine le choix des enjeux, des objectifs, des méthodes et des moyens associés au projet de territoire. Le dialogue, les différents modes de coordination entre acteurs peuvent impliquer des négociations voire des compromis, jusqu’à adoption du projet. Franchomme, Bonnin, et Hinnewinkel

(2013) rappellent que « les outils de l’aménagement du territoire émanent de processus complexes de

concertation qui intègrent des stratégies d’acteurs, la prise en compte des différents usages de l’espace, les savoirs naturalistes mais aussi l’intervention de différentes branches du droit ».

L’implication d’une « communauté » d’acteurs (institutionnels et individuels) et d’une « communauté » de ressources dans l’identification d’une « communauté » de problèmes et de solutions assure un apprentissage commun de ces problèmes et solutions pour un développement commun et partagé (Moore et Brooks 2000). La construction et la mise en place d’une « communauté » d’acteurs permettant de développer des projets doit être faite à temps (ni trop tôt ni trop tard) pour que la communauté soit durable, afin que toutes les options et solutions soient encore possibles et que le public puisse exercer une réelle influence (Convention d’Aarhus).

Vatn et Vedeld (2012) notent que depuis les trente dernières années, la littérature sur la gouvernance liée aux problématiques environnementales s’est nettement développée. La commission mondiale sur les aires protégées de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature rappellait en 2008 que “there is no ideal governance setting for all protected areas, nor an

ideal to which governance models can be compared”. Ainsi, “governance regimes are likely to vary according to a country’s particular ecological, historical and political context, and the knowledge,

Une fois le projet adopté, celui-ci est mis en œuvre sur le territoire. Cela produit des effets sur le territoire, effets pouvant être ou non rattachés à l’action menée dans le cadre du projet étudié (par rapport à l’action d’autres projets par exemple). Mermet (1992)distingue la gestion intentionnelle de la gestion effective. La première concerne les initiatives d’un acteur « pour faire évoluer l’état du

milieu dans un certain sens ». La seconde concerne « le mode de conduite du milieu telle qu’elle résulte de l’ensemble des actions humaines qui l’affectent ».

Le projet de territoire est amélioré en continu, la bonne utilisation des fonds publics et privés est à justifier pour poursuivre l’engagement des acteurs. Pour cela, le suivi (i.e., auto-évaluation permanente en assurant la collecte et l’analyse régulière des DIC) puis l’évaluation du projet sont conduits. « Evaluer une politique, c'est rechercher si les moyens juridiques, administratifs ou

financiers mis en œuvre permettent de produire les effets attendus de cette politique et d'atteindre

les objectifs qui lui sont fixés » (Conseil Scientifique de l’Evaluation 1996). Le Conseil scientifique de

l’évaluation identifie quatre finalités à l’évaluation, à savoir, (i) démocratique, (ii) opérationnelle, (iii) décisionnelle, (iv) formative. L’évaluation peut mener à la poursuite de la mise en œuvre du projet telle que menée jusque-là ou à la modification voire la révision du projet de territoire.

Plusieurs boucles d’apprentissage résultent des différentes étapes de la construction d’un projet de territoire. La construction des données-informations-connaissances, nous l’avons vu, est continuellement renouvelée. La mise en œuvre et son suivi et évaluation permettent de revenir sur les différentes étapes du projet de territoire, pour l’améliorer, l’adapter, le renforcer ou le restructurer. L’apprentissage individuel permet l’apprentissage organisationnel (i.e., collectif) qui lui- même assure une réflexivité sur l’apprentissage individuel et le nourrit. Selon les auteurs et selon les disciplines, plusieurs boucles d’apprentissage sont identifiées (Petersen, Montambault, et Koopman 2014, cf. Figure 13). (Pahl-Wostl 2009) propose une triple boucle d’apprentissage avec (i) une simple boucle pour améliorer les stratégies d’actions sans questionner les hypothèses, (ii) une double boucle qui revisite les hypothèses sans questionner le cadre conceptuel, (iii) une triple boucle qui reconsidère les valeurs, les croyances, les représentations (cf. Figure 14).

Figure 13 : Simple boucle d'apprentissage et double boucle d'apprentissage (Petersen, Montambault, et Koopman 2014).

Figure 14 : Cycles d'apprentissage selon une triple boucle d'apprentissage (adaptée de Pahl-Wostl, 2009).

La thèse se concentre sur les projets de territoire (i.e., au niveau du territoire) relatifs à la planification durable et stratégique ayant trait tout ou partie aux continuités écologiques (CE). Nous retiendrons le terme de « projet de CE » dans le fil de ce texte. La Figure 15 synthétise la construction d’un projet de CE.

Figure 15 : Construction d’un projet de territoire.

2.1.3) L’intégration des continuités écologiques dans les projets de

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