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Exemple 1 : La machine d’Attwood : mesurer la masse et les forces

4 Qu’est-ce que faire une expérience ?

4.2 La mesure des phénomènes physiques

4.2.5 Exemple 1 : La machine d’Attwood : mesurer la masse et les forces

Comme premier exemple, reprenons la machine d’Attwood déjà mentionnée dans la discussion sur la définition de la force et de la masse. Nous allons voir que ce dispositif, extrêmement simple sur le plan technologique et qui ne fait appel qu’à une théorie scientifique « simple » (la mécanique de Newton), se révèle être en fait très complexe sur le plan de l’analyse théorique.

Traçons tout d’abord le schéma de la machine, et analysons le fonctionnement de la machine idéale, virtuelle.

Figure 21: machine d'Attwood virtuelle. En noir : les poids des solides A et B. En bleu : les forces de réaction.

Les deux solides A (de masse mA) et B (de masse mB) sont reliés par le fil f, de masse nulle, qui reste tendu grâce à l’emploi de la poulie, et qui est supposé transmettre les efforts sans en modifier la norme (il n’est pas élastique). Qu’observerons-nous ? Un observateur « naïf » dira qu’il voit les deux solides se mettre en mouvement, le plus lourd tirant le plus léger vers le haut.

Cet énoncé est-il vraiment satisfaisant ? Non. Etablissons le bilan des forces (on néglige la force d’Archimède due à l’air) : le solide A est soumis à la force de pesanteur et à la force exercée par le fil. De même, le solide B est soumis à son poids et à la force exercée par le fil. Donc, on ne peut pas dire que le poids d’un solide est appliqué à l’autre : c’est la tension du fil, déduite de la loi de l’action et de la réaction appliquée à l’autre extrémité du fil, qui est appliquée au solide. Nous avons donc implicitement fait usage de la troisième loi de Newton pour interpréter notre expérience. La fiabilité de nos conclusions dépend donc de notre confiance dans cette loi. Est-elle vérifiable ? Non, répond Henri Poincaré (1854-1912) (La science et l’hypothèse, 1902) : il n’est pas possible de vérifier cette loi, qui doit être prise pour une définition de la réaction (et comme telle, ne peut être violée). Donc, notre interprétation repose sur la confiance que nous mettons dans l’articulation des concepts de la mécanique newtonienne.

Continuons l’analyse : l’utilisation de la machine d’Attwood est basée sur la seconde loi de Newton, qui permet de lier force, masse et accélération. Ce qui est mesuré, c’est le temps que met le solide qui monte pour parcourir une distance donnée. On en déduit l’accélération en faisant l’hypothèse que celle-ci est constante au cours du mouvement. Et ensuite, on utilise la loi de Newton pour interpréter le résultat.

Comme on le voit, ici aussi, l’appel à la théorie est constitutif du procédé de mesure.

Venons-en maintenant aux différences entre machine réelle et machine virtuelle. Ces différences sont très nombreuses, et non allons nous contenter d’en lister quelques unes :

• Les propriétés mécaniques des matériaux employés ne sont pas prises en compte : un fil n’est jamais parfaitement inextensible et sans masse, et de plus il peut avoir une certaine rigidité ; il peut y avoir des frottements sur la poulie ; lors de leur mouvement, les solides peuvent être freinés par la résistance de l’air ; la force d’Archimède n’est pas nulle …

• Le poids d’un solide à la surface de la Terre dépend de la pesanteur g à la surface de celle-ci. Or la pesanteur n’est pas constante à la surface de la Terre.

Tout d’abord, il faut prendre en compte le fait que la Terre n’est pas

sphérique : sous l’effet de la rotation, elle prend la forme d’un ellipsoïde aplati avec une différence de rayon entre pôle et équateur de l’ordre de 21 kilomètres. La distance d’un point situé à la surface de la Terre par rapport au centre est donc variable, ce qui induit une variation de la pesanteur en fonction de la latitude41: 9,78 m.s-2 à l’équateur contre 9,83 m.s-2 aux pôles (soit une variation de l’ordre de 5. 10-3 g). La pesanteur ressentie par un corps pesant varie bien sûr également avec l’altitude par rapport à la surface terrestre.

Donc, lorsqu’un solide monte ou descend, son poids change, ce qui n’est pas pris en compte dans l’analyse théorique. De plus, le champ de force produit par l’attraction terrestre n’est pas uniforme, car les masses ne sont pas réparties de manière symétrique au sein de la croûte et du manteau du globe terrestre42. Il faut également prendre en compte l’attraction gravitationnelle due aux autres objets célestes, comme la Lune et le Soleil qui induisent le phénomène de marée (y compris la marée terrestre, moins connue que la marée pour les océans, qui fait monter et descendre le sol d’environ 40 cm).

Des variations permanentes de l’ordre de 5. 10-4 g sont ainsi engendrées, ainsi que des variations cycliques de l’ordre de 3. 10-7 g. On a également enregistré des variations sur des échelles de temps plus grandes allant de 10-8 à 10-9 g.

Ces variations locales de la pesanteur sont représentées par les géophysiciens par la hauteur du géoïde, qui est la surface virtuelle de la Terre associée à la différence locale de la pesanteur mesurée par rapport à celle que l’on obtiendrait si la Terre était un ellipsoïde liquide parfait de densité uniforme43. Les variations de la surface du géoïde vont de –107 mètres à + 85,4 mètres.

• La mesure est une mesure d’accélération, et sa précision est donc limitée par celle de notre dispositif de mesure de l’accélération, dans notre cas de celui du temps.

41 L’augmentation de la pesanteur lorsqu’on se déplace de l’équateur vers le pôle en raison du carré du sinus de la latitude a été établie par Pierre Louis de Maupertuis en 1737, à la suite des mesures qu’il a effectuées en Laponie en 1736 et 1737. Ces observations seront complétées quelques années plus tard par l’expédition de Pierre Bouguer et Charles-Marie de la Condamine au Pérou en 1735-1744. On prouva ainsi que la Terre était aplatie, comme le soutenait Newton, et non allongée, comme le défendait Cassini.

42 L’une des premières mesure précise locale des variations locales de la pesanteur est due au physicien hongrois Loránd von Eötvös (1848-1919), qui utilisa une balance à torsion pour mesurer la pesanteur près de Budapest en 1901. Les premières mesures à bord d’un sous-marin furent effectuées par le néerlandais Felix Andries Vening Meinesz entre 1923 et 1939.

43 La densité moyenne de la Terre est aujourd’hui estimée à 5,527. Cette valeur est très supérieure à celle de la croûte terrestre (environ 2,5 plus grande). Ce qui rend d’autant plus remarquable la valeur de 5,48 annoncée par Henry Cavendish (1731-1810) en 1798, à une époque où l’on ignorait la composition interne de la Terre ! La masse de la Terre est actuellement estimée à 5,9736 . 1024 kg. On la décompose comme suit : atmosphère = 5,1.1018 kg, océans = 1,4.1021 kg, croûte = 2,6.1022 kg, manteau = 4,043.1024 kg, noyau externe = 1,835.1024 kg, noyau interne (graine) = 9,675.1022 kg.

Figure 22: définition du géoïde terrestre

Figure 23: représentation du géoïde. Haut: isovaleurs de la hauteur du géoïde. Bas:

représentattion 3D des variations de la pesanteur terrestre

Notons enfin que, lors de l’analyse du fonctionnement de la machine d’Attwood, nous avons fait appel à ce qu’Einstein nomme le principe d’équivalence. Ce principe stipule que la masse inertielle (c’est-à-dire la masse m du corps qui apparaît dans l’énoncé de la deuxième loi de Newton) et la masse gravitationnelle (le coefficient m associé au corps dans la formule newtonienne de la force d’attraction gravitationnelle) sont égales. Cette égalité est déjà supposée par Galilée, puisqu’elle est à l’origine de son résultat sur l’universalité de la chute libre44. Mais rien, dans la mécanique de Newton, n’indique cette égalité doit être obligatoirement vérifiée. Aussi, depuis trois siècles, de nombreuses expériences ont été menées pour corroborer expérimentalement cette hypothèse. Cet intérêt provient de l’importance de ce

44 L’universalité de la chute libre signifie que tous les corps pesants tomberaient selon le même mouvement si ils étaient soumis à l’attraction terrestre en l’absence d’autre force, quelque soit leur masse.

principe : il est une des bases sur lesquelles repose la théorie de la relativité générale et il est un test pour les modèles d’unification des quatre forces fondamentales (gravité, force électromagnétique, interaction forte, interaction faible) développés par les physiciens théoriciens. De nombreuses techniques ont été employées pour valider cette égalité avec une précision remarquable : elle est aujourd’hui testée avec succès avec une précision meilleure qu’une partie sur 1012. Cinq types de procédé technologique ont été mis en œuvre (les résultats sont regroupés dans le tableau ci-dessous):

Les expériences de chute libre. Si il est aujourd’hui certain que Galilée n’a jamais pratiqué lui-même cette expérience, elle a depuis été réalisée à plusieurs reprises. Les plus récentes ont été pratiquées dans des tours de chute libre dans lesquelles on réalise un vide presque parfait. On met en œuvre des dispositifs de compensation de traînée pour réduire les effets du gaz résiduel.

Les pendules à fil. Ce procédé, réellement employé par Galilée, repose sur la propriété d’isochronisme des pendules : la période de battement d’un pendule ne dépend que de la longueur du fil et de la pesanteur45, et pas de la masse du corps pesant qui y est attaché. En posant le pendule sur un plan incliné très lisse, on réduit considérablement les effets de résistance aérodynamique due à l’air (car la vitesse atteinte est beaucoup plus faible que dans le cas de la chute libre).

L’observation du mouvement des planètes. Il s’agit ici de vérifier que le mouvement observé des planètes et satellites correspond bien à celui prédit par la mécanique newtonienne. Depuis les années 1970, cette technique a été améliorée par des mesures très précises de la distance Terre-Lune au moyen de rayons Laser réfléchis par des miroirs disposés à la surface de la Lune.

Les balances de torsion. Cet appareil a été promu comme un des procédés mécaniques les plus précis pour la mesure des forces faibles par Coulomb dans son Mémoire de 1784. Il est employé en 1798 par le physicien anglais Henry Cavendish (1731-1810) pour effectuer la première mesure de la constante G de la loi de gravitation publiée par Newton en 1686. Les balances de torsion sont toujours employées de nos jours pour mesurer la constante de gravitation.

Les mesures de chute libre effectuées dans l’espace dans des laboratoires embarqués sur des satellites.

45 La période du pendule est proportionnelle à la racine carrée du quotient de la longueur du fil par la pesanteur

Tableau 2: Récapitulatifs des expériences de validation du principe d'équivalence entre la masse inertielle et lamasse gravitationnelle. D'après "L'universalité de la chute libre", S. Reynaud, Dossier Pour la Science No 38, 2003

Procédé Auteur date Niveau d’erreur

Chute libre Galilée (virtuel)

satellites Projet MICROSCOPE Vers 2005 10-15

4.2.6 Exemple 2 : La chambre à bulles : « voir » les particules