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Efficacité et production de technologies

4. Règle des dénombrements : recenser toutes les parties pour ne rien oublier La méthode cartésienne, basée sur deux étapes successives, la première de

5.8 Efficacité et production de technologies

Comme il a été dit au tout début de ce chapitre, la valeur accordée à une discipline scientifique peut être basée sur d’autres critères que sont degré de véracité.

L’efficacité prédictive et la production d’outils technologiques performants (c’est-à-dire la valeur utilitaire) sont également des critères forts qui motivent de très nombreuses recherches. La mise au point de nouvelles technologies efficaces basées

67 Un exemple d’hypothèse ad hoc est fourni par l’histoire de l’astronomie. Galilée, à l’aide de sa lunette astronomique, observa l’existence de cratères sur la Lune. Cette observation allait à l’encontre du dogme aristotélicien (alors dominant) suivant lequel les objets célestes sont absolument parfaits et donc parfaitement sphériques. Pour rétablir l’accord avec le dogme de la sphéricité de la Lune, un des détracteurs de Galilée émit l’hypothèse que la Lune était recouverte d’une substance parfaitement invisible qui comblait les cratères, redonnant ainsi à la Lune une forme parfaitement sphérique. Cette hypothèse, invérifiable par Galilée, est une hypothèse ad hoc.

sur des énoncés théoriques peut être considérée comme une autre forme de corroboration plus complexe que celle évoquée dans ce qui précède. Ce qui pourrait être énoncé comme « c’est vrai, puisque ça marche ! ». Nous allons illustrer cette efficacité technologique par quelques exemples, qui complètent la discussion sur les appareils de mesure (chambre à bulles, microscope à effet tunnel, lentille gravitationnelle) menée au paragraphe 4.2.4.

Mais notons que certaines avancées technologiques sont en avance sur la théorie : les ingénieurs conçoivent parfois des systèmes innovants en se basant sur leur intuition et une approche de type erreur/essai pour lesquels on ne dispose pas de d’explications théoriques complètes. Bien sur, l’intuition est guidée par les connaissances scientifiques disponibles. Et l’existence de technologies performantes au moins partiellement inexpliquées est une source de motivation et d’inspiration pour les théoriciens.

5.8.1 Relativité générale et localisation par système GPS68

La localisation par satellite est aujourd’hui très courante, le système le plus connu étant le système GPS (Global Positioning System) dont le premier satellite fût lancé en juin 1977. Le système est simple : en effectuant une triangulation à partir de 3 des satellites GPS qui sont en orbites à 20 000 kilomètres d’altitude, on peut obtenir une localisation avec une précision de l’ordre du millimètre (puisque trois sphères n’ont que deux points communs, dont un seul représente une position possible, l’autre étant situé dans les profondeurs de la Terre ou dans l’espace). Pour mesurer la distance entre le récepteur GPS et un satellite, il a été choisi (pour des raisons de furtivité : n’oublions pas que le système GPS est à l’origine développé pour des applications militaires !) d’utiliser des signaux radios émis par les satellites à des instants connus.

En mesurant le retard entre le temps d’émission et la réception, on obtient une estimation de la distance. Un point crucial est donc la synchronisation entre les horloges des satellites et celle du récepteur. Pour garantir la précision du système, chaque satellite GPS contient une horloge atomique. Mais cela ne suffit pas ! En effet, pour obtenir la meilleure précision possible, il faut tenir compte de certains effets prédits par la théorie de la relativité générale et les corriger. Ces effets sont les suivants :

• L’effet Sagnac, qui est dû à la rotation de la Terre. Deux horloges tournant l’une dans le sens de la Terre et l’autre dans le sens opposé, se décalent. Pour le système GPS, cela repésente un retard de propagation des signaux de 207 nanosecondes après une rotation des satellites autour de la Terre (soit 62 mètres de trajet de la lumière).

• Le décalage gravitationnel de la lumière69 vers le rouge ou le bleu. Cet effet représente 60 microsecondes, soit un décalage de position de 18 kilomètres, par jour.

• Les horloges atomiques embarquées dans les satellites sont aussi soumises au champ de gravité de la Terre et tournent rapidement autour de celle-ci,

68 Voir « La localisation par satellite », T. Herring, Dossier Pour la Science No 38, 2003

69 Cet effet ne sera observé expérimentalement qu’en 1960 (soit 45 ans après les travaux d’Einstein !) par Robert Pound et Glen Rebka, qui ont montré que la fréquence de photons émis depuis le haut de la tour Jefferson de l’Université d’Harvard augmente lors de la chute en raison de la variation du champ de gravité terrestre avec l’altitude.

induisant un effet Doppler relativiste. La somme de ces deux effets représente un décalage de 21 microsecondes (soit un décalage de position de 6,5 kilomètres) par jour.

Ainsi, comme on peut le voir, la physique théorique peut avoir des applications très concrètes dans la vie de tous les jours.

Figure 52: schéma du principe de calcul de la position par triangulation

5.8.2 Manipuler les molécules : pinces et ciseaux optiques70 Comment manipuler des objets très petits (de la taille de quelques molécules ou d’une macromolécule) sans les détruire ? Comment sculpter la matière à très petite échelle, ou découper des segments au sein de molécules longues ? Ces questions sont aujourd’hui d’une très grande importance pour les biologistes, qui ont besoin de manipuler les cellules vivantes et leurs organites sans les détruire. La solution est fournie par l’optique : on peut construire des pinces et des ciseaux d’une grande précision à l’aide de rayons laser ! L’action d’un rayon laser dépend de l’absorption de la cible et de la radiance (mesurée en Watts par unité de surface), c’est-à-dire de l’énergie qui atteint la cible par pendant une durée déterminée.

La fonction de ciseaux est obtenue au moyen de différents mécanismes : création d’ondes de choc, échauffement ou encore rupture des liaisons moléculaires. On utilise généralement des impulsions brèves de forte énergie.

La fonction de pince est obtenue de manière plus subtile au moyen d’une paire de rayons lasers symétriques. Lors de la réfraction d’un faisceau laser par une cible transparente, la quantité de mouvement de celui-ci est modifiée. La conservation

70 Voir « Pinces et ciseaux optiques », M. Berns, Dossier Pour La Science No 53, 2006

globale de la quantité de mouvement du système (laser+cible) implique que la quantité de mouvement de la cible est modifiée, et donc que cette dernière est soumise à une force. Quand le point de focalisation des deux faisceaux est situé entre le centre de la cible et la lentille, la force résultante attire la cible vers la lentille. Par contre, si il est situé au-delà du centre de la cible, celle-ci sera repoussée. On peut également produire des déplacements latéraux. On utilise pour cela des lasers continus de faible intensité, pour obtenir des forces de l’ordre du piconewton.

La possibilité de manipuler des cellules au moyen de rayons laser a été découverte dans les années 1970 par Arthur Ashkin, des Laboratoires AT&T Bell, puis Steven Chu (prix Nobel de Physique en 1997) a montré qu’il est possible de manipuler des molécules au moyen de pinces optiques. Celles-ci ont aujourd’hui de nombreuses applications : elles permettent aujourd’hui de mesurer la position d’un enzyme avec une précision de 1 angström (soit 10-10 mètre, c’est-à-dire la taille d’un atome !) et de manipuler des molécules avec une grande précision. Utiliser conjointement avec les ciseaux optiques, elles permettent également d’effectuer des actes de chirurgie cellulaire. Notons que l’idée que la lumière puisse engendrer un effort mécanique n’est pas récente : la notion de pression de radiation (c’est-à-dire la pression exercée par les ondes électromagnétiques à la surface d’un corps éclairé) avait été anticipée par Johannes Kepler qui, à la fin du XVIe siècle, avait émis l’hypothèse que la queue d’une comète est constituée de grains de poussière poussés par la lumière du Soleil. Il cherchait à expliquer pourquoi, lorsqu’une comète s’éloigne du Soleil, sa queue la précède.

Figure 53: schéma du principe des pinces optiques

Figure 54: régimes de fonctionnement des outils optiques, et applications correspondantes