• Aucun résultat trouvé

Le cas des sciences empiriques : la méthode expérimentale

4. Règle des dénombrements : recenser toutes les parties pour ne rien oublier La méthode cartésienne, basée sur deux étapes successives, la première de

5.5.3 Le cas des sciences empiriques : la méthode expérimentale

Venons-en maintenant au cas plus complexe des sciences empiriques. La méthode qui leur est associée est la méthode expérimentale, qui établit le lien entre les énoncés théoriques et les faits au travers des énoncés d’observation.

La méthode expérimentale, sous sa forme moderne, a été théorisée par le physiologiste français Claude Bernard (1813-1878), dans son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale (1865) :

« Le savant complet est celui qui embrasse à la fois la théorie et la pratique expérimentale. 1o il constate un fait ; 2o à propos de ce fait, une idée naît dans son esprit ; 3o en vue de cette idée, il raisonne, institue une expérience, en imagine et en réalise les conditions matérielles. 4o De cette

les diverses opérations du raisonnement expérimental. Mais quand tout cela se passe à la fois dans la tête d’un savant qui se livre à l’investigation dans une science aussi confuse que l’est encore la médecine, alors il y a un enchevêtrement tel, entre ce qui résulte de l’observation et ce qui appartient à l’expérience, qu’il serait impossible et d’ailleurs inutile de vouloir analyser dans leur mélange inextricable chacun de ces termes. Il suffira de retenir en principe que l’idée a priori ou mieux l’hypothèse est le stimulus de l’expérience, et qu’on doit s’y laisser aller librement, pourvu qu’on observe les résultats de l’expérience d’une manière rigoureuse et complète. Si l’hypothèse ne se vérifie pas et disparaît, les faits qu’elle aura servi à trouver resteront néanmoins acquis comme des matériaux inébranlables de la science. »

La méthode expérimentale se décline donc en trois temps :

Les 3 phases de la méthode expérimentale

Observer – Conjecturer – Vérifier

Si elle a été codifiée par Claude Bernard au XIXe siècle, elle est en revanche beaucoup plus ancienne. L’idée de donner une place importante, voire prépondérante aux observations dans les sciences empiriques se retrouve chez Bacon (1561-1626) et Galilée (1564-1642).

Chez Bacon, la science consiste en une collecte minutieuse des faits (qu’il appelle la

« chasse de Pan »). Mais cette collecte n’est pas faite au hasard : on doit s’attacher à

« d’abord découvrir les causes et les principes véritables, chercher les expériences lumineuses », appelées encore expériences « de la croix » (expériences cruciales, en français moderne), par référence aux poteaux indicateurs d’un carrefour. Ces

Figure 49: C. Bernard

expériences cruciales, dont il propose l’idée en 1620, doivent permettre de trancher entre deux hypothèses concurrentes en réfutant de manière irrécusable l’un des deux énoncés. Donc, chez Bacon, l’expérience n’est pas exempte de recours à la raison. Un des grands apports de Bacon est l’induction amplifiante : comment, à partir d’un nombre restreint de faits, formuler un énoncé théorique de portée universelle ? Nous l’avons déjà vu, c’est l’induction amplifiante. Cela est nouveau, car avant Bacon, seule l’induction complète basée sur l’observation de tous les phénomènes possibles était acceptée, et cela depuis Aristote.

On attribue parfois à Nicolas Copernic (1473-1543) la paternité de la méthode expérimentale, en ce sens que c’est chez Copernic qu’apparaît la manipulation de l’objet par l’observateur pour obtenir la réponse recherchée, bref le passage de l’observation passive à l’expérimentation. Mais la contribution de Galilée (1564-1642) est également très importante, puisqu’il osa défendre la thèse de la primauté des faits devant les idées : ces dernières doivent se plier de manière à correspondre aux faits. C’est d’ailleurs ce qui lui a valu l’hostilité de l’Eglise, beaucoup plus que la thèse de l’héliocentrisme à laquelle elle n’était pas fondamentalement opposée. En effet, la thèse héliocentrique était rejetée par l’Eglise car elle semblait incompatible avec certains versets de la Bible, qui, dans une interprétation littérale, semblent indiquer que le soleil tourne autour de la Terre, un des plus célèbres étant

(Josué, 10, 12-13) Alors Josué parla au Seigneur […] : « Soleil, arrête-toi sur Gabaon , lune, sur la vallée d’Ayyalôn ! » Et le soleil s’arrêta et la lune s’immobilisa […]. Le soleil s’immobilisa au milieu des cieux et il ne se hâta pas de se coucher pendant près d’un jour entier.

Le caractère révolutionnaire de la position de Galilée était de rendre la primauté aux observations. Dans sa lettre du 21 décembre 1613 à son ami et disciple le Père Benedetto Castelli, il lance la polémique en écrivant : « … étant évident que deux vérités ne peuvent se contredire, le devoir des interprètes sagaces est de se donner pour tâche de montrer que les véritables significations des textes sacrés s’accordent aux conclusions naturelles, aussitôt que nous ont rendus sûrs et certains le témoignage manifeste des sens ou d’irréfutables démonstrations. Je dirais plus : les Ecritures, encore qu’inspirées par l’Esprit Saint, admettant en bien des passages, pour les raisons que j’ai alléguées, des interprétations éloignées de leur sens littéral, et nous-mêmes ne pouvant affirmer en toute certitude que leurs interprètes parlent tous sous l’inspiration divine, j’estimerais prudent de ne permettre à personne d’engager les sentences de l’Ecriture et de ne les obliger en quelque sorte à garantir la vérité de telle conclusion naturelle dont il pourrait arriver que nos sens ou des démonstrations indubitables nous prouvent un jour le contraire. »

Revenons maintenant sur les trois étapes de la méthode expérimentale.

Observer : au vu de ce qui a déjà été dit sur la mesure, nous savons que l’observation n’est pas neutre, qu’elle n’est pas séparable de la théorie. C’est ce que résume Auguste Comte (1798-1857) de manière catégorique, dans son Cours de philosophie positive: « En quelque ordre de phénomènes que ce puisse être, même envers les plus simples, aucune véritable observation n’est possible qu’autant qu’elle est primitivement dirigée et finalement interprétée par une théorie quelconque. »

Conjecturer : conjecturer consiste à formuler une hypothèse, ce qui bien sûr requiert le cadre théorique adéquat. Mais l’hypothèse contient plus que le contenu factuel des énoncés d’observation à partir desquels elle est formulée, puisqu’elle procède de l’induction amplifiante. Les faits n’imposent pas l’hypothèse, ils ne peuvent que la suggérer. L’hypothèse procède donc également de l’imagination créatrice de son auteur.

L’hypothèse, pour être vérifiable, doit, dit Claude Bernard, « avoir toujours un point d’appui dans la réalité observée, c’est-à-dire dans la nature. » Les théories et les principes guident le scientifique dans la formulation de ses hypothèses : ils sont donc des instruments de découverte pour la recherche expérimentale. Il n’existe pas de méthode automatique pour dégager les hypothèses des observations.

Toutefois, le logicien et philosophe anglais John Stuart Mill (1806-1873) a codifié les méthodes couramment employées :

Les méthodes inductives selon John Stuart Mill

o La méthode des résidus. Pour traiter les phénomènes complexes, cette méthode consiste à retrancher d’un phénomène complexe et des paramètres qui agissent sur lui tous les éléments expliqués par des lois déjà connues ainsi que les paramètres qu’elles font intervenir. On peut ensuite conjecturer que les phénomènes inexpliqués restants sont associés aux paramètres déterminants restants.

o La méthode des concordances. Quand deux phénomènes apparaissent toujours en même temps, on peut supposer qu’ils sont reliés, et donc qu’une loi les associant peut être formulée.

o La méthode des différences. Idem, quand deux phénomènes disparaissent toujours en même temps.

o La méthode des variations concomitantes. Idem, quand deux phénomènes varient toujours en même temps (exemple : la pression et le volume dans la loi de Mariotte à température constante).

Vérifier. La vérification passe par l’expérimentation, c’est-à-dire une expérience contrôlée, dans laquelle les différents termes de l’hypothèse peuvent être isolés séparément, de manière à obtenir une base empirique adéquate. Le jugement de validité procède alors des questions traitées précédemment. Apparaît ici un nouveau problème concernant l’objectivité de la vérification : le problème de l’arrêt du test expérimental. Quand arrête-t-on une expérience destinée à valider une théorie, et darrête-t-onc de trancher entre plusieurs possibles ? Dans un cas idéal, c’est la nature même de l’expérience qui décide, et la question de savoir pourquoi on met fin à celle-ci n’a pas de sens. Mais l’analyse d’expériences complexes (par exemples en physique des particules) montre que la réalité est toute différente. L’arrêt de l’expérience procède d’un choix, basé sur les données acquises, mais aussi sur des jugements de valeur : l’expérience est arrêtée lorsque les résultats sont jugés

Figure 50: J.S. Mill

suffisamment convaincants pour permettre de corroborer de manière significative une des hypothèses que l’on cherche à tester (ou de les infirmer toutes).