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Un exemple : la mécanique

8 Les mathématiques dans les sciences empiriques

8.1 Un exemple : la mécanique

8.1.1 Exemple 1 : le calcul quantitatif

Commençons par un exemple simple. On considère un corps pesant de masse m, dans le vide, initialement au repos. Quelle distance D aura-t-il parcouru au temps t ? La réponse s’obtient à l’aide de la théorie du calcul intégral en intégrant deux fois la seconde loi de Newton, ou une fois la loi sur la quantité de mouvement. La réponse (bien connue depuis Galilée) est :

8.1.2 Exemple 2 : la manipulation symbolique

Passons maintenant à un second problème, moins trivial: l’utilisation des mathématiques dans la formulation de la mécanique newtonienne. Partons de la seconde loi de Newton

et exprimons la en remplaçant l’accélération par son expression en fonction de la vitesse :

Cette nouvelle formulation est équivalente à la première, mais elle apparaît sous la forme d’une équation différentielle, et cela parce que nous avons exprimé l’accélération comme étant la dérivée de la vitesse par rapport au temps.

La seconde loi de Newton est exprimée en fonction de l’accélération. Peut-on trouver une expression analogue pour la vitesse ? Oui, en intégrant une fois sa forme usuelle.

Nous obtenons (en assumant que la masse reste constante)

une loi qui donne la valeur de la quantité de mouvement en fonction de la valeur à l’instant initial t0. Elle est équivalente à la première, mais ne fait plus intervenir l’accélération. On peut donc exprimer les trois lois de Newton sans faire intervenir le concept d’accélération. Que peut-on déduire, à partir de cette loi ?

Tout d’abord, qu’à tout instant t tel que

la quantité de mouvement est égale à celle de l’instant initial. Ensuite que, pour un système tel que la résultante des forces est nulle à chaque instant depuis l’instant initial, la quantité de mouvement est constante au cours du temps. Si la masse est constante, on en déduit que pour un tel système la vitesse est obligatoirement constante et égale à sa valeur initiale. Si elle est initialement nulle, le corps restera au repos. Sinon, le corps observera un mouvement rectiligne uniforme. Nous venons donc de déduire la première loi de Newton. Chose importante, nous ne l’avons pas utilisée pendant la suite de nos opérations. Nous pouvons donc énoncer

Qu’avons-nous fait ? Nous avons utilisé le calcul différentiel pour trouver une nouvelle loi, équivalente à la seconde loi de Newton, mais qui ne fait pas intervenir l’accélération. De plus, nous en avons déduit une autre loi, qui se trouve être exactement la première loi de Newton. Ce qu’il faut voir ici, c’est que le calcul est purement formel : durant tout le temps du développement, nous n’avons fait que manipuler des symboles, sans en connaître la signification physique. Nous n’avons fait qu’appliquer des règles d’intégration données par les mathématiques. Ce qui est remarquable, c’est que l’outil mathématique nous a permis de trouver une nouvelle loi et d’en retrouver une autre. Encore plus remarquable, on peut, en fin d’opération, redonner un sens physique au symbole et en déduire quelque chose sur la dynamique, et cela sans avoir recours à la méthode expérimentale ! Celle-ci, et c’est heureux, confirme nos nouvelles lois. Nos nouvelles lois sont d’ailleurs, pour reprendre des

distinctions déjà rencontrées, empiriquement équivalentes aux deux premières lois de Newton.

Par contre, dans le premier exemple, nous n’avons pas cherché, par des manipulations formelles, à formuler de nouvelles lois. Nous nous sommes intéressés à un fait particulier : la distance parcourue par un objet identifié, concret. Ce que nous avons fait, c’est utiliser les mathématiques et les lois de la dynamique pour prédire à l’avance une valeur numérique, D. Ici, les mathématiques nous ont offert une capacité de prédiction.

8.1.3 Déduire les lois de la physique : symétries et principes variationnels

Le second exemple discuté plus haut n’est qu’illustratif, car la nouvelle formulation n’apporte rien par rapport à la formulation classique des lois de la mécanique newtonienne. Elle est même sans aucun doute moins pratique. Mais nous allons voir maintenant que les mathématiques, couplées à des grands principes généraux de la physique classique, permettent de déduire les lois de Newton et celles d’autres branches de la physique classique, comme les lois de Maxwell en électromagnétisme, mais aussi celles de la théorie de la relativité ou encore celle de la théorie quantique des champs. Le point important est que les lois sont déduites de l’analyse mathématique, et non pas obtenues comme le fruit d’observations et d’expérimentations. Nous allons nous intéresser, sans aborder les détails techniques, à l’obtention des lois de la mécanique classique.

Tout d’abord, il faut se donner des grands principes généraux dans l’établissement des lois d’une science empirique.

La première question est celle du choix des types de variables que l’on va utiliser pour décrire un système physique. Ainsi, en mécanique, on introduit la position dans l’espace-temps, la vitesse, la masse, l’énergie (potentielle, cinétique ou totale), la quantité de mouvement, … Pour décrire la trajectoire d’un point matériel, il faut considérer 6 valeurs différentes, appelées degrés de liberté : les trois coordonnées de la position spatiale, et les trois composantes de la vitesse à un instant donné. Le problème engendre donc un espace de dimension 6, appelé espace de configuration.

Notons qu’il est possible de trouver d’autres types de degrés de liberté que la vitesse et la position pour représenter le système. Pour définir ces grandeurs et les grandeurs dérivées, il faut se doter au préalable d’un référentiel, et se pose la question de leur variation si on change de référentiel. Les deux sortes de variables utilisées en physique sont :

• Les quantités invariantes, dont la valeur ne dépend pas du référentiel choisi.

L’énergie totale (cinétique+potentielle), qui est un concept central en mécanique et en physique est une quantité invariante pour un système isolé (si l’on fait abstraction des phénomènes dissipatifs, comme dans le cadre de la mécanique Newtonienne). D’autres quantités invariantes en mécanique newtonienne sont : la masse, la distance et la durée. Notons que toutes ses quantités sont des scalaires.

• Les quantités covariantes (étymologiquement « qui varient avec »), qui sont des quantités dont on sait déduire le changement de valeur à partir de la formule de changement de référentiel. Deux quantités covariantes importantes en mécanique sont la quantité de mouvement et le moment cinétique (qui sont des quantités conservées pour un système isolé). Ce sont des quantités vectorielles.

Notons qu’ils existent des quantités qui ne sont ni invariantes, ni covariantes. Celles-ci seront généralement rejettées car elles dépendent intrinsèquement du référentiel choisi.

Venons-en maintenant aux symétries que doivent vérifier les lois physiques pour être acceptables. L’espace et le temps étant homogènes (c’est le principe copernicien), les lois de la physique ne doivent pas dépendre :

• De la position en espace, c’est-à-dire être invariantes par translation en espace

• De l’orientation du repère, et donc être invariantes par une rotation du référentiel

• De l’instant, et donc être invariantes par translation en temps

Venons en maintenant au second grand principe : le principe de moindre action, né des discussions entre Descartes et Fermat sur l’optique géométrique (voir le paragraphe 12.6.1 pour une discussion historique). Ce principe stipule que la solution physique, c’est-à-dire celle qui est observée, est celle qui minimise une quantité nommée action. Par exemple, il existe une infinité de trajectoires d’un point matériel soumis à un champ de gravité pour se rendre d’un point A à un point B. Mais une seule trajectoire sera suivie par le point (et toujours la même) : c’est celle qui minimise une quantité appelée intégrale d’action. En mécanique, l’intégrale d’action est définie comme étant l’intégrale en temps le long d’une trajectoire de la différence entre l’énergie cinétique et l’énergie potentielle (cette différence est appelée le lagrangien)85. Le principe de moindre action fait partie de la famille des principes variationnels, car il est exprimé comme une intégrale, et la solution du problème minimise la valeur de cette intégrale (et donc toute modification, même légère, de la trajectoire solution conduira à une augmentation, donc une variation, de l’intégrale d’action – d’où l’adjectif variationnel).

Le résultat tout à fait remarquable de la mécanique rationnelle développée par Maupertuis, Euler puis Lagrange et Hamilton sur les bases posées par Descartes et Fermat est que les quantités invariantes et les lois qui leur sont associées se déduisent du couplage entre le principe copernicien et le principe de moindre action (voir le tableau ci-dessous). Cet édifice théorique est couronné par le théorème de Noether86, qui établit la correspondance entre relativité (c’est-à-dire la non-observabilité de certaines entités absolues), symétrie (c’est-à-dire invariance par des transformations de symétrie – translation, rotation, …) et lois de conservation (c’est-à-dire conservation et donc observabilité de certaines quantités). Ce résultat se généralise aux autres disciplines déjà citées dans ce chapitre.

85 Le principe de moindre action s’exprime de la même manière, mais avec des lagrangiens différents, en électromagnétisme, en théorie de la relativité et en mécanique quantique.

86 Emmy Noether (1882-1935), mathématicienne allemande

La formalisation de ce qui vient d’être dit est basée sur de nombreuses théories mathématiques : calcul différentiel, calcul intégral, théorie des groupes, … On voit donc ici que les mathématiques permettent, à partir de deux principes très généraux et de la définition des lagrangiens appropriés, déduire les quantités conservées (qui seront celles à mesurer en priorité lors des expériences) et les équations associées.

Tableau 7: dérivation des lois de la mécanique classique

symétrie Loi de conservation Non-observable Translation dans l’espace Quantité de mouvement Origine de l’espace Rotation dans l’espace Moment cinétique Direction privilégiée Translation dans le temps Energie totale Origine du temps