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Chapitre 1 : Recension des écrits

1.5 L’accompagnement scolaire d’élèves intégrés : une pratique controversée

1.5.4 Une entrave au développement social

Dans un autre ordre d’idées, les écrits des dernières décennies traduisent fortement l’existence du piège associé à une trop grande prise en charge de l’élève à besoins spécifiques, lequel est susceptible d’interférer avec le développement de ses relations sociales (Angelides et coll., 2009; Carter et coll., 2008; Causton-Theoaris et Malmgren, 2005; Langevin et coll., 2011; Giangreco, 2010; Giangreco et Broer, 2007; Giangreco, Suter et Doyle, 2010; Giangreco, Yuan, McKenzie et Fialka, 2005; Tews et Lupart, 2008). À cet effet, l’étude menée par Giangreco et ses collaborateurs (2005) a identifié bon nombre d’effets indésirables pouvant être attribués à la proximité de l’accompagnateur en soutien direct à l’élève tout comme à sa présence excessive. Aux yeux de ces auteurs tout comme d’autres, le manque de distance entre l’accompagnateur et l’élève peut créer une barrière à la fois physique et symbolique susceptible d’interférer avec le développement de relations harmonieuses avec ses pairs (Carter et coll., 2008; Causton-Theoharis et Malmgren, 2005; Giangreco, 2010; Tews et Lupart, 2008). En effet, ils soulignent la préoccupation associée à cette proximité excessive qui prédispose l’accompagnateur et l’élève à effectuer la majorité des activités scolaires quotidiennes ensemble à l’exclusion de ses pairs au développement régulier, entravant par le fait même d’éventuels échanges.

position surplombante de l’accompagnateur « (…) fait souvent écran au projet d’apprentissage de l’élève avec la classe » (p.3). Selon Giangreco (2010) certains élèves profitant d’un accompagnement en dyade sont également plus à risque d’être victimes d’intimidation durant leur trajectoire scolaire en raison de cette assignation. Cet effet indésirable associé aux pratiques de soutien individuel a d’ailleurs été porté à l’attention de nombreux chercheurs qui ont mis en relief le danger que l’élève bénéficiant d’un soutien excessif soit étiqueté à l’adulte, résultant alors en sa stigmatisation sociale (Causton- Theoharis et Malmgren, 2005; Giangreco, 2003; Giangreco et coll., 2010; Hemmingsson, Borell et Gustavsson, 2003).

Si les élèves manifestant un TSA qui fréquentent les établissements scolaires sont sujets à développer significativement moins d’amitiés que leurs pairs au développement régulier, ils sont également prédisposés à vivre plus de stigmatisation sociale compte tenu de la triade de leurs caractéristiques particulières (Symes et Humphrey, 2012; Symes, Remington, Brown et Hastings, 2006). En plus de recevoir moins de support social de la part d’autrui, Symes et Humphrey (2012) soulignent qu’ils sont non seulement susceptibles d’être plus à risque d’intimidation que leurs pairs neurotypiques, mais également que ceux présentant un autre trouble. Par exemple, on estime que 87% des élèves manifestant un TSA intégrés en classe ordinaire sont victimes d’intimidation hebdomadairement tandis que près de la moitié d’entre eux en font l’expérience au quotidien (Simpson, Mundschenk et Heflin, 2011). En comparaison, dans un cadre ségrégatif, ce pourcentage chute de façon significative. Ce résultat peut être attribuable, d’une part, à la normalisation des difficultés sociales en classe spécialisée et, d’autre part, à un meilleur encadrement de l’adulte qui se voit superviser généralement moins d’élèves (Simpson, Mundschenk et Heflin, 2011). Certains auteurs ont d’ailleurs mis en évidence la possibilité que le développement de relations sociales négatives et appauvries entre l’élève manifestant un TSA et ses pairs neurotypiques puisse être attribuable à leur incompréhension du trouble (Symes et Humphrey, 2012). Dans cette optique, il apparaît cohérent que tout processus d’intervention visant à promouvoir l’inclusion sociale des élèves manifestant un TSA considère la portée de la sensibilisation des pairs (Frederickson et Turner, 2003). De plus, de sorte à réduire le risque associé à l’inhibition des interactions de l’élève avec ses pairs, Simpson, Mundschenk et Heflin (2011) précisent la nécessité de former soigneusement les

accompagnateurs en milieux scolaires. Le tableau 1 présente ainsi une synthèse des effets pragmatiques et indésirables recensés dans les écrits scientifiques relativement à la présence et/ou à la proximité de l’accompagnateur en intervention auprès de l’élève à besoins spécifiques.

Tableau 1

Synthèse des effets recensés de la présence et/ou de la proximité de l’accompagnateur auprès de l’élève

En somme, si au cours des dernières décennies, le recours massif aux accompagnateurs s’est révélé être une pratique incontournable pour faciliter la scolarisation inclusive de l’élève à besoins spécifiques, c’est que les écrits scientifiques suggèrent l’efficacité de leur affectation lorsqu’ils soutiennent directement l’élève (Brock et Carter, 2013; Giangreco, 2010). La présence de l’accompagnateur en classe ordinaire conjuguée à l’intensification de ses interventions apparaît ainsi être un mécanisme clé dans la mesure où ces variables permettent à l’apprenant de bénéficier d’un soutien supplémentaire constant susceptible de contribuer au développement de ses différentes compétences (Giangreco, Broer et Edelman, 2001). En effet, de nombreuses raisons sont répertoriées dans les écrits justifiant cette décision d’attribution d’aide individuelle à un élève (voir tableau 1). Parmi les effets pragmatiques de la configuration en dyade, on souligne la prédisposition à la réussite

Effets pragmatiques

Favorise la réussite académique Améliore les expériences d’apprentissage

Accentue la motivation intrinsèque et le niveau d’engagement Développe l’estime de soi

Favorise l’instauration de comportements appropriés

Effets indésirables

Prédispose à la dépendance à l’adulte

Risque de diminution du niveau d’engagement à l’égard de l’enseignant titulaire Accentue la séparation physique avec les pairs dans la classe

Fait obstacle aux interactions avec les pairs Contribue à la stigmatisation sociale

académique, l’amélioration des expériences d’apprentissage et des comportements appropriés, le développement de l’estime de soi et l’accentuation du niveau d’engagement de l’élève (Woolfson et Truswell, 2005). Or, malgré les intentions les plus bienveillantes des pratiques de soutien individuel, les écrits scientifiques des dernières années font ressortir le piège associé à une trop grande prise en charge de l’élève susceptible d’entraver la réussite de la scolarisation inclusive (Giangreco et Broer, 2005; Giangreco, Yuan, McKenzie, Cameroun et Fialka, 2005; Langevin et coll., 2011). Non seulement la proximité de l’accompagnateur tout comme sa présence excessive auprès de l’élève le prédispose à développer une dépendance à l’adulte, mais ces variables peuvent également contribuer à diminuer son niveau d’engagement à l’égard de l’enseignant titulaire (Giangreco et coll., 2001; Langevin et coll., 2011). Par ailleurs, le manque de distance entre l’accompagnateur et l’élève peut alors créer une barrière à la fois physique et symbolique faisant obstacle au développement de relations sociales harmonieuses avec ses pairs (Carter et coll., 2008; Causton-Theoharis et Malmgren, 2005; Giangreco, 2010; Tews et Lupart, 2008;). Si cette proximité excessive découlant de la configuration en dyade accentue la séparation physique entre l’élève et ses pairs, elle inhibe non moins ses possibilités d’interactions avec eux contribuant alors à accentuer le risque qu’il soit victime de stigmatisation sociale (Causton-Theoharis et Malmgren, 2005; Giangreco et coll., 2010; Giangreco, 2003; Hemmingsson et coll., 2003). Dans la mesure où, logiquement, l’idée selon laquelle la réussite scolaire et sociale de l’élève est directement proportionnelle à l’ampleur du soutien direct qui lui est offert, les recherches insistent quant à elles sur la portée de la formation et des qualifications des accompagnateurs en milieu scolaire tout comme des méthodes d’intervention qu’ils privilégient (Angelides et coll., 2009; Hardy, 2004; Symes et Humphrey, 2012).

À la lumière de cette situation à partir de laquelle s’ensuivent certaines préoccupations sous-jacentes à la pratique de l’accompagnement, il apparaît central d’éclairer le défi que représente la scolarisation inclusive des élèves à besoins spécifiques dont font partie ceux manifestant un TSA au regard de la finalité de socialisation que poursuit l’école québécoise (Ministère de l’Éducation du Québec, 2001). Non seulement, les apprentissages sociaux font partie intégrante de la triple mission que tend à viser l’école, mais ils sont également fondamentaux au programme d’éducation préscolaire lequel y associe d’ailleurs une

compétence à développer « Interagir de façon harmonieuse avec les autres » (Ministère de l’Éducation du Québec, 2001, p. 58).

Dans cette optique, la présente étude vise à éclairer les pratiques actuelles en s’intéressant à l’action des TES et à ses effets sur la socialisation d’élèves manifestant un TSA de niveau préscolaire intégrés en classe ordinaire. Certes, en dépit de l’existence de plusieurs études anglo-saxonnes ayant documenté les effets de l’intervention individuelle au regard des diverses sphères de développement des élèves à besoins spécifiques (Alborz et coll., 2009; Angelides et coll., 2009; Cameroun et Fialka, 2005; Causton-Theoaris et Malmgren, 2005; Carter et coll., 2008; Giangreco, 2010; Giangreco, Yuan, McKenzie, Giangreco et Broer, 2005; O’Rourke, Sisco et Pelsue, 2009; Tews et Lupart, 2008; Woolfson et Truswell, 2005) peu d’entre elles se sont intéressées aux enfants manifestant un TSA (Symes et Humphrey, 2012; Simpson, Mundschenk et Heflin, 2011; Symes et Humphrey, 2011). Par exemple, l’étude menée par Symes et Humphrey (2011) visait à explorer dans quelle mesure des élèves manifestant un TSA étaient inclus lors de périodes de leçons en comparaison, d’une part, à des élèves dyslexiques et, d’autre part, à des élèves sans besoins éducatifs spécifiques. Les auteurs ont également cherché à comprendre comment la présence de l’accompagnateur influence le processus d’inclusion/exclusion.

À l’échelle du Québec, seulement quelques études ont étudié la problématique des élèves manifestant un TSA intégrés en classe ordinaire (Paquet, Forget et Giroux, 2009; 2010; Poirier et coll., 2005; Rivard et Forget, 2006). Dans le cadre de leurs travaux, Paquet, Forget et Giroux (2009) se sont intéressés aux comportements des éducateurs intervenant auprès d’élèves manifestant un TSA. Leur recherche a mis en évidence les différentes sphères d’activité caractérisant leur intervention habituelle. Quelques années plus tard, les mêmes auteurs ont mené une autre étude visant, d’une part, à dresser le portrait du niveau d’intégration sociale d’élèves manifestant un TSA scolarisés en classe ordinaire bénéficiant d’un soutien individuel (2010). D’autre part, cette étude visait à explorer les liens entre ce niveau d’intégration sociale et le modèle de service préconisé par les accompagnateurs. Bien que celle-ci se soit intéressée au lien entre le soutien individuel offert à des élèves manifestant un TSA au primaire et leur niveau d’acceptation sociale, aucune n’a, à notre

connaissance, envisagé les effets du soutien individuel sur le développement social d’élèves du préscolaire.

Chapitre 2 : Méthodologie