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Analyse des prédicats idéophoniques serbes

2.29. Emploi de tras

La forme tras est donnée dans les dictionnaires serbes (Rečnik sprskog jezika 2011 : 1307 ; Matica srpska 1976 : 265).

Pour le RSJ, la forme tras est :

« Uzvik kojim se podražava pucanj, pad, lupa. » (RSJ 2011 : 1307) <Une interjection qui désigne un coup de feu, une frappe, une chute. >

Le dictionnaire de SANU apporte presque la même définition de la forme tras : « Uzvik za označavanje šuma od nekog predmeta kad tresne na čvrstu površinu. » (SANU 1976, VI : 265)

<Une interjection pour imiter le bruit d’un objet lorsqu’il tombe contre une surface dure. > La forme tras n’est pas donnée dans les dictionnaires bilingues consultés.

Il faut noter que, comme dans le cas de la forme pljus qui possède deux variantes

pljas et pljes, la langue serbe répertorie à côté de la forme tras, la forme tres. Cette

dernière ne s’emploie guère dans l’usage courant. Cependant, tres se trouve à la base des formes dérivées.

La forme tras est très usitée dans le langage courant serbe comme substantif et comme onomatopée. Les exemples suivants le prouvent :

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315) Lav odluči da ode, pošto vidi da niko ne sme da skoči. Kad, posle 5 minuta čuje se TRAS. Lav dotrča do litice, pogleda dole i vidi medu kako ustaje i briše prašinu sa sebe. (http://goo.gl/BWKGCH, consulté le 12.03.2018)

« Le lion décide de s’en aller car il a vu que personne n’osait sauter. Mais, cinq minutes après, on entend patatras. Le lion court jusqu’à la falaise, regarde en bas et voit l’ours qui se lève et nettoie la poussière de son corps. »

316) Koja je razlika između čoveka koji pada sa 10. i onog koji pada sa 1.sprata ?

Kada pada sa 10.sprata, čuje se Aaaaaaa ! Tras ! A kada pada sa 1.sprata, čuje se TRAS ! – Aaaaaaa ! (http://goo.gl/5J2ehd, consulté le 12.03.2018)

« Quelle est la différence entre un homme qui tombe du 10e étage et celui qui tombe du 1er

étage ?

Quand il tombe du 10e étage, on entend Aaaaaa ! Patatras ! Et quand il tombe du 1er on entend

vlan ! Aaaaa ! »

317) Stariji bračni par seo je na balkon da večera. Jeli su i uživali u pogledu na more. Odjednom se čulo tras ! Propali su skupa s balkonom. (http://goo.gl/pfap1y, consulté le 12.03.2018)

« Un couple de personnes âgées s’était assis sur la terrasse pour diner. Ils ont mangé et ont profité de la vue sur la mer. D’un coup, on entend vlan ! Ils sont tombés avec la terrasse. »

Voyons par la suite la fonction prédicative de tras.

2.29.1. Emploi prédicatif de tras

Tras est aussi fréquent en fonction prédicative. Là, le prédicat tras apparaît dans

les constructions SPO et SPOA. Cela veut dire que syntaxiquement, tras entre aussi bien dans des constructions intransitives (en véhiculant le plus souvent le sens de ‘tomber’) que transitives (en prenant le sens de ‘frapper’).

Voyons d’abord le contexte intransitif dans lequel entre le prédicat tras.

2.29.1.1. Contextes intransitifs

Dans un contexte intransitif, tras se réalise dans une construction SPO et il a deux arguments : un sujet et un adjoint. En fonction d’adjoint, on trouve, comme dans quelques autres prédicats, un seul syntagme na + Accusatif comme dans les exemples qui suivent (na seno « dans le foin », na pod « au sol ») :

318) Dole prolazi traktor i vuče prikolicu sa senom i čovek tras na seno. (http://goo.gl/YCjCGN, consulté le 12.03.2018)

« En bas, un tracteur passe avec une remorque plein de foin et l’homme tombe dans le foin. »

319) Mara tras na pod ! (http://goo.gl/5p5OnK, consulté le 12.03.2018)

« Mara tombe par terre. »

Un être humain tombe par terre. Ce syntagme na + Accusatif peut avoir des noms qui marquent l’aboutissement, désignant une surface horizontale et dure – pod « sol », zemlja

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« terre », ou éventuellement molle – krevet « lit », jastuk « coussin », seno « foin » et quelques autres. La place de sujet peut être prise par un nom désignant aussi bien un humain (318) et (319) qu’un objet (Vaza tras na pod « Le vase tombe par terre »).

Le prédicat idéophonique tras prend le sens de ‘tomber’ : cf. pasti « tomber »,

srušiti se « s’écrouler », stropoštati se « s’effondrer », sručiti se « se renverser par terre »

: Ona tras / padne / se sruši / se stropošta / se sruči na pod « Elle tombe par terre ». Il s’agit d’une chute lourde et bruyante.

2.29.1.2. Contextes transitifs

La forme tras peut également se trouver dans des contextes transitifs où elle est toujours accompagnée d’un complément d’objet direct, exprimé par un nom à l’accusatif, et d’un autre argument, généralement un adjoint. En fonction d’adjoint, on trouve deux syntagmes :

po + Locatif

u + Accusatif

Il s’agit généralement de situations contrôlées où un homme donne un coup directement Ja tras njega po glavi « Je le frappe dans la tête » ou avec un objet On tras

pendrekom policajca « Il frappe le policier avec la matraque ». Il s’agit d’un coup direct,

ponctuel comme nous pouvons l’observer aussi dans l’exemple suivant :

320) Krenem nežno rukom da je (bebu) pomazim po kosi a ona tras mene po prstima ! (https://goo.gl/8wt7tM, consulté le 14.03.2018)

« Je commence à lui faire un câlin avec la main sur les cheveux mais elle me frappe sur les

doigts. »

Dans cet exemple, le complément d’objet désigne une personne mene « moi » qui accuse le coup. L’adjoint po prstima « sur les doigts » précise à quel endroit précis le coup est situé. Le sens prédicatif de tras se rapproche ici du sens de ‘frapper’ : cf. udariti « frapper », lupiti « heurter », opaliti « assener », tresnuti « frapper fort », klepiti « frapper doucement » : Ona tras / udari / lupi / tresne / klepi mene po prstima « Elle me frappe sur les doigts ».

Notons que la place de complément d’objet direct peut être prise par un être humain (320) ainsi que par des noms désignant des animaux (Ja tras žirafu u nogu « Je frappe le girafe au pied ») et des objets (On tras tanjir na pod « Il jette l’assiette par terre »).

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169 D’autre part, avec le syntagme u + Accusatif, on trouve des noms désignant une autre surface, comme zid « mur », semafor « feu de signalisation », drvo « arbre »,

kamion « camion », zgrada « immeuble », etc. Il s’agit d’un contact avec une surface dure

et verticale. L’exemple suivant de notre corpus le démontre aussi :

321) Moj ćale je imao isto iskustvo pre 3-4-5 godina, kamen izleteo iz kamiona i tras u šoferku ! (http://goo.gl/fZe1o2, consulté le 14.03.2018)

« Mon père a vécu la même expérience il y a 3-4-5 ans, une pierre est sortie du camion et boum a

frappé son pare-brise. »

C’est l’objet de la nature kamen « pierre » qui s’envole et frappe contre un autre objet,

šoferka « pare-brise ».

2.29.2. Verbes dérivés

Comme nous l’avons mentionné précédemment, la forme tras ne produit pas directement des formes dérivées. C’est la forme tres qui donne naissance à deux formes :

tresnuti (verbe perfectif) et treskati (verbe imperfectif). Les deux dérivés sont répertoriés

dans le dictionnaire de RSJ (2011 : 1311) et dans le dictionnaire de la langue littéraire moderne serbe (Moskovljević 2000 : 667). Les dictionnaires bilingues répertorient aussi ces deux formes (Jovanović 2007 : 417 ; Grujić 1977 : 602).

Les deux formes, tresnuti et treskati, ont le sémantisme que nous avons observé dans le cas des prédicats idéophoniques tras : ‘tomber’ et ‘frapper’. Les exemples suivants l’illustrent :

322) Nikola Rokvić se okliznuo na snimanju šoua « Tvoje lice zvuči poznato » i svom snagom tresnuo na pod ! (http://goo.gl/w53DAG, consulté le 16.03.2018)

« Nikola Rokvić a glissé lors du tournage de l’émission « Ton visage me semble connu » et il est

tombé violemment par terre. »

323) On je u sredu posle podne zgrabio dete za noge i tresnuo ga desetak puta o sto ! (http://goo.gl/KYXfDP, consulté le 16.03.2018)

« Mercredi après-midi il a attrapé son enfant par les jambes et l’a cogné une dizaine de fois contre la table. »

324) Uhvatio je (monstrum) mačku za zadnje noge i treskao o beton !!! (https://goo.gl/DG6SOE, consulté le 16.03.2018)

« Il (monstre) a saisi le chat par les pattes arrière et l’a frappé contre le béton. »

Les dérivés ont le même sémantisme que le prédicat idéophonique tras : dans la phrase (322) ‘tomber par terre’ et ‘frapper’dans les phrases (323) et (324).

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2.29.3. Fonction adverbiale de tras

Nous avons trouvé quelques exemples dans notre corpus où l’idéophone tras peut avoir une fonction adverbiale. Cependant, dans ces exemples, l’idéophone tras ne se retrouve pas à côté de ses dérivés mais près de verbes sémantiquement proches : udariti « frapper », ce que nous pouvons observer dans l’exemple ci-dessous :

325) Zaleti se tras i udari u zid. (http://goo.gl/fQcJwl, consulté le 17.03.2018)

« Il a pris son élan et boum, il s’est aplati contre le mur. »

Dans cette phrase, l’idéophone tras sert à indiquer l’immédiateté de l’action donnée par le dérivé zaleteti se « prendre de l’élan ». Tras fonctionne comme un adverbe. On observe aussi un autre verbe udariti « frapper » qui présente le résultat de cette action : il s’aplatit contre le mur.

2.29.4. Fonction discursive de tras

L’idéophone tras peut s’employer pour introduire une coupure énonciative ou pour introduire une nouvelle séquence du texte. De ce fait, il assume une fonction discursive comme l’illustre l’exemple suivant de notre corpus :

326) A onda – tras trudnoća – tras ljubimac napolje ! U porodicu stiže jedan novi član (beba) ! (http://goo.gl/2w16RK, consulté le 17.03.2018)

« Et puis – boum la grossesse – boum le bien-aimé dehors ! Un nouveau membre (bébé) arrive dans la famille. »

Dans cette phrase il y a deux occurrences de l’idéophone tras qui introduisent chacune en élément nouveau : d’abord tras trudnoća « grossesse se passe », puis tras ljubimac « bien-aimé arrive ».

2.29.5. Conclusion partielle

La sémantique de la forme tras décrit un grand coup, quelle que soit la façon de le faire : cela peut être une frappe de poing ou encore il peut s’agir d’une chute par terre produisant un son très bruyant.

Les syntagmes qui accompagnent le prédicat tras sont : u + Accusatif,

na + Accusatif et po + Locatif. Le syntagme na + Accusatif ne s’emploie que pour

désigner une chute par terre, un contact avec une surface horizontale. Là, le prédicat tras se réalise dans la construction en SPA. D’autre part, u + Accusatif et po + Locatif s’emploient avec les noms désignant une surface verticale et pour marquer l’aboutissement de l’action présentée par le prédicat tras. La construction est de type

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171 La forme tras a donné des formes dérivées. Le détail important que nous avons mis en évidence, c’est que les formes dérivées sont réalisées de la base de la forme tres (qui peut se trouver aujourd’hui plutôt dans des variantes régionales). Nous avons pu aussi observer d’autres verbes qui s’emploient avec l’idéophone tras. Il s’agit de verbes qui ont le même sémantisme ou un sémantisme très proche de celui du prédicat idéophonique tras. Dans ces constructions, l’idéophone assume la fonction adverbiale.