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Analyse des prédicats idéophoniques serbes

2.22. Emploi de pras

La forme pras est répertoriée dans les dictionnaires serbes (Rečnik srpskog jezika 2011 : 983 ; Matica srpska 1971, IV : 857).

Le RSJ (2011) décrit la forme pras comme :

« Uzvik onomatopejski koji se čuje pri pucnju puške, sudaru i tresku. » (RSJ 2011 : 983) <Une interjection que l’on entend lors d’une fusillade, d’une frappe ou d’un éclatement. >

Les exemples donnés par ce dictionnaire illustrent la fonction onomatopéique et prédicative de la forme pras :

250) Dok kola stala, dok mi čuli pevanku, u tom i puška – pras ! (RSJ 2011 : 983)

« Au moment où la voiture s’arrête, nous entendons la chanson et au même moment un coup de fusil – bang ! »

251) Ja tebi brat ! Tebi brat ! Tebi ! – pa pras posred srijede lobanje ! (Ibid : 983)

« Je suis ton frère ! Ton frère ! Le tien ! – et puis bang au milieu du crâne. »

Le dictionnaire de Matica srpska en six volumes définit de la même manière la forme pras et donne les mêmes exemples (1971, IV : 857).

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143 La forme pras n’a pas d’entrée dans les dictionnaires bilingues. Cependant, on y trouve prasak, le nom masculin qui signifierait « éclatement, fracas, craquement, détonation » (Jovanović 2007 : 285 ; Grujić 1977 : 539).

Lors de la collecte de notre corpus, nous avons aussi observé que la forme pras s’emploie principalement pour désigner un bruit de casse et de destruction. Il peut s’agir d’une explosion, de verre cassé, d’un objet qui se brise. Le prédicat idéphonique est toujours associé par les natifs à l’idée d’éclatement :

252) Pras ! oglasi se eksplozija u daljini. (https://goo.gl/iurfSm, consulté le 19.02.2018)

« Boum ! On entend une explosion au loin. »

253) Kad pras, pras, pucaju stakla. (https://goo.gl/BJqDSJ, consulté le 19.02.2018)

« D’un coup, bing, bing, les verres explosent. »

Voyons maintenant l’emploi prédicatif de pras et les situations dans lesquelles il apparaît.

2.22.1. Emploi prédicatif de pras

Pras est très fréquent en fonction prédicative. Dans cette fonction, le prédicat pras

se réalise dans des constructions intransitives (en véhiculant le plus souvent le sens de ‘tomber’) et transitives (en prenant le sens de ‘frapper’), tout comme quelques autres formes de notre corpus : bum, dum, tras, zviz, etc.

2.22.1.1. Contextes intransitifs

Dans un contexte intransitif, l’idéophone pras est accompagné d’un argument, représentant un adjoint. En position d’adjoint se trouve généralement un seul syntagme

na + Accusatif comme dans l’exemple qui suit (na pod « au sol ») :

254) Stavim ja sliku na zid, okrenem se da pripremim drugu smesu, a ova na zidu pras na pod ! (http://goo.gl/8bYqcr, consulté le 19.02.2018)

« J’accroche un cadre au mur, je me tourne afin de me préparer une autre mixture et celui-ci du mur tombe par terre boum ! »

Comme avec quelques autres formes de notre corpus qui désignent un contact avec une surface horizontale, le syntagme na + Accusatif ne peut contenir que quelques noms qui marquent l’aboutissement de la chute : pod « sol », zemlja « terre » et quelques autres comme beton « béton », asfalt « asphalte », etc. De ce fait, ce prédicat idéophonique se range à côté d’autres prédicats de chute qui ont le sens de ‘tomber’ : cf. pasti « tomber »,

srušiti se na zemlju « s’écrouler par terre ». Il s’agit d’une chute lourde accompagnée

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Il n’existe pas de restrictions particulières quant au sémantisme des noms pouvant se rencontrer en position de sujet. On peut y trouver aussi bien des hommes (Marija pras

na zemlju « Maria tombe par terre ») que des objets slika « cadre » (254).

D’autre part, lorsqu’il s’agit d’une surface verticale, on trouve le syntagme

u + Accusatif et po + Locatif. Cependant, ce fait implique le changement de construction.

Il s’agira de la construction en SPOA, employée dans des contextes transitifs. Nous allons la présenter dans les paragraphes suivants.

2.22.1.2. Contextes transitifs

Comme nous venons de le dire, le prédicat idéophonique pras dans un contexte transitif entre aussi dans des constructions de type SPOA. Là, on a affaire à des situations contrôlées où un homme donne un coup qui peut être direct (frappe) ou latéral (gifle), comme dans le cas des prédicats idéophoniques bam, zviz.

2.22.1.2.1. Pras 1 « Coup direct »

Lorsque pras désigne un coup direct, ponctuel, ce coup se réalise avec le poing (Ona pras Jovana u glavu « Elle frappe Yoan à la tête ») ou avec un instrument (Ona

pras tanjir u zid « Elle brise l’assiette contre le mur »).

Plus rarement, on trouve des contextes dans lesquels l’actant est donné par un nom désignant un objet, comme dans l’exemple ci-dessous (beton « béton ») :

255) Leži Lala na pančevačkom trotoaru, sa čvorugom na glavi i mudruje: « O, što je teško to vino ! Osetim lepo da se ljulja asfalt poda mnom, i još te me đavo nan’o da stanem na kraj... Pretego sam, eto, pa se onaj drugi kraj digo i pras mene po čelenki. » (http://goo.gl/6Ath5l, consulté le 19.02.2018)

« Lala était allongé sur le trottoir de Pancevo, avec une bosse sur la tête. Il réfléchit : « Oh, que c’est dur ce vin ! Je ressentais l’asphalte bouger sous moi, et encore un Diable m’a porté, je voulais m’asseoir plus loin, au bout… J’étais en surpoids, voilà, et le deuxième bout s’est levé et m’a

frappé sur la tête. »

Dans cette phrase, un bout de béton se lève et frappe une personne sur la tête. Le complément d’objet désigne une personne mene « moi » qui accuse le coup. L’adjoint po

čelenki « sur la tête » précise à quel endroit précis le coup est porté. Notons que la place

de complément d’objet direct peut être prise par un nom renvoyant à un être humain (255) ou à un animal (On pras životinju u glavu « Il frappe l’animal à la tête »), mais également à un objet (Eva pras flašu u zid « Eva brise une bouteille contre le mur »).

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145 L’adjoint est en général marqué par l’un des deux syntagmes po + Accusatif (255) et u + Accusatif (256) :

256) To znači da si ga slabo udario. Uzmi veću vreću, onda dobro zamahni i pras u tvrdu podlogu ! (http://goo.gl/7Yc8LH, consulté le 19.02.2018)

« Cela veut dire que tu l’as frappé faiblement. Prends un plus grand sac, puis tu le lances fort et le

cogne sur une surface dure. »

Il s’agit d’une situation où une personne lance un objet et le frappe contre quelque chose. Dans la phrase ci-dessus (256), le coup est porté u tvrdu podlogu « sur une surface dure ». Là, quelques noms peuvent se trouver en position d’adjoint comme kontejner « container », kamion « camion », zid « mur » et d’autres.

Le prédicat idéophonique pljus se classe parmi les prédicats d’action dirigée sur un objet et prend le sens de ‘frapper’, ‘cogner’, ‘heurter’ : cf. udariti « frapper », lupiti « heurter », opaliti « asséner un coup », tresnuti « frapper fort », zabiti se « cogner » :

Ona pras / udari / lupi / opali / tresnu / se zabi u zid « Elle cogne contre le mur ». Il s’agit d’un

coup lourd et bruyant.

2.22.1.2.2. Pras 2 « Coup latéral »

La forme pras peut également désigner un coup latéral. On l’emploie dans des contextes où l’on parle d’une gifle, d’uncoup volontaire et fort :

257) Ova pras šamar, on poludi ! (https://goo.gl/VPoGta, consulté le 19.02.2018)

« Elle lui donne une gifle, lui il s’affole ! »

C’est une construction lexicalisée, pras šamar « gifler », comme dans le cas des formes

bam, bum et pljus où le lexème šamar « gifle » s’attache à l’idéophone. Ces formations

ont un équivalent verba dans ošamariti « gifler ». Cette construction trivalente se rapproche du sens de ‘donner une gifle’ et fonctionne comme d’autres verbes du même paradigme : cf. udariti, opaliti, lupiti, odalamiti, puknuti šamar : Ja njemu

pras / udarim / opalim / lupim / odalamim / puknem šamar « Je lui donne une gifle ».

2.22.2. Verbes dérivés

Deux formes dérivées à partir de pras sont répertoriées dans les dictionnaires serbes : prasnuti (verbe perfectif) et praskati (verbe imperfectif). Les deux gardent le même sémantisme que la forme pras (bruit de casse et de destruction) :

258) A onda, najednom, prasnulo je iznad moje glave. (http://goo.gl/Jw05iG, consulté le 19.02.2018)

« Et d’un coup, quelque chose a explosé au-dessus de ma tête. »

259) Praskalo je i gruvalo, larma i policijske sirene. (https://goo.gl/ACwlH3, consulté le 19.02.2018) « Ça éclatait et explosait, un vacarme et les sirènes de police partout. »

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Il convient de mentionner quelques exemples trouvés lors de la collecte de notre corpus, et où le verbe prasnuti peut avoir un sens figuré :

260) Pa, jebote, šta ti radiš u životu ? prasnulo je niotkuda Lidijino pitanje. (https://goo.gl/MqFyC8, consulté le 19.02.2018)

« Putain, que fais-tu dans ta vie alors ? – a explosé à brûle-pourpoint la question de Lidia. » Le verbe prasnuti s’emploie ici pour signifier que les paroles sont prononcées d’une manière inattendue. Ce sens est intéressant puisqu’il s’associe, par le biais de la métaphore, le coup porté par une arme et les paroles prononcées brusquement, ou même un éclat de rire, des larmes, une explosion de jalousie ou de colère. On trouve un exemple :

261) Ceo razred je prasnuo u smeh. (http://goo.gl/s0npPY, consulté le 19.02.2018)

« Toute la classe a éclaté de rire. »

À côté de cette expression prasnuti u smeh, le dictionnaire de Matica srpska en donne aussi deux autres : prasnuti u plač « fondre en larmes » et prasnuti od jedi « exploser de jalousie ».

Enfin, ce dictionnaire relève un autre sens de prasnuti qui est ‘piquer une crise de colère’ :

262) Naravi je bio onako… blage, ali za čas prasne, pa onda lupi čime dohvati. (MS 1971, IV : 857)

« Son caractère était plutôt bon. Mais d’un coup, il explose et frappe avec le premier objet qu’il a sous la main. »

On voit le caractère d’une personne qui s’énerve et explose rapidement. Le verbe perfectif prasnuti est employé pour désigner cette situation.

2.22.3. Fonction adverbiale de pras

Nous n’avons pas trouvé d’exemples dans lesquels l’idéophone pras peut fonctionner comme adverbe. Cependant, cet emploi nous semble possible :

263) Pade vaza pras na pod ! (https://goo.gl/9rwMuE, consulté le 19.02.2018)

« Le vase tombe crac par terre. »

Il s’agit d’une chute soudaine, présentée par le verbe à l’aoriste pade « tomber ». L’idéophone pras démontre aussi que la chute à terre se fait d’un coup, soudainement, de façon inattendue. Pras se comporte ici comme un adverbe.

2.22.4. Conclusion partielle

Comme quelques autres prédicats précédemment observés, pras s’emploie pour désigner l’action de frapper et de tomber. De ce fait, le prédicat pras se classe parmi les prédicats d’action dirigée sur un objet et se réalise dans les constructions transitives de

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147 type SPA ainsi que parmi les prédicats de chute se réalisant dans les constructions intransitives SPOA. Les syntagmes qui accompagnent le prédicat pras sont :

na + Accusatif qui s’emploie avec les noms désignant une surface horizontale, et u + Accusatif et po + Locatif avec une surface verticale.

La forme pras a ses formes dérivées. Les formes dérivées gardent en général la sémantique de la forme pras mais peuvent aussi avoir d’autres sens figurés (‘éclater de rire’, ‘se fondre en larmes’, etc.). Nous avons pu aussi observer d’autres verbes qui s’emploient avec l’idéophone pras. Il s’agit de verbes qui ont un sémantisme très proche de celle du prédicat idéophonique pras. Dans ces constructions, l’idéophone assume la fonction adverbiale.