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Il est encore quelques éléments essentiels au portrait du personnage de J.-M. Le Pen tel qu‟il est dessiné dans les médias, et qui sont liés, de près ou de loin, à son origine sociale et au parcours effectué depuis cette origine. Le président du FN est d‟origine modeste, régulièrement rappelée notamment via les dénominations du type « le fils de marin », ce qui en fait une exception parmi la gent politique issue de la haute bourgeoisie libérale. Sa position peut être attribuée au « mérite », par opposition à la « naissance » qui déterminerait la position des autres candidats. Cette naissance, et la façon qu‟il a de la mettre en avant, détermine chez lui une série de qualités qui lui confèrent apparemment une proximité avec le « peuple » à laquelle ne peuvent prétendre les autres candidats en raison de leur origine sociale privilégiée. Il est visible que J.-M. Le Pen incarne, en regard de l‟écart entre cette origine et la place qu‟il occupe maintenant dans

1 Le Figaro, 12/04, art. 2. 2 Le Figaro, 13-14/04, art. 3. 3 Libération, 18/04, art. 11.

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le paysage politique, une forme d‟ambition et surtout de réussite sociale sur laquelle on peut projeter bien des rêves.

Dès lors le candidat du FN possède à la fois des caractéristiques populaires, qui peuvent le faire reconnaître par le « peuple » comme étant « des leurs », et des caractéristiques acquises, propres à la position politique qu‟il a fini par occuper, ce qui le fait apparaître comme supérieur à ce peuple. Il peut dès lors être regardé « comme moi et en même temps quelque chose de plus que moi »1, réalisant en quelque sorte le trait d‟union entre le peuple et l‟élite. La simplicité de ses goûts, son humour populaire, son esprit gaulois et son côté « grande gueule » peuvent aisément susciter l‟identification, alors que la notoriété et la compétence politique qu‟il a acquises constituent un possible support de projection. Cette dualité se reflète parfaitement dans l‟usage qu‟il fait du langage : ses paroles oscillent perpétuellement entre une extrême vulgarité et un style particulièrement châtié, révélant à la fois une compétence et une authenticité qui contraste résolument avec l‟image des autres « énarques ».

Le langage particulier de J.-M. Le Pen, si souvent remarqué, passe aisément pour l‟arme du faible, renforçant le contraste que le candidat du FN entretient avec le reste de la classe politique : « Je me rends bien compte que j‟ai un lance-pierres et que mes adversaires ont des pistolets-mitrailleurs », affirme-t-il dans Le Monde du 11 avril (art. 2). Par la dénonciation perpétuelle qu‟il fait des élites, J.-M. Le Pen amène à identifier le rejet dont il est l‟objet à un mépris né de la différence de classe sociale entre lui et les autres. Si bien que des électeurs de petite condition peuvent facilement se retrouver dans l‟injustice dont il est apparemment victime, en regard de leur histoire personnelle. De là peut naître le désir de défendre le « paria de la politique », car à travers lui c‟est l‟injustice de classe que l‟on combat, c‟est le mépris des élites que l‟on rejette, c‟est l‟imaginaire de la réussite sociale que l‟on défend, donc l‟égalité par delà les déterminations de la « naissance ». Vu sous cet angle, le parcours biographique médiatisé de J.-M. Le Pen constitue un véritable « programme électoral incorporé », selon le terme de Jacques Le Bohec2.

On ne peut enfin caractériser le personnage sans mentionner le rôle de l‟humour dans l‟adhésion que Jean-Marie Le Pen peut susciter. L‟article de Simone Bonnafous, « L‟arme de la dérision chez J.-M. Le Pen »3, est particulièrement éclairant à ce sujet. Elle note le grand potentiel de séduction qui réside dans une verve « très drôle » même si elle est agressive, exprimée à travers ce qu‟elle nomme les « figures de l‟agression » (cf. notamment les citations rapportées à propos de B. Mégret), qui permettent au candidat du FN de convaincre sans argumenter, et de ridiculiser ses adversaires de façon très efficace, entraînant la complicité « de gré ou de force » de son public. L‟usage de la dérision, caractérisée selon l‟auteur par une

1 Ce phénomène s‟apparente au processus de projection/identification constitutif du mythe des stars, c‟est-à-dire au processus de

starification qu‟analysait Edgar Morin. Edgar Morin, Les stars, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1972.

2

J. Le Bohec, Sociologie du phénomène Le Pen, op. cit.

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« association de l‟humour et de l‟agression qui […] la distingue en principe de la pure injure »1, constitue pour J.-M. Le Pen un argument de distinction décisif dans un contexte où le discours politique s‟est vu très policé par le durcissement des lois en matière de diffamation notamment.

« On en serait ainsi arrivé aujourd‟hui à cette situation paradoxale où d‟un côté les textes de loi et la formation des hommes politiques auraient poli et policé leur discours et où de l‟autre, le média télévisuel, par sa dimension émotionnelle et spectaculaire, valoriserait les prestations exubérantes et tonitruantes mêlant dérision et agression, pour la plus grande joie des téléspectateurs habitués à ces registres par le reste de la grille »2.

Ce que Simone Bonnafous note à propos du média télévisuel se vérifie, nous l‟avons vu, également en presse écrite qui suit volontiers le mouvement imprimé par la télévision en matière de divertissement et de spectaculaire, plutôt que de faire valoir sa spécificité. Et les propos de Le Pen contrastent d‟autant mieux, dans les journaux, aussi bien avec la « langue de bois » des citations politiques qu‟avec le langage de l‟ « objectivité » journalistique. L‟auteur note également que l‟ironie apparaît comme l‟instrument du faible contre le fort, renforçant ce que nous avons dit de la dualité du candidat du FN aussi bien que son autovictimisation : « paria de la politique et victime d‟un vaste complot médiatique, Le Pen aurait ainsi choisi l‟arme des faibles et des contestataires, celle du bouffon du roi, du contre-pouvoir, de Gavroche »3

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3. Conclusions