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dont les langages, que nous utilisons pour

Dans le document Balises pour l’alphabétisation populaire (Page 82-88)

donner sens à la réalité

MÉDIATION

Comme le synthétise Étienne Bourgeois, le processus d’apprentissage est essentielle- ment traversé par trois dimensions indissociables et en étroites interactions :

Tout apprentissage met en jeu un travail cognitif de mobilisation et de transfor- mation de nos manières d’interpréter et d’agir.

Tout apprentissage suppose un engagement du sujet. On n’apprend que ce qui

nous touche ou nous accroche : importance de l’émotion, du désir, de l’engage- ment, de l’imaginaire dans l’acte d’apprendre.

Enfin, l’apprentissage est une activité essentiellement sociale qui relie le sujet à autrui, à un groupe social, une culture, une société. Les objets désignés sociale-

ment comme objets d’apprentissages sont en réalité toujours des outils culturels, produits et utilisés par un groupe social, et dont la maitrise conditionne dès lors la place et le pouvoir que peut prendre le sujet dans ce groupe social.

« Apprendre, sur le plan personnel, c’est comprendre. Dans sa dimension sociale, c’est acquérir

des compétences collectives pour participer à un projet de la Cité. » André Giordan

Autonomie

Dans une perspective d’éducation populaire, l’autonomie c’est « pouvoir créer et recréer le

monde, penser et repenser, agir et réagir en liberté, en étant véritablement un ‘être’ humain ».

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L’autonomie, c’est aussi refuser de dépendre du regard et des attentes des autres.

Mais le but n’est pas de vivre en vase clos en marge de la société. C’est l’équilibre entre autonomie (le gouvernement par soi-même) et hétéronomie (le gouvernement par une loi extérieure). Les hommes sont nécessairement dépendants. L’autonomie appelle la solidarité.

D’un point de vue collectif, l’autonomie d’un groupe c’est sa capacité à agir, à décider, à mener des actions collectives. En démocratie, « c’est nous qui sommes responsables ». Nous ne nous référons plus à une autorité absolue.

Citoyenneté

La citoyenneté concerne le lien politique de l’individu à la société, la place qu’il occupe dans le travail que la société fait sur elle-même pour progresser vers la démocratie. La citoyenneté peut être envisagée du point de vue :

du statut juridique : la nationalité ;

du statut social : être reconnu par les autres comme citoyen à part entière ; des valeurs morales : actuellement, valorisation des attitudes actives et producti-

vistes qui tendent à devenir de véritables devoirs ; des conditions de l’expérience citoyenne :

accès à la reconnaissance sociale, indispensable pour se sentir impliqué dans le projet collectif ;

accès au pouvoir social, pour avoir la possibilité d’agir sur le monde qui l’entoure ; de l’identité, quand le lien à la Cité est fondateur de l‘identité (qui suis-je ? = je suis

de…).

L’éducation populaire n’envisage pas la citoyenneté comme synonyme de respect des droits et des devoirs ou comme un processus d’intériorisation des valeurs, des normes et des manières de voir dominantes. Elle envisage la citoyenneté principalement du point de vue des conditions de l’expérience citoyenne : l’accès à la reconnaissance et au pou- voir social d’agir.

Développer la participation et l’action citoyennes pour l’amélioration de la société est un des enjeux de l’alphabétisation populaire.

Ce qui ne signifie bien sûr pas que les autres dimensions de la citoyenneté sont absentes. Ainsi, la question de l’obtention de la nationalité est aujourd’hui devenue une question d’alphabétisation.

Conflit

La « transformation des rapports sociaux permettant de sortir des rapports dominants-domi-

nés et de toutes les formes d’oppressions et d’exclusion » ne peut se faire sans conflits.

Mettre en œuvre la démocratie ne va pas de soi. Elle implique des manières de penser, de sentir et d’agir, soit une « culture » favorable. Liberté, égalité, autonomie et solidarité ne vont pas sans conflits (situations ou deux individus ou deux groupes s’opposent sur une opinion, une croyance, une proposition d’action, etc.) ni incertitudes.

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En démocratie, les conflits peuvent être nombreux puisque les options de vie sont plus ouvertes, que chacun peut les exprimer librement et qu’on exclut qu’ils se résolvent par la violence. Ils demandent donc une véritable discipline de délibération et de débat, qui passe par de nombreux apprentissages, dont ceux de la prise de parole, de l’argumentation… L’ouverture des normes et l’acceptation des conflits sont deux sources d’incertitude, sans compter les difficultés à comprendre et affronter le monde d’aujourd’hui et ses crises économiques, climatiques, écologiques, énergétiques, alimentaires, politiques,… Savoir affronter l’incertitude est l’un des savoirs de base défini par Edgar Morin. Apprendre à l’affronter, un des enjeux éducatifs d’aujourd’hui.

Le conflit est également au cœur de l’éducation et de l’apprentissage. Conflit de loyauté par rapport à son groupe d’appartenance. Conflit sociocognitif au cœur de la construc- tion des savoirs.

Travailler l’objet du conflit pour dégager le problème à traiter permet le débat d’idées. Il oblige à mettre en mots, à raisonner, à argumenter, à se décentrer, à entendre le point de vue de l’autre. Il enrichit et complexifie les visions des choses de chacun.

Conscientisation

Le Regroupement des Groupes Populaires en Alphabétisation du Québec définit la conscientisation comme « une prise de conscience collective des différentes réalités de la

société, le développement d’une analyse critique et politique, le passage à l’action dans un objectif de transformation sociale ».

Le terme «  conscientisation  » fait référence aux apports de Paulo Freire pour qui la conscientisation est une prise de conscience critique du monde et des rapports que l’on a avec lui.

C’est ouvrir notre conscience à la réalité pour comprendre le monde et les mécanismes d’oppression et d’exclusion mis à l’œuvre de façon sournoise ; comprendre le rôle idéolo- gique des médias et autres dans cette acceptation de la réalité. Premier pas pour pouvoir agir, ce mot permet d’ouvrir les portes, de voir que nous sommes capables de tracer d’autres chemins que ceux qu’on nous fait croire immuables et bons pour tous. Une conscience critique est une conscience capable de comprendre la réalité environnante et de se situer dans ce contexte de façon lucide et créatrice, pour transformer cette réalité. Il ne peut y avoir de conscientisation hors de l’action transformatrice des hommes sur la réalité sociale. C’est un processus, basé sur la problématisation et le dialogue « par lequel

les individus prennent le rôle de sujets dans l’aventure précaire qui est celle de transformer et recréer le monde ». C’est ensemble que l’on se conscientise.

La conscientisation ne signifie d’aucune sorte transmettre une idéologie ou proposer des mots d’ordre. Si la conscientisation ouvre le chemin à l’expression d’insatisfactions sociales c’est parce que celles-ci sont composantes réelles d’une situation d’oppression.

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Culture

La culture, comme la définit Marina Mirkes, c’est « la représentation du monde que chacun

d’entre nous a dans sa tête. » Cette représentation est fabriquée et véhiculée par la socié-

té elle-même, dans la famille, à l’école, dans les médias,…

C’est « la boite à outils que nous utilisons pour donner sens à la réalité », comme l’exprime Jérôme Bruner.

Les savoirs, dont les langages, sont des outils culturels.

Emilia Ferreiro rappelle que « l’écrit n’existe que dans la culture : l’écrit est une réalisation

culturelle qui se manifeste sur des surfaces qui sont à leur tour des objets culturels porteurs de noms précis : livre, journal, enveloppe, cahier, agenda, calendrier,… sans oublier les écrans, en particulier les écrans d’ordinateurs. Les instruments qui produisent ces marques (crayon, pinceau, clavier,…) sont également des objets culturels. Les activités de lecture et d’écriture s’inscrivent, elles aussi, dans des réseaux de relations entre des membres d’une culture. (…). »

Il en est de même pour le langage oral et les mathématiques.

Pour l’alphabétisation populaire, alphabétiser sera dès lors soutenir un processus de par- ticipation authentique dans une « culture » donnée. Ce qui implique d’en acquérir la « boite à outils ». L’éducation et l’alphabétisation sont des processus culturels.

Ce qui n’enlève pas leur dimension politique. Ainsi, l’enseignement et l’alphabétisation, en imposant « la boite à outils » des dominants, ont largement contribué à appauvrir la diversité culturelle. Ils ont notamment joué un rôle important dans la disparition de lan- gues ainsi que dans la disparition de savoirs ancestraux. Jean-Paul Hautecoeur a mis en évidence que l’alphabétisation travaille peu les questions de plurilinguisme, travaille peu les échanges réciproques de savoirs, connait mal les savoirs de base des apprenants ainsi que la façon dont ils sont transmis et appris,… Le choix de la langue d’alphabétisation, dont celle d’alphabétiser en français des populations dont ce n’est pas la langue parlée, a également des dimensions politiques et culturelles qui se discutent.

L’alphabétisation a également une dimension culturelle lorsque l’on entend le mot culture au sens restreint de pratiques artistiques.

Dans ce cadre, Lire et Écrire a pour objectifs, selon les priorités de ses thématiques d’action : d’amener chacun à de nouvelles découvertes et participations culturelles ;

d’amener chacun à l’expression et à la création ;

de valoriser les productions des apprenants dans différents espaces culturels « reconnus ».

L’éducation populaire distingue la démocratisation de la culture de la démocratie culturelle. La démocratisation de la culture a pour visée de permettre à tous de rencontrer des

« œuvres » produites par des « artistes » estampillés, que le peuple se doit de connaitre et d’admirer pour être reconnu comme « cultivé ». Rappelons qu’à l’origine le mot illettré est synonyme d’inculte.

La démocratie culturelle, c’est encourager toutes et tous à « œuvrer ». Il est moins ques-

tion d’amener les gens à « la culture » que de reconnaitre et soutenir les pratiques de créations et d’expression de tous. L’éducation populaire ne vise pas une appropriation cumulative d’œuvres, de patrimoine ou de savoirs contrairement aux approches éduca- tives « bancaires » dénoncées par Paulo Freire. Elle vise la démocratie culturelle.

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Pour l’éducation populaire, la culture se caractérise par des styles de vies, des langages et des discours, des œuvres valorisées, mais aussi par les techniques et rapports de pro- duction présents dans la structure économique de la société et par ses fonctions sociales

de reproduction ou de transformation des rapports sociaux.

Hervé Adami propose le classement suivant des composants de la «  boite à outils  » culture, somme concrète de ces différents éléments qui ne sont pas figés mais en pro- cessus permanent de déconstruction et de reconstruction :

La culture est une forme d’organisation économique et sociale : économie d’échanges, de dons, de troc, capitalisme, collectivisme, etc.

La culture est un ensemble de relations et de rapports sociaux : parenté, organisa- tions politiques, institutions, classes sociales, système de propriété, rapports entre les sexes, etc.

La culture, ce sont des savoir-faire et des pratiques : outillage, médication, tech- niques agricoles, de construction, rites, gestion du temps et de l’espace,…

La culture est un système symbolique : religions, représentations collectives, codes de conduites en tous genres (sexuels, de l’honneur,…), tabous, etc.

Comme le souligne Hervé Adami, l’utilisation de la notion de culture, quand elle n’est pas définie, ce qui est le plus fréquent, renvoie très souvent de façon implicite à l’origine nationale, ethnique ou religieuse. Or ces éléments, outre leur caractère « raciste », ne surdéterminent pas tout le fait « culturel », qui de plus n’est pas immuable ni figé. De plus, en focalisant sur les « différences culturelles » des uns et des autres, on occulte d’autres différences qui traversent tous les « groupes culturels » : différences socioéconomiques, différences sexuelles, de niveau scolaire, individuelles,… Or, en formation d’adultes, ce sont ces différences, liées à l’origine sociale et au niveau de scolarité, qui constituent les véritables clivages entre les apprenants.

Il importe aussi d’être attentif à certaines dérives de l’usage du concept de culture, relevées par Muriel Berbesson et Claudine Coquelle. Vus de l’extérieur, les autres nous paraissent très homogènes et nous remarquons plus les ressemblances entre les manières de penser, de sentir et d’agir que la réelle diversité. Réduire l’autre à une affiliation culturelle risque de l’enfermer dans une appartenance en oubliant la singularité individuelle et l’humanité commune. On peut alors en venir à utiliser le vocabulaire de la culture comme on utilisait naguère celui de race ou d’ethnie. Les discours racistes aujourd’hui ne font plus beaucoup référence à la race mais beaucoup à la culture. Il ne s’agit cependant pas, au nom de la tolérance, de refuser de condamner des pratiques non respectueuses des principes démo- cratiques et des droits humains. Il ne s’agit pas non plus d’occulter les inégalités sociales et économiques. D’une part, ces inégalités traversent les groupes culturels, d’autre part les relations entre cultures sont fortement marquées par la domination. Les différences culturelles incluent les inégalités sociales, économiques et culturelles : les différences qui opposent les riches aux pauvres, les dominants au dominés, les moins scolarisés aux plus scolarisés,...

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Ces quatre principes (liberté, égalité, autonomie, solidarité) constituent les quatre axes du gouvernail proposé par Majo Hansotte dans le cadre de la méthode du « Juste et de l’injuste » qui met en œuvre la théorie des intelligences citoyennes :

La liberté : l’affirmation du droit de chacun de conduire librement sa vie comme

il l’entend, de faire ses propres choix de vie, de penser par soi-même. D’avoir la capacité de décider, de choisir et d’agir. À la seule condition qu’il ne fasse pas obs- tacle à la liberté des autres. La liberté implique dès lors le nécessaire respect des règles démocratiques et l’arbitrage des préférences personnelles ou collectives par ces 4 principes, garants de la liberté et de l’égalité de tous.

L’égalité : l’affirmation selon laquelle tous les êtres humains, sans aucune excep-

tion, ont la même valeur fondamentale, la même aspiration et les mêmes capacités à exercer leur liberté. S’il existe des inégalités concrètes et si l’on peut discuter si elles sont justes ou injustes, en aucun cas cela ne doit remettre en cause la dignité égale de tous, le respect égal auquel chacun a droit. L’égalité radicale des sujets parlant est au fondement du droit démocratique.

L’autonomie : au sens défini ci-dessus, l’autonomie d’un groupe. D’un « Nous

acteurs responsables de notre devenir commun » capables de créer et recréer le monde, penser et repenser, agir et réagir.

La solidarité : qui renvoie à la fraternité et à l’égalité. La solidarité est le pont entre

liberté, égalité et autonomie, soutenant leur articulation.

Pour que les principes de la démocratie se traduisent réellement dans les faits, il ne suffit pas de les proclamer. Il faut que chacun ait les moyens d’affirmer sa dignité et d’exercer sa liberté. Pour cela, il faut que le droit et l’accès aux « biens de base » soient effectifs. Les biens de base sont ceux dont l’absence porte atteinte à l’intégrité de la personne humaine. Ce sont des biens matériels tels que le logement, la sécurité, un revenu minimum, la santé, mais aussi des biens immatériels relevant de l’identité, de la culture, de l’alphabétisation, des savoirs qui permettent de comprendre, réfléchir et agir le monde. Ces ressources sont importantes pour avoir la capacité de participer et d’exercer ses droits.

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C’est pourquoi les thématiques d’actions de Lire et Écrire sont basées sur l’accès aux droits politiques, aux droits sociaux, aux droits culturels, dont le droit au savoir : accès à l’information et à la connaissance.

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