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Comment assurer la dimension éthique ?

Dans le document Balises pour l’alphabétisation populaire (Page 142-146)

« Il n’est pas motivé », « Elle ne participe pas assez », « Il manque de régularité », « Elle est tout le temps en retard ». Ces commentaires évaluatifs qui portent sur des comportements de

personnes en formation font porter l’attention sur la nécessaire dimension éthique des paroles ou actes des évaluateurs et force à se demander : en disant cela, en posant ce regard, quels intérêts suis-je en train de servir ? Sur quelles valeurs suis-je en train de m’appuyer ? Que produisent mes actes, mes propos chez l’autre ?

Luis E. Gomez rappelle que «  L’éthique (…) se réfère aux rapports entre l’individu et le

social, entre le souci de soi, le souci d’autrui et le souci de l’ensemble de la communauté ».

Lorsque l’on évalue en alphabétisation populaire, penser sa relation à l’autre dans un rapport éthique va imposer un cadre de valeurs démocratiques, la construction d’un pouvoir partagé, la création de conditions d’une coresponsabilité entre participants et formateurs, tous acteurs d’évaluation.

L’évaluation porte sur des objets, des situations et non des personnes. L’autre n’est pas un objet d’évaluation.

Évaluer la motivation, la ponctualité, etc. d’une personne sans prendre en compte le contexte dans lequel la personne agit c’est-à-dire sans analyser l’organisation, le fonc- tionnement et les relations au sein d’un groupe, d’une entreprise, d’un système écono- mique ne permet pas une mise en perspective ni une confrontation de points de vue. Une évaluation décontextualisée débouche sur les risques de « sur-attribution » soit au contexte soit aux individus en fonction des enjeux et des positions de chacun. Dans le cas d’une « sur-attribution » aux individus, comme dans l’affirmation « il n’est pas motivé », cela se transforme en une atteinte à l’intégrité de l’individu. Car l’on postule non seule- ment que seule la personne est responsable de sa situation mais aussi qu’elle seule, simple

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Expliquer les écarts entre ce qui est fait (le retard par exemple) et ce qui est souhaité (être à l’heure ou que tous soient là en même temps), par des mécanismes psycholo- giques voire biologiques transforme l’autre en objet. Aussi, il s’agit d’une procédure de contrôle par rapport à une norme et non d’une évaluation.

La mise en explication de l’autre, même si bienveillante, enlève à l’apprenant à la fois son statut de sujet parce qu’on saisit des insuffisances qui l’habiteraient (il n’est pas assez motivé, pas assez ceci ou cela) et son statut d’acteur de changement en l’excluant du processus réflexif (on ne l’inclut pas dans l’acte d’évaluation, on parle sur et non avec). On passe d’une évaluation d’une situation à une évaluation de la personne, d’un message à l’autre à un message sur l’autre.

Des grilles comprenant des items comme « être à l’écoute », « prendre sa place dans le groupe », « ponctualité », « assiduité », « motivation » ne sont pas des grilles d’évaluation. Qui peut définir, sans contexte ni situation, ce qu’est être à l’écoute, être assidu, avoir sa place dans le groupe ?

Le cadre éthique de l’évaluation empêche d’évaluer des comportements. Il garantit

que le jugement ne dépend pas de l’arbitraire des formateurs (qualité de relation avec eux, normes et préjugés implicites des formateurs) et qu’on évalue l’apprentissage et non la personne. Que peut apporter à un apprenant le fait qu’on le considère comme « pas assez motivé » ? En quoi ce jugement va l’aider dans son parcours de formation ? Qu’est-ce que se montrer « motivé » ? Il doit davantage sourire, parler, écrire pour faire plaisir aux formateurs ? L’évaluation décontextualisée et portée sur les individus et leurs manques est d’autant plus dangereuse qu’elle peut mener les personnes les plus fragi- lisées à une éternelle souffrance de n’être que soi, à un sentiment d’impuissance, à une perte d’estime de soi. Évaluateur(s) et évalué(s) doivent se reconnaitre comme sujets de l’évaluation. L’évaluation doit les éclairer, donner du sens à la formation et donc les encourager à poursuivre les apprentissages en continuant sur le même chemin ou en le modifiant, évaluateurs et évalués ont un rôle à jouer sur ce chemin. Celui du formateur

est de garantir le cadre éthique de l’évaluation tout comme de rendre explicites auprès des apprenants les objectifs visés, les référentiels, les critères, les modalités d’évaluation. Comme le précise Charles Hadji : « L’évaluation ainsi pensée et construite, fonctionnerait

sur trois principes respectant la personne. Elle serait ‘compréhensive’, c’est-à-dire capable d’interpréter la situation mesurée, ‘conscientisante’, c’est-à-dire fournissant des repères éclairant le participant au lieu de le tancer et ‘formatrice’, c’est-à-dire préoccupée de donner les outils de la réussite. »

1.3 Une définition de l’évaluation

Ancrée dans les enjeux de l’alphabétisation populaire, traversée par la question éthique, l’évaluation consiste essentiellement à recueillir de l’information, à poser un jugement sur cette information et à prendre une décision à la lumière des jugements que l’on a portés. Recueillir de l’information, poser un jugement et prendre une décision sont des actions complexes qui impliquent de se questionner sur :

les valeurs de référence : selon quels critères, quelles normes, quelles valeurs

recueillir de l’information et poser des jugements ?

les acteurs et leurs rôles : qui va recueillir les informations et poser les jugements ? les buts de l’évaluation : pour quoi faire ? Pour prendre quelles décisions ?

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1.3.1 La ou les valeurs de référence

L’évaluation, comme tout acte pédagogique n’est jamais neutre. Le terme « évaluation » signifie faire référence à une valeur, déterminer une valeur ou des valeurs auxquelles on va se référer. L’étymologie du mot fait ressortir l’évolution du sens avec l’apparition au fil de l’histoire de deux conceptions de l’évaluation : « fixer le prix, la valeur de quelque chose » mais aussi « déterminer approximativement par une appréciation la valeur de quelque chose ». Ces définitions mettent en avant la tension entre une vision standardi- sée du monde « fixer » et une vision mettant en avant ses singularités « apprécier ». L’évaluation quel que soit le secteur (du monde du travail, de l’économie, de la politique, des médias, en passant par l’école et la formation) peut être placée sur deux plans à distinguer :

celui où l’on valorise les chiffres exacts, les statistiques, les notes, les résultats

avec une orientation objectiviste/quantitative qui vise la récolte d’éléments de pilotage ou de contrôle face à des normes extérieures préétablies ;

celui où l’on valorise les processus et les effets avec une orientation subjectiviste/

qualitative qui vise à mettre en avant les significations propres et particulières, les singularités.

Le plan sur lequel l’évaluation est posée déterminera les modes, les formes et les outils d’évaluation.

1.3.2 Les buts de l’évaluation – Pour quoi faire ? Pour

prendre quelles décisions ?

Entrer dans un processus d‘évaluation est considérer que le sens d’une action est toujours en partie ouvert ; le chemin et ce vers quoi on tend peuvent se moduler, changer. L’éva- luation est ce qui ouvre le débat pour optimaliser l’action : elle fait se poser des questions sur les stratégies mises en place, le comment, et fait vérifier les buts poursuivis. Elle per- met d’établir un diagnostic sur où en est le processus et donc d’observer, d’analyser une réalité. Elle a lieu tout au long de l’action, chaque fois qu’elle est nécessaire et seulement si elle est nécessaire. Elle est chaque fois singulière et porte ses significations propres et particulières.

L’évaluation a pour but d’apporter les informations nécessaires qui vont soutenir un processus de régulation ou de certification ou d’orientation de l’action.

1.3.3 Les objets de l’évaluation

En alphabétisation, l’évaluation peut porter sur la qualité de l’action de l’association (dont le processus d’un projet, le processus d’apprentissage) et/ou sur les effets de l’action, d’une formation, d’un projet (dont les compétences et les savoirs développés par les apprenants).

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1.3.5 Les rapports de pouvoir

Pour s’assurer qu’il s’agit d’une évaluation et non d’une procédure de contrôle, il est nécessaire de questionner les rapports de pouvoir entre les différents acteurs. Par l’acte d’évaluation, donne-t-on du pouvoir aux participants aux formations ? S’agit-il d’une auto-évaluation où évaluateur et évalué sont les mêmes ou d’une coévaluation dans laquelle évaluateur et évalué ont leur mot à dire ? Autrement dit, évalue-t-on bien avec ? Si l’évaluateur prend seul les décisions, décide pour l’évalué et lui retire donc du pouvoir, il ne s’agira pas d’évaluation mais de contrôle.

1.3.6 Évaluation individuelle ou collective

La dimension individuelle ou collective peut être considérée sous différents angles :

l’évaluation porte-t-elle sur le travail d’un individu ou d’un groupe ?

l’évaluation relève-t-elle d’une co-responsabilité ? Qui sont les acteurs impliqués ?

Un apprenant, un groupe, un formateur, une équipe de formateurs, une institu- tion,… ?

1.4 Des processus d’évaluation par les différents

acteurs

Les associations évaluent leurs actions. Elles analysent la qualité et les impacts de leurs

actions dans le but d’en réajuster l’organisation, les méthodes employées pour en amé- liorer la qualité. Elles peuvent ainsi analyser si les actions sont en adéquation avec leurs missions et ainsi, le cas échéant, réajuster leurs actions. L’analyse de la qualité de l’action peut servir de support à une justification à destination de certains pouvoirs subsidiants.

Les formateurs évaluent la qualité et les effets des projets, les méthodes utilisées, les

effets de la formation dans la vie des apprenants, les compétences et savoirs développés par les apprenants. Ce peut être dans le but de soutenir les actions de formation et de situer les compétences et savoirs des apprenants en rapport avec leurs projets.

Les apprenants évaluent les projets, leur projet, leurs apprentissages, leurs compétences

et savoirs, la qualité de la formation, de sorte à avoir une vision de ce qu’ils apprennent, ce qu’ils veulent apprendre, de comment ils apprennent et ainsi de pouvoir agir dessus.

L’évaluation remplit sa fonction de soutien si l’évaluateur ne parle pas « sur » l’évalué mais « avec » l’évalué. L’évaluation devient ainsi un outil au service de tous les acteurs de l’action, de la formation. Elle est ce qui permet à l’association, au formateur et à l’apprenant d’avoir communément une compréhension et une maitrise des processus en train de se dérouler.

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2 SOUTENIR LES APPRENTISSAGES –

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