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Émancipation/libération

Dans le document Balises pour l’alphabétisation populaire (Page 88-90)

Le Petit Larousse définit l’émancipation comme « l’action de s’affranchir d’un lien, d’une

entrave, d’un état de dépendance, d’une domination, d’un préjugé ».

Pour Christian Maurel, l’émancipation c’est « le fait, pour une personne singulière, de sortir

de la place qui lui a été assignée et ainsi de subvertir, aussi peu que ce soit, les rapports sociaux qui la déterminent. »

« L’émancipation est le pouvoir d’augmenter son emprise sur son environnement économique,

social et culturel, et si possible pouvoir agir pour transformer cet environnement ». Autre-

ment dit, c’est la possibilité de sortir d’une domination, comme l’exprime Francis Tilman. L’émancipation est libératrice. Sa construction implique de se libérer des situations contraires à la dignité humaine. Elle commence par une prise de conscience des injus- tices subies en lien avec des rapports de dominations, que ceux-ci soient structurels (patriarcat, racisme, capitalisme,…) ou propres à chaque groupe (l’ancienneté, l’exper- tise,…). Les dominations liées au sexe, à l’origine ethnique et au milieu socioéconomique s’ancrent dans les fondamentaux de notre société. Elles reposent sur des socles solides constitués par les discours, les violences, les droits et le travail. Les inégalités culturelles, dont les situations d’analphabétisme et d’illettrisme, reposent sur ces mêmes socles et entrainent également des rapports de domination structurels, ancrées dans la société. L’émancipation agit pour le temps présent, elle n’est pas une longue marche vers une terre promise, mais vers l’élargissement et l’institution de libertés, ici, maintenant. Il s’agit de combiner actions concrètes et changement de regard, actes significatifs puis- sants mobilisateurs et construction patiente d’inédits viables ou de possibles non expéri-

mentés chers à Paulo Freire.

C’est un processus à la fois personnel et collectif. Il s’agit, selon Majo Hansotte, de « permettre concrètement à des groupes de reconstruire des rapports offensifs, à travers des

interactions fortes entre les expériences vécues comme injustes ou comme réussies et les apprentissages qui en découlent. À partir de là, on peut rechercher comment modifier son rapport au pouvoir subi : retrouver le pouvoir personnel de dire, de refuser ou d’entreprendre une action, soit le ‹ pouvoir de ›. Mais aussi retrouver l’intelligence collective du ‹ pouvoir avec › : le pouvoir collectif d’entreprendre un combat, une action. Enfin affirmer le pouvoir intérieur, celui qui touche à l’équilibre personnel, à l’estime de soi, à un rapport positif et intime aux émotions ».

Le « pouvoir avec » renvoie à la mise en œuvre des valeurs de solidarité et à leur traduc- tion dans la vie d’un collectif. Il s’agit ici de la capacité de créer un « nous » se percevant

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Participation

La participation démocratique représente un enjeu majeur tant pour la démocratie que pour l’alphabétisation populaire.

La charte de Lire et Écrire précise que « l’alphabétisation ne peut se développer ni sans

action collective de transformation sociale, visant à prévenir et combattre les inégalités dans le but de construire une société plus juste et équitable, plus solidaire et démocratique, ni sans les personnes analphabètes, qui doivent être au cœur de cette lutte ».

La participation s’analyse du point de vue de l’offre de participation. Les activités que

nous organisons permettent-elles la participation ? Où, dans quelles circonstances, avec qui, à quels niveaux ?

Adeline de Lépinay identifie au moins cinq niveaux de participation. Tous peuvent être légitimes, selon les circonstances. Ils demandent d’être honnête avec soi-même et avec les autres sur le niveau de pouvoir que l’on accepte de transférer, afin de ne pas être dans la manipulation et de ne pas créer de l’impuissance :

L’indifférence : L’action existe, indépendamment de ses participants.

L’information : Les participants reçoivent une information. Même s’ils posent des

questions ou font des remarques, le but n’est pas de récolter leur point de vue, mais de leur transmettre une information.

La consultation : On demande aux participants leur avis sur des questions peu

stratégiques. Leur avis est pris en compte, mais la décision ne leur appartient pas.

La concertation, la négociation : On souhaite créer un débat autour d’une ques-

tion. Le but est de travailler ensemble à la création de propositions, de négocier des compromis. Mais la décision in fine n’appartient pas aux participants.

La codécision : Personne n’a plus de pouvoir que les autres pour prendre la déci-

sion. Il faut arriver ensemble à une décision commune.

La participation s’analyse également du point de vue du processus de participation.

Un processus participatif peut s’évaluer à l’aide de critères qui renvoient à différents concepts, utiles quelle que soit l’action à évaluer, définis par Antoine Vergne :

L’inclusion : Qui participe ? Participation égale de tous ? Capacité du processus à

offrir un rôle intéressant aux participants ? Degré de pouvoir qui leur est dévolu ?

La pertinence : À quoi sert la participation ? Quels sont ses effets ? Le processus

et les moyens choisis sont-ils en adéquation avec les objectifs ?

La délibération : Comment se déroule le processus aboutissant à une prise de

décision ? (Qui n’est pas nécessairement une décision d’action mais peut être par exemple la définition commune d’un concept.)

L’équité : Comment sont traités les participants ?

Le processus est-il transparent ? Les participants ont-ils les informations ?

Le processus est-il réflexif ? Encourage-t-il l’émergence d’une démarche

ascendante plutôt que descendante ? Évaluation par les participants ? Le processus permet-il aux participants de développer leur pouvoir d’agir ?

Augmente-t-il leur capacité à transformer les situations ?

La notion de coconstruction, fréquemment utilisée, sert à mettre en valeur l’implication

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action. La coconstruction implique de clarifier le processus de prise de décision et sup- pose des modes d’engagement des acteurs sensiblement plus forts que ceux qui sont associés à la concertation ou à la consultation.

La participation s’analyse aussi du point de vue des acteurs.

Qu’est-ce que les participants souhaitent ? Qu’est-ce qu’ils connaissent ? Comment surmonter les tensions entre la participation et les biographies des différents acteurs, dont les biographies de dépendance de certains ? La culture de la participation est une culture souvent très verbale, les personnes en situation d’analphabétisme ont-ils les mots ? Qu’est-ce qui est mis en œuvre pour permettre à tous d’acquérir des outils de participation ? Une recherche menée auprès de groupes populaires en alphabétisation montre que les pratiques démocratiques mises en place dans les groupes correspondent plus à l’univers symbolique des animateurs qu’à celui des apprenants et favorisent le point de vue des formateurs, ce qui a pour effet de restreindre le pouvoir des apprenants. Comment modifier cette situation ?

La participation devient alors la question de comment apprendre à agir avec, à penser

et décider avec, c’est-à-dire à être ensemble et à construire ensemble. Une espériance

formidable, comme l’écrit Noël Van Aerschot.

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