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Le contexte et les limites de l’ingénierie financière islamique I.Défis de la finance islamique

Section IV. Le piège de l’ingénierie financière islamique : La dérive42

Parag 1. Le contexte et les limites de l’ingénierie financière islamique I.Défis de la finance islamique

Certes, la finance islamique est en droit d’espérer de beaux jours à venir, mais cela reste tributaire, inéluctablement, de sa capacité à relever certains défis stratégiques :

Tout d’abord, la solidité des performances affichées par les banques islamiques durant ces dernières années, relèvent plus de l’euphorie du marché pétrolier qui est appelé à connaitre tôt ou tard de probables fluctuations. De même, cette solidité trouve également ses explications dans le soutien systémique des gouvernements de leur pays.

42 Khalil Labniouri (2012), L’innovation en ingénierie financière islamique, Revue scientifique du Centre de Recherches Juridiques Economiques et Sociales, Université Mohamed V Rabat.

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Figure 19 : Gestion Asset/Liabilities

Pérenniser à long terme ces performances sera un véritable défi pour les IFI, surtout en dehors de leur marché domestique et seront ainsi amenées à faire face à une compétitivité réelle, loin de tout effet d’éviction d’ordre politique ou religieux.

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Figure 20 : Trajectoire de croissance de la finance islamique

Sur le même chapitre, les banques islamiques, sont contraintes à moderniser leur mode de gouvernance et leurs outils de gestion Actif-Passif (ALM) dans le but d’assurer une pérennité à LT. Selon Moody’s : « Les IFI sont confrontés à trois difficultés : l’enchevêtrement des risques au sein de leurs portefeuilles d’actifs, l’inadaptation de leur gestion actif-passif et l’absence d’une structure de gouvernance attentive aux risques extra-financiers. Toutefois, le recours combiné de la titrisation et des produits dérivés offre aux IFI de réelles perspectives de réduction de leurs expositions au risque, leur permettant par voie de conséquence d’améliorer leur capacité de répondre en temps et en heure à leurs échéances.45»

En effet, une réelle ouverture sur les marchés de capitaux serait un pré requis et une nécessité de premier ordre, afin d’optimiser leur mécanismes de gestion de risque de marché et de

43 Anouar Hassoune, Introduction to Islamic Capital Market.

44 Finance Islamique, Présentation cabinet Hassoune Conseils, Octobre 2012

liquidité. Pourtant ces risques pourraient considérablement être atténués par le recours aux produits structurés innovants, conçus à cette fin. En revanche ne pas prendre en compte ces difficultés entravera systématiquement la croissance dont les Institutions financières islamiques ont vitalement besoin pour concurrencer les géants internationaux que sont HSBC, UBS ou Citigroup.

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Figure 21 : Les raisons de l’essor des banques islamiques

Or, cette modernisation s’affronte à un sérieux obstacle, dur à franchir : c’est l’indépendance, la compétence technico-financière des Comités Fiqhiques et Sharia Board et leur ouverture sur leur environnement.

Cependant et eu égard à la carence manifeste en capital humain qualifié et à double compétence financière et Shariatique (Fiqh Al Muamalat et Ousoul Al Fiqh), la recherche et développement reste très timide. L’innovation butte fréquemment sur la faible maitrise financière des Scholars, eux-mêmes freinés dans leur élan par la faible actualisation de la jurisprudence, datant de plusieurs siècles et souffrant foncièrement d’une incohérence structurelle, objet de controverses perpétuelles entre les disciples des quatre écoles de pensée.

Les contraintes de l’innovation financière islamique

Le besoin de renforcement de la technicité financière des Scholars, s’élucide essentiellement à travers leur faible prédisposition d’assimiler la réelle distinction entre couverture et spéculation et ensuite à travers leurs divisions d’opinion quant à la spécification exacte des aspects actuels du Gharar (incertitude ou asymétrie des risques) et du Mayssir (spéculation) et leur dimension dans l’usage des outils financiers modernes. « Tandis que les experts contemporains ont expliqué en détail la manière dont les éléments de Gharar ont été comprimés en raison des évolutions de la réglementation et des contrôles instaurés sur les marchés financiers 47».

46 Finance Islamique, Présentation cabinet Hassoune Conseils, Octobre 2012

Au demeurant, la profonde incohérence et l’hétérogénéité des avis des jurisconsultes, ont suffisamment de quoi décourager les initiatives d’innovation par les critiques omniprésentes des instances de référence. A ce sujet, n’oubliant surtout pas qu’en 2006, par exemple, Mr

Mohamed Taki Usmani, Secrétaire Général de l’AAOIFI a déclaré que 85 % des Sukuk sur le

marché sont non conformes à la Shari’a ! Ce qui a donné un grand coup de froid aussi bien à la confiance des clients, qu’aux ardeurs d’innovation des ingénieurs financiers islamiques, malgré la rétraction, ou plutôt les précisions explicatives, donné à postériori par cet organisme sous

formes de recommandations Shari’a Compliant.

Autre défi majeur de l’innovation en finance islamique, C’est de basculer d’une gamme de produits Sharia Compliant, fruit d’une ingénierie purement réplicative, à une véritable création d’une toute nouvelle gamme de produits Shari’a based, dans un esprit de novation tout à fait propre et autonome. Cela passe inéluctablement par la capacité des ingénieurs financiers islamiques de se détacher du modèle conventionnel et créer leurs propres instruments en puisant

dans l’immensité du Fiqh Muamalat, plutôt que de répliquer et remodeler l’offre

conventionnelle selon les principes du droit commercial islamique.

A vrai dire c’est très tentant de succomber à la séduction des instruments de l’ingénierie financière conventionnelle, compte tenu de sa richesse et de son recul. Réciproquement à l’histoire de l’avènement de l’islam, il n’y avait pas principalement d’innovations par rapport aux contrats commerciaux déjà existants mais plutôt de simples règles de restrictions de leur usage, en tout respect du principe de base des Oussoul Fiqh : « L’origine par défaut des choses étant la licéité, tant qu’il n’y a pas de texte explicite stipulant son illicéité ».

Apports « saints » de l’ingénierie financière conventionnelle

Certes, l’ingénierie financière conventionnelle est usuellement critiquée au lendemain de chaque nouvelle crise financière, eu égard à la nocivité de l’usage, outre mesure, des produits dérivés et leur impact sur la génération de bulles spéculatives et sur l’accélération des effets de contagion. Mais en réalité, c’est dans le mauvais usage de ces outils où réside le problème et non pas dans leur concept en soi même, qui justement a pour finalité de minimiser le risque marché des investisseurs et institutions financières et renforcer leur efficience et leur compétitivité, quand ils sont bien évidement utilisés à bon escient. Chose qui peut tout simplement faire objet des compressions réglementaires idoines.

Contrairement à ce qu’avancent nombre d’observateurs y compris le quasi majorité des jurisconsultes musulmans, les récentes crises financières ne sont pas imputées uniquement à l’utilisation spéculative de ces mêmes produits dérivés complexes. En réalité, ces crises sont le résultat de la combinaison de plusieurs facteurs, notamment les insuffisances des mécanismes de gestion et de quantification des risques. La bulle spéculative touchant l’industrie des dérivés et née d’un phénomène d’imitation et de packaging à l’infini, dans lequel les banques conventionnelles se sont exposées à des risques excessifs, très largement supérieurs à leurs engagements nominaux, conférant ainsi à leur bilans le schéma d’une pyramide inversée. Certes, ces crises ont contraint les banques conventionnelles à revoir leur modèle de gestion de risque et doser de manière plus rationnelle l’usage des produits dérivés, mais sans pour autant stopper l’innovation y afférente, compte tenu de leurs apports incontournables en matière de gestion des risques.

En effet, les Futures par exemple ont pour but de réduire les risques d’incertitude, en fixant prix et quantité à T+1. Les options quant à elles donnent la possibilité de décider plus tard, de la réalisation ou non d’une transaction, confortant ainsi l’investisseur dans ces choix de positionnement. Enfin les Swaps offrent la possibilité d’échanger des positions de risques à différentes maturité et/ou en différentes devises, évitant ainsi aux opérateurs de courir un risque démesuré en matière de liquidité ou de change.

Or, l’adaptation de ces outils aux principes de base de la Shari’a se heurte à une différence structurelle entre la conception de la gestion du risque en finance conventionnelle et celle de la finance islamique.

Différence des Conceptions de gestion des risques des 2 écoles

L’application des techniques modernes de l’ingénierie financière conventionnelle, n’est pas directement adaptée à l’usage des banques islamiques car, la finance conventionnelle cherche foncièrement à : séparer le risque de l’actif sous-jacent, alors que la finance islamique s’efforce à intégrer le risque à l’activité réelle et le partager équitablement entre les parties prenantes d’un contrat parfaitement équilibré, où le gain de l’un n’est pas basé sur la perte de l’autre48.

Champs d’application possibles de l’ingénierie financière islamique

Par le biais de structuration de produits sophistiqués adaptés aux préceptes de la sharia, on peut envisager d’intéressants mécanismes de couverture et d’arbitrage en matière de gestion de risque de marché et de gestion bilancielle (ALM) des institutions financières islamiques visant à optimiser le rendement, à travers l’efficience des prix et assurer la liquidité tout en réalisant des gains sur les variations des risques. Ce qui est de même à permettre un niveau de rentabilité et de stabilité conformes aux attentes des investisseurs et réconforter la clientèle bénéficiaires de ce rendement dans son choix de sa banque islamique.

En définitif, l’usage de l’ingénierie financière islamique n’est pas un luxe, duquel peut s’en passer les institutions financières, mais plutôt une nécessité vitale pour assurer la pérennité de leurs performances financières en milieu concurrentiel.

L’affirmation de cette jeune industrie financière islamique entant que niche viable à LT, passe donc inéluctablement par l’optimisation des modes de gouvernance et des mécanismes de gestion de risque modernes et évolués.

D’un autre côté, l’exploitation de cette modernisation entant qu’important atout marketing, sera capitale pour drainer de nouveaux entrants rompus à l’offre conventionnelle et à la richesse de sa palette de produits.

Offrir à la clientèle des solutions financières islamiques complètes « One-Stop-Shop », est le gage d’assurer aux banques islamiques un développement de portefeuilles commerciaux conséquents, aujourd’hui toujours servis en banques conventionnelles.

Cependant et à travers des Shari’a Board, qui se doivent d’être compétents et autonomes, les banques islamiques doivent impérativement observer une extrême rigueur dans le respect du droit commercial islamique, afin de ne jamais se priver de leur qualité socio-éthique et de leur statut distinctif associé aux fondamentaux religieux et qui attirent une part croissante et

considérable de clients musulmans. C’est la raison pour laquelle une nouvelle phase d’innovation semble s’imposer à cette jeune industrie.

Problématique majeure de l’ingénierie financière islamique

Une ingénierie financière, moderne, créative et conforme à la Shari’a, pourra elle constituer un levier stratégique de développement du système financier islamique, à travers l’innovation d’instruments structurés, plus sophistiqués de gestion d’actif-passif (ALM), gestion dynamique d’actif (Hedge Fund et titrisation), gestion indicielle, gestion de liquidité (produits monétaires), et couverture du risque de marché (produits dérivés).

L’émergence d’une telle offre compète, différenciée et compétitive, dans un esprit Shariatique

tout à fait novatrice et autonome, serait-elle un indispensable prérequis, pour accroitre l’efficience, la solidité et la compétitive des banques islamiques et asseoir et animer de véritables marchés de capitaux islamiques, propices à l’attraction de nouveaux investisseurs et organismes financiers, assurant ainsi une croissance conséquente des actifs investisseurs et organismes financiers, assurant 0ainsi une croissance conséquente des actifs islamique sous gestion?

Figure 22 : Développement du Système Financier Islamique

II. Les limites de l’ingénierie financière islamique

A. Forte pénalisation par la non utilisation des produits dérivés

Selon Anouar Hassoune, responsable de notation des banques islamiques : « les capacités des

IFI en matière de contrôle des risques sont limitées en raison de faiblesses qualitatives dans des domaines tels que la gouvernance et la quantification des risques, elles-mêmes reflétées par une gestion d’actif-passif encore largement perfectible, des portefeuilles d’investissements concentrés et des contraintes structurelles en matière de management de la liquidité. Malgré

des bilans très liquides, les IFI ont toujours eu des difficultés à opérer une gestion actif-passif dynamique et efficiente. Ces difficultés sont exacerbées par le manque d’instruments alternatifs. La minimisation des risques inhérents aux transactions financières, passe par la création de différents produits et instruments de couverture, susceptibles en retour de favoriser l’innovation nécessaire dans le champs des produits structurés49».

En effet la modernisation et l’efficience de la gestion actif-passif des Banques Islamiques est tributaire de l’emploi d’instruments structurés innovants, répondant aux besoins cruciaux de ces jeunes institutions à relever de grands défis de gouvernance et de gestion bilancielle.

B. Concentration des portefeuilles de financement

La majorité des instruments islamiques similaires aux produits dérivés, utilisés exclusivement pour des fins de couverture de risque de liquidité et/ou des risques de marchés, impliquent des transactions parallèles, des actifs tangibles et des tierces parties, ce qui limitent tant leur récurrence que leur flexibilité et par voie de conséquence, réduisent consécutivement la marge

de manœuvre des Risk Manager.

Les dérivés conformes à la loi islamique sont en effet très rares. C’est ce qui explique la concentration des portefeuilles de financement sur des solutions à courtes échéance autorisant un processus de re-tarification par le biais d’instruments tels que Ijara ou Musharaka, généralement re-tarifiées trimestriellement et qui se comporte comme des prêts à taux de profit variable.50

C. Expositions des financements à maturité prolongée face à des refinancements CT

Compte tenu de leur business model, les IFI s’exposent de plus en plus à des financements à LT. Alors que leur profil de refinancement est souvent très court. En conséquence et outre les mécanismes de re-tarification périodiques capables de protéger les marges d’intermédiation, il serait également indispensable que les banques islamiques puissent faire face à ces défis de disparité grandissante des échéances actif-passif. L’Asset Liability Management passera dès lors probablement par un recours accru à des produits dérivés et/ou à des techniques de titrisation Shari’a Compliant.

D. Limite des solutions à Moyen et Long Terme

Malgré l’apparition de certaines évolutions sur le segment des échéances moyennes et longues par le biais des Sukuk, ce marché reste étroit et illiquide, dont la taille se chiffre à peine à 280 Milliards $. Ces sources de financement, certes en rapide croissance, ne représentent en fait qu’une infime part des bilans des IFI, compte tenu de l’absence d’un marché secondaire favorisant les possibilités de refinancement y afférents.

E. Disparité des échéances des flux attendus actif-passif

Les banques islamiques détiennent simultanément un portefeuille d’actifs à revenu fixe et un autre générant des taux de profit variable. A ce titre elles sont confrontées au défi d’identification, d’évaluation et de contrôle de risques issus des flux attendus d’actif et de passif

49Anouar Hassoune (Avril 2010), commentaire Moody’s : Finance islamique, état des lieux de l’innovation.

en fonction de leurs échéances. Ces aspects de risques sont inhérents aux Bilans des IFI à cause de leur recours, comme source de financement, aux Comptes de Partage des Profits et des Pertes, CPPP et qui engendrent des rendements à priori volatils.

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Figure 23 : la banque islamique : une intermédiation spécifique

F. Limites des techniques de couverture par les réserves

Contrairement aux banques conventionnelles qui ont recours aux instruments de Swap, les IFI et dans l’objectif de minimiser l’impact de la fluctuation des taux de profit, ne peuvent s’appuyer actuellement que sur le lissage des rendements sur CPPP au moyen des Réserves de péréquation des profits (PER) et des Réserves pour risque d’investissement (IRR).

Or, la limite de cette démarche réside dans la difficulté grandissante de surveillance permanente et de normalisation des taux de profit surtout sur un cycle long, comparativement aux dépôts conventionnels, en prévention du Risque Commercial Déplacé (RCD).

G. Contrainte de prévention du Risque Commercial Déplacé RCD

Dans le cas où le rendement des CPPP ou PSIA (Profit Sharing Investment Account) est inférieur aux attentes des clients, le risque de retrait massif des fonds en direction de banques conventionnelles plus compétitives, reste omniprésent.

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Figure 24 : Gestion du Risque Commercial Déplacé

Cette situation risque d’affecter sérieusement la liquidité d’une banque islamique, voire même sa solvabilité. Face à cette contrainte les IFI recourent fréquemment et simplement à des ajustements, voire des indexations aux taux LIBOR à 6 mois, entant que benchmark.

Figure 25 : Lignes métier de la finance islamique

Parag 2.Les dérives de la gestion des actifs financiers islamiques