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Cité de la gastronomie Paris-Rungis, incarnation d’une nouvelle culture alimentaire ?

2.1. La cité de la gastronomie Paris-Rungis vient concrétiser le Grand Paris et son attractivité

2.1.3. Cité de la gastronomie Paris-Rungis, incarnation d’une nouvelle culture alimentaire ?

2.1.3.1. Un trésor alimentaire et culturel en perpétuel renouvellement

D’abord simple marché en 1137 sur le lieu-dit des Champeaux (situé extra muros, à l’endroit d’anciens marécages), halles en bois et centre d’échanges prospère en 1183, puis “Louvre du peuple” avec un réseau unifié de marchés couverts, la vie marchande au cœur des Halles est millénaire et n’a cessé de se transformer au fil des siècles . Jusqu’au début 120

des années 1970, où les Halles disparaissent, victimes de l'encombrement et du manque d'hygiène… pour se retrouver à Rungis (Val-De-Marne).

Pour Antoine d'Agostino , la mémoire des Halles de Paris, le déménagement du cœur de 121

Paris à Rungis a été un tournant : "On est passé de Zola au troisième millénaire". Modernisation, mise aux normes d'hygiène et de sécurité alimentaire, le site n'a plus rien à voir avec les halles parisiennes immortalisées par Doisneau. Ce dernier écrira : “Paris perd son ventre et un peu de son esprit. Je pense à l’homme à la dérive, il accostait aux Halles, un peu de chance, il y a trouvait de quoi vivre ; un peu de chance encore, il était adopté” .122

Compétitivité, productivité, diversification, qualité… et le supplément d’âme ? Lieu

d’échanges et d’approvisionnements, autrefois incarnées par les “Pavillons Baltard” , les 123

Halles étaient le symbole, le cœur d’un quartier, le lieu où se matérialisaient la mixité sociale et l’appartenance à la métropole parisienne.

C’était le temps du marché aux légumes, des camions de viandes et de poissons, des cafés et des casse-croûtes à toute heure, de la sortie des théâtres qui mêlaient comédiens et travailleurs du marché et de la fameuse soupe à l’oignon gratinée traditionnelle à l’aube. Pour retracer son histoire, il existe des milliers de documents (photographies, dessins,

Appel à projet lancé en juin 2015, par le Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et des Forêts, le Ministère de

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l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, et le Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie. Source site Web : http://agriculture.gouv.fr/alimentation-fonctionnelle-et-sur-mesure

Socio-anthropologue de l’alimentation, chargé de recherche CNRS (Iris, Paris)

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Science des relations entre le génome et l’alimentation (interactions sur la manière dont les individus ou les populations

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réagissent à l’alimentation, sur leurs prédispositions à développer certaines maladies)

Littéralement “au-dessus de la génétique” (par-dessus les gènes quelque chose se passe, transmissible et qui fait partie

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de l’héritage de l’individu)

Histoire par l’image, Denoel, “Les Halles de Paris à travers l’histoire”, https://www.histoire-image.org/fr/etudes/halles-

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paris-travers-histoire

AFP, “Gastronomie: Antoine d'Agostino, mémoire des Halles de Paris”, L’Express, novembre 2012

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Le destin des Halles de Paris, Robert Doisneau et les Halles, Webdocumentaire de France Télévisions, Kien Productions et

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INA. https://www.robert-doisneau.com/fr/robert-doisneau/textes-et-interviews/doisneau-halles-webdocumentaire.htm Construits entre 1850 et 1870 dans une alliance de fer et de verre.

gravures...) et des textes de grands écrivains, comme Le Ventre de Paris d’Emile Zola ou La Vie secrète des Halles de Paris de Philippe Mellot .124

Les Halles de Paris vues par le photographe Thomas McAvoy pour le magazine LIFE en 1956

Aujourd’hui, le savoir marchand se perd-il ?

En 2010, Paris ne compte plus que onze marchés couverts municipaux. Concurrence des grandes surfaces, déprolétarisés, les marchés répondent aujourd’hui à l'hédonisme (la balade du dimanche matin), au besoin de “consommer de la nature”, au développement de la sociabilité de quartier et à la démonstration du savoir acheter de la clientèle.

De son côté, le Marché International de Rungis est le plus grand marché de produits frais au monde. Un milliard d’euros va être engagé pour rénover et opérer des changements 125

entre 2016 et 2025 sur les 243 hectares du marché d’intérêt national (MIN) de Rungis, en parallèle des projets d’exportation du modèle du MIN à l’international, en particulier à Dubaï. Mais, pour autant, il doit demeurer un espace public en partage et favoriser la fréquentation et des usages d’une intensité et d’une diversité exceptionnelles.

Stéphane Layani, Président-directeur général de la Semmaris , est fier d’approvisionner 126

de nombreux chefs étoilés mais il souhaite également que le Marché de Rungis rende la gastronomie abordable et accessible au plus grand nombre : “je veux créer au sein du Marché une véritable Avenue de la Gastronomie . Une Avenue de la Gastronomie dans la 127

prolongation stratégique et physique du Marché de Rungis avec une perspective sur la future Cité de la Gastronomie”.

Un brin élitiste tout de même. Une “Avenue de la Gastronomie” comme l’Avenue des Champs-Elysées, autrefois plantée de blé et d’avoine, puis bordée d’ormes et de larges contre-allées où il faisait bon habiter, se balader et se montrer, aujourd’hui vitrine des plus grandes marques de luxe internationales, inaccessibles pour le plus grand nombre ?

L’inauguration de la Halle Bio “en grande pompe” en mai 2016 semble s’adresser davantage aux consommateurs et à une certaine tranche d’électorat, qu’aux producteurs Philippe Mellot est l'auteur de nombreux ouvrages consacrés aux rues du vieux Paris à travers la photographie, entre

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autres La Vie secrète de Montmartre, La Vie secrète du Quartier Latin, Paris Disparu et Paris au temps des fiacres, une somme documentaire considérable et palpitante sur la vie quotidienne des Parisiens aux XIXe et XXe siècles.

Rapport Direction régionale et interdépartementale de l’équipement et de l’aménagement (DRIEA) d’Île-de-France, La

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progression du Grand Paris : bilan d’avancement des mesures en date du 31 décembre 2015, http://www.driea.ile-de- france.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/2015-12-31_La_progression_du_Grand_Paris.pdf

Créée en 1965, la Semmaris est la Société gestionnaire du Marché International de Rungis, ayant comme missions

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principales l’aménagement, l’exploitation, la commercialisation et la promotion des infrastructures du Marché de Rungis. Source site Web : http://www.rungisinternational.com

Communiqué de presse du 4 novembre 2013, pour l’inauguration sur le Marché de Rungis du nouveau bâtiment F5C dédié

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ou à la chaine agroalimentaire. Entre la volonté de la Semmaris de “changer l’image de

Rungis” et ce “geste politique”, les enjeux en présence semblent bien plus industriels, commerciaux et financiers, que culturels, sociaux et sociétaux.

François Hollande, Président de la République, Ségolène Royal, Ministre de l’Environnement, Stéphane Le Foll, Ministre de l’Agriculture, lors de l’inauguration officielle de la "Halle bio" de Rungis, le 9 mai 2016 Francis Chevrier, directeur de l'Institut européen d'histoire et des cultures de l'alimentation (IEHCA), dans son livre “Notre gastronomie est une culture”, développe l’idée que la gastronomie n'est pas limitée "aux produits de luxe et aux additions salées", mais, “en raison du partage qu'elle implique, constitue une culture très populaire”.

En 2008 déjà, le chercheur Didier Chabrol , soulevait la question dans son article sur 128 129

l’économie de l’alimentation : “La nourriture est-elle une marchandise comme les autres ?”. Un avis repris et étoffé par Julia Csergo dans son dernier ouvrage “La gastronomie est-130

elle une marchandise culturelle comme une autre  ?”, qui invite à penser la gastronomie comme une culture commune et non pas comme “un art du luxe et de la haute cuisine” . 131

Pour cette historienne des pratiques sociales et culturelles, la gastronomie est avant tout

une culture populaire : “on a inscrit à l’Unesco un patrimoine qui appartient au peuple

entier, et on est en train de le lui confisquer.”

Selon elle, “les cités de la gastronomie sont en train de s’ériger sur le modèle “Aéroports de Paris”  : valorisation de marques pour les touristes et construction de grands complexes hôteliers. On reste dans la logique industrie du luxe, qui doit exister, mais certainement pas au détriment d’un maillage de dimension sociale et culturelle, essentiel pour le développement de nos territoires.” Elle prône donc “une politique publique qui intègrerait la gastronomie dans l’action du ministère de la Culture, et la reconnaîtrait comme un domaine culturel.”

Chercheur en sciences sociales au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le

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développement à Montpellier), vice-président de Slow Food France et président du Comité international de l'Arche du Goût, qui recense et inventorie dans le monde entier des produits alimentaires menacés.

Chabrol,“Manger, un acte culturel”, Revue Projet, novembre 2008, source site Web : http://www.revue-projet.com/articles/

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2008-6-manger-un-acte-culturel/

Professeur à l’université du Québec à Montréal, maître de conférences en histoire contemporaine, spécialiste des cultures

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alimentaires et de l'histoire culturelle du monde contemporain et Docteur en sociologie. Julia Csergo travaille depuis plusieurs années sur les patrimoines immatériels, sur les cultures alimentaires, sur la gastronomie et ses valorisations culturelles et touristiques. Elle a été responsable scientifique de la candidature de la gastronomie française au patrimoine culturel immatériel de l'Unesco.

Csergo, “La gastronomie est-elle une marchandise culturelle comme une autre ?” Éditions Menu Fretin, 2016

2.1.3.2. Une fonction urbaine et sociale, à la fois populaire et résolument moderne Repenser la ville est devenu un enjeu pour les métropoles de demain. En marge de la cité de la gastronomie de Lyon par exemple, acteurs privés et publics souhaitent innover pour bâtir une ville intelligente au service du citoyen, et faire en sorte que les habitants des

quartiers prioritaires de l'agglomération lyonnaise aient accès, malgré la barrière de l'argent, à des aliments de qualité, issus de l'agriculture biologique ou équitable. Un projet qui vise à favoriser la cohésion sociale en suscitant et renforçant des espaces de socialisation, et qui fait écho au projet VRAC . Pour son fondateur, Boris Tavernier, il faut "construire avec les 132

gens, faire en sorte qu'ils deviennent acteurs du territoire".

La cité, source d’inclusion

L’exemple du Mucem à Marseille est frappant : au carrefour entre le quartier historique et le futur quartier Euro Méditerranée, le musée est le symbole d’un pont entre la culture marseillaise traditionnelle, et un côté plus ouvert et moderne sur l’ailleurs. Son emplacement matérialise le lien entre Méditerranée et Europe. Le Mucem est donc venu combler un vide, en devenant un lieu emblématique de la culture dans la ville. Pour Cécile Dumoulin, la responsable du département des publics, “alors qu’on parlait toujours de notre ville pour de mauvaises raisons, le statut de capitale européenne de la culture et l’ouverture du Mucem ont amené un nouveau sentiment de fierté chez les Marseillais. Et nous collaborons aujourd’hui avec des associations pour accompagner les personnes qui franchissent pour la première fois le seuil d'un musée.” 133

La Cité de la gastronomie Paris-Rungis et son Marché International : porte-drapeaux de cette culture populaire dans la continuité de l’héritage des Halles ? Nous avons posé la

question à Stéphanie Daumin : “Il est clair que nous avons un peu affiné les enjeux que l’on avait envie d’y trouver, au-delà du repas gastronomique des français. Par exemple, comment faire pour intégrer le multiculturalisme, le cosmopolitisme de la société française actuelle, comment faire se rencontrer les cultures.” 134

2.1.3.3. La gastronomie : une “industrie culturelle et créative” par nature

Comme les sciences et d’autres arts, la gastronomie évolue. Design culinaire, imaginaires alimentaires, bureaux de style alimentaire qui inspirent le marketing de la gastronomie, créateurs en imaginaire alimentaire... Pour Françoise Serralta, chargée de recherche et des tendances au cabinet de style Peclers , “certains ont compris que s'ils veulent bien se 135

placer sur le marché international, ils doivent s'intéresser aux courants de mode car il s'agit avant tout de mode de vie”.

Un incubateur gastronomique d'un genre nouveau, La Commune, va d’ailleurs voir le jour fin 2017, à Lyon. Il se présente comme "un tremplin de la scène gastronomique underground". Objectif : donner la chance à des chefs de tester leur concept en conditions réelles. Pour Damien Beaufils, son porte-parole, "la culture doit être présente partout, dans n'importe quel lieu. Il faut savoir décloisonner tous les univers et la proposer à tous." Entre tradition culinaire, savoir-faire industriel et capacité d’innovation, la cité de la gastronomie Paris-Rungis peut incarner une nouvelle culture alimentaire.

VRAC (Vers un réseau d’achat en commun) a été créé en 2014 pour soutenir la mise en place de plusieurs groupements

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d’achats dans des quartiers populaires de Lyon et alentours.

Entretien avec Cécile Dumoulin, responsable du département des publics au Mucem de Marseille (Bouches-du-Rhône),

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membre du Comité d'orientation scientifique des musées de Dijon (qui inclut le projet de Cité de la gastronomie) le 24 février 2017. Voir la retranscription de l’entretien en annexes page 231

Entretien téléphonique avec Stéphanie Daumin, Maire de Chevilly-Larue (Val-de-Marne) et Présidente du Syndicat mixte

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d’Etudes de la cité de la gastronomie Paris-Rungis. Date : 20 septembre 2017. Voir la retranscription de l’entretien en annexes page 236

Peclers Paris est l'agence conseil leader en tendances, style et innovation : analyse prospective de tendances, stratégie de

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