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Dépôt Institutionnel de l’Université libre de Bruxelles / Université libre de Bruxelles Institutional Repository

Thèse de doctorat/ PhD Thesis Citation APA:

Calabrese, L. (2010). Le rôle des désignants d'événements historico-médiatiques dans la construction de l'histoire immédiate: une analyse du discours de la pensée écrite (Unpublished doctoral dissertation). Université libre de Bruxelles, Faculté de Philosophie et Lettres – Langues et Littératures, Bruxelles.

Disponible à / Available at permalink : https://dipot.ulb.ac.be/dspace/bitstream/2013/210172/5/4ddad21d-14bb-4db3-877a-928081b65c89.txt

(English version below)

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UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES Faculté de Philosophie et Lettres

Le rôle des désignants d’événements historico-médiatiques dans la construction de l’histoire immédiate. Une analyse du

discours de la presse écrite.

Premier volume

Laura CALABRESE Thèse présentée en vue de l’obtention du grade académique de

Docteur en Langues et lettres, sous la direction de Madame Laurence ROSIER

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UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES Faculté de Philosophie et Lettres

Le rôle des désignants d’événements historico-médiatiques dans la construction de l’histoire immédiate. Une analyse du

discours de la presse écrite.

Premier volume

Laura CALABRESE Thèse présentée en vue de l’obtention du grade académique de

Docteur en Langues et lettres, sous la direction de Madame Laurence ROSIER

'J .A

Année académique

2009-2010

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L'amour s'initie toujours dans une rencontre. Et cette rencontre, je lui donne le statut, en quelque manière métaphysique, d'un événement c'est-à- dire quelque chose qui n 'entre pas dans la loi immédiate des choses

(Alain Badiou, Éloge de l'amour)

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REMERCIEMENTS

Je remercie ma directrice de thèse, Laurence Rosier, pour la confiance accordée depuis le début de ce travail, sa complicité intellectuelle et nos nombreux échanges, aux cours desquels elle m’a appris à observer et à décrire les discours. Je remercie aussi l’Université Libre de Bruxelles, qui m’a accordé en 2007 une bourse grâce à laquelle cette recherche a pu voir le jour. Je sais gré à tous les linguistes qui, lors de colloques, m’ont fait part de leur opinion, ces interventions me permettant d’approfondir encore l’objet de mes réflexions. Mes remerciements vont encore aux relecteurs anonymes des revues pom leurs commentaires, aux collègues qui m’ont fait parvenir des articles ou des ouvrages indisponibles en bibliothèque. En l’absence de cette communauté scientifique, aucime thèse ne verrait le jour. Je remercie également mon jury de thèse, de m’avoir fait l’honneur de lire ce travail, de même que mes amis Célia Rorive, Isami Nakasone et Sally Drighes, pour leiu relecture attentive. Je suis aussi reconnaissante envers mes parents, qui m’ont appris -entre autres choses, mais la liste serait trop longue- la curiosité et l’esprit critique. Je remercie, enfin, Alejo Steimberg, mon compagnon de route, pour sa patience et son amour infinis comme pour son soutien inconditionnel, ainsi qu’Ivân Ariel Steimberg, notre fils, qui n’oublie jamais de me rappeler les priorités de la vie.

(6)

SOMMAIRE

REMERCIEMENTS...3

SOMMAIRE... 4

LISTE D’ABRÉVIATIONS... 9

INTRODUCTION... 10

I. À propos du corpus...17

1.1 La constitution du corpus...20

I.n Les deux conditions du corpus : le cotexte et le contexte...24

I.lll Discours médiatique, discours de l’information...25

n. L’analyse du discours française...27

Plan de la recherehe... 31

PREMIÈRE PARTIE : L’ÉVÉNEMENT (du réel au discours)...32

1. Une démarche lexicologique...36

1.1 Événement vs fait divers... 38

2. Du côté de l’histoire... 41

2.1 Les « temps longs » de l’École des Annales...42

2.1.1 Histoire et sciences sociales...44

2.1.2 L’influenee de l’Éeole des Annales sur les médias... 46

2.2 Histoire immobile, histoire des mentalités, nouvelle histoire...47

2.3 L’événement, un coneept post-structuraliste ?... 49

2.4 Koselleck : l’histoire entre événement et structure... 51

2.5 Veyne : le nominalisme historique...52

3. Le point de vue des sciences sociales... 54

3.1 Le retour de l’événement... 55

3.2 L’événement monstre... 58

3.3 L’événement, im produit de la société de masse... 59

3.4 La constitution de l’événement...63

3.5 La eonstruction de l’événement...66

(7)

3.5.1 Dispositifs de construction de l’événement...68

3.5.2 L’événement sous une description... 73

3.5.3 Les problèmes publics...75

3.6 Des pratiques historique et journalistique...78

3.7 Événement et ethnologie...83

3.8 Événement public, événement privé... 87

3.9 L’événement globalisé... 90

4. Une philosophie de l’événement ?... 94

4.1 Ricœiu* ; l’herméneutique de l’événement...94

4.2 Badiou et le mathème de l’événement...97

4.3 Searle : l’événement comme fait institutionnel... 99

4.4 Davidson et la philosophie de l’action...102

5. L’événement en sciences du langage...106

5.1 La sémantique de l’événement...107

5.1.1 Événements, faits, actions... 108

5.1.2 Localisation spatiale et temporelle des événements... 111

5.2 Les approches discursives... 113

5.2.1 Événement discursif et événement linguistique... 113

5.2.2 Les concepts de moment discursif et de mot-événement...117

5.2.3 D’autres développements en analyse du discours... 119

5.3 Les approches communicationnelles... 123

5.3.1 L’événement préconstruit... 123

5.3.2 L’événement dans la soeiété de l’information... 126

6. L’événement « en pratique »... 128

6.1 L’économie du titre journalistique...129

6.2 La fonction du titre...131

6.3 Les titres bisegmentaux à deux points...132

6.4 La progression de l’information dans le titre... 137

7. De la notion au concept...140

7.1 Événement historique vs événement médiatique... 146

7.2 L’événement historico-médiatique...149

7.3 Individuation et repérage de l’événement historico-médiatique...152

(8)

7.4 Nomination et événement... 154

7.5 Événement et fait divers : de la nécessité d’ime distinction... 157

7.6 Événements vs problèmes publics ; une question de frontières... 164

DEUXIÈME PARTIE : LES FORMES LINGUISTIQUES DE L’ÉVÉNEMENT HISTORICO-MÉDIATIQUE (du discours au réel)...167

1. Nomination, dénomination, désignation... 168

2. La base lexicale des désignants événementiels... 172

2.1 Les noms d’événement... 174

2.1.1 Nominalisations ou noms déverbaux...175

2.1.2 Noms d’événement mixtes et purs... 178

2.1.3 Noms intrinsèquement vs contextuellement événementiels... 179

2.2 Un nom d’événement prototypique : l’affaire... 181

3. Les expressions nominales défîmes...184

3.1 Les descriptions nominales définies incomplètes... 184

3.1.1 L’opérateur indexical des expressions définies incomplètes... 189

3.2 Les xénismes : des noms d’événement entre langue et discours... 195

3.2.1 -gâte : des affaires à l’américaine...196

3.2.2 L’intifada... 198

3.2.3 Le tsimami...200

3.2.4 La Shoah...202

3.3 Expressions nominales définies complètes...205

3.3.1 Caractérisants directs...205

3.3.2 Caractérisants indirects prépositionnels...206

3.3.3 Le mode de référenciation des expressions nominales définies complètes. 208 3.3.3.1 Le contrat de communication... 210

3.3.3.2 Le prédicat de réalité des expressions nominales définies... 212

3.3.3.3 Les expressions existentielles... 215

4. L’évolution diachronique des expressions nominales complètes...217

4.1 L’effacement du nom d’événement... 218

4.2 Les DE occasionnels : un exemple de condensation... 220

4.3 Les toponymes : un exemple de condensation... 224

(9)

224 4.3.1 Tiananmen : une dénomination graduelle ..

4.3.2 Tchernobyl : une dénomination immédiate... 226

4.3.3 Toponymes événementiels : description...228

4.3.3.1 Indices d’interprétation...229

4.3.3.2 Effets de sens... 231

4.3.3.3 Usages occasionnels du toponyme en fonction événementielle...234

4.4 Les dates en fonction événementielle : im exemple de condensation...236

4.4.1 Les attentats du 11 septembre : une dénomination consensuelle...236

4.4.2 Mai 68 : un désignant long et conflictuel... 238

4.4.3 Les héméronymes... 242

4.4.3.1 Caractéristiques morpho-syntaxiques et sémantiques... 245

4.4.3.2 Effets de sens... 246

4.5 Les mots-événements météorologiques ou phénonymes...250

4.6 Spécificité de la notion de mot-événement... 253

5. Des emplois métaphoriques remarquables...255

5.1 Désignants prototypiques...258

6. Les désignants événementiels et la mémoire... 261

6.1 La mémoire discursive...264

6.2 La mémoire des mots...265

6.3 Le modèle cognitivo-mémoriel... 268

6.4 La mémoire des désignants événementiels...270

6.5 Des indices pour l’actualisation... 273

7. Le désignant événementiel et son rapport au nom propre... 279

7.1 État de la question... 281

7.1.1 Propositions linguistiques...281

7.1.2 Propositions discursives...282

7.2 La convention de dénomination du nom propre... 284

7.3 Les noms propres mixtes et descriptifs...286

7.4 Désignateurs rigides ou désignateurs souples ?... 289

7.5 Bilan : quel statut pour les désignants événementiels ?...294

7.6 Les DE ne sont ni des descriptions... ni des étiquettes...296

8. Le mode de donation de l’événement historico-médiatique... 301

(10)

8.1 Le consensus dénominatif...305

8.2 Pragmatique des désignants événementiels...309

Bilan et conclusions... 311

BIBLIOGRAPHIE...317

(11)

LISTE D’ABRÉVIATIONS

AD : analyse du discours DE : désignant événementiel FD : fait divers

GN : groupe nominal ME : mots-événements N : nom

Ne : nom commun Ndév : nom d’événement Npr ; nom propre

SN : syntagme nominal

TE : toponymes événementiels LM : Le Monde

L : Libération

§ : ce symbole renvoie à un sous-chapitre (p. e. : II § 3.1.1 renvoie au point 3.1.1 de la deuxième partie).

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INTRODUCTION

A l’origine de cette recherche se trouve une série de questionnements qui relèvent

A

du sens commun, des phénomènes qui nous ont interpellée en tant que lectrice du discours de la presse d’information. Nous sommes quotidiennement

confrontés à des textes et des discours médiologiques' qui tissent notre actualité, en désignant les événements qui rythment la vie publique. Il n’est pas difficile de constater

à quel point le choix d’une dénomination affecte notre perception d’un événement.

Lorsque nous ouvrons le journal, les événements viennent à nous déjà classés, nommés, triés, par le choix des mots servant à les décrire, par les argumentaires utilisés pour les expliquer, par les points de vue et les interprétations transportés par les mots mêmes.

Comme le note Gaye Tuchman, « newsmen’s typifications reconstitute the everyday World. They construct and reconstruct social reality by establishing the context in which social phenomena are perceived and defined » (Tuchman 1973 ; 129).

Les événements médiatiques^, qu’ils soient imprévisibles -comme dans la plupart des catastrophes naturelles-, prévisibles -des élections dans un pays démocratique- ou répétitifs -les attentats devenus habituels en Irak à l’heure où nous écrivons-, constituent un moment qu’il s’agit d’intégrer dans une chaîne de discours. Il faut donc, avant tout, les nommer. Le résultat de cette nomination est un objet discursif particulier qui assure la traçabilité de l’événement, entité hétérogène s’il en est, et sa catégorisation au sein d’rm système de valeurs sociales. Comme le souligne le linguiste et spécialiste des discours médiatiques P. Charaudeau (2005 : 82) :

Des morts sont des morts [...], mais [leur] signification événementielle, le fait que ces morts soient désignés comme faisant partie d’un « génocide », d’une « purification ethnique » ou d’une « solution finale », qu’ils soient déclarés « victimes du destin »

' Régis Debray définit la médiologie comme « la discipline qui traite des fonctions sociales supérieures dans leurs rapports avec les structures techniques de transmission » (1994 : 21). Selon cette acception de la communication, chaque discours, dans la mesure où il est issu d’un vecteur médiologique particulier (presse, radio, télévision, etc.), mérite une analyse spécifique.

^ Nous utilisons « médiatique » dans sa valeur de génitif, c’est-à-dire « des médias » ou « appartenant aux médias ». Nous définirons plus loin les caractéristiques de l’événement médiatique, qui constitue une catégorie particulière d’événement.

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(catastrophe naturelle) ou de la « méchanceté humaine » (crime), dépend du regard que le sujet porte sur ce fait.

En ce sens, les mots servant à catégoriser les événement peuvent être un terrain de lutte symbolique pour la définition de la réalité sociale, un espace de négociation des acteurs sociaux^, « des lieux matériels à partir desquels les locuteurs trouvent l’occasion d’exprimer leur position à l’égard [d’un] conflit» (Krieg 2003: 201). Si, comme l’explique Louis Quéré, la société contribue dans son ensemble à la définition des problèmes publics et des événements, « le rôle des médias est décisif en tant que supports, d’un côté, de l’identification, de la mise en récit et de l’exploration des événements, de l’autre, du débat public à travers lequel des problèmes publics sont définis » (Quéré 2006 : 214).

D’un point de vue diachronique, on peut observer qu’au fil du temps, certaines expressions finissent par enregistrer la mémoire de l’actualité : non seulement les coordonnées de l’événement mais aussi des discours et des images qui lui sont liés.

Qu’est-ce qui fait, dès lors, que nous comprenons ces titres de presse ? :

1) Cinq ans après la canicule, on manque toujours autant de personnel (lemonde.fr 06.08.08)

Il n’est pas nécessaire de reproduire le récit des événements, de restituer les données relatives à ces faits pour y faire allusion ; il suffit d’évoquer l’expression pour que, cinq ans après (au moment où l’article est publié, c’est-à-dire en 2008, mais peut-être également aujourd’hui), une série d’informations et de représentations soit convoquée à la seule mention de la canicule, sans plus de spécifications'*. Même si les récits, les référents sociaux et les débats changent, le nom reste, ce qui fait du désignant d’événement im observable de la mémoire historico-médiatique d’une société. Cet autre exemple montre à quel point les dénominations d’événements cristallisent non seulement la mémoire de l’actualité, mais organisent cognitivement notre connaissance de l’espace public ;

^ « Les acteurs sociaux sont ceux qui d’une manière ou d’une autre contribuent à faire marcher la machine sociale » (Charaudeau 2005 : 116).

Nous utiliserons l’italique pour faire référence au désignant de l’événement (donc en mention), et les caractères romains pour faire référence à l’événement même (c’est-à-dire en usage).

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2) Avec la crise des otages et la rentrée, le Conseil français du culte musulman a assis sa légitimité (lemonde.fr 03.09.04)

Ce qui en 2004 était une série d’événements faisant partie d’une même famille (la crise des otages français retenus en Irak et la loi sur les signes religieux à l’école, dite également loi sur le voile) exige aujoixrd’hui un grand effort de mémoire. En 2004,

« l’frak » et « le voile » font système et contribuent à construire les problèmes publics du moment. En ce sens, ils servent à construire et à organiser Tactualité, car non seulement ils agissent comme des déclencheurs mémoriels^ des événements de notre histoire immédiate, mais ils créent des liens entre eux et des réseaux de significations.

En tant qu’objets discursifs de grande circulation, ces expressions sont des entités servant avant tout à la communication, des prêts-à-dire capables de transporter une grande partie de l’information concernant un événement, de ses caractéristiques les plus objectives aux images les plus subjectives -même si elles sont partagées intersubjectivement.

Ces expressions portent ainsi les traces des événements qu’ils désignent, des traces matérielles, linguistiques, d’une mémoire discursive à durée variable, à court, moyen ou long terme. Le phénomène cognitif individuel croise ainsi le phénomène collectif de la mémoire des discours. Puisque nous constituons notre image de l’actualité en fonction des images, des informations, des contenus qui circulent dans l’espace public et que légitiment les médias, c’est dans cet espace public que nous puisons les mots utilisés pour désigner l’actualité. En effet, les médias d’information constituent l’une des sources principales de notre connaissance et de notre représentation de l’espace public ; nous suivons en cela J. Arquembourg, lorsqu’elle écrit que l’événement médiatique

« s’organise pour tous autour d’rm seul point de vue, du même vocabulaire et des mêmes images » (2003 : 50). Les médias ont en effet besoin de formules très synthétiques, prêtes à circuler, capables de désigner ostensiblement l’événement tout en construisant l’actualité à travers cette dénomination, largement p^lrtagée par ime grande communauté de locuteurs. Nous appellerons dorénavant ces expressions servant à

^ L’expression est de S. Moirand (2007 : 56).

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désigner des événements médiatiques des désignants événementiels ou désignants d’événements (désormais DE)®.

L’une des principales hypothèses ici présentées est que la façon de nommer un événement dans le discours médiatique est régie par des protocoles de nomination, notamment dans la presse écrite, qui a le plus haut degré de fixation linguistique parmi les médias (Mouillaud 1982 parle d’une «grammaire du titre», par exemple). Cette activité de nomination transforme en régularité l’hétérogène, car si l’événement est par définition de l’ordre de la discontinuité, l’improbabilité ou l’accidentel, sa nomination ne saurait être qu’une activité régulée par des pratiques discursives et des agents de circulation (Rosier 2002).

Lorsque l’on observe les différents DE utilisés dans la presse et qu’on les met en relation, on peut s’interroger sur leur capacité à façonner notre perception de la phénoménalité publique. Que les processus de nomination comportent une dimension cognitive n’est plus à prouver ; comme le note Moirand, « les catégorisations opérées lors des actes de nomination des événements ou des acteurs des événements relatés dans les médias relèvent bien d’opérations cognitivo-langagières qui reposent à la fois sur des expériences et des connaissances ainsi que sur les discours qui les organisent et les formulent » (Moirand 2007). Ce qui reste à décrire est le rôle des formes langagières dans ce processus : notre perception de l’événement change-t-elle selon que le mot ou syntagme choisi soit un nom propre ou un nom commun, selon qu’il appartienne à la langue française ou qu’il s’agisse d’un emprunt ? Comment ces dénominations transportent-elles la mémoire des faits ? Est-ce que leur morphologie affecte cette capacité de transmission ? La mémoire est-elle d’ailleurs localisée dans le sujet ou dans les discours ?

On se demandera également ce qui assure la reconnaissance de certains noms ou expressions comme des DE, surtout ceux qui n’ont aucun contenu sémantique apparent permettant de les rattacher à un événement (/. e. le nom d’une ville comme Tchernobyl, une date comme le 21 avril). On peut en conséquence se demander à quel niveau se situe l’événementiel : sémantique, grammatical, pragmatique, cognitif? Quelles sont les opérations linguistiques et discursives qui assurent la pleine actualisation de ces

® Les raisons qui ont guidé le choix de ce terme seront expliquées au chapitre 1 de la deuxième partie, qui est consacrée entièrement à leur description.

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désignants, qui arrivent à isoler un événement ou une famille d’événements sous une forme hypersynthétique ? Quels sont les programmes de sen^ qui font qu’à un moment donné, rme communauté linguistique donnée est capable d’actualiser un syntagme comme la canicule en distinguant une canicule précise de toute autre canicule ? Ainsi, les DE constituent un lieu où s’articulent des questions linguistiques (théories de la nomination, du nom propre), cognitives (quelles sont les représentations associées à chaque désignant ? sont-elles individuelles ou collectives ?) et communicationnelles (comment la presse écrite construit-elle l’histoire immédiate à travers des réseaux de dénominations ?).

Une autre problématique, que nous n’aborderons que partiellement dans ce travail, est celle du choix des dénominations dans les médias. Effectivement, la façon dont une dénomination est lancée dans l’espace public, circule et (souvent) disparaît est fondamentale pour l’étude des discours médiatiques, dans la mesure où il s’agit d’un phénomène langagier repérable au niveau de la source, mais qui engage le corps social dans son ensemble. En d’autres termes, cette dynamique engage une herméneutique collective du réel. En effet, si les désignants d’événements médiatiques nous semblent évidents, comme allant de soi, il n’en reste pas moins qu’ils n’ont pas toujours existé : ils ont été produits et mis en circulation par ime entité médiologique. Or, comme l’observe l’historien G. Mairet, dès que les événements sont nommés, « un instant, l’espace d’un instant, ils éprouvent l’ivresse de l’éternité » (1974 : 40).

Le rôle des médias dans ce processus est de plus en plus étudié, que ce soit dans le cadre des Sciences de l’information et de la communication, de la sociologie, de l’ethnométhodologie ou de l’analyse du discours. L’ime des raisons de cet intérêt est que, comme l’explique l’historien F. Pomian, « de nos jours, le récit des événements est l’apanage du journaliste, héritier du rôle dévolu jadis au chroniqueur qui notait les événements au fur et à mesure qu’ils advenaient» (1984: 31). Et si l’événement, comme nous le verrons par la suite, est l’un des principaux révélateurs du fonctionnement de la machine médiatique, la production de désignants en est sans doute

’’ Ce concept, issu de la linguistique praxématique, permet de « rendre compte des processus de capitalisation du sens et de son actualisation en discours » (Siblot in Détrie et al. 2001 : 280). Pour Siblot, la notion demeure métaphorique, en raison des difficultés qu’éprouvent les sciences du langage, même avec l’appui des sciences cognitives, pour spécifier la nature des programmes de sens. L’un des buts de cette thèse est précisément de rendre intelligibles une série d’indices qui permettraient de cerner, dans une certaine mesure, le programme de sens des DE.

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un élément saillant. D’une part, l’événement médiatique existe dans la mesure où il est nommé, mais il révèle également les rouages du discours de l’information car il est nommé d’une certaine façon. Autrement dit, il y a des mots et des constructions propres à l’événement. Dans le même temps, le DE est la forme la plus aboutie de l’événement, sa forme figée linguistiquement, qu’elle le soit temporairement ou à long terme, la forme qui transforme le changement, le procès sous-jacent à tout événement, qui transforme le verbe en nom, en substance, en objet discret du monde. Car « tant qu’il n’est pas fixé, l’événement, dont l’essence est de passer, n’est pas événement » (Mairet 1974 : 40). Si le rôle de la nomination n’est pas explicitement pointé par l’histoire, celle-ci souligne néanmoins la question plus large de la construction sociale de l’événement, comme le montre cette citation de Paul Veyne :

Les événements ne sont pas des choses, des objets consistants, des substances ; ils sont un découpage que nous opérons librement dans la réalité, un agrégat de processus où agissent et pâtissent des substances en interaction, hommes et choses. Les événements n’ont pas d’unité naturelle, on ne peut, comme le bon cuisinier de Phèdre, les découper selon leurs articulations véritables, car ils n’en ont pas (Veyne 1996 : 57).

Enfin, la construction discursive de l’événement nous intéresse parce qu’elle révèle des aspects fondamentaux d’une société de l’information, dans la mesure où « tout questionnement sur l’événementialité médiatique renvoie [...] aux conditions d’émergence et de mise en preuve d’un espace public démocratique » (Arquembourg 2003 : 9).

De la simple nominalisation à la formule, le DE est un lieu privilégié de l’observation du discours médiatique : lieu matériel (le titre à la une) mais aussi lieu virtuel où se façonne la perception de l’événementiel et où se constituent les formes linguistiques de sa circulation. Mais que ce soit à court ou à long terme, il circule, circule toujours, disparaît rapidement et, s’il reste, il est constamment réapproprié par d’autres discours sociaux, érigé en paradigme dénominatif {le 11 septembre eXle 11 mars), discuté dans la matérialité du signifiant (dire la Shoah au lieu de l’Holocauste) et orienté du point de vue argumentatif {la canicule de 2003 comme xme catastrophe humanitaire ou crise politique). Dans cette « chambre d’échos » que sont les médias (Mouillaud & Têtu 1989 : 129), les mots voyagent et le chercheur doit les «intercepter» aux différents stades de leur circulation : (re)surgissement, (ré)appropriation, détournement.

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disparition, etc. Pour cela, il faut « se tenir prêt à accueillir chaque moment du discours dans son irruption d’événement ; dans cette ponctualité où il apparaît, et dans cette dispersion temporelle qui lui permet d’être répété, su, oublié, transformé, effacé jusque dans ses moindres traces, enfoui bien loin de tout regard » (Foucault 1969 : 37).

En amont du processus de circulation se trouve l’énonciateur journalistique ; en aval, nous trouvons le lectorat. Or, dans le cadre où nous nous situons, celui de l’analyse du discours française (voir le point II), la circulation de discours est envisagée comme une co-construction du sens, et non comme un schéma à sens unique producteur-récepteur.

Par ailleurs, étant donné les caractéristiques de l’énonciation journalistique, et notamment le discours de la presse écrite, nous ne parlerons pas d’énonciateur mais de méta-énonciateur. En effet, dans l’écriture de presse, à part certains types de textes (appartenant à plusieurs genres de discours), comme les articles d’opinion ou l’éditorial, non signé mais produit par un seul énonciateur au nom du journal, le discours de l’information est ime mosaïque de discours provenant de sources différentes.

Q

Caractérisé par une forte hétérogénéité constitutive ou montrée , produit par différents scripteurs qui occupent une place déterminée au sein de l’institution (agencier, rédacteur, secrétaire de rédaction, rédacteur en chef), le discoius informatif ne peut pas être attribué à un énonciateur unique, source du sens. Pour ce qui est du récepteur, dans la mesiue où il est un acteur social qui intervient dans le processus de mise en sens du réel et capable d’interagir avec le méta-énonciateur, il sera considéré comme un co­

énonciateur. Quant au processus même de réception, il peut à peine être esquissé ou, mieux, deviné, en se posant soi-même, chercheur, conune participant au processus.

Entre ces deux instances, méta-énonciateurs et co-énonciateurs (entités théoriques car n’existant pas comme des rôles fixes ni préalablement assignés), se situe l’espace public de circulation des discours. C’est cet espace de circulation qui nous permettra d’ébaucher des hypothèses quant à la production et la réception des discours : espace où se constitue im sens collectif, de façon imprévisible mais ordonnée, suivant une logique que l’analyste ne repère qvi'ad hoc. Pour reprendre les mots de Foucault dans L'archéologie du savoir, nous voulons faire une description des DE « qui ne les *

* Le travail de J. Authier (1982) introduit en AD la distinction entre l’hétérogénéité montrée et l’hétérogénéité constitutive. La première « correspond à la présence localisable d’un discours autre dans le fil du texte », tandis que la deuxième suppose que tout discours « se constitue à travers un débat avec l’altérité, indépendamment de toute trace visible de citation, allusion, etc. » (Maingueneau, in Charaudeau

& Maingueneau 2002 : 292-293).

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enfoncerait pas dans la profondeur commune d’un sol originaire, mais déploierait le nexus de régularités qui régissent leur dispersion » (Foucault 1969 : 65).

Nous nous situons résolument dans une analyse des discours du temps présent, c’est-à- dire un type de discours dont l’herméneutique nous concerne, car intervenant au jour le jour dans notre quotidien et enrichissant notre répertoire de représentations du monde.

Pour le dire avec les mots de Jacques Guilhaumou, historien des discours :

À vrai dire, l’histoire linguistique n’existe finalement que dans l’entrecroisement, sans cesse remis en jeu, des points de vue des acteurs, des auteurs, des spectateurs, voire des lecteurs et du point de vue des chercheurs eux-mêmes. C’est donc une démarche foncièrement herméneutique dans la manière dont elle appréhende le discours à la fois comme une activité pratique et une activité de connaissance, donc non seulement comme un monde de représentations mais comme un monde de vérités publiques et processuelle (Guilhaumou 2006 ; 41).

I. À propos du corpus

Cette recherche se limite à la nomination d’événements dans la presse écrite d’information générale. Il est bien entendu impossible d’aborder l’événement comme objet discursif dans tous les supports médiatiques, non seulement pour des raisons méthodologiques (les formes de recueil étant très différentes) mais également, et avant tout, par un souci de cohérence scientifique, les différents médias ayant des formes énonciatives particulières. J. Arquembourg signale par exemple, dans son étude sur l’événement télévisuel, comment la télévision française des premiers temps a privilégié la localisation spatiale au détriment de la localisation temporelle, conséquence logique du direct comme modalité de capture des événements : « Les faits politiques sont ainsi approchés par les sens comme les phénomènes naturels : voir, entendre » (Arquembourg 2003 ; 14), et de citer deux journalistes pour qui « on ne saurait donner un sens à l’événement, on le laisse parler, c’est tout : démonstration, théorie, thèse sont pointées comme des violences faites à l’ordre naturel de la vie. Elles dérangent, anticipent ou précipitent ce qui se déroule » {ibidem). Mais si un média se caractérise par des formes spécifiques de faire et de dire, il se caractérise également par ce qu’il ne peut pas ne pas dire. Ainsi, la presse écrite ne pourrait se passer d’énoncés, et notamment de formulations d’un certain type, celles qui constituent l’objet de cette étude : des noms.

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des expressions, des dénominations servant à classer, localiser, catégoriser l’événement.

Le 11 septembre 2001, nous avons pu voir pendant des heures défiler des images en boucle à la télévision, accompagnées d’exclamations de journalistes, sans autre type de commentaire que l’étonnement ; le 12 septembre, la presse écrite titrait à la une

« attentats à New York », qualifiant l’événement d’ « épouvantable tragédie », de

« dramatique épreuve », lançant des mots d’ordre tels que « nous sommes tous Américains ».

Cet écart fondamental entre les deux médias montre les différentes colorations que prend le discours de l’information selon les supports, et la nécessité de les considérer dans leur spécificité. En conséquence, les hypothèses ici développées ne sauraient être dissociées des contraintes matérielles, discursives, rhétoriques, stylistiques, etc. du média analysé. Nos hypothèses de travail sont donc applicables à la presse écrite, support et espace énonciatif à partir duquel s’est construit notre corpus.

Celui-ci est composé principalement de journaux et de quotidiens fi-ançais et belges fi'ancophones de référence {Le Monde, Le Monde diplomatique, Libération, Le Figaro, Le Nouvel Observateur, La Libre Belgique, Le Vif), mais aussi d’articles provenant de la presse étrangère. Ce découpage mérite quelques remarques. En premier lieu, nous étudions des matérialités langagières, des dénominations qui surgissent dans un système linguistique, ce qui nous permet de repérer des constantes propres à cette langue, et des variables (tels que les emprunts étrangers) qui doivent être observées en fonction de ces constantes. Par ailleurs, à la frontière de la langue s’ajoute une fi’ontière culturelle, c’est- à-dire un espace historico-géographique de savoirs partagés et de discours circulants. Par proximité géographique et culturelle, les événements sont souvent partagés des deux côtés d’une fi'ontière. Charaudeau parle à ce sujet d’« aires civilisationnelles », qui créent des espaces de reconnaissance dépendant des spécificités culturelles de chaque groupe (2005 : 96)^. Dans son étude sur le fait divers, A. Dubied se réfère également aux fi-ontières linguistiques et médiatiques qui délimitent la portée de l’événement, au-delà desquelles les médias n’ont plus qu’un impact limité. Ces fi’ontières marquent un espace de connivence sociale ; « la preuve en est les implicites,

^ Cela explique que l’espace public n’est pas une entité universelle. Même si on assiste à une globalisation de l’actualité, le traitement d’un événement mobilise toujours des points de vue locaux, comme le montre le dossier n° 46 de la revue Hermès, intitulé « Événements mondiaux, regards nationaux » (cf. § 3.9).

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blancs, interstices et sous-entendus rendant illisibles, à qui ne connaîtrait pas un minimum de l’histoire, les rapports médiatiques des affaires » (Dubied 2004 : 74). Un récent dossier de la revue de communication Hermès (2006) pointe également le décalage dans la perception des événements par la presse des différents pays, en même temps que l’émergence d’événements globalisés.

Du point de vue de la nomination, qui est la perspective adoptée dans cette recherche, des événements peuvent non seulement circuler de façon strictement locale, ce qui restreint leur actualisation à l’espace de production, mais, dans le cas d’événements globalisés, porter différents noms ou des variantes d’un nom selon les endroits. Les Espagnols diront plutôt le 11-M comme les Américains diront 9-11, là où la presse française se référera aux Attentats de Madrid et au 77 septembre. Dans le sens opposé, Mai-68 deviendra, dans le monde hispanophone, el mayo francés, explicitant dès la nomination les coordonnées énonciatives. Sans parler des expressions nominales incomplètes telles que la guerre ou la crise, qui ne réfèrent pas de façon absolue mais par rapport à l’espace d’énonciation. La canicule renvoie à un événement situé pour les lecteurs belges et français, mais sûrement pas pour les autres francophones. La question du oui! du non [au référendum sur la constitution européenne le 25 mai 2005], formulée telle quelle, n’a de sens que dans l’espace de l’U.E., même si l’événement est rapporté par les presses étrangères.

On peut ainsi identifier des lignes discursives propres aux médias occidentaux, d’autres qui traverseraient plutôt l’espace européen, d’autres enfin qui caractériseraient un système linguistique. Ainsi, la formation des DE dépend du capital linguistique, d’habitudes de nomination, du style des jommaux, de contraintes culturelles, etc. Pour vérifier cette hypothèse nous avons eu recours à des articles de la presse étrangère, pour montrer à quel point la création mais surtout la circulation des désignants dépend d’rm consensus qui se fait à l’intérieur d’une aire historico-géographique, faite d’affinités culturelles et d’intérêts communs. Car, comme l’écrit Tudesq : «L’événement que doimera la presse à l’informé répondra à ses espoirs, à ses inquiétudes et aux questions qu’il se pose » (1973 : 49).

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I.I La constitution du corpus

L’objet de eette thèse est un objet théorique que nous avons appelé les désignants événementiels, et qui a une existence au-delà de notre théorisation (tout lecteur de la presse est confronté jour après jour à des expressions servant à nommer des événements), mais qui n’avait pas été défini, balisé et analysé théoriquement. La démarche entreprise ici devrait permettre d’observer leur comportement dans la presse écrite.

Notre corpus de travail (Rastier et Pincemin 1999) est constitué non par des textes mais par des unités de discours (expressions et syntagmes), tandis que le corpus de référence {ibidem) contient les textes dont sont issues les désignations et peut en restituer le cotexte. Le corpus de travail est principalement composé de titres, étant donné que l’événement est d’abord énoncé dans la titraille (surtitre, titre et chapeau), partie la plus visible de l’aire de la page ou du journal en ligne :

Les titres, dans l’information, sont d’une importance capitale ; car, non seulement ils annoncent la nouvelle (fonction « épiphanique »), non seulement ils conduisent à l’article (fonction « guide »), mais encore ils résument, ils condensent, voire ils figent la nouvelle au point de devenir l’essentiel de l’information. Le titre acquiert donc un statut autonome ; il devient un texte à soi, seul, un texte qui est livré au regard des lecteurs et à l’écoute des auditeurs comme tenant le rôle principal sur la scène de l’information (Charaudeau 1983 : 102).

Le corpus est constitué par 1100 occurrences de désignants d’événements. Il a été construit entre 2005 et 2009, en dépouillant quotidiennement la presse écrite (presse papier et en ligne). Les exemples ont été prélevés avec leur cotexte : la page pour le journal papier, l’article pour le journal en ligne. Dans quelques cas, lorsqu’il importait de décrire l’aire de la page en entier (pour montrer la place du titre, par exemple), une prise de vue de l’écran a été sauvegardée. Les exemples ont été classés selon deux critères : le premier, selon le type de désignant, distribue les expressions événementielles en toponymes (Tiananmen), dates {le 21 avril), xénismes {Shoah), expressions nominales complètes {l’affaire du voile) et incomplètes {la canicule, la crise). Le deuxième classement recueille quelques désignants dans leur évolution diachronique, pour pouvoir observer la tendance selon laquelle le discours de

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l’information synthétise les dénominations, jusqu’à l’obtention de formules parfois cryptiques pour le lecteur étranger ou non averti {le voile, les caricatures du prophète par exemple).

Au cours de la recherche, il s’est avéré nécessaire pour certains désignants du premier classement (toponymes et dates) d’élargir le champ d’observation au long terme, en remontant parfois à 20 ans pour pouvoir retracer leur parcours. Ce travail a révélé ime des principales hypothèses avancées ici, à savoir, que tout DE comporte à l’origine im nom commun d’évéhemèrit qui aurait été effacé par le di^ours de l’information. On verra par la suite quelles sont les expressions définies qui ont précédé Tiananmen et Mai 68. Dans cette perspective, nous avons eu recours aux archives et nous avons recueilli les données sous forme de photo pour observer l’apparition du DE et ses déplacements postérieurs dans l’aire de la page (titre principal à la une, titre en colonne marginale, titre en page intérieure).

D’autres événements ont également bénéficié d’un recueil particulier, à savoir, ceux qui ont été nommés à l’aide d’un paradigme désignationnel (pour le même événement : Banlieues, Villiers-le-Bel, émeutes...)'^, particularité qui n’a pas été repérée initialement, mais est ressortie de la mise en corpus. Nous avons également constitué des sous-corpus qui permettaient de vérifier les hypothèses qui naissaient de l’observation de ce premier classement. Un dossier a été constitué pour les antonomases formées à partir de noms d’événements (Un petit mai 68 des banlieues) ; les détails du recueil, qui méritent d’être rappelés pour donner une idée de la particularité de ces expressions, sont expliqués plus loin (cf. partie II § 5). Un deuxième sous-corpus a été consacré aux syntagmes l’après-ÉVÉNEMENT et l’avant-ÉVÉNEMENT, dans le but de vérifier certaines hypothèses en rapport avec la temporalité des dates en fonction événementielle. Cet échantillon a révélé un comportement particulier des désignants très synthétiques (toponymes, dates, xénismes et expressions définies ineomplètes, mais pas les expressions définies complètes), en même temps qu’il a montré la capaeité de l’événement à départager le temps historique.

Deux sous-corpus thématiques, un sur les faits divers et l’autre portant sur des problèmes publies, ont été construits pour illustrer les différenees avec l’événement. Par

Pour la définition du concept, voir la note 139 en 11 § 4.3.1.

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ailleurs, une tentative de sous-corpus s’est avérée peu productive : celle portant sur les désignants météorologiques. Très abondants dans la presse, la catégorie n’a pas montré un comportement particulier par rapport à d’autres DE basés sur des noms commrms {tempête, neige, orage) ; par contre, les noms propres de tempêtes ont révélé un protocole nominatif original, c’est pourquoi nous les traitons à part.

Le travail de recueil et de distribution a ainsi représenté une partie significative de la recherche. Les critères utilisés pour classer les DE (toponymes, emprunts, dates, etc.) se sont basés sur l’observation quotidienne de la presse et non sur des résultats statistiques ; c’est à partir de la répétition de protocoles de nomination sur le moyen terme (et le long terme pour certains sous-corpus) et non du comptage des formes que nous avons formulé les hypothèses de travail. Pour cette raison, le corpus ne pouvait être traité que manuellement. Or, certaines idées présentées ici pourraient bénéficier d’un dépouillement automatique du corpus, par exemple dans le cas du réemploi des désignants (dans quels contextes événementiels sont réutilisés des désignants comme le tsunami, le 11 septembre ou encore jeudi noir 7), ce qui nécessiterait bien entendu un échantillon beaucoup plus important.

Les hypothèses de travail se sont construites au fiir et à mesure que le corpus s’étoffait.

En effet, si certaines catégories étaient visibles d’emblée (les emprunts, les toponymes, les dates), d’autres, comme les expressions nominales incomplètes, ne se sont révélées que par comparaison. Tout au long de ce travail, il est clairement apparu que « tout texte placé dans un corpus en reçoit des déterminations sémantiques, et modifie potentiellement le sens de chacun des textes qui le composent » (Rastier 2001 : 92).

Le travail de constitution du corpus n’a donc pas précédé le travail d’analyse, mais s’est plutôt déroulé parallèlement à la construction des hypothèses. Nous suivons ainsi D.

Mayaffre lorsqu’il dit que « sans doute peut-on définir hautement le corpus comme le lieu linguistique où se construit et s'appréhende le sens des textes » (2005b). Comme le note également ce chercheur, confronté au travail quotidien avec un corpus, la question pour l’analyste des discours est de savoir si ce répertoire constitue un observatoire (« chambre fi"oide d’une théorie à priori ») ou un observé jouissant d’une certaine autonomie :

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Savoir si le corpus sert à révéler un sens qui serait pré-existant ou, fondamentalement, à le construire. En termes plus rapides, la question, pour chacun d’entre nous, au quotidien, est de savoir si l’on se fait une conception documentaire du corpus (recueil d’exemples, base de doimées, échantillons de langue) ou une conception heuristique (Mayafffe 2005).

Nous croyons nous situer dans une position intermédiaire : nous considérons le corpus comme un observatoire dans la mesure où l’objet préexiste à la recherche, mais également comme un observé dans la mesure où les catégories descriptives émergent uniquement du travail d’analyse. Pour résumer, notre corpus est un observatoire des procédés onomastiques dans la presse écrite, mais un observable car servant à construire une réflexion sur l’articulation entre discours et mémoire sociale qui n’a émergé qu’en corpus.

Une fois que le modèle semblait capable de décrire le fonctionnement de tous les désignants observés, le travail de recueil s’est arrêté. Or, à strictement parler, il ne s’agit pas d’un corpus clos, car les éléments nécessaires à l’interprétation des énoncés ici analysés se trouvent dans le hors corpus. Comme l’explique S. Moirand (2004b), les renvois intertextuels, les jeux dialogiques, la reprise de dires antérieurs qui caractérisent le discours médiatique contraint le chercheur à « l’impossible clôture des corpus médiatiques ». Nous sommes ici à l’opposé de ce que D. Mayafffe appelle les corpus

« réflexifs », des macro-corpus qui comprennent toute l’information nécessaire à leur actualisation, dont les « constituants (articles de presse, discours politiques, pièces de théâtre ; de manière plus générale, sous-parties) renvoient les uns aux autres pour former un réseau sémantique performant dans un tout (le corpus) cohérent et auto- suffisant ». Cette réflexivité est « un moyen de faire reculer la subjectivité dans les sciences du langage ou les sciences humaines qui manipulent des textes » (Mayaffie 2002 : en ligne). Or, comme on l’a dit, le tissu dialogique et intertextuel du corpus médiatique s’étend dans le passé et dans l’avenir ; comme il a la particularité de construire l’actualité en même temps qu’il est constmit par elle, le discours médiatique est en dialogue permanent avec le hors discours ainsi qu’avec des discours antérieurs.

Par ailleurs, la subjectivité est ici d’autant plus nécessaire que l’un des buts de ce travail est de nous donner les outils nécessaires pour formuler l’intersubjectivité du processus d’actualisation des DE, de faire apparaître dans la matérialité du discours les

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« instructions » qui commandent l’actualisation de ses programmes de sens. La perception et l’intuition du chercheur (en tant que lecteur de la presse et acteur social) sont, dans ce sens, plus im garant d’objectivité qu’un frein.

1.II Les deux conditions du corpus : le cotexte et le contexte

En ce sens, les séquences analysées (des désignants événementiels) sont autant ou plus dépendantes du hors corpus (car elles engagent la mémoire du sujet, la mémoire des discours et la connaissance du monde) que du cotéxte textuel dans lequel elles surgissent. D’autant plus que les modes de lecture de la presse, qui tend à souligner la saillance du titre et à favoriser son détachement, encouragent la mémorisation de séquences plus synthétiques. Cela est encore plus évident dans le cas de la presse en ligne, qui présente des unités de titraille reliées au texte par un hyperlien, texte qui n’est donc pas immédiatement visible. Comme le note G. Lochard, « avec le développement dans la presse contemporaine de formes d’écriture minimaliste, le principe de

‘dépendance contextuelle’ dans l’interprétation de l’événement se voit remis en question » (Lochard 1996 : 93).

Étant donné leur indépendance relative dans l’aire de la page, leur capacité à migrer du titre vers les colonnes, et ensuite du discours de l’information à d’autres supports et genres de discours (conversation quotidienne, blogues, sites et forums, affiches, graffiti, etc.), la reproduction du cotexte large n’a pas été jugée nécessaire, contrairement au cotexte réduit, celui de la titraille (titres et chapeau). Les désignants d’événements ayant la capacité d’évoquer leur propre contexte (c’est du moins une hypothèse explorée ici), le seul élément qui limite leur actualisation est la mémoire des lecteurs. Lorsque cette mémoire (ou la connaissance de l’événement) est insuffisante, l’environnement textuel proche vient en aide au lecteur pour éclairer le sens du DE. Si dans le cas des désignants à forte charge mémorielle l’actualisation discursive est chose aisée, pour les désignants plus occasionnels (qui se souvient de / 'affaire du RER ?), il est plus difficile de restituer le tissu intertextuel. Dans ce cas, nous explicitons les coordonnées de l’événement.

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LUI Discours médiatique, discours de l’information

Les mass-média produisent une grande quantité de discours, qui comprennent à leur tour des genres et des sous-genres. Parmi ceux-ci, on trouve le discours dit d’information, appartenant à la catégorie plus large de discours médiatique, un genre dont la définition ne va pas de soi, malgré le fait que nous l’identifions aisément dans la vie quotidienne. Le discours médiatique se distingue d’autres discours sociaux avant tout par le fait qu’il possède des dispositifs de circulation qui lui sont propres (les médias de masse), et qui lui impriment des caractéristiques énonciatives particulières.

A. Dubied nous rappelle la double nature de cette catégorie de discours médiatique, matérielle et discursive, autrement dit les différents supports et les différents modes d’énonciation, qui vont de pair avec des imaginaires et des modes de représentation liés à des pratiques culturelles ;

Le champ « médiatique » est une conjugaison dynamique de supports de transmission diversifiés. Chacun de ces supports, au-delà de la technique qui le constitue, est porteur de tout un imaginaire et génère des usages spécifiques, qui se métissent avec d’autres au sein du champ. Chaque média est donc, dans ce sens, une pratique sociale de production et d’appropriation (Dubied 2004 : 102).

Comme l’explique D. Maingueneau, « la difficulté majeure à laquelle on se heurte quand on veut dresser une typologie rigoureuse, c’est la variété des critères que l’on peut prendre en compte. Aucune typologie ne peut tous les intégrer» (1996 : 85). Le linguiste propose, à la suite de Petitjean (1989), trois types de typologies : communicationnelles, situationnelles et discursives. La première renvoie à « ce qu’on fait avec l’énoncé, à sa visée commvmicationnelle » (Maingueneau 2000: 46), découpant des objets tels que le discours polémique, prescriptif ou didactique, qui rejoint la typologie des fonctions du langage proposée par Jakobson (fonctions référentielle, conative, etc.). C’est dans ce sens que l’on peut parler du « discours de l’information », à l’instar par exemple de Charaudeau 2005, qui en donne une définition fonctionnelle : « activité langagière qui permet que s’établisse dans les sociétés le lien social sans lequel il n’y aurait point de reconnaissance identitaire » (2005 : 7-8). Le sémiologue E. Verôn, pour sa part, souligne que la société attend du discours informatif qu’il la tienne au courant de ce qui se passe dans le monde. « Cette évidence comprend une série de présupposés qui interviennent surtout dans la façon dont se construit le

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rapport entre l’expositeur et son destinataire : il est par exemple admis que le premier est en mesure de déterminer l’importance de l’événement et qu’à partir de là, il aura à le décrire et à l’expliquer» (Verôn 1981 : 194, notre traduction). De cette première typologie relèverait également le constat que le discours informatif est régulé par un

« contrat de communication », qui résulte de la situation de communication. Celle-ci présente, pour Charaudeau (2005 : 49), des contraintes externes (pratiques sociales) et internes (caractéristiques discimsives), qui déterminent le comportement et la production langagière des actants. Le discours de l’information présenterait ainsi des constantes liées à l’identité des acteurs (qui parle à qui ?), à la finalité (informer), au propos (l’actualité) et au dispositif (les sous-genres journalistiques, par exemple).

Pour leur part, les typologies situationnelles associent un type de discours à un secteur d’activité sociale, découpage qui s’appuie sur « des grilles sociologiques plus ou moins intuitives » (Maingueneau 2000 ; 47). Dans ce cadre, le discours d’information est produit par des entreprises médiatiques qui occupent une place institutionnelle privilégiée dans une société de l’information.

La troisième typologie, linguistique et discursive, moins développée, est présentée par Maingueneau comme un chantier ouvert en analyse du discours. Il s’agit de réunir, dans les caractérisations des genres, les aspects situationnels et communicationnels avec des traits proprement discursifs : des marques énonciatives repérables dans les textes. Parmi les spécialistes de la question en analyse du discours, Sophie Moirand pointe le caractère profondément dialogique du discours médiatique et sa capacité à s’appuyer sur des discours antérieurs, avec lesquels il entretient un dialogue permanent (2004b, 2006). Ses recherches sur le dialogisme, la mémoire et l’allusion dans les médias proposent un schéma de communication dynamique, où le discours du méta-énonciateur fait écho aux autres discours sociaux, lesquels à leur tour sont façonnés par les médias.

Dans ce tableau, émetteur et récepteur deviennent des co-énonciateurs, et le discours médiatique, pris dans un interdiscours constant, s’avère rm terrain privilégié pour observer les discours sociaux.

D’un point de vue plus thématique, on peut s’accorder « à considérer les événements comme base thématique de la classification et/ou à établir ime frontière entre les genres de l’information et les genres du commentaire », malgré le brouillage qui entoure la

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définition de genre, autant pour les théoriciens que pour les praticiens, comme le signale C.U. Lorda (2001). Pour cette auteure, «relèveraient de l’information les articles dont l’objectif serait de rapporter certains faits (sélectiormés et promus ainsi à la catégorie d’événements) avec l’objectif d’apporter un savoir sur l’actualité, à la différence des articles relevant de l’opinion, qui, eux, auraient pour but de commenter lesdits événements » (Lorda 2001 : en ligne). Moirand (2000) relève la même distinction d’un point de vue plutôt énonciatif, en distinguant des genres à énonciation subjectivisé (éditoriaux, chroniques, tribunes, analyses, dessins de presse, etc.) et à énonciation objectivisée (textes d’information générale ou spécialisée, brèves, enquêtes, comptes-rendus, chronologies, repères, glossaires, tableaux, graphiques, etc.). Cette répartition générique permettrait de distinguer, selon Lorda, deux grandes tendances dans l’appréhension de l’événement ; si les sous-genres du commentaire se caractérisent plutôt par le mode argumentatif, ceux de l’information sont dominés par un souci explicatif, narratif et descriptif (elle ajoute que ces catégories ne sont pas étanches, et que les modes discursifs servant à médiatiser l’événement ne sont pas exclusifs de l’un ou l’autre genre). Nous ajouterons dès maintenant le mode désignatif, qui a pour fonction de désigner des entités de l’espace public, qu’il s’agisse d’événements, d’acteurs, de lieux, etc. Ainsi, dans le discours informatif, l’argumentation apparaît par exemple en filigrane dans le découpage du réel opéré par le journal, autrement dit dans la sélection des faits. Ces constats contribuent à éclairer les rapports entre le discours d’information, la médiatisation de l’événement et le souci descriptif : le méta- énonciateur, voulant rester au plus près de la description des faits, aura recours à des désignants capables de représenter le point de vue de la majorité des acteurs sociaux.

Notre corpus est donc constitué par des exemples issus majoritairement du discours d’information appartenant à la presse écrite, avec néanmoins quelques exemples tirés d’articles d’opinions (notamment des éditoriaux).

II. L’analyse du discours française

Cette thèse s’inscrit dans le cadre de l’analyse du discours française (désormais AD).

L’AD se définit dans un entrecroisement de diseiplines, de concepts et de méthodes, à partir duquel il est possible de cerner un objet : le diseours. Non pas les discours, en tant qu’ensembles thématiques et formels, mais le discours comme concept, et notamment

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les règles qui régissent leur formation dans im contexte précis. Ainsi, on peut le définir comme « l’usage de la langue en situation pratique, envisagé comme acte effectif, et en relation avec l’ensemble des actes (langagiers ou non) dont il fait partie » (Achard 1995 : 82). Dans la mesure où l’AD cherche à théoriser le caractère social du discours, la façon dont il est construit dans et par des pratiques déterminées historiquement, elle éclaire également la façon dont se constituent des domaines discursifs singuliers, car la linguistique du discours « permet de comprendre le fonctiormement d’un domaine, à partir de l’observation de discours qui circulent en son nom » (Moirand 1990 : 59). En ce sens, le discours n’est pas un objet naturel mais un objet théorique, découpé sur fond de pratiques sociales concrètes (discours médiatique, politique, scolaire, etc.). En étudiant les discours nous étudions le fait social, puisque celui-ci est construit en grande partie par la dimension langagière. L’AD tente donc de « penser un dispositif d’énonciation qui lie une organisation textuelle et un lieu social déterminés » (Maingueneau, in Charaudeau & Maingueneau 2002 : 43).

En tant que science du discours, elle s’inscrit naturellement dans le domaine de la linguistique, car elle hérite autant de la langue que de la parole, même si elle se réclame plutôt de cette dernière. En effet, l’énoncé est le domaine d’inscription du contexte de production dans les discours, il nous permet de lire des phénomènes sociaux dans les textes : que nous disent les discours sur ceux qui les ont énoncés, sm ceux à qui ils s’adressent, sur le moment où ils ont été produits ? Si l’on part de l’hypothèse qu’il y a une corrélation entre les pratiques discursives et les pratiques sociales, alors celles-ci doivent être visibles dans la matérialité de la langue. C’est ainsi que Michel Pêcheux,

« le plus obstiné théoricien » de I’AD", envisage cette dernière « comme analyse (qui suppose im point de vue) de la façon dont le sens vient aux mots (les processus sémantiques) dans un rapport à établir entre des formes (la linguistique) et des pratiques (matérialisme historique) [...] Le sens n’existe que dans une pratique dont le langage fait partie (un discours) » (Achard 1995 : 82). Cette façon d’appréhender les phénomènes langagiers présuppose par ailleurs que le sens n’est pas préalable à la mise en mots, et donc que la langue n’est pas transparente, « n’est pas un simple instrument servant à transmettre un sens ‘déjà là’, constitué avant la mise en discours » (Mazière 2005 : 13).

" Mazière 2005 : 6.

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S’il n’y a pas de texte fondateur de l’AD, l’école française s’organise, dans les années 60, autour de l’œuvre de deux philosophes, L. Althusser et M. Foucault, en développant

« toute une réflexion sur i’écriture’ qui associait linguistique, psychanalyse lacanienne et marxisme althussérien » (Maingueneau 1993 : en ligne). Travaillant dans le cadre de la philosophie marxiste, L. Althusser se propose de montrer l’existence matérielle de l’idéologie, qui organise l’identité et l’espace social, dans le but de la démonter’^.

L’idéologie étant essentiellement discours, il revient à une analyse du discours de la déconstruire. Pour Althusser, « en s’appuyant sur la scientificité de la linguistique et celle, moins assurée, du matérialisme historique, on devait montrer l’inconsistance fondamentale des textes, produits du travail idéologique comme le rêve est le produit d’un travail psychique régi par des lois » (Maingueneau 1993 : en ligne). En incorporant la théorie du sujet lacanienne, Althusser introduit une dimension fondamentale de l’AD : « alors que le locuteur, croyant être sujet, pense parler, il est parlé par le déjà-là idéologique. D’où les notions de préconstruit et d’interdiscours qui sont au centre de l’AD historique » (Paveau & Sarfati 2003 : 198).

Pour sa part, M. Michel Foucault interroge, dans son Archéologie du savoir (1969), le rapport entre pratiques discursives et pratiques sociales (par exemple, dans son étude sur la folie, il se demande qu’est-ce qui fait que, à un moment donné, les médecins commencent à parler de « maladie mentale »). Plus spécifiquement, il se pose la question de savoir déterminer les règles à partir desquelles on peut délimiter un discours. Autrement dit, un discours est un ensemble d’énoncés qui se rapportent à un même système de règles historiquement déterminées (qu’il appelle une formation discursive).

C’est à partir de cet appareillage théorique que se constitue l’AD historique, malgré le fait que beaucoup de concepts originels ne sont que peu ou pas utilisés actuellement {idéologie et formation discursive, par exemple). Si, dans un premier temps, l’AD s’intéresse surtout au discours politique, elle élargit son champ d’investigations vers d’autres formes discursives, d’autres genres et sous-genres de discours (notamment le discours médiatique). A travers ses différentes mutations depuis les années 60-70, l’AD conserve toutefois une identité épistémologique, renforcée par sa progressive institutionnalisation et la mise en place de lieux d’ancrage théorique et d’outils

Paveau & Sarfati 2003 : 196.

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méthodologiques (dictionnaires et manuels, par exemple). Les caractéristiques de cette école française d’analyse du discours peuvent se résumer, à la suite de Mazière (2005 : 5), comme suit :

- toute AD tient compte de la langue en tant qu’objet construit du linguiste, et des langues particulières en tant que situées dans un espace-temps ;

- toute AD prend en compte la grammaire, les syntaxes et vocabulaire de langues particulières, contre une syntaxe logique universelle. Elle prend en compte des productions datées et considère chaque énoncé comme un ensemble sémantique singulier ;

- elle configure les énoncés à analyser en corpus construits, souvent hétérogènes, selon un savoir assumé, linguistique, historique, politique et philosophique ;

- elle refuse de poser à la source de l’énoncé im sujet énonciateur individuel qui serait

« maître chez lui ».

De l’AD historique, elle conserve le concept d’interdiscours, l’intérêt pour les formes langagières (le mot, l’énoncé, l’expression, la formule, etc.) et le travail sur des corpus attestés.

Étant donné qu’il s’agit d’un lieu de convergences, elle établit des alliances disciplinaires (c’est à la fois sa force et sa faiblesse car cela l’oblige à des reconfigurations épistémologiques constantes), de façon à construire des cadres théoriques plus ou moins stables pour construire vm objet de recherche. Dans le cas qui nous concerne, cette alliance a été faite avec la communication, l’ethnométhodologie, l’histoire et la sociologie, bien que, comme nous essaierons de le montrer dans la première partie de cette thèse, l’AD construit depuis une dizaine d’années une réflexion propre sur l’événement dans les médias. Par ailleurs, ces récents travaux importent à leur tour une perspective et des concepts issus d’autres domaines disciplinaires, qui touchent notamment à la mémoire et aux représentations. Les travaux de Sophie Moirand, Marie-Anne Paveau ou Alice Krieg, très représentatifs de cette tendance, s’interrogent non uniquement sur des énoncés, des formules, des mots et des dires qui circulent dans les discours sociaux, mais sur les effets cognitifs que ces séquences linguistiques peuvent avoir sur les co-énonciateurs et, plus largement, sur la construction collective du sens.

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