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L’analyse du discours française

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Cette thèse s’inscrit dans le cadre de l’analyse du discours française (désormais AD). L’AD se définit dans un entrecroisement de diseiplines, de concepts et de méthodes, à partir duquel il est possible de cerner un objet : le diseours. Non pas les discours, en tant qu’ensembles thématiques et formels, mais le discours comme concept, et notamment

les règles qui régissent leur formation dans im contexte précis. Ainsi, on peut le définir comme « l’usage de la langue en situation pratique, envisagé comme acte effectif, et en relation avec l’ensemble des actes (langagiers ou non) dont il fait partie » (Achard 1995 : 82). Dans la mesure où l’AD cherche à théoriser le caractère social du discours, la façon dont il est construit dans et par des pratiques déterminées historiquement, elle éclaire également la façon dont se constituent des domaines discursifs singuliers, car la

linguistique du discours « permet de comprendre le fonctiormement d’un domaine, à partir de l’observation de discours qui circulent en son nom » (Moirand 1990 : 59). En ce sens, le discours n’est pas un objet naturel mais un objet théorique, découpé sur fond de pratiques sociales concrètes (discours médiatique, politique, scolaire, etc.). En étudiant les discours nous étudions le fait social, puisque celui-ci est construit en grande partie par la dimension langagière. L’AD tente donc de « penser un dispositif d’énonciation qui lie une organisation textuelle et un lieu social déterminés » (Maingueneau, in Charaudeau & Maingueneau 2002 : 43).

En tant que science du discours, elle s’inscrit naturellement dans le domaine de la linguistique, car elle hérite autant de la langue que de la parole, même si elle se réclame plutôt de cette dernière. En effet, l’énoncé est le domaine d’inscription du contexte de production dans les discours, il nous permet de lire des phénomènes sociaux dans les textes : que nous disent les discours sur ceux qui les ont énoncés, sm ceux à qui ils s’adressent, sur le moment où ils ont été produits ? Si l’on part de l’hypothèse qu’il y a une corrélation entre les pratiques discursives et les pratiques sociales, alors celles-ci doivent être visibles dans la matérialité de la langue. C’est ainsi que Michel Pêcheux, « le plus obstiné théoricien » de I’AD", envisage cette dernière « comme analyse (qui suppose im point de vue) de la façon dont le sens vient aux mots (les processus sémantiques) dans un rapport à établir entre des formes (la linguistique) et des pratiques (matérialisme historique) [...] Le sens n’existe que dans une pratique dont le langage fait partie (un discours) » (Achard 1995 : 82). Cette façon d’appréhender les phénomènes langagiers présuppose par ailleurs que le sens n’est pas préalable à la mise en mots, et donc que la langue n’est pas transparente, « n’est pas un simple instrument servant à transmettre un sens ‘déjà là’, constitué avant la mise en discours » (Mazière 2005 : 13).

S’il n’y a pas de texte fondateur de l’AD, l’école française s’organise, dans les années 60, autour de l’œuvre de deux philosophes, L. Althusser et M. Foucault, en développant « toute une réflexion sur i’écriture’ qui associait linguistique, psychanalyse lacanienne

et marxisme althussérien » (Maingueneau 1993 : en ligne). Travaillant dans le cadre de la philosophie marxiste, L. Althusser se propose de montrer l’existence matérielle de l’idéologie, qui organise l’identité et l’espace social, dans le but de la démonter’^. L’idéologie étant essentiellement discours, il revient à une analyse du discours de la déconstruire. Pour Althusser, « en s’appuyant sur la scientificité de la linguistique et celle, moins assurée, du matérialisme historique, on devait montrer l’inconsistance fondamentale des textes, produits du travail idéologique comme le rêve est le produit d’un travail psychique régi par des lois » (Maingueneau 1993 : en ligne). En incorporant la théorie du sujet lacanienne, Althusser introduit une dimension fondamentale de l’AD : « alors que le locuteur, croyant être sujet, pense parler, il est parlé par le déjà-là idéologique. D’où les notions de préconstruit et d’interdiscours qui sont au centre de l’AD historique » (Paveau & Sarfati 2003 : 198).

Pour sa part, M. Michel Foucault interroge, dans son Archéologie du savoir (1969), le rapport entre pratiques discursives et pratiques sociales (par exemple, dans son étude sur la folie, il se demande qu’est-ce qui fait que, à un moment donné, les médecins commencent à parler de « maladie mentale »). Plus spécifiquement, il se pose la question de savoir déterminer les règles à partir desquelles on peut délimiter un discours. Autrement dit, un discours est un ensemble d’énoncés qui se rapportent à un même système de règles historiquement déterminées (qu’il appelle une formation discursive).

C’est à partir de cet appareillage théorique que se constitue l’AD historique, malgré le fait que beaucoup de concepts originels ne sont que peu ou pas utilisés actuellement

{idéologie et formation discursive, par exemple). Si, dans un premier temps, l’AD s’intéresse surtout au discours politique, elle élargit son champ d’investigations vers d’autres formes discursives, d’autres genres et sous-genres de discours (notamment le discours médiatique). A travers ses différentes mutations depuis les années 60-70, l’AD conserve toutefois une identité épistémologique, renforcée par sa progressive institutionnalisation et la mise en place de lieux d’ancrage théorique et d’outils

méthodologiques (dictionnaires et manuels, par exemple). Les caractéristiques de cette école française d’analyse du discours peuvent se résumer, à la suite de Mazière (2005 : 5), comme suit :

- toute AD tient compte de la langue en tant qu’objet construit du linguiste, et des langues particulières en tant que situées dans un espace-temps ;

- toute AD prend en compte la grammaire, les syntaxes et vocabulaire de langues particulières, contre une syntaxe logique universelle. Elle prend en compte des productions datées et considère chaque énoncé comme un ensemble sémantique singulier ;

- elle configure les énoncés à analyser en corpus construits, souvent hétérogènes, selon un savoir assumé, linguistique, historique, politique et philosophique ;

- elle refuse de poser à la source de l’énoncé im sujet énonciateur individuel qui serait « maître chez lui ».

De l’AD historique, elle conserve le concept d’interdiscours, l’intérêt pour les formes langagières (le mot, l’énoncé, l’expression, la formule, etc.) et le travail sur des corpus attestés.

Étant donné qu’il s’agit d’un lieu de convergences, elle établit des alliances disciplinaires (c’est à la fois sa force et sa faiblesse car cela l’oblige à des reconfigurations épistémologiques constantes), de façon à construire des cadres théoriques plus ou moins stables pour construire vm objet de recherche. Dans le cas qui nous concerne, cette alliance a été faite avec la communication, l’ethnométhodologie, l’histoire et la sociologie, bien que, comme nous essaierons de le montrer dans la première partie de cette thèse, l’AD construit depuis une dizaine d’années une réflexion propre sur l’événement dans les médias. Par ailleurs, ces récents travaux importent à leur tour une perspective et des concepts issus d’autres domaines disciplinaires, qui touchent notamment à la mémoire et aux représentations. Les travaux de Sophie Moirand, Marie-Anne Paveau ou Alice Krieg, très représentatifs de cette tendance, s’interrogent non uniquement sur des énoncés, des formules, des mots et des dires qui circulent dans les discours sociaux, mais sur les effets cognitifs que ces séquences linguistiques peuvent avoir sur les co-énonciateurs et, plus largement, sur la construction collective du sens.

Plan de la recherche

Ce qui dans le parcours de recherche s’est fait simultanément (la réflexion théorique sur l’événement et l’analyse du corpus) est ici présenté de façon séparée pour des raisons méthodologiques. La première partie du travail est consacrée à la notion d’événement, qu’elle explore à travers plusieurs disciplines des sciences humaines. Le but de cette partie n’est pas d’arriver à une définition de la notion, mais de proposer ime véritable réflexion qui tienne compte autant de la dimension ontologique et langagière que des pratiques professionnelles qui sont à la base de la construction (nous reviendrons largement sur le sens de ce mot) de l’événement médiatique. Si cette thèse n’a pas pour objectif de proposer une théorie de l’événement médiatique, elle veut néanmoins en poser les jalons, définir les problématiques à partir desquelles cette notion -appartenant à plusieurs disciplines- peut être pensée et modélisée pour être conceptualisée. L’accumulation épistémologique étant souvent le seul moyen en sciences humaines de faire évoluer les concepts, nous avons conçu un parcours aussi large que possible, faisant appel non seulement aux théoriciens et praticiens qui confortaient notre vision de l’événement mais aussi à tous ceux dont les réflexions semblaient avoir une place dans la discussion théorique. D’autres développements viendront sûrement s’ajouter à l’histoire déjà très riche de l’événement en sciences humaines, mais dans ime perspective linguistique, les grandes problématiques soulevées par cette notion sont déjà posées. La fin de cette première partie constitue une synthèse de ce parcours et décrit les problématiques proprement discursives que peut poser l’événement médiatique.

La deuxième partie est consacrée à la description des mots de l’événement. Elle en propose l’analyse linguistique, dans le but de décrire le mode de fonctionnement discursif des désignants événementiels.

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