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Le retour de l’événement

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PREMIÈRE PARTIE :

3. Le point de vue des sciences sociales

3.1 Le retour de l’événement

En 1972, la revue Communications (n° 18) consacre un numéro monographique au sujet, où Edgar Morin publie un article inaugural qui porte un titre éloquent : « Le retour de l’événement ». Morin explique que « l’événement a été chassé dans la mesure où il a été identifié à la singularité, la contingence, l’accident, l’irréductibilité, le vécu [...] Il a été chassé non seulement des sciences physico-chimiques, mais aussi de la Sociologie, qui tend à s’ordonner autom de lois, modèles, structures, systèmes » (Morin 1972 : 1). L’article de Communications reprend les lignes principales des « Principes d’ime sociologie du présent » -publié dans le cadre de l’enquête sociologique de La rumeur d’Orléans (1969), qui rappelle les principes de l’histoire immédiate. Dans ce texte, il avance l’idée selon laquelle l’événement est ce qui permet de comprendre la nature d’un système en révélant ses failles, dans son rôle de symptôme du dysfonctionnement de la structure, et suggère le principe qui doit guider cette sociologie du présent : « L’étude de la virulence événementielle ne peut être séparée des processus de communication des

événements et des caractères symboliques, voire mythologiques, qu’ils acquièrent dès qu’ils entrent dans la communication sociale» (Morin 1969: 248). L’événement est donc révélateur de quelque chose et le sociologue doit rester attentif à son irruption. Dans cet article devenu célèbre, Morin liste les caractéristiques de l’événement (qu’il appartienne à l’histoire ou aux sciences de la nature) : actualisation, improbabilité, discontinuité, accidentalité, bruit. Mais, contrairement aux historiens annalistes, il affirme que l’histoire est la discipline la plus apte à penser l’articulation entre système et événement, car elle est capable d’intégrer le «bruit» à l’« organisationnel». Aussi, il propose de distinguer processus autogénérés et processus hétérogénérés, dont l’articulation constitue l’histoire des sociétés humaines, d’où la nécessité de trouver une « unité théorique dans une théorie systémo-événementielle, qu’il appartient d’édifier trans-disciplinairement, au-delà de la sociologie et de l’histoire actuelles » {ibidem : 13). Tandis que les processus autogénérés « se développent selon une logique interne, déclenchent les événements qui assurent le développement [du système] », les processus hétérogénérés « ont besoin d’incitations événementielles-accidentelles pour se développer» {ibidem : 18). Pour que cet apport conceptuel puisse être utile, il faut considérer les deux processus dans une relation dialectique. Dans la lutte entre les théories historico-évolutives et structuralo-systémiques, la sociologie, affirme Morin, n’a pas réussi à théoriser l’évolution en suivant le modèle de l’économie, qui a incorporé la problématique des crises. Pour cela, il faut revoir le concept d’événement dans sa complexité. Ainsi, même si la notion d'élément relève d’une ontologie spatiale et la notion d'événement d’une ontologie temporelle, « tout événement s’inscrit dans un système » {ibidem : 17). Il insiste par ailleurs sur le fait que tout phénomène peut être élément dans un système et événement dans im autre.

La distinction de Morin, bien que rarement reprise, fait un apport majeur à la théorie de l’événement, car elle explique comment un événement, médiatique par exemple, s’insère dans des problématiques plus larges (des problèmes publics, des débats de société, par exemple). Le but de Morin n’est pas de poser la primauté de l’événement, mais de rationaliser sa nature pour pouvoir le penser parallèlement au système, non pas

l’incorporer à lui mais bien lui donner une place dans son improbabilité même, sans laquelle l’évolution du système est impossible. C’est ainsi que le sociologue se demande si « système et événement ne devraient-ils pas enfin être conçus de façon couplée »

{ibidem : 19). Il rejoint par là les réflexions de Foucault et de Koselleck sur l’articulation événement-système.

Dans le même numéro de Communications, A. Moles propose ime typologie de l’événement, « dans laquelle ces événements sont saisis par une série de caractéristiques indépendantes ou peu dépendantes de la nature spécifique de l’événement considéré » (Moles 1972: 90). Sa définition, «un événement est un ‘phénomène’, c’est-à-dire quelque chose qui apparaît à l’individu » {ibidem), pointe deux caractéristiques fondamentales : l’événement s’oppose à l’action (il apparaît) et il prend sens par rapport à un spectateur. Moles restitue par là le rapport entre l’événement et la sphère phénoménologique de l’être humain habitée par Moi, Ici, Maintenant. Même s’il n’est pas question dans cet article de théorie de l’énonciation, la mention de la trilogie déictique est une façon d’exprimer la position centrale de l’individu par rapport à l’événement.

Selon l’approche phénoménologique présentée par Moles, l’événement possède une série de dimensions, la première étant la grandeur. Ainsi, on peut distinguer :

(1) les micro-événements, qui parviennent à la conscience mais s’effacent dans la mémoire immédiate en suivant les lois de celle-ci ; (2) les mini-événements, qui sont retenus pendant un délai variable mais toujours limité dans la durée de vie de l’être : un jour, un mois, un an ; (3) les événements proprement dits, mémorisés par ceux mêmes qui y ont participé ou en ont été témoins, et enfin (4) les grands événements, historiques, qui sont inscrits dans des archives sociales de quelque espèce qu’elles soient, agence photographique, agence de nouvelles, journaux, livres d’histoire, et généralement datés dans ime quelconque chronologie universelle (Moles 1972 : 91). Cette « hiérarchie » des événements, déjà pointée par Foucault (cf. § 2.3), souligne leur dimension relative à la société dans laquelle ils ont lieu, de même que leur rapport à la mémoire, individuelle ou collective selon ses dimensions. D’autres auteurs observent également cette dimension variable de l’événement, comme l’historienne Arlette Farge (1997), qui distingue des macro et des micro-événements, mais aussi des événements bouleversants et des événements « tranquilles ». C’est également l’avis de J. Oulif, ancien chef du Service des études d’opinion de la RTF^®, poirr qui il existe des

événements « forts » (« un des premiers référendums qui ait été pratiqué par le général de Gaulle, les événements de Mai 68, la guerre éclair des Six Jours ») et des événements « faibles » (« par exemple : un terrible accident de chemin de fer en Corée du Sud a fait 45 morts », qui n’a reçu que peu de place dans les médias) (cité par Tudesq 1973 : 55- 56).

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