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Des élèves de deuxième enfantine sur le chemin de l'interprétation d'un album de jeunesse ouvert et ambigu : "Ami-Ami"

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Master

Reference

Des élèves de deuxième enfantine sur le chemin de l'interprétation d'un album de jeunesse ouvert et ambigu : "Ami-Ami"

IRSCHLINGER, Camille

Abstract

Cette recherche vise à observer comment des élèves de deuxième enfantine réceptionnent, comprennent et interprètent un album de jeunesse ouvert et ambigu : Ami-Ami. Ce mémoire cherche à répondre à diverses questions : Comment les élèves construisent-ils leurs interprétations ? Sur quels indices (textuels, iconiques) sont-elles basées ? Quels sont les mécanismes qui prennent part à cette construction? Comment argumentent-ils ces interprétations ? Comment les élèves réagissent-ils face à l'ambiguïté de l'album et au conflit que pose cet album entre la morale et le stéréotype du personnage du loup ? Quel rôle jouent les interventions des autres élèves ou de l'enseignante quant à leurs interprétations ?, etc.

Pour répondre à ces questions, une classe de deuxième enfantine a été filmée au cours d'une séquence didactique composées de huit séances permettant d'approcher l'interprétation des élèves par le biais de diverses activités : lecture au ralenti, classement d'images, dessin d'une fin, jeu de rôle ou encore lecture émergente. La séquence au complet a été filmée et des [...]

IRSCHLINGER, Camille. Des élèves de deuxième enfantine sur le chemin de

l'interprétation d'un album de jeunesse ouvert et ambigu : "Ami-Ami". Master : Univ.

Genève, 2009

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:3795

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Camille IRSCHLINGER

Université de Genève

Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education

Section des sciences de l’éducation Licence mention enseignement 3

ème

année

« Des élèves de deuxième enfantine sur le chemin de l’interprétation d’un album de jeunesse ouvert et ambigu. »

Directrice: Carole Veuthey

Jury : Sylvie Cèbe et Christophe Ronveaux

Juin 2009

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Résumé du mémoire

Cette recherche vise à observer comment des élèves de deuxième enfantine réceptionnent, comprennent et interprètent un album de jeunesse ouvert et ambigu : Ami-Ami. Ce mémoire cherche à répondre à diverses questions : Comment les élèves construisent-ils leurs interprétations ? Sur quels indices (textuels, iconiques) sont-elles basées ? Quels sont les mécanismes qui prennent part à cette construction? Comment argumentent-ils ces interprétations ? Comment les élèves réagissent-ils face à l’ambiguïté de l’album et au conflit que pose cet album entre la morale et le stéréotype du personnage du loup ? Quel rôle jouent les interventions des autres élèves ou de l’enseignante quant à leurs interprétations ?, etc.

Pour répondre à ces questions, une classe de deuxième enfantine a été filmée au cours d’une séquence didactique composées de huit séances permettant d’approcher l’interprétation des élèves par le biais de diverses activités : lecture au ralenti, classement d’images, dessin d’une fin, jeu de rôle ou encore lecture émergente. La séquence au complet a été filmée et des entretiens ont servi à compléter ce recueil de données principal en permettant à certains élèves de s’exprimer plus librement qu’en classe entière. Pour l’analyse des données, six élèves de niveaux scolaires différents ont été ciblés.

Cette recherche permet d’observer que l’interprétation est avant tout collective, puisqu’elle nait des interactions qui prennent place au cours de la séquence entre les élèves et l’enseignante. Elle met également en avant un mécanisme interprétatif très fort, le clichage, qui se décline en quatre processus distincts: l’ajout, le retranchement, la condensation et la traduction. Elle montre également l’importance des attentes que tout lecteur projette sur le récit afin de formuler des hypothèses interprétatives et met en avant la dimension ambivalente de la lecture qui oscille toujours entre liberté et contrainte puisque tout lecteur est dépendant des stéréotypes et des valeurs portés par sa culture. Enfin, ce mémoire analyse les rapports qui existent entre le dispositif, le support et l’émergence des cheminements interprétatifs des élèves.

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Table des matières

1. Introduction p.5

2. Cadre théorique p.7

2.1. Qu’est-ce que comprendre ? p.7

2.1.1 La lecture, à mi-chemin entre subjectivisme et déterminisme p.7

2.1.2 Lecture et stéréotypes p.8

2.1.3 Attentes du lecteur p.10

2.1.4 Lecture et valeurs p.11

2.1.5 Comprendre et interpréter p.12

2.1.6 Formulation d’hypothèses, stratégies interprétatives p.13 et cheminement de la compréhension

2.2. La lecture littéraire p.17

2.2.1 Spécificité de la lecture littéraire comme objet d’enseignement p.17

2.2.2 Textes réticents et textes proliférants p.18

2.2.3 Pourquoi approcher la lecture littéraire dès l’école enfantine p.19 2.3 Analyse à priori de l’album utilisé pour ma recherche : Ami-Ami p.22

2.3.1. Un album de jeunesse p.22

2.3.2. Un conte p.23

2.3.3. Les personnages p.23

2.3.4. Structure globale du texte p.24

2.3.5. Focalisation du narrateur p.25

2.3.6. Analyse détaillée de l’album p.25

2.3.7. Les relations texte / images dans Ami-Ami p.37

3. Méthodologie p.41

3.1 Questions de recherche p.41

3.2 Contexte de la recherche et échantillon d’étude p.41

3.3 Recueil de données p.42

3.3.1 Dispositif de recherche p.42

3.3.2 Rôle de l’enseignante p.44

3.3.3 Rôle des interactions avec les pairs p.46

3.3.4 Déroulement de la séquence p.47

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3.4 Procédure de recueil de données et instruments p.53

3.4.1 Les enregistrements vidéo p.53

3.4.2 Les entretiens semi-dirigés p.53

3.4.3. Les lectures émergentes p.55

3.5 Retranscription des données p.56

3.6 Démarche d’analyse des données p.57

4. Analyse des données p.58

4.1 Tableau récapitulatif des interventions des six élèves ciblés p.58

4.2 Ilo p.59

4.2.1 Attitude lors des différents moments de la séquence et statut scolaire p.59

4.2.2 Cheminement interprétatif p.60

4.3 Luc p.77

4.3.1 Attitude lors des différents moments de la séquence et statut scolaire p.77

4.3.2 Cheminement interprétatif p.78

4.4 Mar p.87

4.4.1 Attitude lors des différents moments de la séquence et statut scolaire p.87

4.4.2 Cheminement interprétatif p.88

4.5 Ala p.96

4.5.1 Attitude lors des différents moments de la séquence et statut scolaire p.96

4.5.2 Cheminement interprétatif p.97

4.6 Dyl p.103

4.6.1 Attitude lors des différents moments de la séquence et statut scolaire p.103

4.6.2 Cheminement interprétatif p.103

4.7 Lis p.109

4.7.1 Attitude lors des différents moments de la séquence et statut scolaire p.109

4.7.2 Cheminement interprétatif p.110

5. Discussion des résultats p.114

5.1 Cheminements interprétatifs des élèves p.114

5.1.1 Influence du cadre interprétatif initial sur la formulation d’hypothèses p.114

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5.1.2 Le clichage : traduction, ajout, retranchement et condensation p.116 5.1.3 Dessin d’une fin : quelle visibilité de l’interprétation ? p.119 5.1.4 Lecture émergente : quelle visibilité de l’interprétation ? p.122

5.1.5 Stéréotypes, valeurs et formulation d’hypothèses p.123

5.2 Dispositif et interprétation p.127

5.2.1 Le rôle du texte littéraire p.127

5.2.2 Organisation du dispositif et interprétation p.128

5.2.3 Posture de l’enseignant et interprétation p.129

5.2.4 Rôle des pairs p.130

6. Conclusion p.133

7. Bibliographie p.136

8. Annexes p.138

8.1 Dessins d’élèves p.139

8.2 Retranscription des séances collectives p.146

• Séance collective n°1 p.147

• Séance collective n°2 p.158

• Séance collective n°3 p.170

• Séance collective n°4 p.180

• Séance collective n°5 p.197

• Séance collective n°6 p.210

• Séance collective n°7 p.223

8.3 Retranscription des entretiens p.229

• Entretien Ilo et Luc (après séance n°2) p.230

• Entretien Mar et Ala (après séance n°2) p.232

• Entretien Lis et Dyl (après séance n°2) p.234

• Entretien Ané et Que (après séance n°3) p.239

• Entretien Gui et Oro (après séance n°4) p.243

• Entretien Ass et Ana (après séance n°4) p.248

• Entretien Ilo et Luc (après séance n°7) p.251

• Entretien Mar et Ala (après séance n°7) p.256

• Entretien Lis et Dyl (après séance n°7) p.259

8.4 Retranscription des lectures émergentes p.264

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1. Introduction

À l’heure actuelle, Tauveron (2002) a montré que la compréhension et l’interprétation en lecture sont rarement enseignées dans les classes de l’école primaire. Les enseignants semblent considérer en effet que ces dernières s’opèrent « naturellement » à l’écoute de la lecture du maître. Ceci, alors bien que la compréhension et l’interprétation sont deux activités essentielles que tout élève doit apprendre à organiser conjointement dès qu’il est confronté à la lecture de récits écrits et oraux.

Par ailleurs, cette auteure a démontré que ces compétences peuvent être d’autant plus aisément construites par les élèves si elles sont prises en considération dès l’entrée dans l’écrit, autrement dit dès l’école enfantine. Mais malheureusement, ce constat n’est encore que trop rarement pris en compte aujourd’hui dans les classes, puisqu’à la fin de l’école primaire, nombreux sont les élèves qui rencontrent de grandes difficultés lorsqu’il s’agit de comprendre et d’interpréter un texte.

Aussi, dans ce travail, nous pensons que l’importance de l’enseignement de la compréhension en lecture et de l’interprétation est sous-estimée par les enseignants qui ne mesurent pas toujours son impact sur le métier d’élève et l’entrée dans l’écrit. Pour nous, effectivement, l’amour des livres ne peut advenir que par la compréhension. En effet, si un élève a l’impression qu’un objet lui échappe sans cesse et qu’il n’a aucun contrôle sur ce dernier, aucune emprise, il ne peut apprendre à l’aimer. Comme pour tout apprentissage, lorsque l’élève a sans arrêt le sentiment de ne pas comprendre et de ne pas être capable, il risque de percevoir l’objet d’enseignement comme dangereux, ce dernier le ramenant à son incompétence. Ainsi, pour aimer une discipline et un objet, il faut avant tout se sentir en sécurité face à ceux-ci. En ce qui concerne les livres et plus précisément les récits, le seul moyen de se sentir en sécurité vis-à- vis de ces derniers est de posséder les outils, les connaissances et les compétences pour comprendre et interpréter.

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Lorsque l’on écoute ou lit un récit, il est crucial de faire des hypothèses de sens, d’anticiper les actions des personnages, de comprendre les liens qui existent entre ces derniers, de pouvoir posséder un esprit critique sur le texte, de le comparer à d’autres récits lus, de tisser des liens, etc. Toutes ces compétences n’étant pas innées, il importe à notre avis de les travailler en classe, afin de permettre à chaque élève d’entrer sans appréhension dans le monde de l’écrit et d’avoir du plaisir à découvrir sans cesse de nouveaux textes en se forgeant toujours plus d’outils pour les comprendre et les interpréter.

Dans cette recherche, nous allons tenter de voir si ces compétences interprétatives peuvent être mobilisées déjà en deuxième enfantine, et nous regarderons plus particulièrement si ces compétences peuvent être mobilisées chez tous les élèves, peut importe leur statut scolaire. Pour ce faire, nous avons imaginé un dispositif autour d’un album ouvert et ambigu, Ami-Ami, que nous sommes allés tester dans une classe de deuxième enfantine et plus particulièrement auprès de six élèves ciblés possédant des statuts scolaires variés.

Nous commencerons par développer divers aspects théoriques nécessaires pour cibler notre problématique et approfondir nos connaissances quant à cette dernière. Nous tenterons notamment de mieux cerner les enjeux gravitant autour des processus de compréhension et d’interprétation. Ensuite, nous analyserons en détail l’album utilisé lors de cette recherche afin de cerner ses particularités et de mettre en avant ses atouts pour permettre un travail sur l’interprétation. Puis nous expliciterons la méthodologie qui nous a permis d’élaborer notre dispositif et de recueillir nos données. Et enfin, nous présenterons les données recueillies pour les six élèves que nous avons ciblés avant de passer à une discussion de ces résultats à la lumière de divers apports théoriques ainsi qu’au travers d’une mise en lien avec d’autres interventions intéressantes d’élèves survenues au sein de la séquence d’enseignement.

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2. Cadre théorique

2.1. Qu’est-ce que comprendre ?

2.1.1. La lecture, à mi-chemin entre subjectivisme et déterminisme

Tout d’abord, il importe de mettre en avant le fait que tout texte, quel qu’il soit, ne prend vie qu’au travers de la lecture de celui qui le parcourt. Pour exister, tout texte a besoin d’un lecteur coopérant qui permet au sens d’advenir : « Le sens apparaît dès lors moins comme une donnée que comme le fruit d’une construction par le lecteur. Si le texte semble proposer un certain nombre de significations, celles-ci ne constituent jamais que des potentialités » (Dufays, 2006, p.21). Tout texte a donc toujours une dimension performative, c’est-à-dire un potentiel d’action puisqu’il est constitué de signes qui demandent une interprétation de la part du lecteur.

La lecture est donc un processus de construction et tant qu’un texte n’est pas soumis à ce processus, il est condamné à rester un pur artefact dénué de sens.

Sur la base de ce constat, Dufays (1994), dans son ouvrage Stéréotype et lecture, présente deux théories principales de la lecture : la théorie interne ou théorie de l’effet et la théorie externe ou théorie de la réception. La première affirme que les effets du texte seraient d’ores et déjà programmés et que le texte construirait le lecteur, lui imposant un certain mode de réception. Selon cette théorie, la pluralité des lectures est possible, mais elle est la résultante des possibilités offertes par le texte.

Selon la deuxième par contre, l’inachèvement du texte est considéré comme infini et le lecteur a toujours la possibilité d’enrichir le texte de contenus nouveaux. Cette théorie étudie donc la lecture effective et située, non limitée à une « lecture idéale » qui serait effectuée par un lecteur modèle capable de prendre en compte et de mettre en relation de façon modèle (comme l’auteur le pensait) toutes les données du texte.

En bref, ces deux théories divergent de par le statut qu’elles attribuent aux significations du texte : « Là où l’une voit de l’objectivité, des effets préstructurés, de l’immanence, du déjà-là,

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l’autre voit la relativité du sens construit et des projections effectuées plus ou moins consciemment par le lecteur » (ibid., p.24).

Cependant, selon l’auteur, et nous le rejoignons, la théorie de la lecture a avantage à se trouver à mi-chemin entre ces deux théories puisque s’il est vrai que tout texte impose un certain nombre d’effets et de contraintes au lecteur, il est vrai aussi que chaque lecteur est à même de projeter une part de significations sur le texte. L’auteur opte donc pour un regard dialectique, qui préserve la lecture à la fois du déterminisme et du subjectivisme : « on peut affirmer qu’à l’intérieur de toute réception, docilité et liberté du lecteur se combinent dans une dialectique hiérarchisée » (p.38).

Au cours de la lecture, le sens se construit donc de manière dialectique : il est construit par le lecteur d’une part, à partir de ses connaissances et de ses expériences de lecteur, mais il est également construit par le texte qui détient son propre cadre intratextuel qui va orienter et guider la compréhension du lecteur.

2.1.2. Lecture et stéréotypes

Dufays (1994), affirme que les stéréotypes sont omniprésents dans tout texte, et ce, à tous les niveaux du langage (lexique, structure, thèmes, etc.) et que par conséquent, toute lecture est influencée par ces derniers : « qu’il le veuille ou non, chaque fois qu’il parcourt un texte, un lecteur est influencé par divers réseaux de stéréotypies, qui ont des origines multiples et sont en interaction continuelle » (p.34).

Selon cet auteur, les stéréotypes sont des assemblages d’éléments relativement figés susceptibles d’affecter tous les niveaux du discours, qui sont utilisés fréquemment et dont l’utilisation s’étale dans la durée. Ils sont dotés d’une signification abstraite ou schématique et portent une valeur rhétorique ou idéologique. Autrement dit, les stéréotypes sont partout, et dès qu’un texte naît dans un contexte socioculturel donné, il devient un objet social et par là même, la lecture du texte en question revient à reconnaître dans ce texte des schémas sémantiques préexistants dans le contexte en question.

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Les stéréotypes sont donc partagés par la collectivité historico-culturelle, ils prennent vie dans un contexte de réception particulier (norme, genre textuel, pratique sociale déterminée) et possèdent un caractère éminemment social. Chaque lecteur, ou auditeur, puise parmi des connaissances qu’il partage de manière plus ou moins forte avec les autres acteurs de son époque et de sa culture : « Le choix que chaque lecteur peut faire entre des points de vue interprétatifs divers est en effet limité par “l’horizon d’attente”, le contexte socioculturel dans lequel il vit » (Dufays, Gemenne & Ledur, 2005, p.71).

Cependant, la concrétisation des stéréotypes varie selon chaque lecteur qui donne sens à ces derniers en fonction de sa propre perception. La lecture est donc intersubjective, puisqu’elle dépend des stéréotypes qui existent dans un contexte de réception, mais elle comporte également une part inaliénable de liberté :

[N]i créativité débridée, ni stricte exécution d’un programme préétabli, celle-ci apparaît comme un acte consistant à la fois à reconnaître dans un texte les stéréotypes qui en établissent les significations virtuelles au sein du contexte de réception et à actualiser ces stéréotypes d’une manière plus ou moins personnelle. (Dufays, 1994, p.37)

Si nous prenons par exemple le stéréotype du loup, dans l’imaginaire collectif, ce dernier représente l’archétype du mal, et ce, depuis l’Antiquité, puisque déjà dans Les métamorphoses d’Ovide, le lycaon ayant voulu défier les dieux est transformé en loup-garou sanguinaire en guise de punition. Depuis, le stéréotype du loup a toujours conservé son aspect négatif : le loup est celui qui nuit à l’homme, qui tue sans scrupule, qui terrifie et s’attaque aux plus faibles. Deux ouvrages phares de la littérature illustrent parfaitement ce stéréotype : Le loup et l’agneau (La Fontaine) et Le petit chaperon rouge (Perrault et Grimm). Certains auteurs, tel Geoffroy de Pennart, rompent avec les caractéristiques du stéréotype et présentent une vision beaucoup plus positive du loup qui devient un être moral. Dans Le loup sentimental, par exemple, le loup choisit ses proies en fonction de leur valeur « morale » (seuls les ogres restent sur sa liste de proies potentielles).

Aussi, le stéréotype du loup est collectif, commun à l’ensemble des membres d’une même culture. Cependant, chaque lecteur possède un nombre plus ou moins important de connaissances provenant de ses expériences individuelles et ces dernières peuvent être de nature variée : nous

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l’avons lu, le stéréotype du loup peut être exploité de manière « traditionnelle » (le loup sanguinaire, qui dévore gratuitement) ou alors il peut être pris à contrepied (le loup moral, gentil). Aussi, en fonction du vécu familial et notamment du discours des parents sur le loup, en fonction des livres rencontrés, des films ou documentaires visionnés, chaque enfant a construit sa propre vision du loup et reçoit ce stéréotype à sa manière.

En bref, « loin d’être le simple décodage d’un sens déjà là, la lecture est un processus dialectique où la liberté et la contrainte se mêlent de manière indissociable » (Dufays, Gemenne

& Ledur, 2005, p.72).

2.1.3. Attentes du lecteur

En fonction des stéréotypes de son époque et de l’actualisation de ces derniers selon une logique propre, chaque lecteur nourrit certaines attentes vis-à-vis du texte :

[L]es attentes collectives, qui amènent le lecteur à projeter sur le texte les stéréotypies de son époque et de sa société, et d’autre part, les attentes spécifiques qui le portent à privilégier les niveaux de stéréotypies et les types de contenus qui l’intéressent le plus. (Dufays, 1994, p.119) Aussi, tout lecteur ne peut s’empêcher d’être engagé face à ses lectures puisque son époque, sa culture, ses expériences donnent lieu à diverses motivations qui orientent le regard qu’il porte sur le texte. Selon l’auteur, le lecteur attend de la lecture avant tout des contenus familiers, il a besoin de repérer des éléments déjà connus qui le sécurisent et qui sont conformes aux stéréotypes qui forment sa compétence. Dans un texte, le lecteur n’entre jamais de façon neutre, il apporte avec lui des attentes, des intentions, et il sollicite certaines significations en projetant dans le texte ses propres connaissances et préoccupations.

Ainsi donc, si le lecteur recherche également à travers sa lecture une part de nouveauté et de surprise, cette dernière est seconde et ne peut prendre place qu’une fois le cadre connu et identifié. En effet, la nouveauté ne peut être saisie et appréciée que si elle est entourée d’une part de connu, d’ancien, de stable qui permet sa mise en relief :

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Le texte nouveau évoque pour le lecteur (ou l’auditeur) tout un ensemble d’attentes et de règles du jeu avec lesquelles les textes antérieurs l’ont familiarisé et qui, au fil de la lecture, peuvent être modulées, corrigées, modifiées ou simplement reproduites. (Jauss, cité par Dufays, ibid.)

2.1.4. Lecture et valeurs

En lien avec les attentes du lecteur se trouve une autre composante de la lecture : l’attribution de valeurs. Dès les premiers instants de la lecture, le lecteur porte son attention sur certaines structures, sur certains mots, et leur attribue une valeur qui va guider la production de sens : « Côté valeurs, tout lecteur commence, consciemment ou non, par orienter le texte en fonction de ses attentes, des intérêts qui sont les siens » (Dufays, Gemenne & Ledur, 2005, p.110).

De plus, ces valeurs initiales influencent généralement la suite de la lecture : à mesure qu’une partie du texte est lue, le processus de compréhension est orienté par les valeurs que le lecteur s’attend à trouver dans le texte. Le lecteur juge ainsi sans cesse le texte en se demandant si ce dernier est conforme à ses attentes ou au contraire décevant : « Aussi, la valeur non seulement précède, mais aussi escorte la plupart des significations. Elle est en quelque sorte la garante du sens, puisque c’est le plus souvent par elle qu’il advient et qu’il reçoit sa validité » (Dufays, 1994, p.204).

Les valeurs ne sont donc jamais imposées par le texte, mais elles sont nécessairement projetées par le lecteur. Autrement dit, un texte est toujours porteur de valeurs virtuelles, au même titre qu’il est porteur de significations virtuelles. Cette projection de valeurs se fait en deux temps : « d’une part, le lecteur sélectionne les critères de valeurs qu’il souhaite voir rencontrés, d’autre part, il juge les structures textuelles qu’il reconnaît à la lumière de ces critères en les comparant à des modèles antérieurs » (ibid.). Comme lors du processus de formulation d’attentes spécifiques, le lecteur commence par adopter une posture et ensuite il perçoit le texte à travers cette dernière.

Plusieurs valeurs peuvent être identifiées : la vérité, l’émotion, la moralité, l’unité, l’originalité, etc. La vérité par exemple, va déterminer le caractère vraisemblable des faits relatés

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ou encore des caractères identifiés dans le texte. Un texte vraisemblable est un texte correspondant à une certaine image que l’on se fait du réel.

La moralité, quant à elle, est une valeur qui juge le caractère éthiquement recevable des idées contenues dans le texte. En effet, chaque lecteur possède en mémoire des schémas abstraits, capables de l’aider à déterminer si l’action d’un personnage est « bonne » ou au contraire

« mauvaise », et de porter ainsi un jugement moral sur le comportement de ce dernier.

2.1.5. Comprendre et interpréter

La compréhension et l’interprétation sont deux concepts clefs de la lecture et ils sont quelque peu complexes à définir, puisque la limite entre ces deux processus est parfois très mince. D’ailleurs, tous les chercheurs ne partagent pas la même définition de ces deux termes, définition qui pourrait être longuement débattue.

En ce qui nous concerne, nous allons nous baser, pour ce travail, sur la définition proposée par Gervais (2001). Pour cet auteur, la compréhension est une « fraction de la saisie du texte qui ne pose aucune difficulté » (p.38), autrement dit, lorsque le texte est compris, il paraît transparent pour le lecteur. Cependant, cette transparence n’est pas forcément due aux caractéristiques du texte, elle est avant tout un effet de lecture. En effet, à travers sa lecture, le lecteur, confronté à un obstacle ou lieu d’incertitude, met en œuvre des stratégies interprétatives afin de dépasser ce dernier et de comprendre. L’interprétation serait donc un coup de force, « une opération complémentaire, une mise en relation qui sert à résoudre une illisibilité résiduelle à l’acte de compréhension » (ibid., p.39).

Nous voyons bien ici que la compréhension et l’interprétation sont deux procédés complémentaires, mais il est important de souligner que la fin véritable de la lecture est toujours de comprendre le texte. Aussi, l’interprétation est une alliée incontournable de la compréhension, puisqu’elle permet au lecteur de franchir les obstacles qui compliquent le processus de compréhension :

[L]’interprétation, loin d’être une étape postérieure à la compréhension, précède la compréhension (plus exactement une compréhension possible) pour la faire advenir. En toute logique, si l’on veut apprendre à comprendre, on ne peut faire autrement qu’apprendre à interpréter dès l’entrée en lecture. (Tauveron, 2002, p.31)

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Par ailleurs, le processus d’interprétation, pour être reconnu plausible, doit s’appuyer sur les données du texte et/ou sur des données extérieures au texte de nature culturelle. Aussi, le lecteur n’a pas tous les droits, il doit se plier aux règles du texte et tenir compte des stéréotypes imposés par sa société historico-culturelle. Il ne s’agit donc pas de tout imaginer, mais bien d’être attentif aux différents indices offerts par le texte ou l’image afin de proposer une interprétation cohérente : « C’est ici que le lecteur doit enfiler son costume de détective et rassembler les pièces à conviction » (Tauveron, 2001, p.15).

Face au texte, le lecteur-interprète ne peut donc se contenter de rester passif puisque l’interprétation demande, pour exister, une collaboration active du texte avec le lecteur, animé par le désir de comprendre :

La posture d’interprète implique un investissement particulier de la part du lecteur : cette posture se gagne dans la permanence du questionnement. Par la continuité – contiguïté des idées -, le lecteur tente de coopérer avec le texte, en revenant sur une idée, en la réitérant, en la prolongeant, en la croisant avec une autre idée développée plus loin dans le texte. (Jorro, 1999, p.96)

Aussi, « la construction de la capacité interprétative est l’aptitude à recourir à une multiplicité de stratégies de transformation du texte ». (Boiron, 2006, p.23). Selon cette auteure, cette capacité se développe au travers de diverses modalités de construction : lorsque l’élève questionne une signification non explicitée dans le texte, lorsqu’il cherche à prolonger les significations du texte, lorsqu’il retourne au texte original afin de justifier son point de vue, etc.

Ainsi donc, interpréter c’est être capable de faire parler le texte et de mettre en évidence le contraste qu’il y a entre ce qui est dit et ce que l’on peut imaginer ou croire à son propos.

En définitive, retenons l’idée que comprendre un texte, et par la même l’interpréter, « c’est saisir ce qu’il signifie au-delà de la matérialité des mots » (ibid., p.14).

2.1.6. Formulation d’hypothèses, stratégies interprétatives et cheminement de la compréhension

Nous l’avons vu, la lecture est un processus dialectique qui « combine des éléments externes et des éléments internes au matériau textuel » (Dufays, 1994, p.140). Pour comprendre un texte, le lecteur reconnaît tout d’abord certaines unités sémantiques (ou indices) dont il a la maîtrise et à partir desquelles il mobilise tout un système de références qui lui permet de

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formuler une première hypothèse (ou topic). Cette première hypothèse est formulée non seulement au regard des unités sémantiques, des stéréotypes que le lecteur maîtrise, mais aussi en fonction des valeurs que le lecteur s’attend à voir apparaître dans le texte. Une fois ébauchée, cette hypothèse servira de base d’orientation pour la suite de la lecture et le lecteur cherchera de nouveaux indices afin de la renforcer, et ainsi de suite : « La production du topic se fait donc toujours en deux temps : le lecteur commence par s’appuyer sur certains éléments du texte pour développer le topic, puis, c’est le topic qui choisit ses “lieux de certitude” » (ibid., p.148).

Aussi, l’émergence du sens et des hypothèses (topics) ne se fait pas au hasard, mais elle est le fruit de choix, conscients ou inconscients, effectués par le lecteur qui se laisse guider par ses valeurs, ses stéréotypes, ou encore ses attentes vis-à-vis du texte : « Le sens découle d’un choix, d’une volonté, d’un projet, d’une sélection : “Le sens n’est rien d’autre qu’une manière de vivre et de manier la sélectivité” (Luhman, 1986, p.123). » (Jorro, 1999, p.51).

En outre, comme le texte comprend plusieurs niveaux, les topics identifiés de manière locale et isolée, sont alors réinvestis dans une structure sémantique globale ou « macrotopic » qui a pour rôle d’englober de manière cohérente les différentes hypothèses partielles et de donner un sens à l’ensemble du récit. En effet, dès qu’un lecteur a compris et interprété une proposition isolée, il cherche à l’intégrer dans un schéma plus large afin de chercher une cohérence sémiotique pour l’ensemble du texte.

Aussi, la lecture est une recherche de sens et de cohérence en constante évolution : d’un assemblage de phrases isolées, le lecteur est amené à discipliner le texte pour former des topics, ou hypothèses sémantiques, qui seront à leur tour assemblés dans une structure plus large, le macrotopic.

Bien sûr, ce système sémantique est fragile, puisqu’à tout moment, un élément du texte (ou de l’image dans le cas de l’album notamment) est susceptible de venir déranger le cours de la formation des topics : « tant que la lecture n’est pas achevée, elle reste hypothétique, et donc provisoire, susceptible de maintes transformations » (Dufays, 1994, p.143).

Certains textes résistent plus que d’autres au travail de construction du sens et exigent un effort de la part du lecteur (nous reviendrons sur les caractéristiques de ces textes et leur importance par la suite) puisqu’ils possèdent des unités de sens qui enfreignent les principes de cohérence

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qui guident la construction des topics. Ces lieux d’incertitudes ou d’indéterminations peuvent être de quatre grands types (Dufays, 1994) : l’ambiguïté, lorsqu’une unité de sens peut se voir attribuer au moins deux sens distincts ; le résidu, lorsqu’une unité sémantique ne s’intègre pas au système de significations et que sa présence semble injustifiée ou étrange ; le blanc, lorsqu’une ou plusieurs informations essentielles pour compléter le système de significations sont absentes et la contradiction, lorsqu’une ou plusieurs unités de sens sont incompatibles et qu’il est difficile pour le lecteur d’accorder la priorité à l’une ou l’autre de ces unités.

Dufays (1994) affirme que face à ces lieux d’incertitude, deux attitudes interprétatives sont possibles pour le lecteur qui se voit dans l’obligation de réagir : le clichage et la lecture suspensive.

Le clichage, tout d’abord, est le mode de réaction utilisé le plus fréquemment par les lecteurs, il consiste à réduire les résistances du texte en intégrant les unités sémantiques sources d’indétermination de force dans le schéma du topic. Ce processus d’intégration forcée peut être réalisé au travers de divers processus : la condensation, lorsque le lecteur résume le texte en enchaînant les éléments jugés essentiels ; la traduction, lorsque les ambiguïtés ou autres allusions explicites sont réduites à un sens allant dans la même direction que le topic, parfois, ce processus peut donner lieu à la surinterprétation de certains éléments et même à l’inversion de certaines propositions ; l’ajout, lorsque le lecteur complète le texte avec des liaisons ou autres éléments allant dans le sens de son topic et qu’il comble ainsi certains vides gênants et le retranchement, lorsque le lecteur passe sous silence les éléments trop contradictoires avec le système de significations qu’il développe, il peut ainsi donner le statut de « détails » à des éléments centraux du récit.

Aussi, « au lieu de se montrer attentifs aux lieux d’incertitude, de nombreux lecteurs polarisent leur attention sur les éléments qui confortent leur hypothèse globale et laissent de côté les autres éléments » (Dufays, Gemenne & Ledur, 2005, p.117). Ce processus de clichage a par ailleurs l’avantage d’amener le lecteur à développer différentes stratégies d’interprétation et permet à ce dernier de s’investir pleinement en tant qu’acteur de la construction du sens : « S’il réduit les virtualités du texte, le clichage amène aussi le lecteur à déployer des initiatives personnelles pour suppléer aux insuffisances du texte » (Dufays, p.159).

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La lecture suspensive est le second mode d’interprétation que peut emprunter le lecteur face aux « lieux d’incertitude », elle consiste à cesser de vouloir expliquer et rationaliser ces derniers à tout prix en les réduisant à un topic. La lecture suspensive consiste donc à laisser la construction de sens inachevée et ouverte. Elle préserve l’altérité du texte en interrogeant les indéterminations et en conservant leur caractère hypothétique : « La lecture suspensive reconnaît ainsi l’existence dans l’artefact textuel d’éléments “intraduisibles” » (ibid., p.158).

Comme nous l’avons évoqué précédemment, le processus de clichage est beaucoup plus fréquemment utilisé que la lecture suspensive qui peut agir de manière locale, mais qui ne peut en aucun cas concerner la totalité du texte. En effet, si chaque lieu d’indétermination restait ouvert, la construction du sens se révèlerait impossible, c’est pourquoi le réflexe de tout lecteur est d’opter pour la signification en accord avec le paradigme qu’il a développé : « Le clichage n’est donc pas un mode de lecture parmi d’autres : il est l’aboutissement normal du travail de construction textuelle, car c’est lui qui permet de comprendre le texte, de lui conférer une signification globale cohérente » (ibid., p.160).

Pour clore cette première partie de cadrage théorique, il me semble essentiel de retenir le caractère dialectique de la lecture, qui est toujours un alliage entre de l’ancien et du neuf, entre des stéréotypes et des informations nouvelles, entre le processus de compréhension et le processus d’interprétation. Mais il est clair que dans cet alliage, les stéréotypes et les attentes conventionnelles ont la part belle :

Si provoquant que cela paraisse, il n’est pas exagéré de dire que lire, c’est avant tout manipuler des stéréotypes : c’est reconnaître des agglomérats de sens préfabriqués, c’est alterner entre l’acceptation et la mise à distance des représentations conventionnelles, c’est enfin valoriser les conventions qu’on attend tout en rejetant celles qu’on refuse. (Dufays, Gemenne & Ledur, 2005, p.122)

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2.2. La lecture littéraire

2.2.1. Spécificité de la lecture littéraire comme objet d’enseignement

Le texte littéraire présente un monde incomplet, il est composé de fragments de narration, de personnages, de lieux, de dialogues, de pensées, mais des pans entiers du monde de l’œuvre font défaut, et ce, volontairement, afin d’offrir au lecteur la possibilité de reconstruire les parts manquantes : « Il n’existe pas de texte littéraire indépendamment de la subjectivité de celui qui le lit. […] c’est le lecteur qui vient achever l’œuvre et refermer le monde qu’elle ouvre, et il le fait chaque fois de manière différente » (P. Bayard, cité par Tauveron, 2002, p.15). Ainsi, le texte littéraire est un texte qui met volontairement le lecteur en position de détective qui devra combler les lacunes de l’intrigue afin de reconstituer le sens du texte. Le lecteur doit donc non seulement effectuer des inférences, mais de plus il doit remplir les creux du texte et saisir « qu’il y a davantage à comprendre qu’il n’entend » (Tauveron, 2002, p.16).

En plus d’être lacunaire, le texte littéraire peut être stratégiquement ambigu et créer la confusion à travers différents procédés, il « se présente comme une aire parcourue d’accidents sémantiques (…) qui sont autant d’obstacles pensés et légitimes » (ibid., p.17) : contradictions entre le texte et les images, création d’un monde dont les pourtours sont difficilement identifiables, intrication de récits, ambigüité relative à l’identité, au mobile ou au but des personnages, adoption de points de vue contradictoires, pluriels ou non définissables, perturbation des valeurs, etc. Le texte littéraire n’a donc pas pour objectif d’anticiper les difficultés du lecteur et de les limiter, bien au contraire, puisqu’il s’organise dans le but précis de troubler le lecteur et de laisser de nombreuses ouvertures de sens. Selon Tauveron (2001), la littérature est le lieu textuel d’une incompréhension programmée et c’est ce qui la différencie des autres formes de discours écrits « qui peuvent être incompréhensibles à l’occasion, mais qui n’ont pas pour projet conscient de l’être » (p.11).

Aussi, le texte littéraire réclame une collaboration active du lecteur qui est chargé de transformer le texte en un ensemble de significations cohérent, puisque dans le texte littéraire, les inférences, les liens à tisser, les obstacles à franchir, les ambigüités à creuser sont nombreux :

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Une aire de jeu ainsi conçue ne saurait se contenter d’un partenaire soumis : elle réclame un partenaire doté d’initiatives, d’autant que la règle du jeu l’encourage par ailleurs à traiter chacun des éléments du texte comme un indice potentiel au nom du principe qui veut que tout puisse être signifiant dans un texte littéraire. (Tauveron, 2002, p.17)

2.2.2. Textes réticents et textes proliférants

Les textes littéraires, autrement dit, les textes « résistants », sont ceux qui ne collaborent pas avec le lecteur en devançant ses difficultés, mais qui, au contraire, « organise[nt] la confusion » (Tauveron, 2002). Selon cette auteure, ces textes résistants peuvent être « réticents » et/ou « proliférants ».

Selon Tauveron (2001), « un texte réticent est un texte qui en dit moins qu’il ne devrait dire, criblé de béances à combler » (p.12). Ce type de texte exige non seulement la réalisation d’inférences de la part du lecteur, mais il exige également de lui la traduction d’un vide de signifié, l’interprétation d’un silence du texte. Cette réticence du texte peut être due à des blancs de différentes natures : caractère insaisissable de l’identité, du mobile, du but poursuivi par un personnage, l’adoption de points de vue non identifiables, la perturbation des valeurs, le caractère difficilement identifiable des frontières, de la nature, des lois du monde narratif créé, la contradiction entre texte et images, etc.

Les textes « proliférants », quant à eux, « en disent plus qu’ils devraient en dire et sont ouverts à la pluralité des interprétations » (ibid., p.13). Ils sont localement ou globalement polysémiques, ce qui pose des problèmes de compréhension au lecteur qui a le choix entre plusieurs interprétations possibles. Bien sûr, et c’est même souvent le cas, un texte réticent peut également être proliférant et c’est d’ailleurs souvent sa réticence qui est source de prolifération puisque le silence ainsi créé laisse place à l’interprétation du lecteur qui peut s’engager dans plusieurs directions.

Aussi, pour Tauveron, les textes réticents comme proliférants sont des supports privilégiés afin de développer les compétences interprétatives des élèves.

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2.2.3. Pourquoi approcher la lecture littéraire dès l’école enfantine

Une étude de Chauveau (1997), citée par Tauveron (2002), montre qu’au sortir de l’école primaire, les élèves qui rencontrent les plus grandes difficultés devant les récits littéraires sont ceux qui sont incapables d’adopter une position de lecteur-interprète et de s’approprier les textes lus. Ces élèves restent dans un rôle de récepteurs passifs devant le texte, alors même qu’ils devraient, pour comprendre, être en mesure d’habiter le texte, de l’occuper, de l’interroger, de l’articuler et de lire entre ses lignes, en bref, de l’interpréter :

Les élèves en difficulté de lecture (…) croient que pour comprendre un texte il suffit d’identifier et de retenir chacun de ses mots et que la somme de ces mots va naturellement jaillir du sens sans autre procédure, c’est-à-dire sans autre effort de leur part. (Tauveron, 2002, p.15)

Aussi, les compétences techniques de lecture (déchiffrage, identification des anaphores, perception des temps du récit, etc.) ne constituent pas les seules aptitudes essentielles à la compréhension littéraire, les compétences interprétatives doivent elles aussi faire l’objet d’un enseignement.

Selon Tauveron (2002) par ailleurs, si la compréhension est enseignée à l’école enfantine (où les élèves sont souvent encouragés à s’exprimer sur les livres rencontrés, à reformuler les intrigues, à faire des hypothèses à partir de la première page de couverture, etc.), cet enseignement est peu approfondi. En effet, les enseignants cherchent rarement, par exemple, à comprendre pourquoi un élève parvient, ou ne parvient pas à reformuler l’intrigue, ils restent en surface.

En outre, dès que les élèves entrent dans la lecture-déchiffrage, il arrive souvent que les enseignants cessent de s’intéresser à la saisie de l’intrigue, considérant « que la compréhension est un processus automatisé qui advient naturellement dès lors que tous les mots du texte ont été identifiés » (p.13). Aussi, nombreux enseignants partent du principe que dès que l’élève est capable de comprendre et d’identifier les mots d’un texte, il sera à même de le comprendre. Pour faciliter la compréhension des élèves débutants, ils ont donc tendance à proposer uniquement

« des textes où il n’y a rien à comprendre, c’est-à-dire des textes sans épaisseur, sans portes secrètes, sans greniers et sans sous-sols » (ibid.), autrement dit des textes où la liberté interprétative est très restreinte.

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Fijalkow (2003) (cité par Pasa & Beges) ainsi que Pasa & Beges (2006), ont d’ailleurs montré que les enseignants partaient rarement de récits et d’albums de jeunesse afin d’enseigner la lecture à leurs élèves. Effectivement, ces derniers semblent plutôt réservés à la lecture-plaisir, que l’on offre aux élèves durant les moments de battement en guise de « cadeau ». Les récits et les albums sont donc rarement considérés comme des alliés essentiels de l’apprentissage de la lecture, ils sont perçus par la plupart des enseignants comme des « bonus » à offrir aux élèves, mais pas comme des sources d’apprentissage riches.

Une réelle césure se crée alors entre l’objet d’enseignement prioritaire (la lecture-déchiffrage), qui s’apprend au travers des méthodes traditionnelles de correspondances graphophonétiques, et la compréhension, qui est perçue comme un objet d’enseignement plutôt secondaire, qui ne nécessite pas d’enseignement particulier puisqu’il émerge naturellement au fil des rencontres avec l’objet « livre ».

Par la suite, dès que les élèves maîtrisent bien le déchiffrage, les enseignants se permettent de demander à leurs élèves une compréhension plus fine en leur demandant de réaliser quelques inférences simples, d’identifier les personnages et l’intrigue notamment. Mais il s’agit essentiellement d’une vérification de la compréhension et surtout de la lecture. Les questionnaires donnés en fin de lecture sont le symbole de cette pratique qui consiste à faire croire aux élèves que comprendre, c’est être capable de répondre à des questions. Cette pratique donne lieu d’ailleurs à une dérive importante, lorsque les élèves ne prennent même plus la peine de lire le texte, mais commencent par les questions afin de repérer au plus vite les réponses attendues.

Aussi, que cela soit à l’école enfantine ou à l’école primaire, les enseignants ont tendance à laisser de côté l’enseignement de la posture de lecteur-interprète (posture capitale dans la compréhension des textes littéraires), considérant que cette dernière est essentiellement réservée aux élèves du cycle d’orientation maitrisant parfaitement la lecture : « parce qu’on ne conçoit pas l’apprentissage autrement que gradué dans la difficulté, elle est jugée hors de portée des jeunes enfants » (ibid., p.14).

Ainsi donc, pour de nombreux enseignants, la compréhension serait adaptée à l’école primaire, tandis que l’interprétation ne serait possible que plus tard (au cycle ou au collège), une

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fois que les élèves auraient atteint un niveau de compréhension excellent. Aussi, on apprend aux élèves principalement à comprendre à l’école primaire, puis on leur enseigne à interpréter par la suite, les privant ainsi d’une continuité, d’une harmonie pourtant cruciale : « En procédant par étapes […], on organise pour les élèves lecteurs un parcours fait de ruptures radicales et d’attentes successives contradictoires qui ne peuvent que les déstabiliser » (Tauveron, 2002, p.

21).

Selon cette auteure, une conception erronée du lien entre compréhension et interprétation se cache derrière cette pratique. Effectivement, les enseignants considèrent souvent que pour pouvoir interpréter un texte, il faut impérativement l’avoir compris préalablement. Cependant, lorsque la compréhension fait défaut, c’est justement l’interprétation qui permet l’avènement de cette dernière :

[E]n confondant ainsi le moyen et la fin, c’est-à-dire en posant l’interprétation comme une fin en soi quand elle n’est que le moyen d’accéder à cette fin véritable, mais méprisée, qu’est la compréhension (…) on court ensuite le risque de laisser croire aux maîtres des plus petites classes qu’ils peuvent apprendre à comprendre sans apprendre à interpréter. En un mot, on court le risque de n’apprendre ni à comprendre ni à interpréter. (Tauveron, 2001, p.9)

Pour cette auteure en effet, l’enseignement des compétences interprétatives devrait s’effectuer dès l’école élémentaire, dès l’entrée dans l’écrit, afin que les élèves puissent acquérir le plus tôt possible les réflexes qui leur permettront, tout au long de leur scolarité, de mobiliser des compétences de lecteur-interprète devant les textes littéraires.

En conséquence, selon cette auteure, l’entrée dans l’écrit est cruciale, puisque c’est à ce moment que vont se fixer les comportements et les représentations adéquates ou inadéquates face au texte littéraire et où il importe de transmettre aux élèves le plaisir qui peut être ressenti à chercher activement du sens au cœur des textes :

[P]arce que l’école apparaît bien comme le lieu des crispations initiales, nous disons : osons la continuité de la maternelle à l’université, quittons la surface insignifiante du texte où l’on réduit les petits enfants, apprenons-leur à maîtriser ce milieu singulier et laissons les barboter (je ne dirai pas nager, ce qui supposerait l’apprentissage de mouvements canoniques) librement mais ensemble dans les profondeurs. (Tauveron, 2001, p.8)

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En définitive, l’enseignement de la compréhension, et par la même de l’interprétation (puisque ces deux démarches sont complémentaires et imbriquées) est fondamental. En effet, les élèves ne peuvent construire ces compétences seuls, pas plus qu’ils ne peuvent apprendre à déchiffrer un texte sans le guidage et l’explicitation de l’enseignant :

Tous ont besoin d’être guidés, soutenus, accompagnés, tous ont besoin qu’on leur transmette des connaissances que, seuls ils ne pourraient pas découvrir ou construire, tous ont besoin qu’on leur montre parfois comment faire, qu’on leur fasse prendre conscience des gestes, des attitudes, des comportements qui sous-entendent un apprentissage efficace. (Cèbe & Pelgrims, p. 72)

2.3. Analyse à priori de l’album utilisé pour ma recherche : Ami-Ami

2.3.1. Un album de jeunesse

Ami-Ami est un album de jeunesse, écrit par Rascal et illustré par Stéphane Girel, qui répond aux critères principaux permettant de caractériser ce type d’ouvrages : le texte est bref et par nature elliptique et incomplet, l’image se trouve spatialement prédominante par rapport à ce dernier, la narration se réalise de manière articulée entre texte et images, et ce, sur l’espace de la double page (Van der Linden, 2006). Aussi, dans un album de jeunesse, le texte et l’image jouent tous deux un rôle en ce qui concerne la narration, tous deux se complètent et contribuent à donner du sens. Les descriptions des personnages et des lieux par exemple, sont souvent absentes du texte puisque l’image permet de contribuer à ces dernières. Une définition de Van der Linden (2006) semble particulièrement complète et intéressante pour rendre compte des caractéristiques de l’album :

L’album serait ainsi une forme d’expression présentant une interaction de textes (qui peuvent être sous-jacents) et d’images (spatialement prépondérantes) au sein d’un support, caractérisée par une organisation libre de la double page, une diversité des réalisations matérielles et un enchaînement fluide et cohérent de page en page. (p.87)

L’album n’est donc pas un genre de texte en-soi, mais plutôt un type d’ouvrage pour la jeunesse, avec une organisation matérielle et un rapport texte/image bien particulier. L’album

« accueille des genres sans pour autant en constituer un identifiable (…) On trouve aussi bien dans l’album des contes, des récits policiers que de la poésie » (Van der Linden, 2006, p.29).

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23 2.3.2. Un conte

Ami-Ami appartient au genre « conte » puisqu’il s’agit d’un récit comprenant une situation initiale introduite par une formule d’ouverture (dans une jolie vallée vivaient…), une phase d’action (la rencontre) et une résolution (le loup mange le lapin ou alors ils deviennent amis).

Les personnages sont caractéristiques du conte puisqu’ils sont très stéréotypés et qu’ils ne possèdent pas de nom, mais sont désignés par un surnom caractérisant un trait physique et un trait de caractère (le grand méchant loup et le gentil petit lapin). Il s’agit d’un conte merveilleux puisque nos deux personnages sont des animaux dotés de la capacité de parler et de penser.

2.3.3. Les personnages

Ami-Ami, c’est l’histoire de deux personnages que tout oppose : un grand méchant loup noir et un petit lapin gentil et blanc. Le petit lapin habite une petite maison ronde et blanche en bas de la vallée tandis que le grand méchant loup habite une grande maison noire et carrée en haut de la vallée. Le petit lapin aime jouer aux cartes, aux échecs, aux dés, il est collectionneur, végétarien et il aime dessiner. Le loup, quant à lui, nous ne savons pas exactement ce qu’il aime faire, mis à part le fait qu’il semble avoir envie de manger (il essuie la vaisselle, porte un tablier, met la table, sort avec une fourchette dans la main). Sa demeure est bien vide, froide et sinistre, avec pour seule décoration des cactus épineux qui la rendent peu accueillante.

Les deux personnages ont tout de même un point commun : ils sont seuls et aimeraient bien avoir un ami. Le petit lapin semble difficile, il aimerait bien un ami qui lui ressemble : petit, végétarien, dessinateur, collectionneur, joueur. Le loup par contre ne semble pas trop exigeant, il ne formule aucun souhait quant aux qualités nécessaires de son futur ami et affirme qu’il l’aimera « immensément », « tendrement » et même « avec talent ». Plus encore, il semble prêt à accepter ses éventuels défauts, puisque son ami, il l’aimera « même mauvais perdant » (en effet, si son unique destin est probablement de finir dévoré peut importe s’il a quelques défauts !).

Ces deux personnages sont par ailleurs extrêmement stéréotypés, nous l’avons vu, l’univers du loup est patibulaire, froid et terrifiant, tandis que celui du lapin est mignon, coloré et accueillant. Même s’il s’agit d’animaux, ces derniers sont anthropomorphes, autrement dit, ils sont munis de traits qui les humanisent (une faculté de penser et de ressentir, des habitudes, une

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capacité à se projeter dans l’avenir, une liberté, etc.). Selon Tauveron (1995) en effet, les personnages « sont dotés, au minimum, condition nécessaire et suffisante, d’une individualité et, sinon d’une conscience, au moins d’un vouloir perceptible d’une façon ou d’une autre à la surface du texte » (p.25).

Nous verrons également à travers l’analyse page à page de l’album que ces deux personnages ne sont pas faciles à cerner puisque les mobiles et les buts que poursuivent ces derniers sont difficilement identifiables. Pour les élèves donc, le fait que ces personnages (et plus particulièrement le loup) soient peu « lisibles » constitue un obstacle à la compréhension, mais un tremplin pour l’interprétation. En tous les cas, le fait de parvenir à cerner les personnages est essentiel pour comprendre l’album : « Comprendre un récit, c’est entre autres choses être en mesure de reconstituer la cohérence du personnage, c’est-à-dire appréhender, manifester les relations de ses constituants épars » (Tauveron, 2002, p.76).

2.3.4. Structure globale du texte

Mise en page

L’album est constitué selon une mise en page bien particulière, correspondant aux particularités du récit. En effet, les deux personnages vivent dans deux univers opposés et ne sont jamais représentés ensemble, ormis sur les trois dernières pages qui illustrent la rencontre et la première page qui représente la vallée avec les habitations des deux personnages. Lorsque les deux personnages sont représentés ensemble (rencontre et page présentant le contexte) les illustrations et les textes sont associés et prennent place sur une même double page, tandis que lorsque les deux personnages sont présentés séparément, le texte et l’image sont dissociés, les textes se trouvant sur la page de gauche et les images sur la page de droite, ou « belle page », puisque c’est sur cette dernière que se pose le regard à l’ouverture du livre.

Ce montage spécifique en alternance présente donc deux actions distinctes (celle du loup et celle du lapin), se déroulant au même moment et convergeant vers une inéluctable rencontre qui prendra place sur les trois dernières doubles pages de l’album.

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25 Structure narrative

Ce texte s’écarte des canons du genre (conte) puisque le schéma narratif est inhabituel : la présentation du contexte et des personnages s’étale sur 21 pages tandis que quatre pages suffisent à développer l’action (la rencontre entre les deux personnages) et deux pages sont consacrées à la résolution finale.

2.3.5. Focalisation du narrateur

Dans la page de présentation du contexte et des personnages (p.2-3) ainsi que dans les trois dernières doubles pages présentant la rencontre entre le gentil petit lapin et le grand méchant loup (p.24 à 29), le narrateur est externe, puisqu’il a une vue d’ensemble sur les faits racontés, mais sans pouvoir saisir les pensées des personnages. Dans les pages présentant le loup et le lapin en alternance (p.4 à 23), par contre, le narrateur est omniscient, puisqu’il se positionne à l’extérieur comme à l’intérieur des personnages, nous délivrant ainsi les souhaits d’amitié de chacun des protagonistes.

2.3.6. Analyse détaillée de l’album

Première de couverture

La couverture occupe une place primordiale dans l’album de jeunesse, elle donne le ton, elle permet au lecteur de se construire un horizon d’attente et « constitue surtout l’un des endroits déterminants où se noue le pacte de lecture » (Van der Linden, 2006, p.57). Bien souvent, elle fournit d’ores et déjà de nombreux indices quant aux personnages, au déroulement du récit, au type de discours, au style d’illustrations, au genre de texte, etc.

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Sur la première page de couverture figure la rencontre entre le grand méchant loup et le gentil petit lapin. À priori, ils semblent se tenir la main et partent ensemble dans une même direction. Le loup tient des fleurs dans sa main, les aurait-il reçues de la part de son ami ? À en croire le titre (Ami-Ami) en tout cas, il semblerait qu’il s’agit d’une belle histoire d’amitié qui irait au-delà des différences : l’amitié serait-elle possible même entre un grand méchant loup noir et un gentil petit lapin blanc ?

Cependant, en regardant d’un peu plus près l’illustration et plus spécifiquement nos deux compères, nous nous apercevons alors que le lapin ne semble pas si détendu que cela avec ce loup qui lui tient la main : il a les oreilles qui tombent, la bouche triste. Aurait-il également le regard inquiet ? Le loup serait-il en train de l’emmener de force avec lui ?

Quant au loup, il semble serein, il regarde le lapin, jusque-là rien d’inquiétant. Mais un détail presque invisible nous en dit long sur ses intentions : le croc acéré qui sort de sa gueule : notre ami aurait-il faim ?

Mais alors, qu’en est-il de cette amitié indiquée par le titre ? S’agit-il d’une amitié ordinaire entre deux personnages très différents ? Ou alors s’agit-il d’une amitié « pas banale » (p.22), une amitié dévorante et extrêmement risquée pour le lapin ? Que lire dans ce titre ? « Ami-Ami » ? Ou alors « A-miam-i » ? Si l’on en croit les lois de la nature en tout cas, il semble évident que les loups s’empressent de dévorer les lapins qui croisent leur chemin…

Page de titre

Sur cette page de titre, les deux personnages sont représentés côte à côte, mais contrairement à la première page de couverture, il ne s’agit pas d’une illustration présente dans le récit. Aussi, elle fournit moins d’indices sur le récit futur en le laissant plus ouvert : comme il n’y a pas de contact physique entre les personnages, ces derniers sont peut-être simplement représentés l’un à côté de l’autre nous ne savons pas ce qu’il se passera durant le récit tandis que la première page de couverture illustre la rencontre entre les deux personnages dévoilant ainsi la chute du récit.

Sur cette image, le loup est en position de domination, il est beaucoup plus grand et imposant, il a la tête haute, il fixe le lapin l’œil décidé, presque menaçant, les oreilles en arrière

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et les poings sur les hanches. Le lapin, quant à lui, semble mal à l’aise, voire même soumis puisqu’il a les pieds rentrés, les oreilles qui tombent et qu’il tient ses fleurs tout contre lui.

Pages 2 et 3 (double page)

Sur une double page commune, les deux univers du lapin et du loup sont opposés dans le texte :

Gentil petit lapin – grand méchant loup

Tout en bas de la vallée – tout en haut de la vallée Petite maison blanche – grande maison noire Et dans l’illustration :

Maison ronde et blanche – maison noire et carrée Fumée légère et blanche – fumée épaisse et noire

Herbe verte claire et petit lac paisible – falaise noire et lugubre

détails

Le texte présente donc le contexte dans lequel vont évoluer les personnages qui habitent tous deux dans la même vallée, sans pour autant se connaître. Cette première double page commune introduit l’opposition entre les deux personnages qui va être poursuivie durant les

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vingt pages suivantes au sein desquelles les personnages seront présentés chacun à leur tour (alternance entre une page « lapin » et une page « loup ») au sein de leurs univers respectifs.

Pages 4 et 5

Dans ces deux pages, nous entrons dans l’univers du lapin où tout est arrondi : le corps du lapin, son nez, ses oreilles, les motifs de la tapisserie, le tronc du bonzaï. Le texte nous indique que le lapin a peut-être un manque dans sa vie puisqu’il se dit chaque matin « Le jour où j’aurai un ami, j’aimerais qu’il soit petit comme moi ». Aussi, il semble souhaiter un ami, mais par n’importe lequel cependant, puisque ce dernier devra lui ressembler. Nous pouvons également penser que le bonzaï symbolise le lapin puisque, comme lui, il est petit, fragile et délicat…

Pages 6 et 7

détail

Par opposition à l’univers du lapin, l’univers du loup est tout en hauteur, avec des lignes droites, le loup lui-même est longiligne et s’oppose au lapin tout en rondeur. Les couleurs sont sombres, froides, sinistres, la demeure du loup est tout sauf accueillante. Le loup possède des cactus (plantes piquantes, menaçantes, qui demandent peu d’entretien à l’opposé du bonzaï qui demande une attention quotidienne).

Le loup semble avoir le même problème que le lapin puisqu’il se dit chaque soir: « Le jour où j’aurai un ami, je l’aimerai immensément ». Cette page fonctionne en écho avec la page

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précédente (matin/soir, petit/immensément). À noter que l’opposition (se disait chaque matin/ se disait chaque soir) se retrouvera tout au long de la présentation des personnages (p. 4 à 20).

Il est intéressant de noter que le loup regarde par la fenêtre et si l’on est attentif à la première page de l’album illustrant la vallée, nous pouvons voir que la maison du petit lapin est certainement visible depuis la fenêtre du loup se trouvant tout en haut de la falaise. Aussi, le loup serait-il en train de scruter sa proie en vue de son prochain repas ? D’ailleurs, il semble porter un tablier de cuisine…

Pages 8 et 9

détail

Nous sommes de retour dans l’univers du lapin, toujours tout en rondeur : les chaises, le dessous-de-plat, le dessous de verre, la décoration du jus de carotte, le plat à laitue, la table. À nouveau, le lapin fait part de son souhait d’avoir un ami qui lui ressemble : « le jour où j’aurai un ami, j’aimerais qu’il soit végétarien comme moi ».

Une chaise vide se trouve à côté du lapin, serait-ce la chaise qu’il destine à son futur ami ? Le cœur gravé sur le dossier confirme cette piste d’interprétation.

Pages 10 et 11

détail

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