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Une rencontre sur l'étude des "objets"
GALLAY, Alain
GALLAY, Alain. Une rencontre sur l'étude des "objets". Bulletin du Centre genevois d'anthropologie , 1994, vol. 4, p. 1-2
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:101343
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Bulletin du Centre Genevois d'Anthropologie, 4, 1993-94, 1-2
De
tous les animaux dela
CréationI'homme
estl'être
vivant qui fabrique, produit et consomme 1a plus grande quantité d'objets médiatisant les relationsqu'il
entretient avec son environnement. Dotés d'une cer- taine autonomie existentielle, nous retrouvons ces der- niers dans les contextes les plus divers : en situation, au contactétroit
des hommesqui
sont àleur
origine, ou hors situation, abandonnés, enfouis dansle
sol, oubliés au fond d'un grenier, sagement rangés dans une réserve de musée ou exhibés dans des contextes les plus divers.Que peuvent-ils nous apprendre sur nous-mêmes ? Quelles sont les voies à suivre pour les faire parler ?
A I'instigation du,Centre d'Anthropologie
de Genève, quelques spécialistes venus d'horizons les plus divers se sont réunisle
20 mars 1992 au Départementd'Anthropologie et d'Ecologie de l'Université
de Genève pour confronter leurs points de vue.Les articles du présent volume se veulent le reflet de
cette rencontre qui a réuni une
ethnoarchéologue (Valentine Roux), un préhistorien (François Djindjian), un protohistorien(Gilbert
Kaenel),un
historiend'art
(Jacques Chamay) et un sociologue (Bernard Crettaz).
Tel qu'il
seprésente, l'éventail des
diverses approches est suffisamment largepour
permettre desituer
les enjeuxd'une
compréhension deI'objet
etd'identifier
les principaux problèmes méthodologiques soulevés.Pour se situer dans ce débat quelques repères sont nécessaires, indépendamment des contextes historiques et géographiques concernés.
Objet des vivants, objets des morts
Un
premier clivage apparaît,qui
ne recouvre pas obligatoirement l' opposition entre archéologie et ethno-logie. Il
est des cas oùil
est possible d'appréhenderI'objet dans son contexte vivant immédiat.
Dans d'autres situations au contraire, ce dernier est coupé du monde quil'a
vu naître, s'animer et mourir, nous pen- sons aux vestiges provenant de fouilles archéologiques, mais également à certaines collections de musée.ÉurronrAt,
UNE RENCONTRE SUR L'ETUDE DES <OBJETS>
Les deux cas de figure paraissent a
priori
irréduc- tibles. Nous aurionsd'un
côté Ia pierre taillée par le chasseurdu
Paléolithiqueou le
masque ramené en Europe parI'explorateur du
19e siècle, deI'autre
la faux dontil
est possible d'enregistrerle
chant rythmé sur I'alpage et avec le propriétaire de laquelleil
est pos- sible d'engager la conversation.Le préhistorien, ou le conservateur de musée, serait condamné à rêver, alors que l'ethnologue de ter-rain, en possession de toutes les composantes de la réalité pour-
rait
seul apporter des réponses claires aux problèmes posés.A y
regarder de plus près pourtant des problèmes communs apparaissent.Dans tous les cas en effet 1'objet n'acquiert sa signi-
fication
quepar rapport
àun
contexte de référencedéfini
sur le plan spatial et temporel. De cette identifi- cation découle toute I'approche retenue.Du local explicite à l'universel implicite
Il
n'existe donc pas de situations oùil
est possible d'analyser un objet de I'intérieur sans faire référence àun
ensemble de connaissances extérieures.Il
est parcontre possible de se situer sur un continuum reliant deux pôles :
A I'une
des extrémitésle
savoir de référence va pour ainsi dire de soi et relève plus du sens commun que de connaissances spécifiques.On
se donneici l'illusion
de pouvoir mener à terme une étude interne deI'objet. A I'autre
extrémité au contraire seulela
réfé- rence à des connaissançes strictement locales nous ouvre la voie de l'interprétation.Langage de soi, langage de l'autre
Parler d'un objet peut vouloir dire deux choses. On peut se faire porte-parole et rendre compte de ce que les gens pensent ou disent de I'objet qui est le leur.
L'eth-
nologue ou le sociologue disparaît derrière la réalité, ou modèle sondiscours
surcelui
des hommesou
des femmesqu'il s'efforce
de connaître. Communion et2 EDITORIAI,
subjectivité partagées pourraient caractériser ce type d'approche.
On peut au contraire tenter de proposer un discours plus objectif de
la
réalité, mais également plus réduc*teur, dont
la
seule contrainte, et non des moindres, est d'ordre prédictif. Dans ce cas connaître signifie prédire etvérifier
cette prédiction dans divers contextes, tâche quasi insurmontable nous contraignant àlimiter
nos ambitions à des secteurs très partiels de la réalité.De I'objet au sens, du sens à I'objet
Certaines approches privilégient la mise en perspec-
tive
du matériel par rapport au sens et pratiquent ainsi ce quel'on
peut appeler de façon pédante une démarche hypothético-déductive.D'autres
démarches sont par contre plus empiriques ; fondées sur le matériel elles en construisent le sens par étapes successives. La première peut paraître plus proche de I'ethnologie, la seconde est le propre de la plupart des archéologues.Dans
le
prolongement de ces quelques réflexions, nous suggérons donc aux lecteursqui
trouveraient ces distinctions pertinentes de lire les diverses contributions réuniesici
à travers cettegrille
d'ana1yse, ce qui porrr- rait être une façon dc prcndrc conscicncc dcs difficultés de nos métiers.Il
va sans dire que nous ne portonsici
aucun jugement de valeur sur les choix retenus et sur les avantages ou inconvénients qui pourraient découler de tel ou tel parti pris théorique sur le plan scientifique etlou social.
Dans son
article
surla fabrication
des perles en roche dnre au Gujarat aux Indes Valentine Rou.r nous présente une approche ethnoarchéologique de la notion de spécialisation artisanale. Elle montre au niveau eth- nographiquequ'il
existe une relation entre I'apprentis- sage long etdifficile
requis pour maîtriser la fabrication des perles les plus sophistiquées et le concept social de spécialisation. Cette relation, considérée comme géné-rale, entre
la
qualité, mesurable,d'un
produit artisanal etla
présenced'une
classe socialeparticulière,
peut donc s'appliquer aux contextes archéologiquesdu
3e millénaire dans la vallée de I'Indus où existent des pro- duits de même qualité.A
propos du célèbre cimetière del'âge
du Fer duMùnsingen-Rain
dansle canton de Berne Gilbert
Kaenel montre çomment les mêmes objets, à savoir les parures essentiellement métalliques présentes dans les tombes de ce cimetière, ontfait
I'objet depuis l'époque de la découverte de ce cimetière, d'interprétations suc- cessives complémentaires résultant de <<questionne- ments>> distincts.François
Djindjian, I'un
des pionniers de l'applica- tion des méthodes mathématiques à l'archéologie, pré- senteune
analysed'un outil de pierre taillée
très particulier, le burin de Noailles, et montre ce que 1'ana- lyse trèsfine
des particularités morphologiques peut nous apprendre sur la fonction etla
dynamique évolu- tive d'un objet strictement utilitaire.En analysant
la
représentationd'un
artisan conser- vée sur deux fragments d'une coupe attique à figures rouges Jucques Chamay nous tlérnonl"re que les vases grecs peints no sont pas seulement des objets d'art pou- vant fairel'ohjet rl'un
cliscours esthétisant, mais égale- ment une sourced'information
importante surla
vie antique.La
scène paraît en effet représenter,fait
raris- sime, un artisan en train de frapper monnaie.Enfin Bernard Crettaz nous
fait
participer à sa pro- fonde connaissance du monde alpin et de ses habitants en analysant le rôle de la fâux dans la civilisation mon- tagnarde traditionnelle.En un mot nous souhaitons que
la
confrontation de ces diverses approches, choisies pourla
spécificité deleurs choix
méthodologiques,et
toutesde qualité,
puisse nous aider à mieux nous situer dans les choix, quelsqu'ils
soient, qui pourraient être les nôtres au cas où nous serions amenés à parler d'objets.Alain Gallay