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L'interprétation de la "chute" dans la "Théologie systématique" de P. Tillich: ses implications théologiques et "méthodiques"

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L'interprétation de la "chute" dans la "Théologie systématique" de P.

Tillich: ses implications théologiques et "méthodiques"

ASKANI, Hans-Christoph

Abstract

Plusieurs thèmes sont abordés dans cet article: la compréhension du péché chez Tillich, le statut du texte biblique dans le développement de sa réflexion, le relation entre langage mythique et terminologie ontologique, la relation entre enjeu théologique et approche philosophique. Outre ces thèmes, l'intérêt de la réflexion (surtout dans les derniers paragraphes du texte) est de comprendre la méthode de corrélation, sa portée, son enjeu théologique, sa dynamique, son origine et son rapport avec la systématicité de la Théologie Systématique. Le parcours est long et compliqué. La difficulté du texte tient au fait que l'auteur cherche toujours à comprendre Tillich. Le texte témoigne de cette quête ouverte.

ASKANI, Hans-Christoph. L'interprétation de la "chute" dans la "Théologie systématique" de P.

Tillich: ses implications théologiques et "méthodiques". In: XII Colloque international Paul Tillich . 1997. p. 85-114

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:30162

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1 / 1

(2)

Hans-Christoph Askani

1

Professeur à l'Institut protestant de théologie (Paris)

L'interprétation de la « chute » dans la Théologie Systématique

de P. Tillich

ses implications théologiques et

«

méthodiques

»

0

Résumé :

Plusieurs thèmes sont abordés dans cet article : - la compréhension du péché chez Tillich, - le statut du texte biblique dans le développement de la réflexion de Tillich, - la relation entre langage mythique et terminologie ontologique, - la relation entre enjeu théologique et approche philosophique.

Outre ces thèmes, l'intérêt de la réflexion (surtout dans les derniers paragraphes du texte) est de comprendre la méthode de corrélation, sa portée, son enjeu théologique, sa dynamique, son origine et son rapport avec la systématicité de la Théologie Systématique.

La parcours est long et compliqué. La difficulté du texte tient au fait que l'auteur cherche toujours à comprendre Tillich. Le texte témoigne de cette quête ouverte.

1 Je remercie ma collègue Corina Combet-Galland qui a gentiment et patiemment corrigé le texte et ainsi aidé l'auteur à éviter les fautes d'expression française les plus graves.

(3)

HANS-CHRISTOPH ASKANI. LA • CHUTE»

Introduction

La compréhension du péché dans la Théologie Systématique2 de Tillich est un thème souvent discuté- dès le début, même avant son élaboration explicite dans la 3e partie du système.3 C'est curieux, mais ce n'est pas vraiment surprenant car chaque thème de cette théologie est présent dans chaque partie; ainsi le thème du péché est déjà préparé, esquissé dans le 1er volume Oa 2e partie), où Tillich parle de «L'Être et Dieu >>, et plus particulièrement, où il parle d'« Être et finitude » et de '' L'actualité de Dieu » (voir avant tout le paragraphe '' Dieu comme créateur»).

L'importance qui a été donnée au thème du << péché » dans la littérature secondaire est dûe, si je vois bien, à deux raisons.

- D'abord l'explication de ce thème constitue le centre du système tillichien : <<Les problèmes abordés dans ce volume sont au cœur de toute théologie chrétienne: l'aliénation de l'homme et la doctrine du Christ ,4. C'est ici que la distinction fondamentale de la Théologie Systématique, la distinction entre '' essence , et << existence », gagne sa profon- deur théologique, et c'est ici que cette théologie (et cette distinction) aura sa pierre de touche.

-La deuxième raison tient à ce qui constitue le grand effort et le génie de cette Théologie Systématique: l'interprétation du message biblique dans un langage tout à fait autre. Cette interprétation apparaît le mieux - dans toute son audace et dans tout son risque - dans la 3e partie où Tillich livre sa compréhension de l'histoire de la ,, chute , dans Genèse 2 et 3. Il s'éloigne ici beaucoup du langage biblique qui pourtant a été tellement présent pendant très long temps dans l'histoire de la théologie et de la piété chrétienne.

Le projet de Tillich a-t-il réussi ou échoué ?

2

~ous ci~<ms ~a

Théologie Systématique de Tillich selon le texte français : P. Tillich, Théo-

log~e.Systematzque,

Tome I et II [TS I, TS Il], traduit de l'américain par F. Ouellet Paris :

EditiOns Planète, 1969. '

-,P.

Ti~lic~,

L'existence et le Christ. Théologie Systématique. Troisième Partie, traduit de l améncam par F. Chapey, Lausanne : Editions l'Age d'Homme 1980 (Si nous ne donnons, après une citation, que

l'~?dication

des pages, le chiffre

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livre.) Pour

plu~ ?e

.clarté no':ls .renvoyons, s.ll nous semble nécessaire, à l'édition allemande ou

amenca~ne

: P. Tillich, Systematzsche Theologie Band I-III [ST I-III] Frankfurt a.M.:

Eva~gehsches

Verlagswerk

~~58-1966.

[ST I 81984, ST II 51977, ST III 41984.] Le

de~Ième

volume.

d~

cette

éditw~

comporte la Troisième Partie : ,, Die Existenz und der Chnstus ».-P. Tilhch, Systematzc Theology 1-3, University of Chicago Press Volume 1·

1951, Volume 2 : 1957, Volume 3 : 1963. ' ·

3

Cf. déjà R. Niebuhr dans : The Theology of Paul Tillich ed Ch W K 1 t R W Bretall, New York, The Macmillan Company 1952 pp 21B-2Ù . t. t. eg eyleTill·. h.

renvoie (EC 60). ' · , ex e auque Ic

4

~1,

cf. 31 : ''Une théologie qui prend la corrélation de l'existence et du Chri t

theme central[. .. ], s pour son

87

HANS-CHRISTOPH ASKANI. LA • CHUTE»

Peut-on y répondre facilement ?

Nous voulons aborder cette question et nous le ferons en plusieurs étapes.

En plusieurs étapes, parce que la thématique est assez compliquée.

1. Nous ne pouvons pas confronter l'interprétation de Tillich au texte biblique tout court; car tout ce que nous allons confronter avec lui relève de l'interprétation aussi. Une

confrontation immédiate n'est pas possible. .

2. Le statut du texte biblique dans le cadre du développement de la réflexiOn de Tillich n'est pas évident. Sa compréhension de ce qu'est le péché n'est pas le résultat direct de son interprétation de Gen 2 et 3. Le rapport entre le développement théologique de 1 1. '

d'un côté la réflexion Tillich et l'interprétation du texte biblique est p us comp Ique. I . . , théologique n'est pas le simple résultat de l'exégèse, d'un autre côté le texte biblique n est

as un pur exemple, une pure illustration de la théorie. Quel est donc son statut?

p 3. S'il est évident que l'interprétation du texte biblique joue un rôle pour la compréhension du péché, un rôle qui pourtant ne va pas de soi, où trouvons nous donc la théorie du péché chez Tillich ?

Elle se déploie évidemment dans la troisième partie, mais elle est préparée avant et elle ne sera achevé qu'avec l'eschatologie de la 5e partie.

1 t é donnent sur la structure Les questions évoquées et les difficu tés men Ionn es

suivante de mon exposé : . . .

1. Esquisse de la compréhension du péché dans la Théologie Systématzque de Tillich ll. L'interprétation du récit de la " chute , dans la Théologie Systématique

m .

Regard critique sur l'interprétation du récit de la " chute , par Tillic~ . .

d ·t· l'arrière-plan théologique de l'interprétation tilhchienne du IV. Regar en Ique sur

récit de la '' chute " . ,

. . 1 d ritique sur l'arrière-plan théologique de l'mterpreta- V. Regard cntique sur e regar c

tion tillichienne du récit de la '' chute ,

1

Esquisse de la compréhension du p~c~é

dans la Théologie Systématique de Tillich

.ti d l'essence à l'existence

»

1. Le péché en tant que

«

transi on e

fiond amentales de la Théologie Systématique est celle de Une des oppositions

1

· t sous un autre aspect, a Ell fl't à un autre mveau e

l'essence et de l'existence. e re e e, ·

. ''l'infini "· C'est sous l'horizon de cette opposi- distinction et la relation entre ,, le fim » et 1" ' appelle

Till" h rend et exp Ique ce qu on

tion et à l'aide de cette opposition que IC comp

(4)

HANS-CHRISTOPH AS KA NI. LA • CHUTE,

traditionnellement dans la théologie chrétienne le péché. Le péché est la transition de l'essence à l'existence.

Pour développer ce que cela veut dire, Tillich renvoie à Platon chez lequel déjà '' l'opposition entre l'être existentiel et l'être essentiel devint un problème ontologique et éthique. Pour Platon l'existence est le domaine de la pure opinion, de l'erreur et du mal.

La vraie réalité lui fait défaut. L'être vrai est l'être essentiel et il est présent dans le domaine des idées éternelles, c'est-à-dire dans le domaine des essences. Pour atteindre

l'être essentiel l'homme doit s'élever au-dessus de l'existence. Il lui faut retourner à ce

domaine des essences d'où il est tombé dans l'existence. Dans cette perspective, l'existence

de l'homme, sa sortie de la potentialité est comprise comme une chute qui l'a éloigné de ce

qu'il est essentiellement. Le potentiel est l'essentiel et exister, c'est-à-dire sortir de la potentialité, est la perte de notre être véritable. Ce n'est pas une perte totale, car l'homme se tient encore dans son être potentiel ou essentiel. Il s'en souvient et par cette réminisence il participe au vrai et au bien. '' (34.)5

On peut trouver les éléments constitutifs de la" transition de l'essence à l'existence ,, dans ce renvoi à Platon :

• D'abord l'hypothèse fondamentale ,, d'une rupture dans la réalité entre la potentialité et l'actualité ,,6, à laquelle correspond celle entre l'essence et l'existence. Selon Tillich ce n'était ni lui-même, ni Platon qui avait découvert cette «rupture ''• mais elle était '' l'une des premières découvertes de la pensée humaine ,, (34) et elle est présent d'une manière ou d'une autre dans toute philosophie et dans toute théologie.

• Il y a un décalage entre l'essence et l'existence. Ce décalage est un décalage ontologique qui ·implique une dimension éthique - pourtant pas n'importe quelle dimension éthique mais la dimension éthique la plus fondamentale : l'essence est le vrai être, l'existence par contre est« une chute, (34) qui éloigne l'homme de son essence.

• Le rapport entre essence et existence comporte deux dimensions : - le lien étroit de l'existence avec l'essence,

- la déchirure entre l'essence et l'existence.

Le lien est déchiré, mais le rapport n'est pas totalement perdu. La chute n'est possible que parce qu'une relation entre les deux est (et reste) le fondament : l'existence appartient à l'essence, et elle y appartient toujours. " It is not a complet loss, for man stands still in his potential or essential being [ ... ] ,_7

5 Le texte français correspond au texte anglais. Or il est intéressant de souligner quelques différences par rapport au texte allemand : « [ ... ] Um essentielles Sein zu erlangen, muB sich der Mensch über die Existenz erheben. Er muB zum Essentiellen zurückkehrn, von dem er in die Existenz gefallen ist. Gema.B dieser Anschauung wird die Existenz des Menschen, sein Herausstehen aus der Potentialitat, als Abfall von dem, was er essentiel

ist, verstanden. Das Potentielle ist das Essentielle, und Existenz, Herausstehen aus der

Potentialitat, ist Verlust des wahren Wesens. Aber es ist nicht volliger Verlust : Der Mensch hart nicht auf, Mensch zu sein. Essentielles und Existentielles sind in ihm gemischt, wie die Erinnerung an das Wesenhafte injedem Menschen zeigt. " (II, 28 ; c'est moi qui souligne.)

6 33, cf. 34.

7 Systematic Theology II, 24.

89

HANS-CHRISTOPH ASKANI. LA« CHUTE,

2. Le péché comme aliénation

Ce que nous venons de dire à propos de la relation entre essence et existence - relation à la fois d'appartenance et de distance- est figuré dans la Théologie Systémati- que par une expression et une idée qui se trouvent chez le jeune Hegel et après- en tant que protestation contre le vieil Hegel chez Marx et d'autres8 : l'idée de la "Entfremdung "•

de l'aliénation. «l'existence est aliénation ,, (61, cf. 37.) "Die Existenz ist Entfremdung , (TS II, 53, cf. 31.)

L'existence appartient à son essence ; mais elle s'en est éloignée d'elle dans un mouvement de rupture. Cette rupture est capitale, mais elle n'est pas totale. Elle est le mouvement d'exister même et sans elle (sans cette rupture) l'existence ne serait pas existence. Pour qu'il y ait existence, cette rupture est donc d'une certaine manière (de laquelle?) nécessaire. Néanmoins elle est vraiment aliénation: éloignement de l'origine, et plus qu'éloignement : devenir étrange,- et cela non seulement par rapport à ce d'où elle vient, mais par rapport à son essence, c'est-à-dire à ce qu'elle devrait être. 9 - C'est cela le péché. Un éloignement profond de l'existence par rapport à son essence : l'état (la situation) de l'homme existant et l'effectuation de cet éloignement, de ce devenir étrange.

«Aliénation "• cela veut dire en même temps être et devenir étrange.

Le terme « éloignement " peut sembler faible pour exprimer ce que Tillich entend par

" aliénation "· Et en effet nous trouvons chez Tillich des expressions plus fortes, plus

dures, comme " déformation existentielle " (14), comme "rupture " (TS II, 85), " auto- destruction » (ibid.), « contradiciton avec soi-même " (44), « déchirure existentielle , (36),

«chute" (43) ...

Si on prend au sérieux ce que veut dire ici «éloignement "• à savoir un éloignement de l'essence, de la vérité (TS II, 85), de ce que l'homme " devrait être " selon sa nature (14), on s'aperçoit que l'expression« éloignement" n'est pas du tout faible, qu'elle dit déjà tout ce que l'on peut dire ici.

Néanmoins nous tombons sur un problème: les termes" aliénation" ainsi qu'« éloi- gnement '' signifient quelque chose qui est donné avec l'existence elle-même (l'existence n'est pas existence et en plus elle est aliénée, elle est en tant que telle aliénation).

Comment donc mettre en rapport avec cette idée des expressions comme " déchirure "•

«auto-destruction "• etc. qui menacent l'être existant? Dans l'idée de l'aliénation étaient présents aussi bien l'élément d'étrangeté que celui d'appartenance, donc la possibilité d'un

8 Cf. 61, 37.

9 Cf. "[ ... ] ce que l'homme est essentiellement et donc ce qu'il devrait être [ ... ].» (117 cf.

119)

(5)

90

HANS-CHRISTOPH ASKANI. LA« CHUTE,,

retour, d'une réconciliation. 10 S'il s'agit par contre d'une ,, auto-destruction ''• d'une

<< déchirure », une autre dimension est atteinte. Comment alors penser la relation entre

existence, qui est inévitablement << aliénation », et cette dimension de << déformation existentielle » ?

On pourrait imaginer que la situation de l'homme en tant qu'existence et en tant

qu'aliénation de son essence est le cadre, l'horizon, si on veut l'<< existential » dans lesquels

peut s'effectuer, comme possibilité existentielle, cette<< déformation». Or qu'est-ce que cela veut dire pour la compréhension du péché ?

• Le péché à proprement parler, est-il l'aliénation ou la déformation ? est-il

<< l'existential "• la situation ontologique ou ce que l'homme en fait dans son existence?

• Et la réconciliation, concerne-t-elle l'aliénation ou la déformation ou les deux ?

• Y a-t-il donc une progression dans l'aliénation, dans l'éloignement de l'existence par rapport à son essence ?

3. Le péché en tant qu'acte libre et destinée

Ce troisième aspect sous lequel nous esquissons la compréhension du péché chez Tillich n'ajoute rien de nouveau à ce qui a été dit. Il souligne pourtant quelque chose qui, plus nous entrerons dans la problématique du péché plus nous intéresserera. En effet Tillich parle à plusieures reprises de la polarité entre liberté et destinée pour caractériser la condition humaine.l1 Cette polarité interprète d'une certaine manière la différence fondamentale dans la pensée tillichienne entre fini et infini et celle - fondamentale aussi - entre essence et existence. L'homme en tant qu'être fini, en tant qu'existence, est soumis à la polarité entre liberté et destinée. Rien d'humain ne peut se faire hors de cette polarité.

<< La liberté en polarité avec la destinée est l'élément structural qui rend l'existence

possible parce qu'il transcende la nécessité essentielle de l'être sans la détruire [ ... ] L'homme est homme parce qu'il a la liberté, mais il n'a la liberté que dans une interdé- pendance bi-polaire avec la destinée. ,12

Cette même polarité est fondamentale pour comprendre le péché. Le péché, comme nous l'avons vu à propos du terme << aliénation "• comporte les deux aspects d'un état et d'un mouvement : l'état d'éloignément de l'essence et le mouvement de s'en éloigner. Les deux sont inséparables.

La polarité entre liberté et destinée rend justice au fait que dans cette aliénation il y a un élément aussi bien de passivité que d'activité.

10 Cf. <<Sa bonté essentielle n'est pas corrompue par son aliénation existentielle. , (llO).

Cf. : << Seine essentielle Vollkommenheit ist durch seine existentielle Entfremdung nicht aufgehoben, sondern nur verzerrt. » (TS II, 97.)

11 TS II, 49-56, 81-84; EC 51-54, 63, 67, 74.

1 2 'fS II, 49.

HANS-CHRISTOPH ASKANI. LA • CHUTE»

<<La situation de l'homme est aliénation, mais son aliénation est péché. Ce n'est pas un état des choses, comme les sont les lois de la nature, mais un affaire qui relève à la fois de la liberté personnelle et la destinée universelle» (63.)

C'est pour cela d'ailleurs que Tillich ne veut pas remplacer le terme ,, péché » - malgré des malentendus moralistes qui le poursuivent- par le terme << aliénation "• car il

<<met en lumière le rôle de la liberté et de la culpabilité personnelles dans l'aliénation en face de son aspect de culpabilité tragique et de destinée universelle » (ibid.)

n

L'interprétation du récit de la

«

chute

»

dans la Théologie Systématique

1. L'interprétation du mythe

comme expression du

«

passage de l'essence à l'existence

»

Tillich interprète le récit de la ,, chute » dans G€nèse 2-313 dans la ge partie de la Théologie Systématique dans le chapitre qui a pour titre : <<Le passage de l'essence à l'existence et le symbolde de la<< chute"·

Dans la différenciation entre le récit de la << chute » et le symbole de la << chute » (ainsi que des mythes divers qui parlent d'une telle << chute»), nous reconnaissons déjà une thèse fondamentale de l'approche de Tillich.

En fait il commence son interprétation par les phrases suivantes :

<< Le symbole de la "chute" fait partie intégrante de la tradition chrétienne. Bien qu'il

soit habituellement en liaison avec l'histoire biblique de la "chute d'Adam", sa signification déborde le mythe adamique et a une portée anthropologique universelle. » (42.)

C'est cette dimension anthropologique qui est le but de l'interprétation de Tillich et de sa réflexion théologique :

<< La théologie doit présenter clairement et sans ambiguïté la "chute" comme un

symbole universel de la situation humaine et non comme l'histoire d'un événement qui serait arrivé "il était une fois".» (43.)

Pour atteindre à cette dimension << anthropologique universelle "• il faut sortir du langage mythologique et parler en termes ontologiques. Si Tillich parle par conséquent de

la<< chute» en tant que <<passage de l'essence à l'existence », il s'agit déjà d'une démytho-

logisation, d'une démythologisation qui n'est pourtant pas totale, car cette formulation comporte toujours un élément de temporalité (voir l'expression<< passage »). Tillich ne dit pas ici, s'ille regrette ou non. D'un côté il dit : <<Une démythologisation n'est pas possible

13 Tillich dit Genèse 1 à 3, mais il interprète 2 à 3.

(6)

92

HANS-CHRISTOPH ASKANI. LA • CHUTE»

lorsque l'on parle du divin. ,,14 D'un autre côté Tillich souligne à plusieurs reprises comment les termes de temporalité sont inadéquats à toute compréhension de la relation entre essence et existence.15

Nous laissons pour l'instant cette question en suspens, et maintenons la différence entre trois niveaux dans l'interprétation de Tillich: a) le récit biblique de la "chute "• b) le symbole de la " chute » en général, c) leur signification : " le passage de l'essence à l'existence"·

2. Le récit biblique comme

<< :fil

conducteur

»

de la description tillichienne du

<<

passage de l'essence à l'existence

»

«L'histoire que rapporte la Genèse dans ses chapitres 1 à 3 [ ... ] est l'expression la plus profonde et la plus riche de la conscience que l'homme a prise de son aliénation existentielle[ ... ] "• écrit Tillich (45)" [ ... ] à condition qu'on la prenne pour un mythe, [elle]

peut servir de fil conducteur à notre description du passage de l'être essentiel à l'être existentiel. "(45.)

En fait, c'est la manière par laquelle Tillich va comprendre cette histoire dans les paragraphes 2 à 5 de ce chapitre B. Or, «fil conducteur» cela veut dire quoi ? Si je vois bien, deux choses :

• L'histoire de Gen 2-3 fournit d'abord un « schéma » temporel ou quasi-temporel comportant plusieures phases selon lesquelles «on peut traiter du passage de l'essence à l'existence». (Tillich le dit explicitement.)

• Dans chacune de ces phases, cette histoire va aider à expliquer ce qu'est « concrè- tement " le passage.

Si Tillich parle du « schéma "• il distingue 4 points que je vais reprendre dans les paragraphes suivants avant d'entrer en discussion.

"Le récit montre en premier lieu la possibilité de la faute, en second lieu il expose

ses motifs, en troisième lieu il raconte l'événement lui-même et en quatrième lieu il décrit ses conséquences." (45 1 38.)16

Un coup d'oeil rapide indique aussitôt le grand décalage entre ce que l'on a peut-être en tête comme << phases » de la ,, chute " biblique et ce que Tillich leur reconnaît pour enjeu. Confrontons par exemple << l'événement lui-même » de la << chute » et le titre correspondant de Tillich : <<L'élément moral et l'élément tragique dans le passage de l'être

14 43, cf. le texte allemand: ,, Vollige Entmythologisierung ist unmoglich, wenn etwas über den Übergang von der Essenz zur Existenz ausgesagt werden soll. » (36.)

15 Cf. EC 56 1 ST II, 48, où Tillich dit<< que le passage de l'essence à l'existence n'est pas un événement dans l'espace et dans le temps, mais la qualité transhistorique de tous les événements qui se produisent dans l'espace et dans le temps. " (Cf. EC 60, 51.)

1 6 Aux quatre étapes correspondent les quatre paragraphes : << La liberté finie comme possibilité du passage de l'essence à l'existence» ; << L"innocence rêveuse et la tentation » ; ,, L'élément moral et l'élément tragique dans le passage de l'être essentiel à l'être existentiel» ; <<Création et chute"·

93

HANS-CHRISTOPH ASKANI. LA« CHUTE»

essentiel à l'être existentiel ». Ce titre ne signifie peut-être pas tout à fait autre chose, mais il rerpésente un travail terminologique, un travail de réflexion énorme. On voit la même chose, si on compare le quatrième point selon Tillich : " Création et chute " avec ce qui lui correspond dans le récit biblique : les "conséquences de la "chute" ». ;En effet, il n'est pas toujours facile de reconnaître dans l'interprétation de Tillich ce à quoi elle se refère dans le texte de la Genèse, mais si on le reconnaît, on découvre souvent quelque chose d'inattendu.

Entrons dans les détails de son interprétation.

3.

<< La

liberté finie comme possibilité

du passage de l'essence à l'existence»

(45-47)

Tillich se demande, comme on se l'est demandé souvent dans l'histoire de l'interpré- tation de ce récit, quelles sont les conditions, les présuppositions, pour qu'un tel événe- ment ait pu se produire. Et il reconnaît cette présupposition, cette possibilité dans la liberté de l'homme.

<<En nous fondant sur la solution qui a été acquise [dans la 2me partie du premier volume], nous pouvons répondre à la question de savoir comment le passage de l'essence à l'existence est possible en termes de "liberté", d'une liberté qui est toujours unie de façon polaire avec la destinée. » (45/cf. 38.)

Cette affirmation implique plusieurs aspects :

• Pécher suppose une certaine condition humaine. Il y a une condition, une possibilité de pécher.

• Cette condition est donnée dans la structure anthropologique de l'être humain dans sa finitude en relaton avec l'infini. Cette finitude en relation avec l'infini se réalise entre autres dans la liberté finie de l'homme, c'est-à-dire dans une liberté qui est toujours en relation de polarité avec la destinée.

• A cette connaissance correspond une affirmation centrale du paragraphe, où Tilllich dit que la possibilité du péché n'est pas due à tel ou tel défaut de l'homme qui fait entre autres choses partie de son être, mais qu'elle est due à << une qualité de la structure de la liberté comme telle." (47.)

Si << Calvin pensait que la liberté de faillir était une faiblesse de l'homme, faiblesse fâcheuse en ce qui regarde son bonheur» (47), Tillich par contre reconnaît cette liberté comme la caractéristique de l'être humain, dans laquelle grandeur et faiblesse de l'homme sont inséparablement liées (cf. ibid.). En termes théologiques, << c'est l'image de Dieu en l'homme qui crée la possibilité de la faute. Seul celui qui est l'image de Dieu a le pouvoir de se séparer de Dieu. » (ibid.)

(7)

94

HANS-CHRISTOPH AS KA NI. LA« CHUTE»

• Si on cherche une correspondance à cette thèse fondamentale de Tillich dans le récit biblique, on la trouve dans le fait qu'Adam et Eve participent activement à la

" chute " (c'est la dimension libre de la liberté humaine) et ils y participent les deu.'l:. en connivence avec le serpent (ce qui est la dimension destinée de la liberté humaine).

4. « "L'innocence rêveuse" et la tentation »

(47-51)

Le 2e point, selon le schéma de Tillich, parle des "motifs " de la " chute "· Si on se demande quel est le trait qui correspond à ce thème des " motifs " dans le texte biblique, on va probablement penser à ce qu'on appelait dans la tradition chrétienne la

"tentation"· Et c'est en effet cette tentation- représentée dans le récit par " l'arbre de la

connaissance" et par" l'interdiction divine de manger du fruit, de cet arbre (45)- qui est

le thème dont va traiter Tillich dans ce paragraphe.

"L'interdiction de manger de l'arbre de la connaissance, symbolise, selon l'interpré-

tation de Tillich, dem: choses presque contradictoires (mais c'est la force d'un symbole de pouvoir le faire) :

-" L'interdiction divine suppose et ainsi symbolise une sorte de séparation , : la

« séparation entre le créateur et la créature, une séparation qui rend un commandement nécessaire " (50).

Cette séparation et ce commandement représentent un pas décisif dans l'histoire et dans l'événement de la " chute "· C'est ici, en ce moment, à cette occasion que la liberté commence à s'actualiser, à sortir de l'état de la pure potentialité. Il y a un moment où la liberté se trouve pour ainsi dire entre son état de potentialité et son état d'actualité - elle est une " liberté éveillée " (50)(« erregte Freiheit .. ) ('I'S II, 42). La liberté doit, pour être vraiment liberté, s'actualiser; une liberté qui ne fait que se tenir ouverte pour toutes les possibilités n'est pas liberté dans le sens plein du mot. Néanmoins l'acte de cette actualisation est en même temps l'entrée dans la finitude (ce n'est plus toutes les possibilités ouvertes, c'est une possibilité choisie), c'est la fin de la pure potentialité et la perte de ce que Tillich appelle dans ce chapitre "l'innocence rêveuse "· C'est l'acceptation de la culpabilité- sans laquelle la liberté humaine ne serait pas liberté.

Or il y a avant cette acceptation, avant l'entrée dans le choix, dans la finitude, dans la liberté actualisée, un moment qui est justement le moment de la ,, liberté éveillée " et qui est un moment d'hésitation : " L'innocence rêveuse veut se préserver " (50). Et cette réaction est symbolisée également" par l'interdiction divine faite à l'homme " (50).

Tillich montre donc que ce qui est représenté dans le récit biblique par la séparation

" entre créateur et créature " et par l'interdiction qui incite à la transgression, c'est

justement la libert-é humaine en tant qu'elle se réalise.

HANS-CHRISTOPH ASKANI. LA • CHUTE»

Dans son état potentiel, elle est innocente, mais elle n'est pas encore réelle (elle ne fait que rêver- et une liberté qui ne se réveille jamais n'est pas libre) ; dès le moment où elle commence à être consciente de sa liberté, elle commence et a déjà commencé à devenir actuelle. Le premier pas vers cette actualisation est d'une certaine manière dans l'entre- deux : entre potentialité et actualité, rêve et réalité, inconscience et conscience. Or ce moment ne peut être qu'un moment, et en tant que moment il est déjà transition, transitoire : il est déjà le pas fait vers la liberté actuelle, coupable et finie.

5.

«

L'élément moral et l'élément tragique

dans le passage de l'être essentiel à l'être existentiel»

(51-54)

La troisième " étape " proposée par le << schéma " du récit biblique est ,, l'événement lui-même,, (45), c'est-à-dire la ,, chute "• la ,, chute " dans l'abîme ou en d'autres termes : dans l'existence.

Si on le voit ainsi on comprend que Tillich puisse reconnaître comme événement décisif de cette " histoire " non pas un événement ponctuel dans le passé (par exemple l'acte de manger un fruit de cet arbre), mais l'enchevêtrement inévitable entre liberté et destinée dans ce qu'est l'existence.

,, La signification du mythe est que le passage de l'essence à l'existence est impliqué dans la constitution même de l'existence. L'acte individuel d'aliénation existentielle n'est pas l'acte isolé d'un individu isolé ; c'est un acte de liberté qui, en même temps, s'encadre dans la destinée universelle de l'existence. En chaque acte individuel le caractère d'aliénation ou de déchéance de l'être s'actualise. Toute décision morale est à la fois un acte de liberté individuelle et de destinée universelle. " (53)

Tillich souligne deux aspects de l'existence humaine qui sont inséparables l'un de l'autre, et qui tous deux ensemble constituent ce que l'on appelle le péché : la liberté et la destinée, l'élément moral et l'élément tragique. Dans le récit biblique de la « chute "•

l'élément moral(<< l'aspect psychologique et l'aspect éthique "• 52) est prédominant, sans bien sûr que l'élément tragique soit exclu (voir le serpent, voir la dépendance mutuelle entre Adam et Eve ... ); or Tillich se refère en même temps- et dans ce chapitre même plus - à un autre mythe : «le mythe de la chute transcendante des âmes "• comme nous le trouvons dans la tradition orphique chez Platon. Et dans ce mythe (dans cette version du mythe de la chute !) l'autre élément, l'élément cosmique, tragique, est prédominant.

C'est donc ensemble que ces deux mythes caractérisent la << condition humaine " cette

<< dimension anthropologique universelle " dont Tillich parlait comme ,, signification

ultime" du symbole de la,, chute"· (Cf. 42.)

(8)

96

HANS-CHRISTOPH AS KA NI. LA • CHUTE •

6.

<<

Création et chute

» (55-61)

Il y a un dernier point, une dernière étape dans le texte de la Genèse : c'est ce que Tillich appelle «les conséquences ». Dans le récit biblique on pensera à l'expulsion du jardin d'Eden (Gen 3,24), aux souffrances humaines, la peine, le sueur, le travail ...

«jusqu'à ce que tu retournes au sol car c'est de lui que tu as été pris. Oui, tu es poussière et à la poussière tu retourneras., (Gen 3,19.)

Ayant suivi l'interprétation et l'argumentation de Tillich jusqu'ici, on ne s'étonnera pas de voir de nouveau comment il prend ses distances par rapport à une exégèse qu'il appelle « littérale , (56, 60), et qui comprend ces conséquences dans un sens tempo- rel :après l'état de l'innocence d'Adam (l'état du paradis), l'état« du "monde déchu" , (56).

Tillich saisit l'occasion de cette thématique des «conséquences , pour expliquer sa propre position qui veut justement dépasser les catégories temporelles. Il parle ainsi « de la coïncidence de la création et de la chute"·

«La création et la chute coïncident dans la mesure où il n'y a dans le temps et dans l'espace aucun point où la bonté créée aurait été actualisée et aurait eu l'existence. C'est une conséquence nécessaire du rejet de l'interprétation littérale de l'histoire du paradis. Il

n'y a eu aucune "utopie" dans le passé, comme il n'y aura aucune "utopie" dans le futur.

La création actualisée et l'existence aliénée sont identiques. , (60.) Tillich souligne la même chose en d'autres termes en disant

<< que le passage de l'essence à l'existence n'est pas un événement dans l'espace et le

temps, mais la qualité transhistorique de tous les événements qui se produisent dans l'espace et le temps.[ ... ] "Adam avant la chute" et "la nature avant la malédiction" sont des potentialités. Ce ne sont pas des états actuels. L'état actuel est l'existence dans laquelle l'homme se trouve avec tout l'univers et il n'y a jamais eu de temps où il en fut autrement. , (56)

Posons pour conclure ce paragraphe encore une fois la question des conséquences. Elles sont souvent exprimées par l'idée que la nature participe d'une manière ou d'une autre à la << chute», c'est-à-dire par le terme d'<< un monde déchu ». Tillich ne rejette pas ce terme, mais il lui donne une interprétation <<nouvelle ». Ce que l'on comprend normale- ment comme conséquences de la << chute , n'est rien d'autre que l'existence en pleine actualité. L'existence qui est devenue existence, l'existence qui est autre chose que son essence, qui est justement, en tant qu'existence, l'aliénation de l'essence.

C'est cela le sens de ces « conséquences ,, de la << chute ». Elle ne sont pas des conséquences dans un sens temporel, parce qu'un avant n'a jamais existé. L'idée de la

<<chute ,, de sa réalité, de sa possibilité, des ses motifs et de ses conséquences est plutôt

celle que l'existence n'est pas ce qu'elle devrait être.

Cela, et rien d'autre, est la signification du péché et de la << chute , qui en parle en termes mythiques.

97

HANS-CHRISTOPH ASKANI. LA • CHUTE •

III

Regard critique sur l' interprétation du récit de la

«

chute

»

par Tillich

Selon Tillich l'histoire« que rapporte la Genèse dans ses chapitres 1 à 3 [ ... ] est l'expression la plus profonde et la plus riche de la conscience que l'homme a prise de son aliénation existentielle. , (45.)

C'est pour cela que Tillich oriente le développement de sa théorie de l'aliénation en référence à ce récit. Nous avons vu comment il interprète les différentes étapes de cette histoire d'une manière propre. Il parle d'Adam et Eve, du serpent, de la tentation, de Dieu, de la << chute , et de ses conséquences- tout ce que l'on trouve dans le récit biblique.

D'un autre côté il parle de l'homme, de l'existence humaine, de l'aliénation, du << passage de l'essence à l'existence,, de la liberté, de l'aspect moral et de l'aspect tragique de cette aliénation.

Ce sont les deux côtés de l'interprétation de Tillich le texte biblique et sa signification ontologique.

Ce qui nous intéresse, c'est de mieux comprendre la relation entre les deux.

Commençons par une observation : l'observation du décalage entre le langage du texte biblique et le langage de Tillich. Ce décalage représente le grand effort interprétatif de Tillich et en même temps son risque.

De quoi parle le récit de la << chute ,, selon Tillich ?

Il parle de la << situation humaine , (43). Cette situation est caractérisée par le

<<passage de l'essence à l'existence ,, (42), qui est le grand thème de cette partie de la

Théologie Systématique. Pour interpréter ce <<passage » Tillich applique quelques notions clés : essence-existence ; aliénation ; potentialité - actualité ; liberté finie ...

La thèse principale de Tillich se laisse résumer par une phrase de lui-même :

<<La signifcation du mythe est que le passage de l'essence à l'existence est impliqué

dans la constitution même de l'existence. ,, (53) Cela implique plusieurs choses :

-le caractère universel de l'aliénation;

- le fait que cette aliénation n'est pas un acte particulier de l'homme, mais qu'elle est liée à son existence ; son existence elle-même est déjà toujours aliénée, plus précisé- ment : elle est elle-même aliénation ;

- l'aliénation n'est pas (en tout cas pas seulement) un fait empirique, mais un fait ontologique.

(9)

98

HANS-CHRISTOPH ASKANI. LA • CHUTE,

Ces trois points correspondent bien à quelque chose qu'avait « toujours ,, pensé la tradition théologique sur le péché :

- il ne concerne pas seulement tel ou tel homme, mais tout homme ;

- il ne signifie pas un acte mauvais, mais il a affaire avec toute l'existence de l'homme;

- il dépasse toute recherche empirique, il est lié à l'histoire de l'homme tout entière.

Tillich nous a montré comment trouver ces traits caractéristiques dans le récit de Genèse là 3 lui-même. Pour le montrer, il a traduit le récit biblique ; pour reconnaître les caractéristiques de cette traduction il aurait été bon de parcourir encore une fois les étapes de l'interprétation que Tillich avait donnée et que nous venons de présenter dans le paragraphe dernier.

Mais faute de temps, nous nous concentrerons sur un aspect qui est présent dans toute l'interprétation de Tillich (à chacune de ses étapes), la question de savoir comment il interprète le récit sous la perspective de son langage spécifique. Je vais donc me concentrer sur le premier point du paragraphe précédent.

1.

L'interprétation du mythe

comme expression du

«

passage de l'essence à l'existence

» Une des présuppositions principales de l'interprétation de Tillich est de comprendre le récit« que rapporte la Genèse dans ses chapitres 1 à 3 »comme« un mythe » (45) Tillich explique:

"Dans le langage du mythe il [sc. ce récit] décrit le passage de l'essence à l'existence

comme un événement unique qui serait advenu il y a longtemps dans un endroit précis et à des personnes déterminées, Eve d'abord, puis Adam. Dieu lui-même apparaît comme un être individualisé dans le temps et dans l'espace avec la typique "figure du père". Tout le récit a un caractère psychologique éthique[. .. ]» (52.)

Beaucoup de choses sont exprimées dans ces deux phrases ; à mon avis, elles sont presque toutes fausses.

Laissons pour l'instant de côté la thèse centrale qui dit que le récit biblique parle du '' passage de l'essence à l'existence » (aspect que nous aborderons dans le paragraphe suivant), et regardons d'abord le reste :

Tillich dit que le récit décrit ce passage " comme un événement unique qui serait advenu il y a longtemps»," dans un endroit précis "•" à des personnes déterminées"·

Mais le texte biblique, qui en effet s'exprime dans un langage mythique (même si ce langage a déjà parcouru tout un processus de démythologisation), parle du jardin Eden, qui n'est sûrement pas un endroit précis, ni n'a eu lieu il y a longtemps, ni n'était habité par des personnes déterminées. (C'est pour cela d'ailleurs qu'Adam ne s'appelle pas Monsieur Adam et Eve ne s'appelle pas Mademoiselle Eve).

HANS-CHRISTOPH ASKANI. LA • CHUTE»

Et Dieu, ce pauvre Dieu- est-il (et même apparaît-il) dans le récit comme " un être individualisé » ? Est-ce cela que le récit biblique veut nous dire de Dieu ? , et veut-il nous parler d'un Dieu « type "figure du père" » ? Ne veut-il pas nous parler du Dieu vivant, du vrai Dieu, de Dieu tout simplement?

Et le récit mythique, a-t-il « un caractère psychologique et éthique » ? Est-ce le sens de ce mythe que de nous parler de la psychologie et de l'éthique ? Et non pas de la théologie?

-Or il n'est pas intéressant de critiquer la description que Tillich donne de ce texte.

Ce qui est intéressant, c'est de voir ce qu'il en fait, quel profit il en tire pour sa propre réflexion.

Ayant dit qu'il s'agit d'un mythe (et ainsi s'en étant lavé les mains), Tillich lit le texte comme tout autre chose : comme un reportage qui décrit un événement précis ayant

eu lieu quelque part avec tel ou tel personne et avec un Dieu /omme eeei 8H com-me Gsl(tel

H ':f

ou tel. Cette lecture n'est bien sûr pas le dernier mot de Tillich, elle n'est pas sa vraie compréhension de ce mythe. Cette lecture ne touche que la surface. En profondeur- et c'est justement le langage mythique qui nous l'indique- ce récit parle à travers la description-

reportage d'autre chose. De quelle autre chose parle-t-il en vérité ? De quoi parle-t-il en profondeur?

De la théologie de P. Tillich. On peut le dire plus précisement : il parle de la théo- logie de P. Tillich telle qu'elle est développée dans le deuxième volume, la troisième partie du système.

Qu'est-ce qui se passe ici ?

Prenant le texte biblique du côté de sa surface, qui évidemment n'est pas son seul ni même son côté le plus spécfique, Tillich invite (et l'indication qu'il s'agit du langage mythique le conforte) à lire le texte autrement, à savoir comme un texte qui parle de la situation humaine dans son sens le plus général et universel.

Il n'y a pour Tillich que ces deux niveaux ; et c'est justement l'excès de la lecture primaire (la surface du récit comprise dans un sens littéral) qui ouvre l'horizon d'une lecture tout autre : une lecture ontologique. Or ces deux lectures sont-elles vraiment les seules possibles ? N'y a-t-il pas un niveau intermédiaire ou plutôt un niveau au-delà (pour mieux dire en-de~;à) de la lecture littérale et de la lecture ontologique ?

La caractéristique du récit comme récit à langage mythique exige-t-elle (après une lecture littérale) une traduction dans un genre tout autre ? Cela nous semble une fausse évaluation de ce qu'est le langage mythique.

Le langage mythique n'est pas une caractéristique secondaire qui s'ajouterait après coup au texte et à son contenu. Le langage mythique est le langage du texte même et non

seulement(<le" sa surface. Autrement dit la distinction entre la surface du texte et le texte

r "- P-,~<L-·

(10)

lOO

HANS-CHRISTOPH ASKANJ. LA • CHUTE»

même n'est pas pertinente : c'est à la surface que le texte parle (mythiquement) et c'est là que son langage nous invite à lire, à écouter d'emblée autrement.

Tillich distingue, comme nous l'avons vu, la profondeur du récit de sa surface.

Or si la surface était elle-même la profondeur?

- Cela ne veut pas dire qu'aucune interprétation ne serait possible ou nécessaire.

Mais cela veut dire que le saut qu'il faut faire (faut-il faire un saut ?) entre un plan et un autre n'est pas si évident que cela. Le récit biblique nous amène-t-il forcément vers une lecture ontologique et toute autre lecture serait, comme Tillich se plaît à le dire,

« absurde ,, ?

Ne serait-il pas possible que ce récit nous amène à une compréhension différente, si nous suivions son propre mouvement ?

Nous avons vu que la lecture de Tillich du récit Genèse 2-3 est<< particulière»; Tillich concède le caractére mythique du langage, mais il ne le lit pas comme un mythe. Plusieurs autres observations confirment cette impression, des observations que nous ne pouvons que mentionner, mais elles renvoient à des traits très caractéristiques de la lecture tilH- chienne.

• Tillich isole dans le récit quelques symboles qu'il interprète en tant que tels et coupés de leur contexte : l'arbre de la connaissance, le serpent, Adam ...

• Tillich interprète et comprend le récit lui-même comme un symbole, comme le symbole de la <<chute ,, qui devient du coup beaucoup plus universel que ce récit parti- culier.17

• Cela permet de mettre ce mythe, ce symbole, en relation avec d'autres mythes et symboles, et ils'interprètent mutuellement. Ainsi une grande partie des résultats interprétatifs de Tillich dans ce chapitre est gagnée par une interprétation du mythe << de la "chute de l'âme"» tel que nous le connaissons par Platon (43, 52).

• Nous avons vu que Tillich tirait du récit biblique un schéma selon lequel il pouvait

<<traiter du passage de l'essence à l'existence ». Ce schéma est un schéma temporel, qui

conduit de la possibilité de la faute à travers les motifs et l'événement lui-même aux conséquences. Comme on le voit en suivant l'interprétation tillichienne, le schéma est en même temps un schéma logique (qui conduit des présuppositions aux conséquences, de la possibilité à l'actualité) et un schéma psychologique (qui parle des motifs, de leur passage décision, du vouloir et non vouloir etc.).

17 Cf. : <<Le symbole de la "chute" fait partie intégrante de la tradition chrétienne. Bien qu'il soit mis habituellement en liaison avec l'histoire biblique de la "chute d'Adam", sa signification déborde le mythe adamique et a une portée universelle. » << La théologie doit présenter clairement et sans ambiguïté la "chute" comme un symbole universel de la situation humaine et non comme l'histoire d'un événement qui serait arrivé "il était une fois".» (EC 42 et 43.)

HANS-CHRISTOPH ASKANI. LA • CHUTE»

Pour son interprétation Tillich exploite les trois niveaux. Or je me demande si on peut en trouver un seul dans le récit lui-même. Se déroule-t-il selon un schéma? Parle-t-il de la possibilité du péché, des motifs du péché ? Parle-t-il d'une séquence temporelle ?, s'intéresse-t-il à la psychologie (et si oui à quel niveau ?), et à la logique ? Ce sont des questions qui ont des conséquences théologiques importantes.

Mais tournons nous vers l'arrière-plan et vers la << doctrine ,, que Tillich tire de son interprétation (ou plutôt qu'il illustre à travers cette interprétation).

IV

Regard critique sur l'arrière-plan théologique de l'interprétation tillichienne du récit de la

«

chute

»

Comme je l'ai déjà dit, le statut du texte biblique (Genèse 1 à 3) dans l'argumenta- tion de Tillich n'est pas évident : est-il un exemple, une illustration ou une source de connaissance théologique ou encore autre chose ? Cela reste à voir. Or quelle que soit la réponse, il est peut-être plus important de voir comment l'interprétation de Tillich est insérée dans une réflexion qui est préparée depuis longtemps et qui ne va s'achever qu'avec l'accomplissement du système.18 La critique que je viens de formuler par rapport à la lecture tillichiennee du récit biblique de la << chute » est donc peut-être quelque chose de très partiel. Il est probablement beaucoup plus enrichissant d'entrer dans le développe- ment de la théorie elle-même.

Plusieures notions clés sont constitutives de cette théorie : l'aliénation ; l'essence, l'existence ; la liberté ; la potentialité, l'actualité.

L'homme est aliéné dans son existence. C'est-à-dire il s'est éloigné de son essence. Comment cette aliénation s'opère-t-elle ? Par le fait même de l'existence. L'aliénation de l'homme n'est pas un acte particulier, mais c'est son existence tout entière. L'homme en tant qu'homme s'est éloigné de son essence sans pourtant totalement perdre le lien avec elle.

Or dans l'existence humaine, on peut encore mieux situer cet état et ce mouvement de l'aliénation ; c'est la liberté humaine qui la produit. Pourtant de nouveau : il ne s'agit pas de tel ou tel acte libre qui réalise l'aliénation, il s'agit de la liberté humaine tout court.

Elle est d'abord- en tant que structure de la liberté -la possibilité du péché (cf. 4 7), et elle se réalise à travers les stades de la <<liberté éveillée » et de la <<liberté qui s'angoisse »

(50).

18 Cf. des remarques de Tillich EC 14s, 42.

(11)

HANS-CHRISTOPH AS KA NI. LA • CHUTE»

Dans cette liberté, qui est en tant que liberté humaine une liberté finie, sont inséparablement liées liberté et destinée, autrement dit des éléments éthiques et tragiques.

-La théorie de Tillich a quelque chose de séduisant. Elle exprime le fait

• que le péché n'est pas un simple acte

• qu'il dépasse la moralité

• qu'il a affaire avec l'homme dans sa dimension la plus profonde

• qu'il est universel

• qu'en lui décision (volonté) humaine et destinée s'interpénètrent.

La spécificité de Tillich tient à la manière par laquelle il peut saisir tout cela.

Le fait que le péché chez lui (selon lui) dépasse le simple acte, dépasse la moralité et représente quelque chose d'universel, est exprimé en termes ontologiques d'essence et

d'existence, de potentialité et d'actualité : l'essence est la potentialité de l'existence ;

l'existence est l'actualité de l'essence (et en même temps son aliénation) - et la transition entre les deux est le péché.

Je veux à propos de ces notions ontologiques formuler quelques questions :

1.

La notion de potentialité, aussi bien chez Aristote que chez Tillich, a son sens par rapport à l'actualité : elle est une potentialité pour l'actualité; elle est la potentialité de cette actualité qui la réalise (qui va la réaliser). Sans cette réalisation (sans cette orienta- tion vers la réalisation), il ne serait même pas judicieux de parler de potentialité.

(Chez Tillich ce fait ontologique se reflète dans une observation anthropologique, psychologique : " L'état d'innocence rêveuse pousse l'être au-delà de lui-même. ,,19 Ou dans un sens plutôt ontologique : "Le terme "innocence" oriente [. .. ] dans le sens d'une potentialité non actualisée. On n'est innocent que par rapport à quelque chose qui, s'il était actualisé, mettrait fin à l'état d'innocence. "• 48.)

Or peut-on comprendre le péché dans l'horizon d'une telle relation, comme une actualité vers laquelle tend une potentialité : la pure réalisation de ce qui veut être réalisé?!

Le péché - au sens biblique - n'est il pas plutôt quelque chose qui n'est pas préparé, qui n'est pas possible, auquel il n'y a aucune tendance - et qui est là, qui est venu au monde quand même ?

2.

De même, le terme d'existence, est-il apte à circonscrire le péché- ? Si on existe on existe : est-ce le péché ? N'est-ce pas plutôt le " pessimisme réaliste •• de Platon : un

19 EC 49. La comparaison avec le texte anglais et le texte allemand montre que la traduction française n'est pas adéquate : ,, The state of dreaming innocence drives beyond itself. " (Systematic Theology II, 39 ; cf. ''Der Zustand der traumenden Unschuld treibt über sich hinaus. "(ST II, 41.)

103

HANS-CHRISTOPH AS KA NI. LA • CHUTE •

" dualisme » platonicien (ou pseudo-platonicien) qui voit l'existence elle-même comme une

''chute transcendante "• comme une chute par rapport au domaine des idées? Le péché n'est-il pas un fait étonnant, choquant, bouleversant au plus profond de l'existence, plutôt que le choc même que nous existons ?

Et est-ce l'essence, notre essence, dont nous nous sommes éloignés ? Plusieurs remarques s'imposent à propos de cette thématique :

• Cette essence chez Tillich comporte un double aspect: l'aspect de la potentialité et l'aspect de ce que l'homme devrait être. Un aspect ontologique et un aspect moral.

L'aspect purement ontologique n'est pas apte à exprimer le péché, est-ce donc l'aspect moral, moraliste qui l'est ? Ou les deux ensemble ? Mais quelle serait donc leur relation ?

• Chez Tillich l'existence s'éloigne de l'essence, de son essence. Qu'est-ce que cela veut dire pour la compréhension du péché : le péché serait-il donc l'éloignement de ma propre essence? Tillich parle parfois ainsi, parfois il parle de l'aliénation de Dieu. Est-ce identique ? Selon Tillich, oui, parce que Dieu a voulu l'homme de telle ou telle façon; c'est son essence qu'il a voulue, qu'il a créée. Et son existence, ne l'a-t-il pas voulue ? (Et s'il l'avait voulue, aurait-il voulu le péché?)

(D'ailleurs quelle manière directe, presque naïve de parler de la création ! Tillich peut se permettre cela, parce qu'aussi tôt qu'il parle ainsi, il parle symboliquement.)

• Trente ans après Sein und Zeit, peut-on continuer de parler de l'essence d'une telle manière : d'un côté il y a l'essence de l'autre l'existence ; l'homme devrait être ainsi ou ainsi (tel ou tel). Et pour savoir ce qu'est le péché a-t-on besoin d'une telle échelle ? Le péché est-il une déviation, une dérivation ?

On pourrait prolonger le questionnement. Je vais m'arrêter. Je veux pourtant faire encore une remarque :

Tillich a fait un grand effort pour montrer que dans sa compréhension du péché, le péché n'est pas nécessaire. 20 Pour penser le péché, il ne suffit pas, pour le dire en termes tillichiens, de respecter l'aspect tragique (cosmique), il faut en même temps maintenir l'aspect éthique. Tillich a répété cela à plusieurs reprises ; a-t-il réussi à montrer comment les deux vont ensemble ou a-t-il seulement formulé un besoin ? Et plus important encore : a-t-il pu penser (dans ses termes d'essence et d'existence, de potentialité et d'actualité) l'universalité du péché sans la comprendre toujours comme nécessité? Je n'ose pas décider de cette question.

Or il y a une autre question qui me semble encore plus importante ; l'intérêt de Tillich n'est pas seulement de décrire ce qu'est le péché, il veut faire autre chose : il veut l'expliquer, il veut le comprendre et rendre compréhensible. Il veut comprendre la réalité du

20 Cf. TS II, 85, EC, 14, 43, 60 et passim.

(12)

J

104

HANS-CHRISTOPH ASKANI. LA • CHUTE •

péché en renvoyant à sa possibilité; c'est l'acte propre de la réflexion de Tillich dans cette

partie de la Théologie Systématique. (C'est pour cela qu'il parle des << Voraussetzungen » (présuppositions) de la ,, chute ,21, de la << possibilité » (47), des << motifs » (45) etc. Une

théologie qui rend la<< chute » <<inintelligible .. , qui n'arrive pas à la rendre intelligible ou

qui même s'interdit de le faire, n'a pas d'intérêt pour Tillich.

Or le péché peut-il jamais être intelligible, peut-on jamais le réduire, re-conduire à la possibilité elle-même du péché ?

- La question de savoir si chez Tillich le péché est devenu nécessaire ou non, est une question éminenteGQ! a- en tout cas- voulu le penser en tant que non-nécessair_:)Or il y a une autre question qui est peut-être encore plus décisive, c'est la question de savoir, si chez lui le péché est devenu possible et intelligible ; et là il a clairement répondu que oui et il a même recouru à toute sa terminologie pour montrer cela.- Mais peut-on d'une telle manière penser le péché ?

Dans le titre de mon exposé, j'ai parlé de l'interprétation de la << chute » par Tillich ainsi que de ses conséquences théologiques et de ses implications <<méthodiques ». Pour terminer ce paragraphe j'aimerais aborder la question de savoir si l'interprétation tilH- chienne du récit de la<< chute» comporte, outre des implications (présuppositions et consé- quences) théologiques des implications sur le plan de la méthode. Dans quelle mesure la

<< méthode de corrélation » joue dans cette interprétation, dans quelle mesure est-elle sa

condition et son horizon ?

Tillich interprète le symbole de la << chute » comme ,, le passage de l'essence à l'existence ». <<Le passage de l'essence à l'existence et le symbole de la "chute" » est l'intitulé du chapitre B de la troisième partie de la Théologie Systématique. Qui connaît un peu la théologie de Tillich découvrira facilement dans la juxtapposition qui s'exprime dans cette phrase une expression de la méthode tillichienne de corrélation.

Dans l'introduction à la troisième partie de la Théologie Systématique,Tillich donne un résumé de cette méthode :

<<La méthode employée dans le présent système théologique [. .. ] porte le nom de

"méthode de corrélation": il s'agit d'une corrélation entre les questions existentielles et les réponses théologiques. Le terme "corrélation"[ ... ] est entendu ici comme "interdépendance des deux facteurs indépendants" [. .. ] il est compris comme unité de la dépendance et de l'indépendance de deux facteurs. » (24.)

21 ST II, 37; formulation différente dans le texte anglais et français!

HANS-CHRISTOPH ASKANI. LA • CHUTE»

Dans l'introduction du 1er volume (qui est l'introduction à toute la Théologie Systé- matique) Tillich explique sa méthode ; il donne un fondement anthropologique, si on veut anthropo-ontologique :

<< Etre humain signifie poser les questions de son propre être et vivre sous l'impact

de la réponse donnée à ces questions. Et inversement, être humain signifie recevoir les réponses à la question de son propre être et poser les questions sous l'impact des réponses. >> ('TS I, 127.)

Il me semble important de souligner que ce fondement anthropologique est en même temps un fondement théologique. L'anthropologie comporte d'emblée un élément fort de théologie : l'idée qu'il y ait des réponses aux questions humaines est une affirmation qui dépasse de loin une simple analyse anthropo-ontologique. Cela ne contredit pas le fonde- ment anthropologique de la méthode de Tillich, cela montre plutôt que dès le début, dans ce système, anthropologie et théologie sont inséparables. Ce qui implique d'ailleurs que le mérite de cette méthode ne consiste pas à montrer ou démontrer généralement (par principe) qu'anthropologie et théologie se correspondent, mais de le montrer et démontrer concrètement, c'est-à-dire dans le parcours de tout le système. La correspondance entre théologie et anthropologie est présupposée comme une thèse22, cette thèse veut alors être montrée et démontrée partout, elle veut être vérifiée concrètement, ce qui veut dire dans le système. C'est la réalisation du système entier qui doit vérifier cette méthode. Au début du système, elle est une question et non pas une réponse. A la fin du système, elle sera une réponse et plus une méthode. Entre les deux elle est la méthode qui cherche sa justification. On ne l'a pas toujours vu, mais cela nous semble important : l'explication de la méthode de Tillich commence par une affirmation théologique très affirmative, et non pas par l'établissement d'une méthode neutre ; par conséquent cette méthode ne veut pas seulement être appliquéé, effectuée dans le système, mais plutôt mise à l'epreuve. C'est cela- et rien d'autre- qui est la Théologie Systématique :la réalisation de sa méthode qui se transforme d'une question en une réponse, une réponse qui pourtant reste un parcours et ne sera jamais une simple constatation.

C'est pour cela que la troisième partie du système ( << L'existence et le Christ ») qui représente le sujet de notre étude, n'est ni un cas particulier d'application de cette méthode ni une modification, mais un moment décisif de la méthode qui est en train de devenir de plus en plus ce qu'elle est.

La vraie force de cette méthode n'est pas son ouverture radicale vers les données anthropologiques et culturelles et sa capacité de mettre en relation ces dernières avec la théologie, la religion chrétienne et ses contenus ; la vraie force de cette méthode est son

22 Cf. TS I, 28 : << Il ne s'agit pas d'un artifice ni d'un moyen mécanique. Elle [sc. la méthode de corrélation] est elle-même une assertion théologique, elle est faite avec passion et risque [. .. ] »

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