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"Quel langage !"
SAUCA, Daniela, CAPITANESCU BENETTI, Andreea
SAUCA, Daniela, CAPITANESCU BENETTI, Andreea. "Quel langage !". Educateur , 2017, vol.
5, p. 29
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:94836
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Educateur 5 | 2017 | 29
écoute-moi! /
Racontez-moi la dernière fois qu’un élève vous a dit une chose qui vous a frappée?
Daniela Sauca: Je vérifiais la lecture des syllabes avec les élèves. Le moment que je retiens s’est passé avec Lettré (6 ans). C’est un élève qui a un langage plus riche que les autres, le genre qui m’a déjà dit: «J’ai beaucoup de peine avec les premières vagues de chaleur!»
Pendant qu’il lisait les syllabes, il est arrivé à «pu». Il ne la lit pas tout de suite et je l’aide à le faire. Une fois qu’il a décodé «pu», je lui ai donné des exemples qui montrent où se retrouve cette syllabe: pull, purée…
Il se tourne vers moi avec un grand sourire et dit, sou- dainement: «Et un gros mot aussi!»
Je beugue un quart de seconde avant de comprendre.
Je suis tellement surprise que tout ce que j’arrive à dire, c’est: «Euh, oui. Techniquement, c’est vrai. Mais bon…»
Comment avez-vous réagi??
J’ai été très surprise par son intervention. Vu son lan- gage et les expressions évoluées qu’il utilise, je ne m’at- tendais pas à ce qu’il fasse appel à cette catégorie de mots pour trouver un exemple de mot qui commence par «pu».
Qu’est-ce qu’il faut comprendre du métier?
Que les ressources des élèves sont hors de notre contrôle et du cadre scolaire, même pour les plus éveil- lés. Et justement, ces élèves qui ont accès à un langage plus soutenu à la maison ont peut-être une plus grande
Daniela Sauca, propos recueillis par Andreea Capitanescu Benetti
«Quel
langage!»
Cette rubrique a comme but d’interviewer des enseignants, des formateurs, des cher- cheurs, des enfants et des parents pour mieux comprendre comment la parole de l’enfant est considérée et prise ou non en compte dans les pratiques scolaires, dans l’organisation du tra- vail enseignant, et pour mieux comprendre les buts visés. Si cela vous intéresse de témoigner et de contribuer à cette rubrique, n’hésitez pas à me contacter: Andreea.Capitanescu@unige.ch
habileté avec l’utilisation des mots. Ainsi, les expres- sions plus populaires peuvent faire partie d’un corpus de mots utilisable, même s’ils ont conscience qu’il ne colle pas au cadre scolaire. C’est peut-être aussi pour ça que l’élève n’a pas exprimé le gros mot en question, mais m’a laissée le deviner. À travers ces choix que font nos élèves, on comprend leur fonctionnement et la conscience qu’ils ont de leur métier d’élève.
Qu’est-ce que vous diriez à un collègue débutant?
Les élèves entendent et voient plus que ce qu’on ima- gine. Je n’ai pas sanctionné Lettré pour avoir eu recours à une référence aussi éloignée – voire prohibée – de ce qu’on enseigne à l’école. Une référence reste une réfé- rence. Dehors, l’élève lira plein de mots que les moyens d’enseignement n’auront pas préparés. Il entendra une grande quantité de mots et d’expressions qui ne sont pas utilisés à l’école. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils doivent devenir un tabou. On peut tout à fait les utiliser comme prétexte à faire comprendre à l’élève les diffé- rents niveaux de langage. Ici, l’élève a utilisé une réfé- rence de manière implicite. J’ai compris qu’il a com- pris, et l’objectif a été atteint pour lui. •
Intéressant à lire
ICEM – Institut Coopératif de l’École Moderne, février 2001 – La boite à gros mots – www.icem-pedagogie-freinet.org/node/11620
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