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2.3. Analyse à priori de l’album utilisé pour ma recherche : Ami-Ami

2.3.7. Les relations texte/images dans Ami-Ami

Rappelons que la caractéristique principale de l’album de jeunesse est la collaboration entre texte et image, tous deux prenant part à la construction du sens par le lecteur : « L’idée étant que l’album dépasse la question de la “coprésence” par une nécessaire interaction du texte et des images, que le sens n’est pas véhiculé par l’image et/ou le texte, mais émerge de leurs rapports réciproques » (Van der Linden, 2006, p.86).

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Cependant, si le texte et l’image se complètent, les messages délivrés par chacun peuvent obéir à différents rapports : redondance, collaboration ou encore disjonction. Dans Ami-Ami, deux types de rapports sont présents, il s’agit des rapports de redondance et de collaboration. Le rapport de redondance est présent, dans la page de présentation du lieu du récit et des personnages (p.2-3), ainsi que dans les pages consacrées à la présentation du petit lapin (p.4-5, p.8-9, p.12-13, p.16-17 et p.20-21), où le texte entretient avec l’image un rapport de redondance avec superposition partielle, autrement dit, les propos transmis par ces deux codes congruent mais l’un ou l’autre en dit plus. Aussi, à la page 2-3, par exemple, le texte contient les informations essentielles puisqu’il présente les personnages et décrit le lieu où ils vivent de manière synthétique. L’image joue quant à elle un rôle secondaire en permettant de compléter la description fournie par le texte en amenant des détails supplémentaires : la rondeur de la maison du lapin, la fumée noire s’échappant de la maison du loup, la falaise escarpée et noire où se dresse la maison du loup, etc.).

À la page 8-9, le texte et l’image s’accordent sur le récit du déjeuner du petit lapin (feuilles d’épinards, jus de carotte, etc.), mais le texte fournit une information supplémentaire qui n’est pas transmise directement par l’image (le lapin aimerait un ami végétarien comme lui), tandis que l’image facilite la représentation de la scène par le lecteur, mais sans pour autant donner des informations supplémentaires.

Aussi, dans les pages régies par ce rapport de redondance à superposition partielle, le texte suffit à la compréhension globale du récit puisqu’il fournit à lui seul toutes les informations nécessaires à cette dernière, il s’agit donc de l’instance prioritaire qui porte la narration. L’image quant à elle, joue un rôle secondaire puisqu’elle illustre le texte et facilite ainsi la représentation que s’en fait le lecteur, mais elle n’amène pas d’informations supplémentaires, elle répète simplement à sa façon ce qu’a dit le texte : « Le support prééminent, texte ou image, n’a pas besoin de l’autre pour développer l’essentiel de son propos » (Van der Linden, 2006, p.120).

Dans le reste de l’album (les pages consacrées à la présentation du loup ainsi que les trois dernières doubles pages), c’est le rapport de collaboration qui domine, dans ce type de rapport, texte et image portent ensemble la narration, chacun comblant les lacunes de l’autre : « Dans un rapport de collaboration, le sens n’est contenu ni dans l’image ni dans le texte : il émerge de leur mise en relation » (Van der Linden, p. 121).

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Si nous prenons la page 10-11 par exemple, le texte nous donne plusieurs informations importantes : le loup aimerait bien avoir un ami, et cet ami, il l’aimera « tendrement ». A priori, notre loup est plein de bonnes intentions puisqu’il se dit prêt à aimer avec tendresse un éventuel ami. Cependant, lorsque l’on regarde l’image, on s’aperçoit que le loup tient une assiette dans ses mains. Simple coïncidence ou alors l’amour tendre que le loup semble prêt à réserver à son futur ami serait plutôt un amour carnassier, sanguinaire, l’amour qu’un prédateur réserverait à une entrecôte bien tendre ? Nous voyons ici que l’expression utilisée par le loup « aimer avec tendresse » est nourrie d’un sens nouveau, qui n’a rien à voir avec de l’amitié ou de l’amour tel qu’on l’entend habituellement. Aussi, l’image complète le texte, elle lui apporte un élément qui lui fait prendre une autre signification, elle possède ici une fonction de révélation, elle lui donne sens : « L’apport du texte ou de l’image peut ainsi se révéler indispensable pour la compréhension de l’autre qui, sans cela, resterait obscure » (Van der Linden, 2006, p.123).

Image et texte se nourrissent donc mutuellement pour créer un sens commun. Pris séparément, ils sont incomplets, et ne permettent pas au lecteur de saisir le récit dans sa complexité.

Si nous prenons la dernière double page de l’album, ce jeu de significations entre texte et image est à nouveau présent. Le texte déjà, organise la confusion : le loup semble être un ami idéal, prêt à accepter les défauts du lapin et à l’aimer « comme il est », mais il a tout de même fermé la porte à double tour, comme s’il voulait éviter que son ami ne s’échappe. Si l’on se penche sur l’image maintenant, certains détails vont dans le sens de la porte fermée à clef : les fleurs par terre, la table dressée pour une seule personne. La déclaration « Moi je t’aime comme tu es » prend alors ici un sens tout autre : je t’aime comme tu es puisque je vais te manger et que le fait que tu sois gentil ou méchant, petit ou grand ne va pas changer le goût de ta chair.

Cependant, même si l’image penche du côté du carnage, elle n’est pas univoque puisque le loup semble donner un bisou au lapin qui rougit. Nous voyons ici que texte et image se complètent et jouent à tour de rôle une fonction de révélation l’un envers l’autre.

Si nous observons par ailleurs de manière détaillée toutes les images relatives au loup, nous pouvons observer, en plus des indices « culinaires » (tablier, fourchette, assiette), un hors-champ évident révélant le lien entre le monde du loup et celui du lapin : la fenêtre par laquelle le loup regarde désespérément. En effet, cette dernière est également révélatrice d’un désir du loup de trouver quelque chose au-dehors : un ami, une proie ? Là encore, le jeu des significations reste

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ouvert, ce sera au lecteur d’interpréter les indices fournis par l’image et le texte selon sa propre sensibilité.

En bref, dans ce rapport de collaboration entre texte et image, chacune de ces deux instances amène des éléments fondamentaux pour permettre au lecteur de construire un sens.

Maintenant, cela ne veut pas dire que la compréhension sera facilitée, bien au contraire. En effet, si image et texte se révèlent mutuellement, dans Ami-Ami, ils nourrissent également l’ambiguïté du récit, puisque chaque indice peut être perçu à travers différents cadres d’interprétation. Image et texte collaborent donc pour organiser la confusion et permettre ainsi le jeu de l’interprétation : Si la formule de texte et image peut avoir une signification, c’est à condition que l’on reconnaisse dans ce « et » non pas la marque indifférente d’une collaboration accidentelle, mais l’indice du lien essentiel qui existe entre les éléments hétérogènes du visible réunis sur un même support qui est à l’origine de l’écrit. Mais pour cela, il est indispensable aussi d’admettre que regarder ne consiste pas à identifier des objets ou à tuer l’autre, mais à comprendre les vides, c’est-à-dire à inventer. (Corentin, cité par Van der Linden, 2006, p.89)

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3. Méthodologie