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« de terrain » des enseignants novices

Chapitre 2. Un cadre théorique composite

2. Présupposés historico-culturels pour l’étude du rapport apprentissage | développement de l’activité

2.2. La Zone Proximale de Développement

Le concept de zone proximale de développement (ZPD) apparaît chez Vygotski en 1933 dans son article Enseignement et développement mental (Vygotski 1933/1985) puis dans le chapitre 6 de l’ouvrage Mind in Society (1978) ainsi que dans Pensée et langage

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(1997). Il se rapporte à l’analyse faite par l’auteur du rapport enseignement | apprentissage|développement. Comme le note Schneuwly (2008, p.28), Vygotski conçoit le développement comme un processus incessant « d’auto-mouvement » ou « d’autopropulsion » qui résulte de contradictions entre différents aspects du fonctionnement psychique dues aux médiations sémiotiques opérées au cours de pratiques sociales et culturelles puis à leur appropriation. Toutefois sans pour autant en être simplement la traduction mécanique, chez l’humain ces « auto-mouvements » (propres à tout organisme vivant) sont dynamisés par l’action extérieure et artificielle de l’intervention éducative. Dans le cadre du monisme matérialiste spinozien auquel Vygotski adhérait, « ces deux approches ne sont nullement contradictoires » (Bronckart, 2008, p.239) et confèrent à l’enseignement un rôle décisif dans la « stimulation » du développement. C’est dans cette perspective que l’auteur propose le concept de ZPD. La traduction du terme russe signifie littéralement « zone du développement le plus proche » mais les publications francophones lui préfèrent les expressions « zone proximale de développement » et « zone prochaine de développement » (Schneuwly & Bronckart, 1985, p.117). Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une zone de possibles, autant que de non possibles ou bien de possibles non utilisés car c’est un « champ de tensions et de résistances ». Comme le note Bronckart, « les apports externes ne sont générateurs de développement que dans la mesure où les conflits qu’ils engendrent sont « traitables » par la personne » (Bronckart, 2008, p.240). Ce constat amène d’ailleurs Brossard (2002, p.243) à rappeler l’existence d’une phase d’abord inter-psychologique puis intra-psychologique dans la ZPD qui constitue un espace « doublement borné » et qui se transforme au cours d’un apprentissage. En effet, cet espace possède une limite inférieure (ce que l’apprenant sait faire seul) et une limite supérieure (ce que celui-ci sait faire avec l’aide d’autrui et sera en mesure d’accomplir seul demain). Le problème théorique que pose donc Vygotski est que « l’apprentissage scolaire ne commence jamais sur une table rase » (Vygotski, 1933/1985, p.104) mais s’ancre sur le niveau de développement actuel de l’enfant, c’est-à-dire sur des « processus de maturation qui ont déjà eu lieu ». Toutefois, cet apprentissage scolaire doit aussi tenir compte des processus « qui sont en devenir, qui sont en train de se développer et de mûrir » (Vygotski, 1933/1985, p.109). Il note à ce propos (Vygotski, 1997, p.352) :

« La zone prochaine de développement a une signification plus directe pour la dynamique du développement intellectuel et la réussite de l’apprentissage (…). En

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collaboration, sous la direction et avec l’aide de quelqu’un, l’enfant peut toujours faire plus et résoudre des problèmes plus difficiles que lorsqu’il agit tout seul ».

Dans cette perspective, la ZPD permet d’évaluer les situations au cours desquelles les conditions d’apprentissage et les mesures pédagogiques contribuent au développement cognitif et culturel de l’apprenant ou du formé. Ainsi, « le seul bon enseignement est celui qui précède le développement » (Vygotski, 1933/1985, p.109) et « les processus du développement ne coïncident pas avec ceux de l’apprentissage mais suivent ces derniers ».

Mais qu’est-ce qu’un bon enseignement et comment s’opérationnalise le travail dans la ZPD de l’apprenant (formé, tutoré, novice, pair) ? Vygotski ne s’est pas préoccupé de donner un contenu à la ZPD, ni en termes de situations ni en termes de formes d’activités. Il ne disposait tout simplement pas des moyens de la recherche contemporaine en didactique (Rochex, 1997). Toutefois, la spécificité de l’acte d’enseignement et d’éducation peut être associée à un processus de « double sémiotisation » (Schneuwly, 2008, p.29). La culture et le social sont des offres ou des potentialités qui instrumentent l’action individuelle qui hérite de ces traits. En d’autres termes encore, ces ressources externes devenues « instruments psychologiques », permettent d’agir autrement, de façon plus complexe et dans des situations diversifiées, par rapport au monde et aux autres. Elles sont donc sémiotisées à la fois par l’apprenant (pour en saisir la signification) et en même temps par ceux qui assistent ce processus et qui utilisent des outils sémiotiques pour guider, montrer, rendre attentif à tel ou tel aspect d’un « objet d’apprentissage » ou

« contenu culturel » (Brossard, 2002). En ce sens, cet « objet d’apprentissage » doit non seulement « être présent mais aussi pointé par celui qui interagit dans le processus d’appropriation » (ibid., p.30). Sur ce point, « la qualité du support verbal » et des médiations opérées par l’individu le plus capable (enseignant, formateur, tuteur, pair plus expert) sont déterminantes « pour permettre d’ajuster la guidance, ou l’étayage, au niveau de développement actuel du formé » (Eun, Knotek & Heining-Boynton, 2008, p.135).

L’interaction dissymétrique (verbale et non verbale) en dyade ou en petits groupes est qualifiée tantôt « d’assistance » (Rogoff, 1990), de « participation guidée » (Rogoff, 1997) ou encore « d’étayage », concept initialement rapporté à des situations expérimentales (Bruner, 1991, 1999 ; Bruner & Hickman, 1983) puis étendu à des situations contextuelles (Eggen & Kauchak, 1999 ; Verenekina, 2003 ; Wells, 1999). De manière générale, les interactions éducatives visent à généraliser les savoirs déjà-là chez l’apprenant (concepts

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quotidiens) et à les faire intégrer dans un nouveau système conceptuel plus complexe (concepts scientifiques) qui transforme les premiers (germination des concepts quotidiens vers le haut). Toutefois, « l’entrée dans les systèmes plus généraux (…) disciplinaires, dérivés de systèmes scientifiques ou d’expertise, nécessite un enseignement systématique qui ne suit pas, pour l’essentiel, les besoins et les motifs de l’élève » (Schneuwly, 2008, p.32). Sur ce point, en rapport avec le continuum développemental proposé par Vygotski, la première étape de l’apprentissage chez le jeune enfant ou « le novice absolu » (Berducci, 2004) relève d’une forme de « dressage » caractérisée par l’usage fait par l’enseignant d’un pointage indicatif (geste) visant à faire associer par l’apprenant un signe (le mot) et son signifiant (objet matériel, expérience) pour en co-construire la signification. Cet enseignement « ostensif », au sens de Wittgenstein, est fondé sur un processus causal de type stimulus-réponse fortement behavioriste.

Dans cette recherche, nous retenons les principes vygotskiens d’un développement par internalisation (Matusov, 1998) ainsi que le postulat de l’antériorité de l’apprentissage qui ouvre la voie au développement de l’activité. Toutefois, rapportée au domaine de la formation d’adultes, l’analyse des rapports entre apprentissage et développement ainsi que l’usage du concept de ZPD nécessitent des ajustements. Tout d’abord, les EN ne sont pas toujours « complètement novices ». Si c’est parfois le cas, la plupart du temps ces derniers apprennent le métier d’enseignant en mobilisant d’autres expériences antérieures liées à l’encadrement éducatif, à leur parcours de formation ou encore à l’animation. Précisément, en situation de formation professionnelle comme le tutorat, la supervision ou encore les ateliers d’analyse des pratiques, les EN disposent de significations anciennes inhérentes à des concepts appris dans d’autres circonstances et auxquelles ils tentent d’associer leur expérience professionnelle quotidienne non sans difficulté et improductivité. La littérature du domaine ne manque pas d’exemples édifiants qui montrent également les limites d’une approche prescriptive et modélisante du tutorat (modèle du compagnonnage) où le rôle passif d’apprenti conféré aux EN circonscrit les situations d’entretien à des échanges stériles. Précisément, les EN ont besoin de confronter et de faire évoluer leurs représentations, conceptions de l’enseignement et de l’apprentissage aux cours d’échanges formatifs voire de « disputes professionnelles » avec des pairs plus ou moins aguerris. Sur ce point, toute la difficulté de l’activité tutoriale tient au fait de dépasser « un dressage initial » en permettant aux EN d’utiliser les concepts

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appris en situation de formation pour signifier autrement les expériences vécues en classe, les évènements remarquables qui y surviennent et sur lesquels portent les jugements, les injonctions et les conseils des TU. Le développement de l’activité des EN dépend alors de leur capacité à utiliser des expériences de formation en situation d’enseignement et à transformer leurs actions situées conformément aux attentes socioculturelles de la communauté éducative. En outre, dans cette perspective, les TU et/ou les FU jouent un rôle déterminant dans l’évolution du point de vue personnel mais aussi professionnel des EN sur l’exercice du métier à travers « l’accompagnement historique » mis en œuvre pour susciter cette alternance entre les concepts et les contextes (de formation et de travail).

Toutefois, l’influence des « croyances » ou des représentations a priori des TU sur les contenus de formation à adresser aux EN suscite parfois une incompréhension réciproque et des relations déphasées finalement défavorables à la mise en œuvre d’un suivi quotidien évoqué antérieurement. En conclusion et dans une perspective Vygotskienne, ceci nous amène à penser que l’apprentissage des EN et des TU, pose tout autant le problème de la

« migration fonctionnelle » de l’expérience que celui de la « migration fonctionnelle » des concepts (Vygotski, 2003). En ce sens, certains postulats d’une psychologie historico-culturelle du comportement humain nous semblent permettre l’évaluation des situations à visée formative ancrées sur la ZPD des EN et/ou des TU ainsi que leur contribution à l’apprentissage et au développement de l’activité.

Dans cette perspective, nous considérons que les entretiens de tutorat et/ou de supervision sont des « évènements intersubjectifs » (Brassac, 2001, 2003) qui relèvent d’échanges d’activités selon le principe dialogique de Bakhtine et Volochinov (1977), Bakhtine (1984, 1929/1998) et Volochinov (1981). Autrement dit, le discours des protagonistes s’inscrit dans un horizon social et culturel qui organise, oriente et construit de façon spécifique le thème («contenu thématique que les interlocuteurs mobilisent à propos d’un objet auquel ils se réfèrent », Bronckart, 1997, p.100) de l’activité dialogique ainsi que le genre dont il relève (Clot & Faïta, 2000). Les présupposés retenus nous invitent à considérer que cette activité dialogique, entre les TU et/ou les FU et les EN, peut s’accompagner d’un « processus d’étayage» entendu comme « l’opérationnalisation technique » (Eggen & Kauchak, 1999 ; Verenekina, 2003) « du concept Vygotskyen de travail dans la zone proximale de développement » (Wells, 1999, p.127). Nous faisons donc l’hypothèse que l’analyse de cet étayage à propos « d’objets de l’activité d’enseignement » devenant « objets de l’activité de formation » (et leur thème associé)

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apporte des connaissances sur la co-construction de la signification et l’usage collectivement convenu des concepts professionnels, actions et modalités opératoires en situation d’enseignement et de formation (Bertone, Chaliès & Clot, 2009). Par ailleurs, nous pensons que l’efficacité de cet étayage tient autant au contenu abordé qu’à l’adoption par les TU et/ou les FU d’une posture « d’agents de développement » (Rivière, 1990, p.93) de l’activité des EN. Sur ce point, la littérature du domaine met en évidence le caractère anxiogène des entretiens post-leçon au cours desquels les EN adoptent plus facilement une posture réactive et défensive que propice à l’analyse objective de leur expérience vécue en classe. Seules des compétences spécifiques dans la gestion des entretiens permettent aux TU d’impliquer les EN dans l’échange. Ceci est possible grâce à un questionnement non directif et instrumenté par des supports tels qu’une vidéo de la situation d’enseignement, des fiches d’observation, des travaux produits par les élèves. Ces conditions réunies sont alors propices à l’analyse conjointe de problèmes rencontrés par les EN et peut être complétée par des démonstrations. Dans ce contexte, « le processus d’étayage » mis en œuvre par les TU, préserve la relation tutorale d’a priori professionnels, de jugements portés « à l’emporte pièce » et de remarques subjectives ou gratuites.

Enfin, rares sont encore les recherches qui abordent le problème de « la connaissance et de l'apprentissage dans et hors de l'école ou tout au long de la vie » (Roth

& Lee, 2007, p.186) ou interrogent le rapport entre l’intervention formative et l’émergence du processus de développement de l’expérience chez l’adulte (Vanhulle, 2008b). Retenir le principe selon lequel le développement est un processus « d’auto-mouvement » qui peut être provoqué de manière artificielle et externe, pose comme fondamental non seulement la prise en compte de la transformation du comportement opérée par les médiations sémiotiques (signes) et techniques (outils) mais aussi les caractéristiques des situations

« non naturelles » au cours desquelles on agit selon les spécificités historiques et culturelles du groupe social auquel on appartient. De nombreux auteurs suggèrent donc une révision du concept de ZPD et proposent de l’étendre aussi bien à des situations formatives opérées hors du contexte scolaire qu’aux situations de travail (Clot, 1999, 2008 ; Cole, 1985 ; Engeström, 2001b ; Engeström & Miettinen, 1999 ; Eun et al., 2008 ; Santos &

Lacomblez, 2007 ; Wells, 1999) qui constituent en soi des lieux générant en permanence des « zones de développement proche » où sont susceptibles de se réaliser de multiples formes d’apprentissage (Billett, 2004, 2006).

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