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Conduire l’enseignante novice d’une préoccupation à une autre : de la gestion du temps à l’aide aux élèves en

Deuxième étude de cas

1.1. Conduire l’enseignante novice d’une préoccupation à une autre : de la gestion du temps à l’aide aux élèves en

difficulté

La leçon préparée par l’EN pour sa visite conseil avait pour thème le mariage princier de Felipe d’Espagne et de Letizia Ortiz (ancienne présentatrice du journal télévisé) en la cathédrale madrilène de la « Almudena ». Cette leçon était en trois parties : la première s’est rapportée à l’expression orale d’élèves volontaires à partir d’un photomontage ; la seconde a concerné l’analyse collective d’un document photocopié ainsi que la discrimination de sons à partir d’un enregistrement audio de la cérémonie de mariage ; enfin, la troisième partie a été consacrée à une pause récapitulative et à l’inter-correction orale entre des élèves de niveaux différents. Cette dernière partie de la leçon avait en outre une double finalité. La première était de « faire fixer en classe » les apprentissages des élèves les plus faibles et la seconde visait une prise de notes efficiente du vocabulaire et des règles de grammaire figurant au tableau qui devaient être apprises pour la leçon suivante.

Lors de l’entretien de visite conseil, la FU a jugé que l’enregistrement audio exploité par l’EN pendant sa leçon était inadapté au niveau de la classe. La TU a alors questionné l’EN sur les raisons pour lesquelles elle n’avait pas approfondi la troisième partie de sa leçon alors même qu’elle avait terminé dix minutes en avance.

Extrait 1, Unité 12 de l’entretien de visite conseil (23 novembre 2007)

FU : alors précisément sur le temps, est-ce que tu as remarqué qu’il est resté finalement 5 à 6 minutes à la fin ?

EN : oui mais je ne pensais pas (…) TU : non dix minutes ! Dix minutes ! FU : oui dix minutes !

EN : mais je croyais que (…)

FU : dix minutes c’est vrai, moi je suis toujours sur mon « midi moins cinq » !

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EN : je suis allée très vite d’ailleurs sur la troisième partie parce que je pensais que j’étais prise par le temps et puis finalement je me suis retrouvée voilà (…)

[L’EN et sa TU se regardent et se sourient ; la TU acquiesce aux propos de la FU]

FU : voilà, c’est dommage parce que tu avais le temps matériel. On a les consignes : il faut identifier les voix, les bruits, les thèmes (…). C’est vrai que là, tu l’as dit toi-même, voilà (…)

EN : c’est moi, je me suis pressée.

FU : voilà [La FU prend des notes complémentaires ; court silence puis reprend en espagnol]. Parce que c’était difficile et à mon avis là, les pauvres [les élèves], si on ne les fait pas réécouter (…)

[La TU acquiesce aux propos de la FU ; la FU s’adresse alors à la TU]

FU : je ne sais pas (…) interviens si tu veux abonder dans mon sens ou bien (...) TU : oui mais je n’ai rien de plus à dire, moi je vais ensuite lui poser des questions sur la gestion de temps, ce qu’elle pense, sa façon de (…)

EN : la dernière fois ça m’est arrivé de la même façon en fait.

TU : oui ça s’est déjà produit, c’est-à-dire quel est le problème ?

EN : mon ressenti. Je me sens pressée et au lieu d’approfondir, ce qui est dommage, et bien je me presse (...)

[La FU coupe la parole à l’EN]

FU : (…) oui par moment on a vu que tu étais pressée d’avancer ! EN : et j’avais le temps d’approfondir quoi, c’est dommage.

TU : alors tu avais le temps d’approfondir et précisément, il me semble qu’il y avait dans ce document, un aspect à approfondir absolument, lequel ?

EN : euh, la « modina » ?

TU : oui la « modina » donc là tu avais la cathédrale. Alors, qu’est ce que tu pouvais faire comme utilisation de ce moment ? Je veux dire dans ton travail avec les élèves, ton rapport avec les élèves, l’ensemble de la classe (…) Qu’est ce que tu pouvais faire avec ce décryptage que tu n’as pas fait finalement ?

EN : hum (…)

TU : pendant ces dix minutes-là et que tu aurais pu utiliser ! Tu sais on a prévu de travailler cela ensemble, ce point-là, « les élèves en difficulté » !

EN : oui.

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TU : les élèves en difficulté et bien il y a une fille, je ne sais mais (…) elle n’est pas intervenue du tout !

EN : par rapport au repérage des bruits à nouveau et bien revenir pour compléter et donner du sens.

FU : regarde [La FU montre le document photographique] on voit la cathédrale justement.

EN : c’est ça, oui, oui.

FU : revenir sur la cathédrale et c’était le moment pour ces élèves-là de faire le lien entre la photographie et l’enregistrement.

TU : et ton vocabulaire !

EN : pour réemployer, euh, oui.

TU : tu l’as là. Il me semble qu’il y a « la scampa », tout ça (…) FU : oui les anneaux.

TU : tu avais pas mal de choses qui auraient pu être utilisées pour donner la parole à ces élèves faibles.

EN : oui d’accord.

FU : alors à un moment donné tu es passée par le français pour l’histoire du partitif, tout d’un coup !

EN : oui, euh (…) parce que j’ai l’impression que lorsqu’ils ne comprennent pas ou que je suis en difficulté ou que je sens que vais être en difficulté pour leur expliquer, automatiquement je passe au français. Ce sont des moments rares mais (…)

FU : « [expression en espagnol] », par exemple, tu vois ? Bon, en fait c’est le seul moment mais tu étais prise un peu de court je crois !

EN : oui, je crois (…). Là, je me rends compte vraiment que c’est une nouvelle difficulté. Enfin, comme je suis en perpétuelle évolution (…). C’est-à-dire qu’il y a eu un moment où je ne terminais pas, enfin, j’étais très juste dans ma séance. Les traces écrites étaient prises « à la va vite » et maintenant j’essaie consciencieusement de prendre le temps mais en fait je me retrouve à ne pas exploiter finalement une partie de ma séance.

[La TU s’adresse à la FU]

TU : elle est dans une situation intermédiaire si tu veux. Là, elle prend ses marques et donc du coup c’est (…) elle ne remplit pas le temps.

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Cet extrait montre que la FU et la TU ont interrogé l’EN à propos d’actions alternatives (un aspect à approfondir ; ce décryptage ; revenir sur la cathédrale) qui auraient permis une meilleure exploitation didactique des ressources proposées aux élèves (tu avais pas mal de choses qui auraient pu être utilisées) pendant (tu avais le temps matériel) et à la fin de sa leçon (pendant ces dix minutes-là). La FU a évoqué en outre un nouveau but d’action (…) faire le lien entre la photographie et l’enregistrement (..) et ton vocabulaire) visant plus de cohérence entre chaque partie de la leçon de l’EN. La TU a complété les conseils que la FU avait adressés à cette dernière en les mettant en perspective avec un second but d’action en rapport avec l’aide aux élèves en difficulté (pour donner la parole à ces élèves faibles ; une fille, (…) n’est pas intervenue du tout). Sur ce point, la TU a rappelé à l’EN leur projet conjoint (Tu sais on a prévu de travailler cela ensemble, ce point-là) lié à ce nouvel « objet » de l’activité d’enseignement (les élèves en difficulté) qui avait déjà été évoqué dans d’autres situations de tutorat. Plus précisément, c’est à partir de cet « objet d’attention commun » entre la FU et la TU que ces dernières ont questionné l’EN pour identifier les difficultés rencontrées par les élèves dans la situation de compréhension orale proposée (c’était difficile et à mon avis là, les pauvres [les élèves], si on ne les fait pas réécouter…). Ces difficultés des élèves ont été associées à la pluralité des tâches prescrites par l’EN (il faut identifier les voix, les bruits, les thèmes) ainsi qu’au rythme imposé par cette dernière (je suis allée très vite d’ailleurs sur la troisième partie). À partir de ce constat, la FU et la TU se sont donc efforcées de mettre en concurrence la préoccupation du déroulement du temps de l’EN avec un nouveau motif d’agir centré sur l’apprentissage différencié des élèves.

Précisément, le problème de « gestion du temps » rencontré par l’EN avait déjà été identifié par la TU lors d’observations antérieures (oui ça s’est déjà produit ; la dernière fois ça m’est arrivée de la même façon en fait). Tout en ayant terminé très en avance (il est resté finalement (…) dix minutes), l’échange a montré que l’EN n’avait pas cessé de courir après le temps (Je me sens pressée). A posteriori, l’EN a acquiescé aux remarques faites à ce propos en évoquant une action possible mais non réalisée (au lieu d’approfondir, ce qui est dommage). Elle a également souligné l’inefficacité de ses exploitations didactiques et pédagogiques sous l’effet d’une maîtrise aléatoire de son temps (maintenant j’essaie consciencieusement de prendre le temps mais en fait je me retrouve à ne pas exploiter finalement une partie de ma séance ; il y a eu un moment où je ne terminais pas, enfin,

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j’étais très juste dans ma séance). Toutefois, elle a évoqué son manque de ressources concrètes (Là, je me rends compte vraiment que c’est une nouvelle difficulté) l’empêchant d’être efficace dans ses interactions orales auprès des élèves (lorsqu’ils ne comprennent pas ou que je suis en difficulté (…) je passe au français). Précisément, l’évocation de ses tentatives d’ajustements successifs (une fois trop long, une fois trop court) (je suis en perpétuelle évolution ; elle est en situation intermédiaire si tu veux, là elle prend ses marques) a conduit la TU à relativiser certains problèmes évoqués par la FU (les consignes ; l’histoire du partitif).

Cet extrait de l’entretien de visite conseil permet d’établir deux constats.

Premièrement, les conseils de la FU et de la TU n’ont finalement abouti qu’à l’expression d’un accord de principe par l’EN (hum (…) ; pour réemployer, euh, oui ; oui d’accord), dans la mesure où des opérations et des actions concrètes n’ont pas été élaborées pour cette dernière. Deuxièmement, la FU et la TU ont mobilisé des expériences professionnelles communes conférant un caractère assez similaire aux conseils adressés à l’EN. En d’autres termes, les conseils prodigués par la FU n’ont pas comporté de valeur ajoutée ou de complémentarité par rapport à ceux de la TU qui a été parfois dans l’impossibilité d’apporter un point de vue différent (… oui mais je n’ai rien de plus à dire).

Bien qu’on ne puisse tirer de conclusions tranchées à ce stade de l’analyse quant à l’efficacité / inefficacité de cet entretien de formation, il n’en reste pas moins que l’absence de prise en compte de la principale préoccupation de l’EN (au-delà d’un simple constat : on a vu que tu étais pressée d’avancer) ne permet pas d’identifier clairement l’existence

« d’enjeux partagés » par la triade. En ce sens, l’instauration d’une activité conjointe reposant sur « des activités individuelles différentes et donc complémentaires » (Vernant, 1997 ; Lorino, 2009) n’a pas été possible. Ce constat nous amène à analyser de plus près l’activité des deux formatrices au cours de la visite conseil.

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