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« de terrain » des enseignants novices

Chapitre 2. Un cadre théorique composite

3. Vers une théorie de la formation « orientée activité »

3.5. L’architecture développementale du métier

Le métier et le travail d’enseignant concernent un domaine de recherche récemment investigué par la psychologie du travail (Amigues, 2002, 2003 ; Espinassy, 2006 ; Ouvrier-Bonnaz & Werthe, 2006 ; Saujat, 2002, 2004 ; Yvon & Clot, 2003 ; Yvon, Roger & Roger, 2001). L’orientation clinique de l’activité et/ou ergonomique des résultats de ces études, invite à considérer qu’au-delà de sa signification ordinaire, le mot métier est un concept qui possède une architecture développementale : il est irréductiblement personnel, interpersonnel, transpersonnel et impersonnel (Figure 11). Comme le note Clot (2008b, p.180), « personnel et interpersonnel, il l’est dans chaque situation singulière toujours

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exposée à l’inattendu. Sans destinataire, l’activité de celle ou de celui qui travaille perd son sens. Pas d’activité sans sujet. Pas de sujet sans altérité. Au travail aussi ». Le métier est « impersonnel sous l’angle de l’organisation prescrite par la hiérarchie » qui structure le travail de chacun à l’appui de divers documents qui décontextualisent l’activité (Leplat, 2004). En ergonomie, une distinction aujourd’hui classique a été établie entre le travail prescrit et le travail réalisé. Toutefois, l’approche clinique de l’activité va au-delà en proposant de considérer qu’un « intercalaire socio-symbolique » (Clot, 2002, p.33) est garant du répondant individuel au contact réel des quatre dimensions du métier précédemment décrites (Clot, 2003b, 2008b ; Clot & Faïta, 2000). Il s’agit du « genre professionnel » ou « genre social d’activité » qui incarne la dimension transpersonnelle du métier traversé par une histoire collective qui franchit les situations, les générations et les époques et qui constitue une mémoire des attendus génériques de l’activité dans un milieu de travail.

Clot et Faïta définissent la notion de « genre professionnel » comme « un système ouvert de règles impersonnelles qui ébauche les rapports interpersonnels des acteurs entre eux pour agir » (Clot & Faïta, 2000, p.33). Il s’agit d’une « catachrèse du genre de discours chez Bakhtine » (Clot, 1999, p.34) qui peut-être décliné en deux acceptions. La première concerne le genre de discours, c’est-à-dire le fonctionnement de la langue donnant le ton d’un métier ou selon l’expression de Bakhtine (1929/1998, p.279) « un diapason lexical propice à un milieu et à une époque». La seconde concerne le genre d’activités techniques et corporelles. Cette notion renvoie ainsi à une convention de praxis fondée sur les connaissances communes, compétences reconnues, règles de métier non écrites, procédés pour faire et évaluations sous-entendues et partagées dans un milieu professionnel et qui donnent sa contenance à l’activité individuelle. Le genre peut ainsi être considéré comme un système souple de variantes normatives qui incarnent l’intelligence au travail opposée à son organisation formelle et ses contraintes centripètes. Si la maîtrise du genre rend habile et efficace, elle nécessite néanmoins que chacun se l’approprie pour, en retour, le re-générer en y mettant du sien. Dans cette perspective, être du métier et faire

« œuvre commune » (Cru, 1995) requiert comme préalable de s’affranchir du genre grâce à son style d’action acquis au fil du temps (Amigues, Faïta, Lataillade & Saujat, 2003 ; Clot

& Soubiran, 1998 ; Yvon & Clot, 2003).

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Rapporté à la formation professionnelle initiale des EN, ces présupposés théoriques inspirés d’une approche historico-culturelle de l’activité, permettent les constats suivants : Tout d’abord, pour devenir un enseignant unique en son genre, il est nécessaire d’avoir du style et en ce sens le processus d’appropriation du genre | externalisation du style par les EN ne peut être appréhendé autrement qu’historiquement. En outre, le style d’action est lié à la maîtrise de compétences et à la stabilisation de connaissances qui deviennent implicites pour les professionnels eux-mêmes et de fait sont rarement verbalisées.

Précisément, la littérature du domaine montre que la manière dont les TU font de leur bagage professionnel ou expérientiel une ressource de formation des EN est un véritable

« point aveugle » de la recherche. Or, il nous semble que les concepts de « genre » et de

« style » peuvent théoriquement éclairer une partie de ce problème. En effet, les « allant de soi » du métier, ce qui est connu, attendu ou interdit et les fonctionnements « routinisés » qui incarnent la dextérité « constituent une gamme de sous-entendus tacites et partagés que tout un groupe peut mobiliser spontanément pour riposter aux incidents et aux imprévus » (Prot, 2006). Mais l’expérience générique n’est pas prête à l’emploi (Diallo & Clot, 2003), c’est-à-dire qu’elle ne se transmet pas comme une maladie. Ainsi, dès son entrée dans le métier, la non-maîtrise du genre par le novice empêche précisément l’élaboration d’une

« modulation même des normes qui rend possible leur réalisation » (Leblanc, 2004, p.181). Sans « le mot de passe connu seulement de ceux qui appartiennent au même horizon social et professionnel » (Clot, 2002, p.33), autrement dit sans (a) la formalisation du genre, (b) la déconstruction / reconstruction des automatismes professionnels par les plus chevronnés et (c) leur explicitation dans des pratiques menées conjointement avec les novices en situation de travail et/ou de formation, les EN ne perçoivent que la dimension impersonnelle du métier à partir de leurs ressources personnelles du moment. Si les TU et/ou les FU ne donnent pas accès aux EN aux dimensions interpersonnelle et transpersonnelle du métier, ces derniers restent égarés face à l’étendue des bêtises possible.

Ce problème est identique lorsque les TU et/ou les FU adoptent des stratégies de masquage/démasquage des savoirs en se centrant sur une approche métacognitive de résolution de problèmes. Ces circonstances amènent bien souvent les EN à apprendre le métier par « essais-erreurs » et l’écart à la prescription officielle peut devenir une transgression personnelle qui laisse l’action individuelle à découvert.

Enfin, les postulats d’une clinique de l’activité invitent à re-considérer les points précédemment évoqués dans le contexte du processus de professionnalisation et de la

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réforme des masters enseignement. L’état actuel de cette réforme laisse transparaître une conception désincarnée du métier, c’est-à-dire un apprentissage professionnel initial

« vidé » de sa contenance collective et dépourvu d’une réelle expérience acquise dans différents terrains de stage (à hauteur de 108 heures). L’ancrage théorique d’une formation

« orientée activité » inspirée des sciences du travail permet d’affirmer l’indissociabilité entre l’apprentissage d’un métier considéré comme un processus d’enculturation d’une part et le développement historique de l’expérience d’autre part, dont la dynamique toujours incertaine résulte du rapport dialectique des multiples dimensions du métier.

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Figure 11 : Faire apprendre le métier d’enseignant au regard de ses multiples dimensions (Cette carte heuristique est à lire dans le sens horizontal).

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3.6. Le collectif professionnel garant du répondant des

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