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L’apprentissage par dé-liaison|re-liaison de l’expérience et plasticité fonctionnelle du système psychique

« de terrain » des enseignants novices

Chapitre 2. Un cadre théorique composite

3. Vers une théorie de la formation « orientée activité »

3.3. L’apprentissage par dé-liaison|re-liaison de l’expérience et plasticité fonctionnelle du système psychique

chez l’adulte

Malgré sa volonté de fonder « une psychologique comme science générale du comportement humain » (Vygotski, 1978c, p.7), Vygotski n’a pas eu le temps de mener des recherches empiriques sur le rapport apprentissage | développement et le système psychique à l’âge l’adulte (Wertsch, 1985a). Dans l’un de ses derniers articles Le problème de l’enseignement et du développement mental à l’âge scolaire, l’auteur évoque simplement des rapports différents au processus de développement (Vygotski, 1935/1985, p.112).

« L’importance de l’enseignement comme facteur essentiel pour déterminer la zone proximale de développement peut être plus clairement mise en évidence en confrontant l’apprentissage de l’adulte avec celui de l’enfant. Ce n’est que récemment qu’on a commencé à prêter attention à la différence fondamentale qui existe entre ces deux types d’apprentissage. Comme on le sait, les adultes ont aussi à leur disposition de grandes capacités d’apprentissage. L’idée de James selon laquelle après 25 ans il est impossible d’assimiler de nouvelles idées, a été complètement contredite par les recherches expérimentales modernes. Pour autant aujourd’hui encore on n’a pas suffisamment mis en évidence ce qui distingue l’apprentissage des adultes de celui des enfants. (…) Pour nous la différence réside dans le rapport différent aux processus de développement ».

Ces questions contribuent aujourd’hui à l’émergence d’un nouveau périmètre scientifique, celui d’une psychologie du développement « qui concerne aussi bien le travailleur que l’enfant » (Clot & Santiago-Delefosse, 2004, p.1). Sur ce point, dans le prolongement du schéma développemental de Vygotski (Berducci, 2004), il nous paraît pertinent de retenir certains présupposés d’une psychologie du développement « life span »26 (vie entière) (Baltes, 1987 ; Baltes, Staudinger & Lindenberger ; Denney, 1984) compatibles avec une approche socioculturelle de l’apprentissage (Cole, 1996 ; Hatano & Wertsch, 2001) et fondés sur une théorie dialectique du développement (Riegel, 1976).

26 A development accross the life span ou développement psychologique « vie entière ».

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La psychologie du développement « life span » ne repose pas sur un édifice théorique « homogène » (Baltes, 1987). Depuis les années soixante-dix, elle tire bénéfice d’un dialogue ouvert entre des chercheurs de différents domaines. Il s’agit d’une métathéorie dialectique et contextuelle fondée sur un cadre pluridisciplinaire (biologie, psychologie, sociologie, anthropologie) (Baltes, 1987). L’analyse du développement cognitif intègre plusieurs dimensions : les facteurs biologiques (« inner-biological »), psychologiques (« individual-psychological »), sociologiques et culturels (« cultural-sociological » et « outer-physical dimensions ») (« setting, surrounding environment » chez Hatano et Wertsch, 2001 ; Meacham, 1999, p.139 ; Riegel, 1976, p.693). Cette approche, fondée sur les travaux de Riegel, s’inscrit en opposition avec le processus de développement par stades chez Piaget. Certes, Riegel n’a pas eu connaissance des travaux de Vygotski, mais il s’est rapporté à ceux de Rubinstein et de l’école de Karkhov pour définir les principes d’une psychologie dialectique du développement qui privilégie les notions de doute, de déséquilibre et de changement à celles d’équilibre, de balance et de stabilité chères à Piaget. Il note à ce propos (Riegel, 1976, p.689) : « every change has to be explained by the process of imbalance which forms the basis for any movement. Once this prerequisite is recognized, stability appears as a transitory condition in the stream of ceaseless changes ». Pour l’auteur, le développement est « le résultat de contradictions entre les progressions des différentes dimensions qui le composent » et qui provoquent

« des discordances et des conflits » (Meacham, 1999, p.141). Dans cette perspective, le développement est défini comme multidirectionnel ou multidimensionnel, c’est-à-dire non linéaire. En outre, il est associé à une dynamique conjointe de gain et de déclin relative à toutes périodes de la vie. Autrement dit, les changements du fonctionnement et des performances intellectuelles dépendent non seulement de l’âge mais aussi du milieu socioculturel et des différents parcours de vie qui impactent l’expérience cognitive propre à chaque personne (Riegel, 1976). Il est possible de considérer que les « constitutions culturelles de l’esprit » (Hatano & Wertsch, 2001) forment un patrimoine sociogénétique intergénérationnel qui s’actualise et se transmet au cours de pratiques sociales de la petite enfance à l’adolescence. Ces ressources (sémiotiques, symboliques et artefactuelles) et leurs médiations sont, en outre, nécessaires à l’acquisition puis au maintien d’un fonctionnement psychologique et physique de plus en plus complexe (Cole, 1996). À ce titre, elles ne peuvent être exclues de l’étude des compétences cognitives humaines (réflexion, perception, mémoire) (Hatano & Wertsch, 2001). Toutefois, chez l’adulte, leur

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rôle dans le fonctionnement intellectuel est moins déterminant, notamment au cours de la seconde partie de la vie (Baltes, 1987 ; Baltes et al., 1999 ; Denney, 1984). Sur ce point, ces présupposés permettent de considérer d’une part qu’il existe un rapport différent à l’apprentissage à l’âge adulte au regard de l’expérience et des connaissances acquises au fil des années et d’autre part, qu’il s’établit une stabilité fonctionnelle, qualitative et quantitative du système psychique. En ce sens, nous retenons le concept de « plasticité fonctionnelle du système psychique » de Baltes (Baltes et al., 1999) pour établir que les performances actuelles d’un individu adulte doivent être distinguées de son potentiel d’acquisition et que le « capital cognitif » constitue une réserve, rarement totalement exploitée et dont l’efficience diminue faute d’exercice. Sur ce point, l’auteur évoque un potentiel d’expériences et d’habiletés de réserves ou de compétences « en jachère », c’est-à-dire non exercées mais pouvant être mobilisées, améliorées par entraînement et développées par expansion (Baltes, 1987). Dans ce prolongement, plusieurs auteurs notent que l’étude méthodologique du champ d’application et des limites de cette « plasticité du fonctionnement intellectuel » (Kliegl, Smith & Baltes, 1989 ; Khun, 1995) est similaire à la stratégie mise en œuvre par les recherches sur la zone proximale de développement chez l’enfant (Baltes et al., 1999).

La revue de littérature réalisée pour cette étude permet d’établir que le tutorat est un

« méta-métier », c’est-à-dire que l’enseignement auprès d’élèves en est le creuset, le socle fondamental, mais ne s’y limite pas. En effet, d’autres compétences et connaissances spécifiques à la formation d’enseignants nécessitent d’être apprises par les tuteurs pour compléter leur bagage expérientiel initial. Dans cette perspective, les TU aspirent à « faire savoir et faire faire autrement », ce qui les positionne comme des apprenants d’une posture professionnelle de formateur d’enseignants. Toutefois plusieurs études rendent compte des difficultés rencontrées par ces derniers pour mobiliser leur expérience de l’enseignement ou simplement ne pas s’y limiter pour tenir conseil et former des stagiaires plus ou moins novices. En effet, les EN sont des adultes ayant construit des significations élaborées de concepts qui n’ont pas encore ou pas complètement la signification qu’ils auront après leur formation professionnelle initiale. Dans une perspective vygotskienne, ce constat nous amène à considérer que l’apprentissage, aussi bien des EN que des TU, dépend parfois d’une remise en forme de connaissances, de compétences et de savoirs antérieurs. Pour les EN, l’acquisition de compétences spécifiques en rapport avec « l’enseignement à des

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élèves » et pour les TU en rapport avec « l’enseignement à des élèves enseignants », peut requiérir, en certaines circinstances, une « dé-liaison » de la signification accordée à certaines expériences vécues, afin de permettre à ces derniers, de signifier autrement ce qu’ils réalisent ou vivent dans un nouveau contexte d’activité (« re-liaison »). Nous considérons que ce présupposé peut être complété par la notion de « plasticité du fonctionnement intellectuel » aidant à la compréhension des difficultés rencontrées ou des résistances manifestées par certains EN (tels que, par exemple, les professeurs stagiaires en situation, anciennement maîtres auxiliaires ou ayant exercé un autre métier avant leur recrutement comme enseignants) et/ou TU, pour mobiliser des habiletés de réserve ou latentes, tout en considérant qu’elles peuvent être stimulées de manière « externe et artificielle » et étendues à de nouvelles capacités et performances (sorte de niveau de développement potentiel).

Cette question du rapport entre apprentissage et développement à l’âge adulte pose directement des questions de formation et de professionnalisation. En ce qui concerne la formation des formateurs, de manière consensuelle la littérature du domaine rend compte de la nécessité de professionnaliser les TU et de les accompagner dans la transition d’un métier (celui d’enseignant) à un autre (celui de formateur d’enseignants). Les présupposés théoriques évoqués permettent de formuler l’hypothèse selon laquelle ce changement du statut de l’expérience vécue des TU, lorsqu’il devient le moyen d’un nouveau fonctionnement, contribue au développement de leur activité professionnelle de formateur d’enseignants. Toutefois, cette « traduction d’une activité dans une autre activité » n’est accessible que par la médiation de la conscience définie par Vygotski (Vygotski, 1925/2003, p.78-83) comme « une réfraction réitérée » toujours confrontée « aux conflits possible dans l’activité du sujet » (Clot, 2003, p.13). Précisément, nous proposons de considérer que cette réfraction réitérée dépend de la capacité des TU à faire de leur expérience d’enseignement un « instrument psychologique » qui transforme leur propre comportement en un « instrument technique » de formation adressé aux EN. Mais, sans aide extérieure et sans formation adaptée, l’objet de l’activité des TU peut demeurer confus au regard des mobiles qui les animent dans leurs interactions avec les EN. En effet, en tant qu’enseignant, l’objet de l’activité des TU concerne l’organisation de l’apprentissage des élèves en classe alors que l’objet de leur activité de formation devrait être l’apprentissage du métier par les EN. Précisément, nous considérons que les situations de visite conseil (réunissant TU et FU) et/ou les entretiens d’autoconfrontation vidéo simple ou croisée

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peuvent être l’occasion d’un voyage collectif dans la zone proximale de développement des TU notamment grâce à la médiation de l’analyse de leur activité. Dans ces contextes, l’objet de l’activité des TU et leurs motifs d’agir en tant que formateurs peuvent être clarifiés (Kaptelinin, 2005). Par ailleurs, la notion de « plasticité du fonctionnement intellectuel » (Baltes, 1987 ; Baltes et al., 1999) peut être sollicitée pour caractériser le processus d’expansion de leurs connaissances et compétences actuelles d’enseignant, à celui de la formation d’enseignants. Dans cette perspective, la « migration fonctionnelle » (Vygotski, 2003) de leur expérience d’enseignement peut être considérée comme une réorganisation des actions et connaissances leur donnant, en outre, un caractère plus complexe, sophistiqué et approprié au tutorat « d’élèves enseignants ».

3.4. L’intersubjectivité et l’activité conjointe en situation

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