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« de terrain » des enseignants novices

2.2.3. Les modèles de tutorat et leurs incidences sur la formation des enseignants novices

La littérature du domaine rend compte de trois principaux modèles théoriques dont les postulats se prolongent à la conception, l’organisation du tutorat et la nature des interactions TU|EN.

Le modèle humaniste

Le modèle dit « humaniste » (Wang & Odell, 2002) renvoie à la posture typique adoptée par les TU face au choc de la réalité perçu par les EN au cours de leurs expériences d’enseignement (Veenman, 1984 pour une revue). Les problèmes et difficultés que ces derniers rencontrent sont associés à leur personnalité et à la construction de leur identité professionnelle. Dans ces conditions, les TU tiennent le rôle d’un confident (« counselor »), d’un soutien moral (« moral supporter ») ou encore d’un « critical friends » (Kwan & Lopez-Real, 2005). Ils valorisent le soutien émotionnel et psychologique des EN notamment lorsqu’ils vivent de véritables dilemmes en classe (Freese, 2006 ; Hawkey, 2006 ; Tomlinson, 1995) liés à leur besoin de comprendre les rouages de l’enseignement et la nécessité d’être performant rapidement auprès des élèves (Ria, Sève, Saury, Theureau & Durand, 2003). Parfois la dichotomie ressentie entre la théorie et la pratique (Korthagen & Kessels, 1999 ; Ottesen, 2007) et leur incapacité à réagir face à la contingence des situations d’enseignement (Freese, 2006) renforcent le sentiment des EN de perdre pied avec leurs élèves. Dans ces circonstances, en entretien de formation les TU préfèrent euphémiser leurs critiques, se contentent de suggestions

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indirectes et valorisent les encouragements adressés aux EN (Strong & Baron, 2004).

Toutefois, l’absence d’une véritable analyse conjointe des difficultés rencontrées en classe limite la construction de connaissances professionnelles dont les EN sont demandeurs (Zanting, Verloop & Vermunt, 2001b). Précisément, l’étude de Daloz (1986) montre que lorsque le soutien émotionnel est important (« support is high ») mais que les enjeux sont faibles (« challenge is low), l’activité tutoriale n’est pas propice au développement des apprentissages des EN. D’autres études soulignent également d’une part le rôle central tenu par les émotions lors de la construction des connaissances professionnelles des EN (Bullough & Draper, 2004 ; Freese, 2006 ; Ria et al., 2003 ; Veenman, 1984) et celui de la dynamique émotionnelle dans la relation tutorale d’autre part (Ria & Chaliès, 2003). Sur ce point, au cours de cette période d’apprentissage et d’entrée dans le métier, l’étude de Schonfeld (1992) rend compte plus particulièrement des effets du stress, de la fatigue, de l’irritabilité, des désillusions et des frustrations sur les situations de formation. L’auteur rapporte, en effet, le cas d’EN qui demeurent prisonniers de leurs peurs (de mal faire, de paraître idiot, de remettre en question leurs opinions ou croyances, etc.) au point de refuser l’aide apportée par les TU et/ou les FU. En complément de ces résultats, dans de telles circonstances, d’autres auteurs notent l’impact de la posture des TU et des autres formateurs tantôt sur la socialisation professionnelle des EN, tantôt sur leur abandon de la profession (Darling-Hammond, 1996b ; Freese, 2006 ; Reynolds et al., 2002 ; Scherff, 2008 ; Siebert, Clark, Kilbridge & Peterson, 2006). Toutefois, l’étude de Bullough (2005) établit une critique acerbe des dérives possible d’une attitude trop « protectrice » des TU qui aboutit généralement à une « community of compassion and not a community of inquiry ». Au-delà d’une activité tutoriale perçue comme confortable, en effet, les EN ne tirent guère de bénéfices de l’absence d’échanges argumentés avec les TU et il est possible de considérer qu’en de telles circonstances, les entretiens relèvent d’occasions de formation ratées (Carver & Katz, 2004).

Le modèle du compagnonnage ou « apprenticeship model »

Le modèle du compagnonnage ou « situated apprentice perspective » (Wang &

Odell, 2002) est très répandu aux Etats-Unis et dans les pays anglo-saxons. Les enseignants n’y ont pas le statut de fonctionnaires d’état comme en France et leur recrutement est effectué par la profession. Ce modèle de tutorat repose sur le postulat selon lequel la formation universitaire est éloignée de la pratique et demeure inadaptée aux attentes de la profession. Dans ces conditions, les difficultés rencontrées par les EN en

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classe sont associées à leur manque de connaissances professionnelles situées et contextuelles (Wang & Odell, 2002). La formation de terrain repose, dès lors, sur une approche plutôt inductive et prescriptive (Feiman-Nemser & Parker, 1993 ; Sundli, 2007) ce qui confère aux TU un rôle d’agents de changement ou de guides à imiter (« if you want to be a good teacher, do as i say », chez Parker-Katz & Bay, 2008 ; Franke & Dahlgren, 1996). L’une des principales incidences sur les interactions de formation en entretien est que les TU sont généralement à l’initiative du questionnement, voire des réponses et placent les EN dans un rôle passif d’apprenti. Lorsque des divergences apparaissent, par crainte de conséquences sur leur évaluation les EN renoncent la plupart du temps à désavouer les actions prescrites par les TU (Yayli, 2008) et adoptent finalement les stratégies d’enseignement qui leur sont préconisées (Hawkey, 1997). Dans ce contexte, les TU conseillent les EN en fonction de leur style d’enseignement et de ce qu’ils feraient eux-mêmes dans des situations d’enseignement similaires (Franke & Dahlgren, 1996) (« the mentor tells and demonstrates specific performances, alway focusing on her own particular style », chez Parker-Katz & Bay, 2008). La deuxième conséquence est que les TU se contentent alors de préconiser des recettes (« easily implimented solution ») ou des solutions toutes faites (« ready-made solution ») à propos du comportement à adopter avec les élèves pour assurer leurs apprentissages (Bullough, 2005 ; Graham, 1997 ; Orland-Barak & Klein, 2005). Par le différentiel d’expérience entre les TU et les EN, ces conseils sont éloignés des capacités de ces derniers à les mettre en œuvre et aboutissent bien souvent à une incompréhension réciproque marquée par des échanges stériles (Clarke, 2006 ; Yayli, 2008).

Le modèle clinique-réflexif ou « reflective practitioner model »

Ce modèle de tutorat apparaît comme prédominant dans la formation professionnelle initiale des EN. Depuis le début des années 2000, ce modèle a évolué vers une approche collaborative caractérisée par la valorisation des situations de co-préparation, de co-enseignement et d’observation réciproque des TU et des EN, suivies d’un entretien de formation. Ces aménagements ainsi qu’une approche clinique et réflexive centrée sur l’expérience vécue des EN, amènent les TU à aborder l’exercice professionnel « dans » mais aussi « en dehors » de la classe (Fairbanks, Freedman & Kahn, 2000 ; Pajak, 2001).

L’organisation des conditions d’apprentissage des élèves est placée au cœur de la formation proposée aux EN (Parsons & Stephenson, 2005). Au cours des entretiens, les TU analysent les problèmes et les difficultés des EN en s’aidant de démonstrations médiatisées

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par différents supports et prescrivent des conseils techniques si nécessaire (Feiman-Nemser, 2001 ; Feiman-Nemser & Parker, 1993 ; Franke & Dahlgren, 1996 ; Hascher, Cocard & Moser 2004 ). Ils les aident également à établir des liens entre leur pratique en classe et les connaissances théoriques dispensées à l’université ou en centre de formation (Chaliès, Bertone, Ria, Trohel & Durand, 2004 ; Cochran-Smith & Lytle, 1999 ; Korthagen

& Kessels, 1999 ; Ottesen, 2007). Dans ces situations, si le soutien émotionnel apporté par les TU est important, il ne se substitue toutefois pas à une démarche critique (Eraut, 1994 ; Franke & Dahlgren, 1996 ; Ward & McCotter, 2004) qui se prolonge jusqu’aux principes éthiques de la profession (Pajak, 2001 ; Zeichner & Liston, 1996). Ce modèle de tutorat est résolument proche du paradigme du « praticien réflexif » (« reflective practitioner ») issu des travaux nord-américains de Donald Schön (1983, 1987, 1991) à l’origine du

« Teacher-thinking movement » aux Etats-Unis (Zeichner & Liston, 1996). Quelques études (Fairbanks et al., 2000 ; Norman & Feiman-Nemser, 2005) rendent compte des possibilités offertes par ce modèle à l’instauration d’un « partenariat professionnel » entre les TU et les EN et plus largement à la création d’un « educative mentoring » (Feiman-Nemser, 2001). Cinq principes généraux s’en dégagent et permettent de définir un tutorat éducatif ou formatif. Ces principes sont associés à des actions attendues chez les tuteurs :

• Aider les EN à faire face à leur entrée dans le métier et à définir l’orientation générale de leur travail d’enseignement au sein d’une communauté de pratique (insertion des EN dans leur milieu de travail ; présence soutenue des TU au cours des premières semaines de stage ; aide aux démarches administratives ; accueil des EN dans la classe des TU pour observation) ;

• Etablir des relations professionnelles fondées sur le dialogue et la réflexion (identification et négociation du type de feedback souhaité au cours des entretiens de formation) ;

• Développer une activité collaborative et collégiale permettant d’apprendre de l’un et de l’autre (questions, suggestions et échanges d’opinions ancrées sur l’évolution des besoins et des situations de classe de l’EN (Edwards &

Protheroe, 2004) ;

• Adopter une approche située de l’apprentissage du métier d’enseignant au sein d’une communauté de pratique (Lave & Wenger (1991) et Matusov (1998) pour les principes d’un développement professionnel par participation).

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Dans le contexte d’un « educative mentoring », les TU considèrent les EN comme des pairs moins expérimentés avec lesquels peut être engagée une construction conjointe de connaissances sur l’enseignement. Au cours des entretiens, ils s’efforcent d’être attentifs aux sollicitations urgentes des EN sans pour autant négliger l’apprentissage effectif des élèves. Cette double exigence les conduit à adopter « une vision bifocale » (Edwards & Protheroe, 2004 ; Feiman-Nemser, 2001) et à considérer les EN comme des apprenants (Achinstein & Athanases, 2005 ; Hennissen, Crasborn, Brouwer, Korthagen &

Bergen, sous presse) dont ils doivent accompagner le questionnement critique et réflexif (Feiman-Nemser & Parker, 1993 ; Parsons & Stephenson, 2005). Soutenus dans cette démarche, les EN cherchent par eux-mêmes les solutions aux problèmes rencontrés et construisent un point de vue personnel sur des questions d’apprentissage (Feiman-Nemser

& Parker, 1993) et d’enseignement (Pajak, 2001). Lorsque ce type de relation tutorale existe, elle évolue dans le temps en fonction de l’insertion progressive des EN dans une communauté professionnelle (Chaliès, 2002 ; Rippon & Martin, 2006 ; Stanulis & Russel, 2000 ; Trohel, 2005) et du développement de leur efficacité dans la situation d’enseignement en classe (Darling-Hammond, 1996 ; Roth & Tobin, 2004 ; Scantlebury, Gallo-Fox & Wassel, 2008). Pour Spindler et Biott (2000) ce type de relation de formation passe ainsi progressivement d’un rapport dissymétrique d’aide et de soutien (structured support) à un rapport entre « confrères » (colleagueship).

Toutefois d’autres recherches sont plus nuancées et notent les limites de ce modèle de tutorat qui instrumente peu les EN au plan professionnel tout en privilégiant l’acquisition de compétences cognitives dans le domaine de la résolution de problèmes.

Dans la formation à l’université ou en centre, on en retrouve l’influence au travers de l’analyse de(s) pratique(s) (Altet, 1994 ; Beillerot, 1996 ; Maubant, 2007 ; Maubant, Lenoir, Routhier, Oliveira, Lisée & Hassani, 2005 ; Méard & Bruno, 2004 ; Perrenoud, 2001) et de la production d’un mémoire ou d’un écrit professionnel. Toutefois, cet intérêt grandissant en formation pour les pratiques enseignantes s’accompagne d’une certaine confusion au plan terminologique. En effet, pratique, action et activité sont des notions parfois confondues ou employées comme des synonymes. Cette confusion est renforcée par une grande diversité de dispositifs de formation et des paradigmes théoriques auxquels ils sont associés (Marcel et al., 2002 pour une note de synthèse). Sur ce point, plusieurs auteurs critiquent les dérives possible du paradigme du praticien réflexif sur l’activité de conseil, ayant comme objet soit les pratiques soit l’activité professionnelle. Il s’agit plus

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précisément de TU qui appliquent des stratégies de masquage-démasquage des savoirs (Durand, 2003 ; Méard, 2005) et laissent les EN en situation d’errance ou d’incertitude ce qui les conduit à apprendre le métier par essais-erreurs (Méard & Durand, 2004). Ces résultats mettent en évidence que l’instauration d’une véritable « learning conversation » (Orland, 2001) au cours des entretiens nécessite que les TU soient formés afin qu’ils évitent de s’approprier la réflexion au dépend des EN (Loughran & Berry, 2005).

2.2.4. Les contours de la professionnalité des formateurs de terrain (TU)

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