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Circonstances de l’instauration d’une activité disjointe de formation au cours de l’entretien de visite conseil

Deuxième étude de cas

2. Circonstances de l’instauration d’une activité disjointe de formation au cours de l’entretien de visite conseil

Au cours de l’entretien de visite conseil, la FU a jugé imprécises les corrections faites par l’EN de la prononciation des élèves ainsi que de leurs erreurs grammaticales. Elle a donc engagé l’échange à partir de sa perception experte d’un évènement survenu à la fin de la leçon (à 44’23 min).

Unité 9 de l’entretien de visite conseil (23 novembre 2007)

FU : ah oui aussi je reviens sur la nature des erreurs. Par exemple, tu voulais qu’ils interviennent sur « el passado ». Il y a un élève qui te l’a mis au passé simple le verbe. Est-ce qu’il avait tort ?

EN : je n’y ai pas fait attention, euh.

FU : tu lui as fait : « non je ne veux pas le passé simple ». Mais tu dis :

« [expression en espagnol] »

EN : je n’ai même pas fait attention. C’est juste.

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TU : « [expression en espagnol] ». Ça peut éviter cette confusion.

FU : parce que du coup eux, ils cherchaient « [expression en espagnol] ». Je pouvais mettre un prétérit, un imparfait. Donc ils ont raison.

EN : je crois que je n’ai même pas écouté. Je lui ai dit « non », mais je crois que je n’ai même pas écouté.

[Rires collectifs]

EN : c’était Brian non ? TU : oui c’était Brian.

EN : faute avouée à demi-pardonnée ! FU : c’était quelqu’un juste devant nous.

EN : oui je crois que c’était Brian.

FU : bon là il faut leur donner tout de suite, on ne joue pas à la devinette :

« [expression en espagnol] ».

EN : bon des fois je manque encore de précision mais c’est vrai qu’entre la consigne (…)

[La FU coupe la parole à l’EN]

FU : (…) il vaut mieux être plus précise, c’est ce que je te dis : « [expression en espagnol] ». Là, ils auraient peut être cafouillés sur « [ega, eva] » mais ils auraient mis directement « [expression en espagnol] ». Bon, je crois que c’était suffisant et qu’ils avaient compris que [« expression en espagnol »]. On avait bien replacé la situation : [« expression en espagnol »]. Là tu vois c’est dommage, tu ne tends pas suffisamment de perches à ces élèves en difficulté : [« expression en espagnol »].

C’était bien de faire parler à ce moment-là quelqu’un qui n’était pas intervenu ou que tu pensais capable de réutiliser ce qui avait été vu.

EN : j’ai du mal encore à lancer les questions d’approfondissement. Parfois on peut approfondir par une question, pour relancer un petit peu.

TU : relancer le débat.

FU : les relancer mais pour qu’ils te fassent quelque chose de plus complexe, qu’ils mettent en relation des petits éléments, des choses qu’ils ont remarquées. C’est important de faire des connexions et de créer des réseaux qui vont donner du sens.

Donc : « [expression en espagnol] ».

EN : C’est que de peur de faire comme cela, de prendre la parole, voilà (…) [La FU coupe la parole à l’EN]

179 FU : [« expression en espagnol »].

EN : oui, oui j’ai compris maintenant.

FU : celle qui a dit [« expression en espagnol »] et bien simplement « [expression en espagnol »] pour qu’en désignant au tableau (…) l’élève sache où tu veux l’amener. Voilà, il y a des choses comme ça. Retourner au tableau, leur montrer, désigner le vocabulaire ça aussi ça aide pour la prononciation.

TU : oui.

EN : d’accord.

Cet extrait prolonge l’évocation par l’EN de la préoccupation suscitée par la rapidité du déroulement réel du temps au cours de sa leçon (Unité 12). Il rend compte de la participation discrète de la TU ainsi que du prolongement succinct des conseils de la FU adressés à l’EN. Plus précisément, l’interaction avec l’EN s’est engagée à partir de l’évocation de la FU d’une confusion (je reviens sur la nature des erreurs ; cette confusion) apparue chez un élève de niveau faible (c’était Brian) liée à une consigne imprécise de cette dernière sur un accord grammatical (ils cherchaient [à]mettre un prétérit, un imparfait ; un élève qui a mis au passé simple le verbe). Les corrections apportées par l’EN à ce moment de sa leçon ont été jugées inappropriées pour aider les élèves les plus faibles (bon là il faut leur donner tout de suite, on ne joue pas à la devinette ; tu ne tends pas suffisamment de perches à ces élèves en difficulté). Cette dernière a alors mis en rapport l’imprécision de son questionnement avec sa difficulté (j’ai du mal encore ; de peur de faire comme cela) à gérer les consignes et les relances (je manque encore de précision ; lancer les questions d’approfondissement ; approfondir par une question, pour relancer un petit peu) notamment lorsque les réponses des élèves en retour à ses sollicitations étaient décalées par rapport à ses attentes (« non je ne veux pas le passé simple »). Il est possible de considérer que « dans le feu de l’action » cet évènement soit apparu « négligeable » aux yeux de l’EN (je n’y ai pas fait attention ; Je lui ai dit

« non », mais je crois que je n’ai même pas écouté) mais « remarquable » pour la FU eu égard à son bagage expérientiel d’enseignante chevronnée. Ce constat a conduit la FU à

« se mettre à la place de l’EN » (On avait bien replacé la situation) pour évoquer, successivement en français et en espagnol, plusieurs actions alternatives (être plus précise ; les relancer ; faire des connexions ; créer des réseaux; Retourner au tableau, leur montrer ; faire parler à ce moment-là quelqu’un qui n’était pas intervenu ou que tu

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pensais capable de réutiliser ce qui avait été vu ) qu’elle aurait pu mettre en œuvre pour aider les élèves à améliorer leur prononciation (pour qu’ils te fassent quelque chose de plus complexe ; donner du sens ; ça aide pour la prononciation).

Les données montrent ici que l’EN a énoncé à plusieurs reprises ses difficultés (je manque encore de précision ; j’ai du mal encore à lancer les questions d’approfondissement) ainsi que ses défaillances dans l’appréciation de l’activité des élèves (je n’ai même pas fait attention ; Je lui ai dit « non », mais je crois que je n’ai même pas écouté) sans que les raisons n’en soient interrogées. L’activité de la FU, portant uniquement sur les opérations alternatives à réaliser, a abouti à la perception d’une

« faute » professionnelle par l’EN (faute avouée à demi-pardonnée ; oui, oui j’ai compris maintenant), au cours d’échanges hachés par les prises de parole fréquentes (parfois pressantes) de la FU. Ceci nous amène à retenir l’idée selon laquelle ces modalités ont stoppé le développement de la situation d’interlocution. D’autre part, l’évocation d’un évènement « remarquable » pour la FU et non remarqué par l’EN, bien que non

« secondaire » pour elle (C’est juste), n’a pas abouti à une co-construction élaborée et précise de la signification des concepts de « débat », de « relance » ou encore de « mise en réseaux » des connaissances des élèves en difficulté.

En définitive, cette analyse montre que l’absence de « moyens » ou « d’instruments techniques » et de « buts communs » dans l’activité interlocutoire de la FU et de l’EN ne permet pas une analyse véritablement conjointe du problème rencontré à la fois par cette dernière et ses élèves. Ces données permettent d’avancer un peu dans la compréhension des limites de l’action de formation de la FU au cours de cette visite conseil. Au-delà de la redondance partielle signalée plus haut avec l’activité de la TU (la FU a validé des constats déjà opérés par la TU), on remarque une prise en compte très limitée des raisons et préoccupations de l’EN qui aboutissent paradoxalement à une sorte de procès d’intentions : l’EN s’est considérée comme coupable de ne pas avoir entendu et exploité les réponses des élèves. Cela aurait été différent, par exemple, de considérer que ces défaillances étaient liées à des préoccupations propres à l’EN et à des compétences non encore acquises qu’il aurait fallu identifier et étayer en même temps que les actions inadéquates réalisées.

L’ACS de l’EN confirme cette analyse et rend compte de l’inconfort suscité par ce moment de l’entretien.

Unité 16 de l’ACS CH/EN (05 décembre 2007

181 [29 :03. La CH relance la vidéo]

EN : là je me trouve agressive.

CH : pourquoi tu dis que tu te trouves agressive ?

EN : là en me revoyant, me connaissant je peux être agacée là !

CH : mais (…) en communication au niveau des faits, on ne te laisse pas parler quoi ! On te coupe la parole !

EN : là je suis un petit peu résignée mais j’essaie parce que cela me préoccupe vraiment, mais je crois qu’après ça je (…)

CH : quel est ton ressenti sur la visite conseil au niveau de ta formation ? Il y a des choses qui t’ont marquée ou (…)

EN : euh (…) c’est vrai qu’on était dans le dialogue mais très vite je pense qu’il y a eu un problème de compréhension. Finalement, j’avais l’impression de ne pas réussir à m’exprimer, de ne pas être comprise et à l’inverse, du coup ce qui m’était rendu, bon et bien (…). Là, pour le coup je pense qu’on n’était pas tout à fait sur la même « longueur d’onde » quand on a parlé de certains points. Il y a des moments où (…) il m’a semblé que je demandais des ressources, de l’aide et je n’en ai pas vraiment eues. Ça a été des choses très générales et bon, c’est peut-être à moi de m’approprier ces conseils, de les faire miens et de trouver par moi même (…)

CH : tu peux donner un exemple précis de ce moment où tu as le sentiment d’un problème de communication entre vous ?

[La CH et l’EN se rapportent à l’observable de l’action de formation]

EN : (…) c’est-à-dire par rapport aux conseils qui m’ont été prodigués, il y a beaucoup de choses qui étaient prévues comme ça sur ma séance papier mais que je n’ai pas réussi à mettre en place. Il y a des petites choses qui deviennent récurrentes et sur lesquelles il faut que je travaille mais effectivement je me sens désarmée. J’ai besoin d’avoir des ressources extérieures car très concrètement j’ai du mal à trouver des solutions. Voilà, on pointe le doigt sur des soucis, on est d’accord sur ça mais après très concrètement (…). Comment est-ce que j’arrive à (…) ? Et puis, il y a un autre moment quand je parle de la classe scindée en deux où là j’ai l’impression de ne pas être écoutée.

CH : hum (…) c’est à 38’00 page 5. Tu dis que c’est « significatif » ?

EN : oui et ma TU me parle d’une élève qui n’a pas parlé alors je lui rétorque quelque chose et elle me répond « peu importe, elle aurait pu parler » (…)

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CH : tu penses que ces moments-là ne t’ont pas été vraiment profitables ?

EN : euh (…) si tu veux la visite conseil c’est un moment important quand même. Bon, il y a un retour et ça me permet de me rendre compte qu’effectivement ce que l’on avait déjà pointé avec ma TU est souligné. Cela fait du bien aussi parce qu’on entend des choses positives à ce moment-là et c’est important au bout de trois mois. Mais après c’est vrai qu’au niveau de la mise en pratique c’est bien là le souci puisque sur la feuille c’est idéal, c’est parfait mais j’ai vraiment besoin de ressources extérieures et pour le coup il m’a semblé en manquer.

CH : tu es ressortie de là avec le sentiment de ne pas avoir « de moyens » concrets ? EN : c’est ça, voilà.

La dynamique anxiogène de ce moment de l’entretien de visite conseil ((…) agacée ; je suis un petit peu résignée ; (…) ne pas être comprise) a été confirmée ainsi qu’un sentiment de manque de compréhension et d’écoute de l’EN par la FU et la TU (on était dans le dialogue mais très vite je pense qu’il y a eu un problème de compréhension ; on n’était pas tout à fait sur la même « longueur d’onde » ; j’ai l’impression de ne pas être écoutée). Ce constat laisse transparaître un isomorphisme de l’activité de l’EN avec ses élèves et celle des formatrices à son égard : ni l’une ni les autres n’ayant réellement écouté et exploité les remarques de leurs apprenants. Ceci invite à relativiser les apprentissages professionnels pour l’EN (j’ai vraiment besoin de ressources extérieures et pour le coup il m’a semblé en manquer) même si ce moment de supervision a permis de la conforter dans la transformation de son activité d’enseignement depuis septembre (Cela fait du bien aussi parce qu’on entend des choses positives à ce moment-là et c’est important au bout de trois mois). Cette inefficacité relative de la formation apparaît au travers de l’impossibilité de l’EN (a) à évoquer des actions concrètes alternatives pour elle (je me sens désarmée ; J’ai besoin d’avoir des ressources extérieures car très concrètement j’ai du mal à trouver des solutions) et (b) à faire aboutir in situ les actions planifiées ou conseillées sur un mode général (Ça a été des choses très générales ; au niveau de la mise en pratique c’est bien là le souci ; je n’ai pas réussi à mettre en place …). Enfin, dans ce même ordre d’idées, la planification de la leçon s’est révélée tout aussi insuffisante pour être efficace en classe (sur la feuille c’est idéal, c’est parfait ; il y a beaucoup de choses qui étaient prévues comme ça sur ma séance papier mais que je n’ai pas réussi à mettre en place).

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La question des préoccupations de l’EN n’a émergé en réalité que lors des entretiens d’autoconfrontation suivant les leçons ou les visites. C’est lors de ces entretiens que l’EN a pu énoncer ses difficultés dans l’exercice quotidien du métier en situation de travail.

3. Une réorganisation potentielle de l’activité tutoriale suite à la

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