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« de terrain » des enseignants novices

3. Synthèse de la littérature au regard de l’objet d’étude

Cette section propose une synthèse des résultats de cette revue de littérature en mettant en exergue les principaux problèmes qui aboutissent à la formulation des questions structurant cette thèse.

À propos de la formation dite « de terrain », les résultats issus de la littérature scientifique internationale sont contrastés. L’activité tutoriale est considérée comme une situation cruciale pour la formation initiale des EN, leur acquisition d’une culture professionnelle (Durand et al., 2002), de connaissances et de compétences et le développement de leur identité d’enseignant (Durand, 2000 ; Franke & Dahlgren, 1996 ; Stanulis & Russel, 2000). Pourtant, plusieurs résultats majeurs sont en contradiction avec l’importance accordée à la formation dite « de terrain » dans la professionnalisation des EN. Quelques auteurs témoignent même d’un certain scepticisme quant à l’impact réel des entretiens de tutorat et de supervision sur la transformation des conceptions et de l’action en classe des EN (Hobson et al., 2009 pour une revue). Tantôt centrée sur le soutien émotionnel (modèle humaniste), au détriment de l’analyse des difficultés réelles des EN en situation de travail (modèle clinique réflexif) (Bullough & Draper, 2004 ; Clarke & Jarvis-Selinger, 2005 ; Stanulis & Russel, 2000), tantôt fondée sur des malentendus ou des consensus apparents sur la compréhension de la situation analysée en entretien (Carter &

Gonzalez, 1993 ; Borko & Mayfield, 1995 ; Gonzalez & Carter, 1996), l’activité tutoriale s’inscrit trop souvent dans une forme prescriptive et modélisante (modèle du compagnonnage) (Orland-Barak & Klein, 2005 ; Parker-Katz & Bay, 2008) ou de préservation de la relation par un soutien émotionnel des EN exacerbé (modèle humaniste) ( Bullough, 2005 ; Hawkey, 2006). Cette dernière perspective aboutit généralement à des stratégies de protection de la face, d’évitement ou de contournement des véritables problèmes professionnels rencontrés par les EN et contribue rarement à de réels apprentissages (Clarke, 2006 ; Durand, 2000, 2003). Plus précisément, cette approche

« appauvrie en terme de challenge » (Beck & Kosnik, 2000 ; Daloz, 1986) et superficiellement formative, participe à l’instauration d’une « community of compassion » (Bullough & Draper, 2004 ; Young et al., 2005) au détriment d’une analyse réflexive d’évènements retenus comme « marquants » (Vinatier, 2006) ou « saillants » (Carter &

Gonzalez, 1993 ; Gonzalez & Carter, 1996) ou « critiques » (Tripp, 1993). Inversement,

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lorsqu’une analyse du travail en classe, des pratiques ou de l’activité professionnelle est réalisée en entretien de tutorat et/ou de supervision, elle donne généralement lieu à la co-construction d’un vocabulaire commun entre les TU, les FU et les EN (Borko & Mayfield, 1995 ; Stanulis & Russel, 2000) et de la signification des gestes, techniques et actions (Bertone et al., 2009 ; Ottesen, 2007) inhérents à l’exercice professionnel dans la classe, dans l’établissement et au sein du système éducatif (modèle clinique réflexif).

En ce qui concerne les situations de supervision, plusieurs résultats d’études rendent compte des conflits et des malentendus qui s’instaurent entre les FU et les TU à propos de leur fonction et du registre d’aide à apporter aux EN confrontés aux exigences de la profession et aux enjeux éducatifs actuels et futurs (Beck & Kosnik, 2002). Face à des préconisations parfois divergentes émises par les formateurs (Smagorinsky et al., 2004), les EN sont mis en difficulté par des propositions d’actions réalisables en classe mais parfois incompatibles avec leurs capacités du moment à les mettre en œuvre (Durand, 2003). Dans de telles circonstances, les EN sélectionnent les personnes auxquelles accorder du crédit à partir de critères personnels (charisme, sentiment de confiance, réputation, succès apparent dans la classe) (Moussay et al., sous presse), ou tolèrent des raisonnements avec lesquels ils ne sont qu’en accord partiel (Yayli, 2008). Parfois même ils ignorent ce qui les dérange ou perturbe et construisent des îlots d’efficacité et de consistance à partir desquels se déploie leur développement professionnel (Durand, 2000, 2003). D’autres études sont également réservées quant à l’impact des actions ponctuelles des FU sur le développement de l’activité professionnelle des EN (Slick, 1998b). Ces formateurs apparaissent surtout comme des personnes ressources pour l’aide à l’évaluation, le questionnement réflexif des pratiques (Freese, 2006) et l’apport théorique à propos des méthodes d’enseignement (Koster et al., 1998 ; McNamara, 1995).

3.1. Développer une approche collaborative de la formation dite « de terrain »

Pour répondre aux critiques adressées à la formation dite « de terrain » (Chaliès &

Durand, 2000), certains auteurs suggèrent d’aménager les situations traditionnelles de tutorat en dyade (Eick et al., 2003 ; Roth & Tobin, 2001, 2004) et de supervision en triade (Paris & Gespass, 2001 ; Richardson-Koehler, 1988 ; Slick, 1998 ; Tsui, Lopez-Real, Law, Tang & Shum, 2001 ; Veal & Rikard, 1998 ; Wilson, 2006). Toutefois, ces études notent le caractère nécessaire mais insuffisant du seul aménagement de ces situations pour

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développer une véritable collaboration entre formateurs (Chaliès et al., 2009 pour une note de synthèse ; Stanulis & Russel, 2000), stabiliser les pratiques « des formateurs d’enseignants » et accroître l’efficacité de la formation professionnelle initiale des EN.

Dans cette perspective, d’autres résultats montrent l’importance et l’efficacité d’un réseau fondé sur une « communauté d’apprentissage » et une « communauté professionnelle » au sein des établissements où sont affectés les EN (Carver & Katz, 2004 ; Grisham et al., 1999 ; Lieberman, 1992 pour une revue ; Sim, 2006). Dans cette approche collaborative de la formation dite « de terrain » (Paris & Gespass, 2001 ; Stanulis & Russel, 2000 ; Wilson, 2006), les TU et les FU négocient les tâches à mener à partir de leurs priorités ou disponibilités (Awaya et al., 2003) et organisent les conditions et modalités d’un positionnement complémentaire lors des entretiens de formation alors fondé sur des apports spécifiques et leurs compétences propres (Goodfellow & Sumsion, 2000 ; McNamara, 1995 ; Perry et al., 2008). Toutefois, ce type de partenariat collaboratif ne peut être envisagé sans une reconnaissance mutuelle des rôles, des fonctions et de la spécificité des conseils que chacun des formateurs peut adresser aux EN en fonction de besoins exprimés et clairement identifiés (Tsui et al., 2001).

3.2. Développer une approche « orientée activité » pour étudier le tutorat et la supervision

Par ailleurs, cette revue rend compte du manque de recherches actuelles sur les interactions dialogiques en entretien de formation, leur évolution sur l’empan temporel du stage (Edwards, 1995 ; Trohel, 2005), l’usage de méthodes et d’instruments d’observation, de stimulation réflexive, d’analyse ou d’évaluation par les TU (Krull et al., 2007 ; Maclean

& White, 2007 ; Maubant et al., 2005 ; Yee Fan Tang & Wai Kwan Chow, 2007) et les connaissances co-construites avec les EN au cours des échanges de formation (Chaliès, 2002 ; Chaliès et al., 2004 ; Ottesen, 2007). Nous constatons également que l’entretien de tutorat ou de supervision est rarement appréhendé comme une activité simultanément individuelle et collective (Chaliès, 2002 ; Trohel, 2005 ; Edwards & Protheroe, 2004). En effet, il est étudié soit comme une entité collective, soit exclusivement d’un point de vue individuel. Enfin, comme le soulignent Wang, Odell et Schwille (2008), les recherches sur la formation dite « de terrain » basées sur des méthodes quantitatives sont encore largement prédominantes (Rippon & Martin, 2006 ; Clarke & Jarvis-Selinger, 2005 ). Si les études de cas sont de plus en plus nombreuses, elles ne documentent la plupart du

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temps que les représentations ou le discours rapporté sur l’action de formation et d’enseignement (Smith, 2001 ; Smith (J.D.N.), 2005 ; Williams & Watson, 2004 ; Zanting et al., 2001, 2001b, 2003). Alors même que la formation professionnelle initiale fait l’objet d’une littérature très conséquente et en progression depuis 1990, le développement de l’activité professionnelle de ses protagonistes reste peu documenté (Bertone, 2001 ; Darling-Hammond, 1996 ; Hargreaves & Fullan, 2000 ; Krecic & Grmek, 2008). Dans le prolongement des résultats de plusieurs études mentionnées dans cette revue et qui se fondent sur les postulats théoriques d’une anthropologie de l’action, d’une psychologie historico-culturelle ou encore d’une approche socioculturelle de l’activité (Bertone, 2001 ; Bertone et al., 2003 ; Bertone et al., 2006 ; Bertone et al., 2009 ; Chaliès et al., 2008 ; Ottesen, 2007 ; Paris & Gespass, 2001 ; Roth et al., 1999 ; Roth & Tobin, 2004 ; Smagorinsky et al., 2004 ; Stanulis, 1995 ; Vinatier, 2006), nous posons l’intérêt d’une approche par l’activité des protagonistes impliqués dans la formation dite « de terrain » ainsi que l’intérêt de la prise en compte de leur point de vue pour étudier le tutorat et/ou la supervision.

Si une littérature abondante confirme le caractère anxiogène et idiosyncratique du tutorat et de la supervision, le « point aveugle » reste le développement longitudinal de l’activité des EN, des TU et/ou des FU au grè des différents contextes de travail et de formation qui les réunissent. Par exemple, un point de vue à la fois synchronique et diachronique est rarement mobilisé pour identifier les effets de l’activité du tuteur sur celle de l’EN et vice versa. Au-delà du discours tenu sur l’action de formation et d’enseignement, d’une part et de la nécessité de professionnaliser les TU d’autre part, il apparaît en outre indispensable de les accompagner dans la transition d’un métier (celui d’enseignant) à un autre (celui de formateur d’enseignants) afin de contribuer à une harmonisation des pratiques et à une mise en synergie des compétences des formateurs d’enseignants. Sur ce point, une formation « orientée activité » pourrait sensibiliser les formateurs de terrain (TU) à étendre leurs conseils ancrés sur la didactique disciplinaire et la pédagogie (a) au rapport apprentissage | développement professionnel des EN et (b) au travail qui est attendu d’eux dans la classe, l’établissement et la communauté éducative.

Néanmoins, si les circonstances favorables de formation sont celles d’une collaboration de terrain autour de l’activité d’enseignement, il n’est pas certain qu’elles suffisent à rendre cette formation efficace et qu’on puisse se passer d’une analyse de l’activité située des acteurs (Leblanc et al., 2008). Le concept d’activité est ici envisagé comme une totalité

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dynamique qui intègre les composantes psychologiques (ou cognitives), les émotions et les actions dans l’analyse contextuelle du développement complexe du comportement humain.

Si l’analyse de l’activité d’enseignement, de l’activité tutoriale et/ou de supervision peut devenir un objet et un moyen de formation pour tous les protagonistes de la formation dite

« de terrain », cette analyse (a) requiert des compétences pour garantir son ancrage sur des indices pertinents, (b) nécessite un changement de posture professionnelle des TU et/ou des FU qui doivent devenir « les révélateurs de l’expérience d’autrui » et plus seulement des « transmetteurs de savoirs » (Zeitler & Leblanc, 2006) et (c) doit être un outil heuristique au service d’un collectif de formation des EN. Toutefois, rien ne garantit par exemple que les préoccupations des EN puissent être davantage prises en compte lorsque des formateurs venant d’horizons différents et défendant des conceptions de la formation et du métier divergeantes se rencontrent. En de telles circonstances, il est fort possible que les apports des TU et des FU demeurent circonscrits à l’analyse de pratiques d’enseignement plutôt qu’étendus à l’expérience vécue par les EN et aux dimensions transversales du métier. En conclusion, les résultats contrastés de la littérature à propos de l’efficacité de ces dispositifs incitent à voir de plus près ce qui se joue en situation de formation et de classe. Cette proposition d’une « entrée par l’activité in situ» et non d’une « entrée par les savoirs formels et séparés » pour aborder des problèmes de formation d’enseignants et de formation de formateurs, relève à la fois d’enjeux de recherche et de professionnalisation (Barbier, 2001 ; Barbier & Durand, 2003 ; Durand & Fabre, 2007). Pour une meilleure compréhension de l’activité dans différents domaines de l’éducation et de la formation (Leblanc et al., 2008 ; Linard, 2004), elle encourage également le développement de recherches contextualisées (Durand, 2008) et un rapprochement avec d’autres disciplines en sciences humaines et sociales telles que, par exemple, la psychologie du travail et l’ergonomie de tradition francophone.

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