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Contribution des situations d’autoconfrontation au dépassement des motifs d’agir initiaux de l’enseignante dépassement des motifs d’agir initiaux de l’enseignante

Deuxième étude de cas

4. Contribution des situations d’autoconfrontation au dépassement des motifs d’agir initiaux de l’enseignante dépassement des motifs d’agir initiaux de l’enseignante

novice

Lors de l’entretien de visite conseil, la rapidité du déroulement réel de la leçon est apparue comme une préoccupation majeure pour l’EN (Unité 12, ensemble 1). Au cours de l’ACS (différée) réalisée 10 jours après, les traces de son activité en classe puis en situation d’entretien ont été successivement exploitées pour lui permettre d’analyser son enseignement dans « l’urgence ».

Unité 20 de l’ACS CH/EN (05 décembre 2007)

[41 :30. La CH relance la vidéo de la leçon d’enseignement]

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EN : je trouve que je vais super vite. Et oui ! On est dans la dernière partie ! Les pauvres ! Moi je me connais et là ça va vite. J’ai honte parce que là en fait c’est moi-même qui suis dans l’urgence puisque je dis « bon il y a l’heure qui tourne » et ils n’avancent pas assez vite en fait. Dans ma tête je me dis « pourquoi est-ce que ça n’avance pas ? », alors qu’il y a des difficultés qui sont rencontrées quoi ! Donc d’ailleurs [l’EN regarde les observables de l’action d’enseignement et de formation] à un moment c’est de l’humour mais là ça me choque aujourd’hui (…).

Là, je vois « utilise le français et dit : il faut faire travailler les méninges ». En fait, on est à 43 minutes et là je me rends compte que je leur mets la pression quoi ! Je vais beaucoup plus vite, je parle très vite et en fait ils rencontrent des difficultés mais ce n’est pas eux, c’est moi.

CH : alors voilà c’est ta TU qui ouvre un chantier par rapport à ça.

[La CH change de DVD et passe de la vidéo de la leçon à celle de l’entretien de visite conseil à 27’40]

CH : là elle te dit « dans ton souci de gagner du temps » (…)

EN : pour moi c’était quelque chose d’acquis et de positif dans la classe cette inter-correction, tu vois ? À ce moment-là, je tombe des nues quand elle me demande

« qui répond dans l’inter-correction ? », « l’inter-correction ça ne va pas !». (…) J’étais à mille lieues de m’entendre dire « c’est toi qui corriges » parce que dans ma tête j’avais l’impression d’attendre, de laisser s’écouler un temps suffisant pour que ça se mette en place. Je pensais que cela fonctionnait bien et je m’aperçois que non.

C’est une réalité par contre et là, on est d’accord, je vais beaucoup trop vite. C’est un chantier qui est récurrent dans l’autre classe aussi.

CH : là, quelle est la préoccupation qui a une incidence sur ça ? EN : le temps, la gestion du temps !

[46 :50. La CH relance la vidéo de l’entretien de visite conseil]

CH : mais lorsque tu as fini, il te reste encore dix minutes !

EN : et oui, elle m’offre une solution là en quelque sorte ! Il ne faut pas que j’aie peur des silences dans la classe. Pour moi c’est un cours de langue donc il faut que ça parle mais je crois qu’il faut que j’aie moins peur de laisser s’instaurer des silences. Il faut justement leur laisser du temps et ça me permettrait de mieux gérer ma séance. Là, il y a un échange dans l’entretien et la FU me dit « tu es pressée » et

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donc, on s’écoute et je prends conscience à ce moment-là, mais je tombe des nues, c’est important quand même.

CH : (…) c’est intéressant et le chantier de l’inter-correction vous avez commencé à y travailler avec ta TU ?

EN : oui cela se met en place (…)

Illustration 12 : De gauche à droite lors de l’ACS, (a) analyse de l’activité de l’EN en situation de classe à propos de « la gestion du temps », (b) mise en rapport de l’EN avec le problème de « l’inter-correction » à l’aide des observables puis (c) analyse de l’activité de l’EN en situation d’entretien de visite conseil lorsque ce problème professionnel est abordé.

Grâce à l’enregistrement audio-vidéo de la leçon, en se voyant agir avec les élèves, l’EN a remis en question la pertinence de certaines de ses actions et remarques (je leur mets la pression ; je vais super vite ; je parle très vite ; « il faut faire travailler les méninges ») qui, a posteriori, ont été reconsidérées (c’est de l’humour mais là ça me choque aujourd’hui). Plus précisément, dans ce nouveau contexte et à partir des traces de son activité d’enseignement, l’empressement suscité par son inquiétude de ne pas terminer sa leçon (on est à 43 minutes (…) Je vais beaucoup plus vite) lui est apparu plus clairement. Dans cette circonstance, l’EN a rendu compte à la CH du lien qu’elle pouvait alors établir (je prends conscience à ce moment-là, mais je tombe des nues, c’est important quand même) entre les difficultés évoquées par la TU lors de l’entretien de visite conseil (« l’inter-correction ça ne va pas » ; « c’est toi qui corriges »), sa préoccupation relative au déroulement du temps (ils n’avancent pas ; c’est moi-même qui suis dans l’urgence ; c’est un chantier qui est récurrent dans l’autre classe aussi) et l’inefficacité de son activité à ce moment-là de la leçon (ils rencontrent des difficultés mais ce n’est pas eux, c’est moi ; pour moi c’était quelque chose d’acquis et de positif dans la classe cette inter-correction ;

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Je pensais que cela fonctionnait bien et je m’aperçois que non ; C’est une réalité par contre).

Par ailleurs, à partir des traces audio-vidéo de l’action de formation, l’EN s’est appropriée la signification accordée par sa TU au concept « d’attente » (leur laisser du temps ; [ne pas avoir] peur des silences dans la classe) dans les phases de « l’inter-correction orale » (dans ma tête j’avais l’impression d’attendre, de laisser s’écouler un temps suffisant pour que ça se mette en place). L’action alternative évoquée par sa TU en situation de supervision (elle m’offre une solution là en quelque sorte) a contribué à l’émergence de nouveaux buts d’action (mieux gérer ma séance ; laisser s’instaurer des silences) suscités également par le dépassement du sens initialement accordé par l’EN à un

« cours de langue vivante » (Pour moi c’est un cours de langue donc il faut que ça parle…). Cette sorte de « liaison fonctionnelle » entre incitation et réalisation a permis à l’EN de dépasser ses motifs d’agir initiaux (la gestion du temps ; bon il y a l’heure qui tourne) et de reconsidérer son activité d’enseignement.

Dans le prolongement des résultats de la précédente étude de cas, il apparaît que les apprentissages professionnels de l’EN par « les concepts » ne sont possible qu’à partir du moment où les actions alternatives envisagées en situation de formation sont mises en rapport avec l’expérience vécue en situation de travail. Dans le prolongement de ce constat, nous pouvons considérer qu’au cours de cette ACS, l’analyse successive de l’activité de l’EN en situation de travail puis en situation de formation a stimulé le développement de la signification de son expérience vécue.

Deux mois après la visite conseil, l’EN a rendu compte au CH de sa capacité à dépasser ses motifs d’agir initiaux liés à sa préoccupation du déroulement du temps.

Unité 26 de l’ACS CH/EN (07 février 2008)

EN : alors depuis j’ai réfléchi et il faut me décomplexer par rapport à ça pour instaurer un rythme vraiment différent. Je suis quand même encore prisonnière de mes préparations et donc il ne faut pas hésiter à m’adapter à la séance telle qu’elle vient. C’est ce que je fais depuis et par exemple je n’ai pas hésité la dernière fois.

On a travaillé sur une séance et la suivante a été consacrée à du « re-brassage » pour ces élèves-là. C’était de l’expression orale où ils ont pris plaisir à revenir en prenant leur temps, à revenir sur des choses qu’ils avaient compris.

CH : à partir de la chanson ?

190 EN : oui, oui.

CH : mais ça tu l’avais prévu ?

EN : non, non pas du tout. J’avais prévu un certain nombre de documents en fait et entre deux séances j’ai décidé de reprendre celle-la, en expression orale, pour asseoir vraiment tranquillement les acquisitions.

CH : c’est la première fois que tu te permets un degré d’autonomie aussi important par rapport à ta préparation de leçon ?

EN : oui.

CH : pour toi c’est un évènement marquant ? Tu n’avais jamais fait ça auparavant ? EN : non et maintenant je me dis qu’ils ont pris plaisir, que ça leur a été profitable.

CH : et tu t’autorises à pouvoir le reproduire ?

EN : je m’autorise oui c’est vraiment le terme et c’est nécessaire.

CH : concrètement tu dis qu’ils ont pris plaisir mais les effets sur l’apprentissage tu les as constatés ?

EN : oui je me dis donc que je peux essayer comme ça d’adapter des petites tâches et d’intercaler des séances pour asseoir vraiment les acquis, pour qu’ils fixent et qu’ils puissent revenir dessus et se les approprier. En instaurant comme ça en expression orale des interactions avec des micro-tâches en évaluation formative pour s’auto-évaluer. Revenir tranquillement en prenant pour prétexte une petite tâche quoi.

CH : et ça c’est lié aux entretiens que tu as pu avoir avec ta tutrice ou (…) EN : non parce qu’on ne s’est plus revues depuis [La visite conseil].

CH : qu’est ce qui t’a autorisé toi, là, à te dire « bon il faut que je prenne de la distance par rapport à mes préparations » ?

EN : après ces séances filmées, il y a des trucs qui se passent quoi. Ça fait beaucoup réfléchir et on se positionne autrement (…) je ne sais pas à quoi ça tient mais c’est un avancement, il y a des petites pistes et tout s’éclaire, voilà. Là, certes il y a un problème de gestion du temps mais j’ai envie de m’en détacher quoi.

CH : c’est assez paradoxal. C’est-à-dire que tu dis qu’il faut que tu boucles mais tu t’autorises progressivement à t’éloigner de ce que tu avais prévu sur ta préparation de leçon pour prendre du temps avec les élèves en difficulté et laisser filer le temps pour régler des problèmes. Pour toi ce qui est prioritaire c’est l’apprentissage ? C’est quoi ?

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EN : c’est que ce soit efficace et que les élèves ne soient pas bousculés et surtout ces élèves en difficulté qui ont du mal à rentrer dans les apprentissages tout simplement. Donc, je pense vraiment qu’il faut qu’ils fixent au maximum en classe.

Donc je suis bien obligée de m’adapter quoi !

Le développement de la signification de l’expérience de l’EN est apparu assez clairement dans cet extrait par sa capacité (je m’autorise oui) à reconsidérer rétrospectivement les modalités de son activité en classe (il faut me décomplexer ; (…) m’adapter ; [ne plus être]

prisonnière de mes préparations ; il y a un problème de gestion du temps mais j’ai envie de m’en détacher) pour s’adapter aux contingences in situ (la séance telle qu’elle vient) afin de répondre aux besoins des élèves les plus faibles (surtout ces élèves en difficulté qui ont du mal) et inscrire son enseignement dans les perspectives de la visite conseil (… que les élèves ne soient pas bousculés ; instaurer un rythme vraiment différent). En outre, l’EN a rendu compte au CH de nouveaux buts (pour asseoir vraiment des acquis ; pour que ce soit efficace) et actions concrètes (adapter des petites tâches ; revenir sur des choses ; intercaler des séances) réalisées lors de la leçon précédente (je n’ai pas hésité la dernière fois) et dont l’efficience, de son point de vue, a permis d’instaurer une ambiance de classe propice aux apprentissages (ils ont pris plaisir à revenir en prenant leur temps ; ça leur profite). Celle-ci a fait usage de nouveaux « concepts formels » (évaluation formative ; s’auto-évaluer ; appropri[ation]) permettant d’apprécier la signification accordée à de nouvelles actions de métier, subjectivée en retour au contact de situations quotidiennes de travail ([faire] fixer au maximum en classe ; [faire] du « re-brassage » ; [faire] rentrer dans les apprentissages). Cet extrait montre ainsi que le développement du pouvoir d’agir (prospectif) de l’EN, à cette période de l’année, ne s’est pas prolongé à son pouvoir d’action en classe, évoqué ici rétrospectivement mais pas encore documenté et confirmé, car il ne s’est pas inscrit dans une histoire d’interactions de formation de terrain avec sa TU (on ne s’est plus revues depuis). Tout au plus, ce pouvoir d’agir a été dynamisé par l’alternance entre l’analyse réflexive de son activité d’enseignement opérée lors des ACS (du 05 décembre et du 07 février) (après ces séances filmées, il y a des trucs qui se passent ; Ça fait beaucoup réfléchir et on se positionne autrement) et les tentatives laborieuses de restructuration de ses actions en classe. Dans de telles circonstances, les modalités et les ressources mobilisées par la CH ont simplement relayé et objectivité (il y a des petites pistes et tout s’éclaire) la tentative initiale des formatrices (TU et FU) d’une

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mise en concurrence des préoccupations majeures de l’EN avec les orientations attendues de son activité au sein de la communauté professionnelle.

Dans le prolongement des constats précédents à propos du cas étudié, il apparaît déterminant d’inscrire l’activité tutoriale dans un suivi historique du processus

« d’internalisation » « subjectivation » des « concepts formels » adressés aux EN lors des situations de supervision puis du processus en retour de leur « externalisation » dans de nouveaux cycles d’activités contextualisés. Sur ce point, l’analyse des données présentées fait apparaître clairement les limites d’une formation dite « de terrain » qui reposerait uniquement sur un accompagnement ponctuel voire occasionnel des EN par les TU et qui, de surcroit, accorderait peu d’intérêt aux problèmes professionnels signifiants pour les novices à différentes périodes de leur stage en responsabilité. En outre, ces résultats permettent de retenir l’hypothèse théorique selon laquelle l’analyse de l’activité professionnelle des EN opérée en ACS a été à la fois un « instrument technique » (moyen) et un « instrument psychologique » du développement de la signification de leur expérience ou, autrement dit, de la conceptualisation des actions de métier.

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