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Yann Arthus Bertrand parraine Le développement durable pourquoi ? (2006)

5.5. Créer un continuum école – société civile

5.5.2 Parrainer l’école : quels enjeux partagés ?

5.5.2.3. Yann Arthus Bertrand parraine Le développement durable pourquoi ? (2006)

En octobre 2005, lorsque le ministre De Robien lance la Décennie UNESCO en France, les enseignants sont invités à recréer un lien esthétique entre l’homme et la nature :

La motivation ultime du développement durable, avant même l'intérêt bien compris de notre civilisation, c'est une réflexion toute simple : le monde est beau. Les hommes devraient donc apprendre à regarder un paysage sans se demander ce qu'il serait possible d'en « tirer ». Nos civilisations urbaines ont oublié ce sens de la beauté du monde tel que la nature nous l'a donné, et je crois que l'éducation au développement durable pourrait le faire renaître (De Robien, octobre 2005).

Quelques mois plus tard, en janvier 2006, le ministre annoncera son rapprochement avec le parrain photographe Yann Arthus Bertrand. Le projet est de créer des kits pédagogiques distribués gratuitement dans 50.000 établissements scolaires, autour des photographies de paysages vus du ciel. Le ministère de l’écologie et du développement durable est encore une fois partenaire du projet. On espère sensibiliser mais également mobiliser les enseignants par cette initiative. 23 affiches thématiques sont proposées autour de photographies reprises de l’exposition La terre vue du ciel et axées sur le respect de la

diversité des hommes et des richesses naturelles (MEN, Lettres Flash janvier 2006). Chaque

affiche est accompagnée, en plus des commentaires du photographe, d’un texte pédagogique rédigée par l’inspection générale et la direction de l’enseignement scolaire (Bonhoure, 2008, p.30). Pour De Robien (MEN, 2006), l’intérêt de cette forme d’éducation par le média, c’est de susciter l’émotion et la prise de conscience à travers les images, la réflexion et la compréhension à travers le texte pédagogique qui les accompagne. On passerait ainsi de l’univers de l’observation romantique à celui de rationalité scientifique explicative.

Autour d’une même photographie, la comparaison des textes permet d’appréhender la diversité des récits écologistes et des enjeux éducatifs.

Je prends l’exemple du poster 17 intitulé

Le climat change et présentant la

photographie du glacier argentin Perito Moreno(image ci-contre).

Même si les deux récits s’appuient sur un message scientifique alarmiste et consensuel, Arthus Bertrand s’exprime en faveur de la protection de l’environnement et de la mobilisation citoyenne face aux risques climatiques qui menacent l’environnement : il est

urgent de réduire nos rejets de gaz à effet de serre. Le discours des représentants de

l’Éducation nationale se fonde sur la déontologie proposée par Bonhoure (2008) : un discours scolaire neutre, fondé sur la description objective et scientifique de l’objet. L’enjeu est l’acquisition de connaissances scientifiques. Ainsi, après avoir rappelé le discours du GIEC, la fiche pédagogique décrit en détail la morphologie glacière (vallée glaciaire, étagement de la végétation, crevasses longitudinales, séracs, langue et front glaciaire, figures d’écoulement dans le lac, moraines et traces de recul).

Du côté de Yann Arthus Bertrand, président de l’association GoodPlanet, créée en juillet 2005, on peut s’interroger sur les enjeux de ce rapprochement avec le monde de l’éducation, en explorant les statuts de son association et quelques interviews données par le photographe. Comme la plupart des associations écologistes, la mobilisation et l’action citoyenne et politique par l’information et la sensibilisation sont mises en avant. On pourrait se contenter de cette déclaration comme clef de lecture de l’engagement du photographe avec l’école.

En mars 2007, en pleine campagne présidentielle, alors que la fondation Nicolas Hulot mobilise les candidats autour du Pacte écologique (2006), la seconde relance du programme d’éducation au développement durable (MEN-BOEN, avril 2007), en relation avec la décennie UNESCO, réaffirme le partenariat avec Yann Arthus Bertrand. Une seconde exposition pédagogique sur la biodiversité61 est proposée. De Robien (2007) précisera que le photographe fait à nouveau un véritable cadeau pour la jeunesse. La circulaire qui annonce la

Semaine du développement durable (MEN-BOEN, 2007) comme un temps fort de l’éducation

propose aux enseignants de prendre appui sur les expositions d’Arthus-Bertrand. Le ministère annoncera au même moment qu’après les expositions consacrées au développement durable,

en 2006, et à la biodiversité, en 2007, les prochaines opérations menées […] aborderont le thème de l'énergie, en 2008, et de l'eau, en 2009.

On peut s’interroger ici sur le choix de ces thèmes. Lors du lancement de la seconde exposition, le photographe justifie son choix : on parle du réchauffement climatique,

61 Le format de l’exposition 2007 « La biodiversité, tout est vivant, tout est lié » est le même que celui de l’exposition 2006 sur le développement durable : un kit pédagogique de 21 affiches. L’édition 2007 se fera en 65 000 exemplaires, distribuer dans 52 000 établissements scolaires, sensibilisant ainsi 10 millions d'écoliers, de collégiens et de lycéens.

beaucoup moins de la biodiversité. Pourtant, c’est une thématique aussi importante, voire davantage (MEN, dossier de presse, 2007). La thématique serait donc plus importante que le

réchauffement climatique. Elle l’englobe d’ailleurs puisque dans les affiches de cette seconde exposition, les thématiques de la pollution de l’air et du dérèglement climatique sont présentes.

Durant l’année 2006-2007, alors que les opérations de médiation s’intensifient en relation avec la conférence de Paris sur les changements climatiques (février 2007), Arthus-Bertrand évoque donc le fait qu’on parle beaucoup du réchauffement climatique. Le photographe se réfère probablement au succès du film documentaire d’Al Gore Une vérité qui

dérange sorti sur les écrans français en octobre 2006. D’ailleurs lors de la projection de ce

film à la Maison de la Chimie de Paris, qu’il organise avec le président de l’Assemblée nationale Jean-Louis Debré, Arthus-Bertrand avait déclaré : c'est un film très bien fait, à

l'américaine, avec de l'humour, des applaudissements... En deux heures, il en fait plus pour l'environnement que moi en dix ans ! […] C’est pour ça qu’il fallait le montrer aux députés et aux sénateurs. (Noualhat, Peu d’élus s’affiche au film de Gore, article Libération du 13

octobre 2006).

On peut donc se demander si l’enjeu de l’exposition sur la biodiversité n’est pas d’occuper le terrain médiatique et social autour d’une autre question d’environnement, en se rapprochant de l’imposante institution scolaire, de ses enseignants, de ses élèves et de leurs parents. Je précise que la seconde exposition se fera avec quinze autres photographes ayant cédé leurs droits. Pour Arthus-Bertrand, c’est une idée folle d’envoyer des posters dans toutes

les écoles de France (MEN, dossier de presse, 2007). Il précise que les motivations de cette

générosité sont la défense de l’environnement mais également la reconnaissance sociale :

Avoir ses propres photos dans les écoles, que peut-on souhaiter de mieux au monde ? Et puis l’écologie c’est aussi une question de générosité. Pour tous les partenaires de l’opération, les mots « enfants » et « école » ont été magiques (MEN, Interview d’Arthus Bertrand, dossier de presse 2007).

Ce parrain (avec ses cadeaux pour la jeunesse, De Robien, 2007), n’est peut-être pas uniquement motivé par la défense de l’environnement et la mobilisation citoyenne et politique. Force est de constater les moyens colossaux mobilisés par Arthus Bertrand dans le cadre de partenariats multiples supposant une communication de masse : avec l’école, mais également avec la télévision (émission Vue du ciel, France 2, 2006) ou plus récemment avec le cinéma (documentaire Home, 2009). Grâce à ces moyens colossaux, il obtiendra d’ailleurs la reconnaissance présidentielle en 2009. On peut y voir une alliance d’intérêts autour d’un même projet politique en faveur du développement durable :

L’engagement environnemental du Président de la République l’a conduit à apporter tout son concours et son aide personnelle à la réalisation et à la diffusion du film Home de Yann Arthus-Bertrand et de Luc Besson. Il se réjouit que ce film magnifique et puissant soit aujourd’hui sur tous les écrans de cinéma et de télévision (communiqué de presse du 5 juin 2009 à l’occasion de la Journée de

l’environnement du Programme des Nations Unies pour l’Environnement).

L’inspecteur Bonhoure, représentant de l’Éducation nationale, se penchera sur les expositions pédagogiques d’Arthus-Bertrand dans son rapport 2008 sur l’éducation au développement durable. Il propose de discuter de l’impact des grandes opérations nationales et de leurs effets réels en termes éducatifs. Ne disposant pas de résultats d’enquêtes pour aborder ce sujet, Bonhoure traite la question en une dizaine de lignes. Il constate simplement un affichage systématique dans les établissements scolaires et quelques actions pédagogiques autour des affiches et des fiches pédagogiques qui les accompagnent.

Selon moi, il semble assez clair que l’opération a contribué à renforcer la visibilité et la reconnaissance socio-politique du parrain photographe. La publicisation du travail d’Arthus Bertrand est passée par une instrumentalisation de l’école. J’ose juste espérer que ce cadeau

pour notre jeunesse (De Robien, 2007) n’a pas uniquement contribué à décorer quelques

salles d’enseignements et les centres de documentation et d’information des établissements scolaires français, comme j’ai pu le constater ponctuellement dans le cadre de mes interventions professionnelles dans quelques établissements de la région lyonnaise.

5.5.2.4. Nicolas Hulot parraine le Défi pour la Terre (2005) et le Pacte