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entre didactique et communication

2.4. La scolarisation de controverses socioscientifiques

Selon Albe (2008), la scolarisation de controverses socioscientifiques s’accompagne de défis didactiques pour la classe et la recherche en éducation aux sciences. Comment articuler ces nouveaux objets d’enseignement avec des éléments anciens des programmes qui n’ont pas été modifiés par les récentes réformes ? Il s’agit ici d’une des contraintes identifiées par Chevallard (1985) dans le cadre de la mise en œuvre de réformes de programmes, sur l’exemple de la réforme de 1971 des mathématiques modernes. Elle relève de la gestion de

l’ancien (savoirs et pratiques) pour intégrer harmonieusement le neuf.

Dans le même ordre d’idée, mais en relation avec l’épistémologie des savoirs

scolaires, comment faire cohabiter un traitement des questions incertaines et controversées de la science en train de se faire avec un enseignement scientifique traditionnellement centré sur des savoirs établis ? […] Quels types de savoirs et de pratiques mobiliser pour une éducation citoyenne dans l’enseignement des sciences ? Il s’agit donc de discuter des modèles

éducatifs permettant la gestion de savoirs incertains et controversés. La proposition d’un modèle constructiviste et critique de Tutiaux-Guillon (2006) répond en partie à ces questions.

2.4.1 La question des références multiples

Dans les propositions didactiques spécifiquement orientées vers la prise en compte des controverses dans l’enseignement, une question revient régulièrement : face à l’existence de références socioscientifiques multiples, quelles références prendre en compte pour guider la prise de position et éventuellement de décision ? C’est dans cette optique que Albe (2008) établit une cartographie socioscientifique des controverses, autour de la question du réchauffement anthropique. L’approche fondée sur des instances de médiation doit permettre de cerner, à travers la diversité des sources de références possibles, les arguments produits,

les acteurs impliqués, les intérêts en jeu […] les valeurs, les visions du monde (Albe, 2008).

Pour Albe (2008), l’enjeu d’un travail didactique autour de controverses n’est pas celui de Latour (2007) :

Enjeux du traitement didactique de controverses selon Latour (2007)

Enjeux du traitement didactique de controverses selon Albe (2008)

décaler au maximum les élèves, en les introduisant […] à la situation d'incertitude créée d'une part par la recherche et d'autre part par les enjeux sociaux de ces recherches […] on aura besoin qu'ils soient capable d'analyser des situations de vive controverse […] pour lesquelles il n'y a pas de modélisation assurée et dans lesquelles il faut pourtant bien décider à chaud.

dans une perspective didactique, une telle analyse, nourrie par une réflexion sur la nature des savoirs en jeu et inspirée de l’analyse sociale des sciences, permet d’identifier les savoirs et les pratiques des scientifiques, experts et profanes sur ces controverses. Cela peut constituer un préalable à la mise au point de situations d’enseignement […] ou également servir d’état de la question […] lors de recherches visant à identifier les savoirs naturels des acteurs de la situation didactique (élèves et enseignants) sur ces controverses.

Pour la didacticienne, l’enjeu est d’identifier les savoirs en jeu et probablement de déterminer des savoirs et pratiques de référence. Cette cartographie peut également outiller la stratégie didactique de Legardez (2004) : elle constituerait une grille de lecture de la diversité des représentations connaissances, et notamment celles qui font obstacle aux apprentissages et

que la bataille didactique tente de transformer. Dans ces approches didactiques, la communication médiatique semble rester dans une fonction de diffusion de connaissances et d’information.

2.4.2 Développer une représentation des sciences socialisées

Bader (2003) estime que la prise en compte des controverses dans l’enseignement des questions socioscientifiques peut permettre de former les élèves à l’évaluation des discours d’experts sur des controverses socioscientifiques. Il s’agit de proposer une vision socialisée

des sciences qui intègre les dimensions épistémologiques, éthiques et politiques et renouveler

ainsi la vision réaliste et empirique des sciences promues à l’école. Son travail de recherche sur les stratégies argumentatives d’adolescents s’inscrit dans cette perspective sociologique. En se référant à Driver et al. (1996) et Kolsto (2001), Bader constate que pour expliquer l’existence de désaccords entre scientifiques, les argumentations des étudiants mobilisent soit des valeurs purement épistémiques (le type de preuves disponibles ou le manque de preuves), soit des considérations d’ordre social (conduites éventuelles d’individus ou de groupes particuliers, conflits d’intérêt, incompétence de l’énonciateur, etc.…).

Les travaux de Ryder (2001, cité par Bader, 2003) autour de l’argumentation d’élèves sur 30 controverses différentes montrent que si dans certains cas, des connaissances scientifiques sont nécessaires pour guider la prise de décision par des adultes en contexte de controverses (par exemple sur les questions d’hérédité), dans la plupart des cas, ce sont des considérations à propos des méthodes de la recherche, des limites de validité des données, des incertitudes en jeu et des procédures de négociation de la crédibilité des énoncés et des énonciateurs qui seraient de plus grande importance dans la représentation de la controverse et dans la prise de décision. Ce constat est probablement à mettre en relation, non pas avec l’existence d’un knowledge gap entre scientifiques et non scientifiques mais plutôt avec la conscience de l’existence d’enjeux politiques qui socialisent les sciences (représentation des sciences socialisées).

Albe (2003) a montré dans son analyse des points de vue des étudiants sur les sciences et les risques, une conception empirico-réaliste des sciences, sans rapport critique à l’expertise. Même si la plupart des étudiants identifient comme sources de désaccords entre scientifiques des interprétations différentes, des influences de compagnies privées ou de gouvernements, des valeurs morales, des motifs personnels, des opinions politiques, ils adhèrent dans le même temps à l’idée d’une observation indépendante des observateurs et des contextes (théoriques, interprétatifs, etc.…). Ce choix est la marque d’un certain empirisme,

et renvoie à la primauté des faits scientifiques. Les désaccords et les incertitudes ne sont pas

vus par les étudiants comme inhérents aux processus de recherche mais sont considérés comme liés au stade d’immaturité des sciences dans le domaine. Les processus de construction des connaissances sont considérés comme un procédé cumulatif et progressif. L’image dominante des sciences est une quête méthodique et décontextualisée du réel, ce qui ne permet pas de reconnaître la part inévitable d’incertitudes dans les démarches scientifiques.

Dans une épistémologie empirico-réaliste, la preuve scientifique est conçue comme un « dévoilement de la nature » et constitue un « Parangon de vérité », élément clé qui résout la controverse (Albe, 2003).

Encore une fois, on constate que la question de l’opérativité symbolique des médias est peu présente dans ces travaux didactiques. C’est probablement une limite dans la mesure où les analyses didactiques des argumentations des élèves, étudiants, adolescents ou adultes se fondent souvent sur la mise en scène didactique de productions médiatiques dont on n’interroge pas ou peu, sauf erreur de ma part, la dimension communicationnelle. L’originalité de cette étude sera donc d’explorer cette dimension dans le cadre d’une approche didactique plurielle qui se revendique non centrée exclusivement sur des savoirs complexes (controversés et incertains).

2.5. Contre l’enseignement des questions socioscientifiques !

Ces contestations sont principalement liées à la nouvelle forme d’épistémologie scolaire que suppose le traitement didactique des questions socioscientifiques (Urgelli, 2006). Comme le précise Albe (2008), dans le contexte de l’enseignement traditionnel, les programmes et les manuels scolaires offrent aux enseignants un texte des savoirs à enseigner, en référence à des savoirs savants considérés comme établis. Dans le cas des questions socioscientifiques, l’enseignement ne peut pas s’appuyer sur des savoirs ou pratiques de référence établis par

des communautés savantes, expertes ou professionnelles. Ici, les savoirs et pratiques sont

l’objet de controverses et sont en émergence dans différents groupes concernés, parfois hybrides et réunissant différents protagonistes des controverses (scientifiques, associations, journalistes, industriels, citoyens,…). Même si ces groupes élaborent des connaissances, certains ne sont pas reconnus comme producteurs de savoirs, la référence étant une communauté scientifique légitimée et légitimante.

Dans ce contexte, les contestations didactiques sont fortes et font elle-même l’objet de controverses ! Quel savoir peut être reconnu comme savoir expert à propos d’une controverse ? A quelle institution sera reconnue l’autorisation de dire le vrai ? Peut-on clore

l’enquête socio-épistémologique sur une question complexe, expertisée et médiatisée ?

Ces contestations posent la question des rapports entre différents producteurs de connaissances mobilisant des valeurs et des intérêts différents. Les questions de la légitimité des savoirs, du rapport à la vérité et aux preuves tangibles sont également soulevées, sachant que les controverses mettent en jeu des intérêts et des valeurs d’ordre socio-épistémologique (Raynaud, 2003).

Cette recherche de la référence scientifique, qui structure l’enseignement traditionnel des sciences, semble incompatible avec l’enseignement de questions socioscientifiques, aux références multiples et fondé sur des savoirs mais également des valeurs. L’enseignement scientifique traditionnel, avec sa logique disciplinaire et la prise en compte d’une seule référence, ne se prête donc pas à l’enseignement de questions socioscientifiques, complexes, controversées, expertisées et médiatisées. Par ailleurs, la scolarisation de ces questions pourrait conduire l’enseignant à procéder lui-même au choix des références sur lesquelles

appuyer son enseignement et dans ce cas, sa responsabilité peut être écrasante (Tiberghien,

2007, cité par Albe, 2008).

En terme d’éducation aux choix, l’enseignement des questions socioscientifiques controversées pose également un problème politique profond. Dans le cadre de la mutation des rapports entre sciences et sociétés, la problématique de la formation citoyenne se pose à tout le corps social. Le Marec (communication personnelle, août 2009) estime que

l’enrôlement des citoyens et de l’école par la puissance publique, autour de phénomènes

macro-sociaux comme les relations sciences sociétés peut contribuer à écraser les individus. On affirme la volonté politique de former à l’exercice d’une citoyenneté scientifique qui malheureusement n’est pas en place dans la structure politique actuelle. Dans nos sociétés, cela peut d’ailleurs expliquer que les individus s’engagent dans d’autres formes d’empowerment citoyen, parfois moins démocratiques, mais plus efficaces politiquement.

C h a p i t r e 3 .

ME S P O S I T I O N N E M E N T S T H E O R I Q U E S

Face à ces contestations sur la pertinence d’un enseignement portant sur des questions complexes, expertisées et médiatisées, je me dois de préciser mes positions aussi bien sur les enjeux didactiques que sur les différentes dimensions de la question socioscientifique choisie.

3.1. Ma position sur l’enseignement d’une question