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Du modèle positiviste et républicain au modèle constructiviste et

entre didactique et communication

2.3. Modèles d’éducation scientifique citoyenne

2.3.2 Du modèle positiviste et républicain au modèle constructiviste et

critique

Pour Tutiaux-Guillon (2006), les enjeux de l’éducation scientifique citoyenne suppose de changer de modèle didactique : il s'agit de passer d'un enseignement fondé sur la vérité et

l'autorité à un enseignement construit autour de la négociation de sens à travers le débat.

Les caractéristiques du modèle positiviste et républicain (Tutiaux-Guillon, 2006) s'appliquent à plusieurs disciplines scolaires. Pour Audigier (2000), ce modèle est en relation avec la conception française de la citoyenneté, basée sur un modèle républicain, très

universaliste, où la différence culturelle est repoussée dans l'espace privé […] Condorcet est la figure emblématique de cette conception qui veut que le fonctionnement et l´amélioration de la République requièrent des citoyens éclairés par la raison, citoyens dont la formation implique l´existence de l´Institution école.

Pour Tutiaux-Guillon, le modèle positiviste et républicain montre la neutralisation des

savoirs, le lissage des débats et pas ou peu de référence aux contextes et aux enjeux de savoir,

et donc de pouvoir, si on se rattache à l’idéologie de la compétence signalée par Roqueplo (1974). La dépersonnalisation des savoirs, dont parle Chevallard (1985) dans le cadre de la transposition didactique, devient alors une nécessité pour élaborer un savoir consensuel et en faciliter l'enseignement. La scolarisation de savoirs dans le cadre de ce modèle rend alors

superflue toute allusion aux controverses (Tutiaux-Guillon, 2006). Ce modèle opère ainsi une

surdétermination des savoirs, contribuant à les rendre consensuels. Ainsi, autour de questions d’environnement, si les contextes d’expertise et de médiatisation peuvent doublement surdéterminer les savoirs sur l’évolution climatique, le contexte scolaire, dans le cadre de l’application d’un modèle d’enseignement positiviste, peut contribuer à une triple surdétermination.

Ce modèle didactique positiviste justifie la posture de neutralité exclusive décrite par Kelly (1986) et le modèle des quatre R décrit par Audigier (1993, cité par Tutiaux-Guillon, 2006). Selon cet auteur, ce modèle fonderait la plupart des disciplines scolaires, tant dans leurs contenus, leurs pratiques que leurs finalités : les enseignants abordent des résultats scientifiques, empreints de réalisme, autour d'un référent consensuel, refusant le politique. La posture des enseignants est inscrite dans l’objectivité et dans la neutralité.

R1 R2 R3 R4

Des Résultats scientifiques considérés comme vrais et

objectifs

Une Réalité du monde, sans aucun débat autour d'autres interprétations possibles

Une Référence à la même représentation du monde, un

même repère

Refusant le politique, des cours neutres, et conformes

au réalisme scientifique.

Le modèle des quatre R décrit par Audigier (1993).

Dans ces modèles, la vérité des sciences est la seule vérité possible ; elle n'est pas plurielle et discutable. Les controverses sont ainsi perçues comme le symptôme d'un dysfonctionnement ou d'un dérèglement. Il n’y a pas de place pour la négativité des sciences dont parle Roqueplo (1993). La culture scientifique commune visée est fondée sur l'information scientifique, sans affectif, ni opinion qui perturberait l'accès aux savoirs. Les savoirs sont ainsi clos, réels, vrais, exposés et imposés.

Dans le modèle positiviste et républicain, la formation à l’esprit critique vise à ne pas se laisser tromper ! Dans ce contexte, l’enjeu de l’éducation aux médias est de s’armer de méfiances et de soupçons vis-à-vis des médias, pour ne pas se laisser duper. Évidemment, ce rapport aux médias empêche de s’intéresser à leur fonctionnement. Il s'agit ainsi de dégager la vérité en se fiant à des connaissances sûres et objectives et non par une confrontation aux différentes visions du monde. La critique sert un texte consensuel que tous doivent s'approprier. Il faut donc apprendre des faits pour douter méthodiquement dans le cadre de cette pensée critique. Le citoyen est donc « celui qui ne se laisse pas tromper par des fausses

privilégie ainsi le citoyen qui ne se laisse pas duper par les médias et qui tient les

controverses comme suspectes et produits d'opinion. Toute forme d’éducation aux médias est

alors orientée en sous-entendant que les discours médiatiques sont peu fiables et source d’opinions, par opposition aux discours des sciences.

Dans l’enseignement d’une question socioscientifique, nombreux sont les auteurs qui estiment qu'un changement profond de modèle didactique est nécessaire pour une éducation à la citoyenneté. Audigier parle d’un passage d’un modèle d’instruction à un modèle d’éducation. Pour Tutiaux-Guillon, l'Éducation civique, juridique et sociale (ECJS), introduite en 2000 dans l’enseignement secondaire français, est l’amorce d’un modèle didactique pertinent. Elle parle de modèle constructiviste et critique. L'ECJS n'est pas une discipline scolaire au sens de Chervel (1988), dans la mesure où elle n’est pas définie par des contenus associés à des pratiques et des finalités. Elle mobilise des démarches d'investigations, de débats et de documentations, et la pratique du débat argumenté devient ici

une pratique sociale de référence. Tutiaux-Guillon milite largement pour ce modèle

didactique. C'est selon elle une forme de démocratie qui entre dans la classe : les élèves

travaillent la communication, la pondération des arguments, la véridicité, la pertinence, en lien avec les représentations sociales de la question et les intérêts personnels.

L’enjeu est également une éducation à la complexité sachant que l’enseignement scientifique traditionnelle à tendance à opérer une simplification de cette complexité pour en faciliter la compréhension (encore une fois, un peu comme l’expertise et la médiation, en surdéterminant certains savoirs pour dire le vrai et le juste). Morin (2005) se dresse d’ailleurs contre une « tradition de pensée […] qui forme les esprits dès l’école élémentaire, nous

enseigne à connaître le monde par « idées claires et distinctes » ; elle nous enjoint de réduire le complexe au simple, c’est-à-dire de séparer ce qui est lié, d’unifier ce qui est multiple, d’éliminer tout ce qui apporte désordre ou contradiction dans notre entendement ». Or, selon

Morin, le défi de notre temps, c’est le développement d’une « pensée apte à relever le défi de

la complexité du réel, c'est-à-dire à saisir les liaisons, les interactions et implications mutuelles, les phénomènes multidimensionnelles, les réalités qui sont à la fois solidaires et conflictuelles ».

Dans le modèle constructiviste et critique, la formation du citoyen à la pensée critique est bien différente de celle du modèle positiviste républicain : il faut accroître la confusion à l'aide d'informations contradictoires, en changeant de perspectives et d'échelles, en incitant à explorer des interprétations différentes et à les situer sociopolitiquement et historiquement, en pointant les implicites des controverses (valeurs, intérêts, manipulation d'arguments et

discours de propagande).

Dans ce modèle analysé par Tutiaux-Guillon (2006), il s'agit donc de reconnaître la

diversité culturelle des savoirs, ouverts et pluriels, sans vulgate factuelle. L'enseignement est

fondé sur les compétences citoyennes qui dépassent l'adhésion à des savoirs établis. Il doit permettre d'assumer son point de vue, de l'argumenter, de participer au débat public, de se forger un jugement, d'apprécier la complexité, d'exercer une responsabilité critique et de se référer à des savoirs pondérés. Dans ce modèle didactique, il s'agit d'intégrer l'expérience sociale des élèves plus que leurs connaissances pour qu'ils fassent preuves de compétences intellectuelles citoyennes.

Au final, dans le modèle d’éducation scientifique qui permettrait de prendre en charge les questions socioscientifiques, il faudrait tenter la mise en cohérence des savoirs entre eux et

avec les positions éthiques et politiques afin de permettre la construction d’une opinion raisonnée visant à la compréhension des enjeux (Simonneaux et al., 2006).

C’est une « expertise citoyenne » qu’il s’agit de construire, au moyen d’approches systémiques et actives (Sauvé, 1997) selon une modalité coopérative (Fortin-Debart & Girault, 2005) qui pourrait en être un des modèles. La situation-débat est une autre modalité complémentaire à promouvoir car elle paraît être adaptée aux questions controversées notamment en l’associant à l’analyse des argumentations divergentes (Simonneaux L. & Simonneaux J, 2006). Le débat à l’école doit cependant trouver la bonne distance face au « risque d’enseigner » les questions vives (Legardez,

2003).

Simonneaux et Simonneaux (2008) précisent enfin que ce modèle d’éducation scientifique citoyenne ne peut être ni limitée au champ scientifique, ni limitée au champ

social, ni cantonnée aux registres cognitifs, axiologiques ou affectifs, mais fondée sur l’interaction entre ces champs et registres.

Je signale également la remarque pertinente d’Audigier (1999) au sujet de la diversité des modèles didactiques liés à l’éducation à la citoyenneté. Cette remarque permet de pondérer l’enthousiasme militant de Tutiaux-Guillon :

Actuellement, tous les chercheurs sont d’accord pour dire que le savoir est construit par le sujet, par l'élève. Cette idée est largement répandue dans ses diverses versions, notamment dans sa version socio-constructiviste (paradigme dominant). La construction du savoir s’opère autant lors d’un cours magistral que lors d’un débat. Cela étant, une autre convergence se fait aujourd’hui pour dire l’importance qu’il y a à varier les situations d’apprentissage. C’est aussi une manière de prendre en compte la diversité des manières d’apprendre, la diversité des intelligences (selon Gardner).