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Résumé : Les études de représentations sociales soulignent les limites du modèle de

communication à visée mobilisatrice, fondé sur la diffusion d’informations scientifiques relayant l’aspect consensuel et alarmiste du message du GIEC. Les enquêtes de l’ADEME, entre 2000 et 2007 confirment que la sensibilisation des publics est croissante, probablement liée aux moyens mis en œuvre pour informer sur les risques climatiques. On constate que les représentations sociales ne reposent pas uniquement sur des connaissances scientifiques élaborées par les climatologues. La question de l’évolution climatique est mise en relation avec les activités humaines polluant l’atmosphère. Le réchauffement climatique est perçu comme menaçant et les évènements météorologiques extrêmes seraient les signes perceptibles des dérèglements climatiques causés par les activités humaines. La confiance des publics est forte envers les messages de l’expertise scientifique et les travaux des associations écologistes. Mais les changements de comportements attendus pour résoudre la question climatique, à savoir réduire les émissions de CO2, ne sont envisagés par les publics que s’ils sont acceptables économiquement et socialement, notamment à l’échelle individuelle.

Les enquêtes de l’ADEME entre 2000 et 2007 et celles de Perretti-Watel et Hammer (2006) portent sur les représentations sociales de l’effet de serre. Elles sont complémentaires dans la mesure où les opinions recueillies se font dans le cadre contraint d’un questionnaire fermé, ce qui ne peut donner accès qu’à des représentations tronquées. Les réponses ouvertes de l’ADEME permettent d’enrichir les interprétations de Perreti-Watel et Hammer, à partir d’un matériau qui se rapproche plus de la forme discursive propre à l’étude des représentations sociales (comme je le précise dans la partie théorique sur les représentations sociales, page 135).

De manière générale, ces enquêtes montrent qu’il y a plus de réponses et plus de tentatives d’explications de l’effet de serre entre 2000 et 2007. Pour l’ADEME (Boy, 2008),

la sensibilité environnementale va croissante dans l’opinion publique et ce qui est nouveau en 2007, c’est le rythme de progression de cette sensibilité, très importante, et la place prépondérante qu’y occupe le changement climatique.

4.2.1 Le réchauffement climatique, une priorité environnementale ?

Selon l’ADEME, en 2005, les publics considèrent que la lutte contre l’effet de serre est la troisième priorité que doit mener l’État dans le domaine de la protection de l’environnement, après la pollution de l’eau et la pollution de l’air. En juin 2007, dans le contexte de la campagne présidentielle française, de la publication des rapports d’expertise du GIEC, de la médiatisation du Pacte écologique (Fondation Nicolas Hulot, 2006), la nouvelle enquête de l’ADEME montre, pour la première fois, que l’effet de serre ou le réchauffement climatique sont considérés par les répondants comme le problème d’environnement le plus préoccupant, au détriment des deux enjeux environnementaux traditionnels : la pollution de l’eau et la pollution de l’air.

Le problème d’environnement le plus préoccupant ADEME - juin 2005

Le problème d’environnement le plus préoccupant ADEME - juin 2007

La pollution de l’eau (23%)

Le réchauffement climatique ou l’effet de serre (33%)

La pollution de l’air (21%)

La pollution de l’air (21%)

Le réchauffement climatique ou l’effet de serre (19%)

La pollution de l’eau (18%)

In Le réchauffement climatique : une prise de conscience grandissante, Magazine ADEME et vous, février 2008.

Ce changement d’opinion pourrait s’expliquer par la concordance durant l’année 2006-2007 des agendas politique, scientifique, médiatique et citoyen, autour notamment des élections présidentielles françaises de mai 2007. On peut voir également dans ces résultats l’effet d’une enquête conduite par l’ADEME, agence engagée dans les économies d’énergie en relation avec la question climatique (effet de contexte).

4.2.2 En quoi consiste l’effet de serre ?

A cette question ouverte, les enquêtes de l’ADEME montrent que des rapprochements sont effectués entre effet de serre et couche d’ozone, pollution de l’air, voire raffineries de pétrole et centrales nucléaires. Les individus mettent en relation l’effet de serre avec d’autres risques d’origine anthropique affectant l’atmosphère (couche d’ozone, pollution de l’air) ou

encore avec des industries réputées polluantes et impliquées dans plusieurs catastrophes écologiques médiatisées affectant l’atmosphère.

Les activités perçues comme les causes premières de l’augmentation de l’effet de serre sont principalement la destruction des forêts, les activités industrielles et les transports. Le chauffage des bâtiments entre 2000 et 2007 subit une forte progression : cette cause passe de 39% à 71%. L’ADEME y voit un effet des campagnes de sensibilisation des publics aux consommations énergétiques à la maison.

Les connaissances sur l’effet de serre mobilisent donc des logiques qui échappent à la logique savante. Ce constat n’est pas surprenant sachant que les discours socio-politiques sur le climat établissent le lien entre expertise et projet de développement durable. Les rapprochements observés entre causes et conséquences du réchauffement climatique sont porteurs de sens symbolique et politique, probablement en relation avec la recherche d’une perception sensorielle des risques climatiques.

4.2.3 Le réchauffement anthropique est-il scientifiquement établi ?

Pour l’ADEME, c’est la médiatisation croissante de la question scientifique49 qui permet d’expliquer qu’en 2000 1/3 des français (32%) pensaient que le réchauffement anthropique est une hypothèse scientifiquement controversée, contre ¼ en 2005 (25%). Ce sont les jeunes qui doutent le moins du consensus scientifique. En 2005, 71% des enquêtés pensent que le réchauffement anthropique est scientifiquement établi et ce chiffre se stabilise en juin 2007. Selon les enquêteurs, la couverture médiatique de ce thème a encore augmenté en 2006 et 2007 avec la sortie du film d’Al Gore, la signature du Pacte écologique de Nicolas Hulot, ou encore le Grenelle de l’environnement d’octobre 2007. Les effets de ces évènements médiatiques ne seront mesurés qu’au moment de la prochaine vague d’enquête de l’ADEME prévue en juin 2008.

4.2.4 Les désordres climatiques sont-il une conséquence de l’effet de

serre ?

Les conséquences de l’augmentation de l’effet de serre en terme de désordres climatiques sont questionnées par l’ADEME. Trois réponses sont proposées pour expliquer les désordres climatiques : une origine anthropique, une origine naturelle ou encore une incertitude complète sur l’origine.

Peut-être en lien avec la recherche de signaux perceptibles de l’effet de serre, une proportion croissante de personnes considère que les évènements météorologiques extrêmes de ces dernières années (tempêtes et inondations en France) sont causés par l’augmentation de l’effet de serre (de 32% en 2001 à 47% en 2007). Jusqu’en 2005, une proportion croissante estimait que ces désordres climatiques sont des phénomènes naturels comme il y en a toujours eu (de 15% en 2001 à 17% en 2005). Puis en 2007, cette dernière proportion passe à 13%. La position d’incertitude (aujourd’hui, personne ne peut dire avec certitude les vraies raisons

des désordres climatiques) est la plus forte jusqu’en 2005 puis reculent jusqu’en 2007 : 49%

en 2001, 43% en 2005 et 38% en 2007 :

Désordres climatiques 2001 2005 2007

d’origine anthropique

(augmentation de l’effet de serre)

32% Non identifié 47%

d’origine naturelle 15% 17% 13%

d’origine incertaine 49% 43% 38%

Entre 2001 et 2007, un peu comme dans les rapports du GIEC où l’on passe d’une situation d’incertitude à une situation de certitude sur la responsabilité de l’homme dans l’évolution des climats, les représentations s’actualisent, en considérant que les désordres climatiques sont plutôt d’origine anthropique que d’origine incertaine.

Boy (2005) a combiné les réponses évaluant le consensus scientifique sur le réchauffement anthropique et celles évaluant l’origine des désordres climatiques :

L’homme est responsable du réchauffement climatique

Origine des tempêtes et des inondations en France

Question consensuelle Question controversée

anthropique 32% ?

naturelle ? 5%

incertaine 28% 14%

Une faible partie de la population (5%) pense que le réchauffement anthropique est controversé et que les désordres climatiques sont naturels. Plus d’un quart des répondants

49 De Cheveigné (2006, cité par Boy, 2008) estime que les sujets consacrés à cette thématique dans les journaux télévisés ont doublé entre 1994 et 2004, quelle que soit la chaîne d’information.

(28%) pense que l’homme est responsable du réchauffement climatique mais que l’origine des désordres climatiques est incertaine. La représentation qui suppose que l’homme est responsable d’un dérèglement climatique, et qu’il y a donc un risque de dérèglements climatiques rassemble en 2005 un tiers de la population (32%). Boy précise que cette représentation a augmenté entre 2001 et 2005.

A partir de 2006, une question relative aux conséquences de l’effet de serre a été posée. En juin 2007, 61% (surtout les moins diplômés) estiment que les conditions de vie deviendront extrêmement pénibles contre 34% (surtout les plus diplômés) qui estiment qu’il y aura des modifications mais qu’on s’y adaptera. Les effets positifs du réchauffement ne sont retenus que par 4% de la population (plutôt chez les moins diplômés).

Les enquêtes de Perretti-Watel et Hammer (2006) montrent une autre tendance : les craintes seraient fortes pour les niveaux scolaires les plus élevés et pour les individus dont l’âge est compris entre 25 et 49 ans. On peut supposer que d’autres facteurs que le niveau de diplômes, les ressources économiques des individus, ou encore la médiatisation du message scientifique expliquent la perception des risques climatiques. Les enquêteurs évoquent les conceptions du rapport de l’homme à la nature.

4.2.5 Les conceptions du rapport de l’homme à la nature

Perretti-Watel et Hammer (2006) introduisent un autre déterminant pour essayer de comprendre la perception des risques climatiques : celui des conceptions du rapport de l’homme à la nature. Les craintes seraient fortes pour ceux qui considèrent que l’homme peut causer de graves déséquilibres à la nature et qu’il n’a pas plus de droits que les autres espèces vivantes. La conscience écologique devrait donc être prise en compte. Autrement dit, si les

plus diplômés sont plus préoccupés par les changements climatiques, ce serait à la fois parce qu’ils ont une conscience écologique plus développée et parce que leurs représentations de l’effet de serre s’appuient sur des connaissances plus précises et plus proches de la logique

savante.

Pour cerner la perception des risques climatiques, l’ADEME introduit un autre déterminant, celui des attitudes envisagées par les publics pour limiter ces risques.

4.2.6 Fatalisme, progrès technique ou changement de comportements ?

D’après les enquêtes de Boy (2005), il semble que la lutte contre l’augmentation de l’effet de serre est envisagée par une modification des comportements individuels (68% en 2000 et 75% en 2005 des répondants). En 2005, 12% estiment qu’il n’y a rien à faire et 12%

que le progrès technique permettra de trouver des solutions contre l’effet de serre (en légère baisse depuis 2000). Ce sont toujours les comportements permettant des économies d’énergie dans les transports qui dominent les représentations. D’autres gisements d’économie d’énergie sont en progression dans les consciences, notamment en 2005 avec l’utilisation d’appareils ménagers qui dépensent moins d’énergie.

Concernant les mesures réglementaires et donc finalement l’action politique, en 2007, seulement 20% de la population est favorable à une augmentation modérée mais régulière du prix des carburants. Par contre, 75% de la population est favorable à une taxe sur les véhicules fortement consommateurs. Pour les enquêteurs, les réglementations sont donc acceptées dans la mesure où l’individu identifie une alternative acceptable socialement et économiquement.

4.2.7 Confiance en matière d’information et d’action

L’enquête de Boy (2005) révèle que parmi tous les organismes qui s’engagent dans la protection de l’environnement, les publics identifient spontanément les associations : Greenpeace pour 10% des personnes interrogées, Ushuaia - Nicolas Hulot pour 7 % (en progression de 3% entre 2004 et 2005), le WWF pour 6% puis l’ADEME pour un peu moins de 5% (probablement en lien avec un effet de l’enquêteur mais également les campagnes télévisuelles de médiatisation des risques), puis le ministère de l’environnement à 5%, les partis écologistes à 4% et loin derrière le CNRS à 0,5%.

En 2005, les scientifiques ont la confiance des publics en matière d’information sur l’effet de serre, à 43% des réponses. C’est la fonction éclairante des sciences qui est ici révélée. Parce qu’elles sont les seules à pouvoir appréhender les risques climatiques qui échappent à nos sens, les sciences deviennent probablement des médiatrices privilégiées. La confiance est ensuite accordée aux associations de défense de l’environnement à 33% puis aux médias à 6%, à ses proches et ses connaissances à 5%, à EDF à 5%, puis à l’État à 4% et au maire à 3%. La confiance en l’information environnementale revient donc aux scientifiques et aux associations ; l’engagement pour la protection de l’environnement est essentiellement associé au travail des associations écologistes. La crise de confiance envers les décideurs politiques est révélée. Si on suppose que cette crise est un frein à l’action en matière d’environnement, on peut comprendre les tentatives d’alliances multiples identifiées jusqu’à présent entre politiques, scientifiques et ONG pour soutenir l’action politique.

Ces déconnections de confiance, entre l’univers de la connaissance, celui de l’action sociale et celui de l’action politique, ignorent le fait que les messages sur les risques

climatiques sont co-construits, entre scientifiques, politiques et parfois ONG.

La confiance envers les scientifiques est donc forte et le lien entre expertise climatique et programme de développement durable ne semble pas discutée. A travers les alliances identifiées précédemment, destinées à changer les comportements, une diversité de médiations s’organise pour soutenir le changement, à l’intérieur du cadre du développement durable, sans solliciter la participation citoyenne au débat. Selon moi, cet état de faits contribue à mettre à distance les citoyens des enjeux socioscientifiques liés à la question climatique. D’autant plus que les risques sont peu perceptibles, globaux et à long terme. C’est à mon avis ce qui explique que la proximité sensorielle et les intérêts individuels semblent structurer les représentations sociales du réchauffement anthropique, question socioscientifique d’envergure planétaire. C’est pourquoi je propose à présent un détour par une expérience d’expertise participative ayant eu lieu en février 2002, autour de la question

Changements climatiques et citoyenneté. Il va permettre de revenir sur les représentations

sociales des risques climatiques, dans un contexte particulier qui associe justement quelques citoyens à des scientifiques experts.