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entre didactique et communication

2.3. Modèles d’éducation scientifique citoyenne

2.3.1 La bataille didactique avec les représentations sociales

En 2004, Legardez explicite les enjeux de l’utilisation de l’analyse des représentations

sociales dans une perspective didactique. Il fait l’hypothèse de l’existence de représentations connaissances dans les savoirs préalables aux apprentissages scolaires et interroge les possibilités et les conditions […] de leur conversion pour enrichir en retour les savoirs sociaux. Il propose de s’appuyer sur la théorie des représentations sociales, en supposant

l’existence d’éléments de représentations sociales dans les savoirs préalables à des situations didactiques. Il rappelle la définition de Jodelet (1994) : une représentation sociale est une

forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social.

Legardez poursuit en explicitant son intérêt pour les représentations : La question des

déterminants de cette forme de connaissance est cruciale pour s’interroger sur le rôle que pourrait avoir l’école. En proposant de travailler à l’activation en classe d’un processus représentationnel, les intentions didactiques sont les évolutions et les transformations des

systèmes de représentations connaissances durant les apprentissages scolaires.

Legardez constate cependant que ces représentations sociales persistent bien aux

apprentissages… et elles y subsistent partiellement […] :

Même si un effet de contexte venait à biaiser le recueil des représentations éventuelles, il ne nous semble pas que cela empêche d’obtenir des savoirs naturels pour l’école, ce que nous avons appelé un

104 Le postulat initial de Clément est que la connaissance scientifique n'a guère de chance d'être considérée en

soi comme plus efficace qu'une connaissance de sens commun, et qu'il est nécessaire de persuader [...] de sa pertinence dans un grand nombre de contextes (Le Marec, 1996).

système de représentations connaissances, au sein duquel on peut repérer des résidus de savoirs scolaires et éventuellement, mais pas nécessairement, les éléments d’une représentation sociale.

Cette minimisation des effets de contextes mais également l’aspect figé des représentations sociales préexistantes me semble discutable, à la lumière des travaux de Moscovici (1981), réinterprétés par Le Marec (1996)105 et Molinatti (2007). Je ne remets pas en question la

persistance des représentations constatée par le didacticien. Mais je m’interroge sur l’origine

de ces persistances, sachant que des situations de communication comme les situations didactiques devraient a priori contribuer à actualiser les représentations sociales dans le cadre des apprentissages. J’émets l’hypothèse que le contrat didactique qui fonde les situations de communication proposées ne contribue pas à actualiser les représentations sociales parce que le contrat et la situation didactique (le contexte) ne font pas sens pour les élèves enquêtés.

Face aux constats d’échec des stratégies didactiques de dépassement des systèmes de représentations connaissances en classe, Legardez poursuit dans ce même article en évoquant les travaux de Flament (1994) :

Une représentation sociale ne se transforme véritablement que lorsque le noyau central change. Pour préserver ce noyau, elle génère des périphéries dont l’une des fonctions est de protéger le noyau central (résistance au changement). Par contre les périphéries sont plus vulnérables et des modifications sont donc possibles sans remettre en cause la structure globale de la représentation sociale (Legardez, 2004)

Cette conception mécaniste du fonctionnement d’une représentation sociale me semble également éloignée de la définition de Moscovici. Elle permet pourtant à certains didacticiens de se lancer dans une véritable bataille : il s’agit d’essayer de contourner l’obstacle (le noyau

central), en visant un élément secondaire d’une périphérie, plutôt que de l’attaquer directement, pour tenter de le transformer, en espérant qu’un apprentissage pourrait avoir lieu.

C’est selon moi, encore une fois, la question du sens du contrat et de la situation didactique qui doit orienter les réflexions sur l’élaboration, la fonctionnalité et l’évolution des représentations sociales en contexte scolaire. Selon les travaux de Moscovici, les

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Dans une visée interventionniste en faveur du développement de la culture scientifique et technique, Le Marec (1996) précise que de nombreux auteurs ont mobilisé les représentations sociales en terme d’obstacles à la transmission de savoirs : ils évaluent ainsi la distance entre les représentations sociales et les pensées savantes, dans l’intention de transformer les pensées de sens commun pour faciliter les apprentissages de savoirs savants. Pour Le Marec, on s’éloigne de l’enjeu de l’étude des représentations sociales qui est un questionnement sur l’origine de cette distance sociale, issue de la transformation des connaissances scientifiques au contact du fonctionnement social. Il s’agit plutôt de comprendre comment les éléments de la science sont intégrés dans une réalité de sens commun qui est produite par le mécanisme même de l'objectivation.

représentations sociales dépendent des contextes qui les orientent. Comme le rappelle Rayou (2002, cité par Legardez, 2004) dans son étude sur la dissertation philosophique, le métier

d’élève consiste à se comporter en fonction des anticipations et des attentes des enseignants et

du système scolaire et d’investir le moins possible sa personnalité propre dans la situation didactique. Dans de telles conditions, les tentatives d’actualisation des représentations sociales semblent un exercice bien difficile.

Au terme de son article, Legardez (2004) revient sur la définition des représentations sociales de Moscovici : la fonction première de la représentation sociale est la familiarisation

avec l’étrange, au contraire de la science qui elle rend étrange le familier. Cette définition

fonctionnaliste lui permet de proposer d’autres stratégies d’apprentissage, dans le cadre d’un autre contrat didactique, qui pourrait s’avérer plus efficaces en terme d’actualisation des représentations connaissances. Il s’agit de s’appuyer en classe sur les débats argumentés, soulignant l’importance de la problématisation et de la gestion des rapports aux savoirs. Cette stratégie comporte selon Legardez des risques pour les élèves, et des risques pour les enseignants : la problématisation est délicate. Les enseignants sont tentés de déproblématiser

des questions trop chaudes pour l’école. Ils ont alors tendance à éloigner les savoirs scolaires de ce qu’ils se représentent des savoirs naturels des élèves, quitte à vider les apprentissages d’une partie de leur sens.

Legardez en arrive alors à la question de la formation des enseignants à l’organisation

de débats argumentés en classe, par l’intermédiaire desquels ils pourraient aider les élèves à décontextualiser et à convertir partiellement leurs systèmes de représentations connaissances en savoirs scolaires, voire scientifiques puis à les recontextualiser partiellement dans leurs savoirs de citoyens en dehors de l’école… donc, dans leurs représentations et leurs pratiques sociales.

Cette question d’une contextualisation des savoirs nécessaires aux apprentissages me semble centrale. Pour Legardez, elle passe par la mise en place des débats argumentés. Par ailleurs, si les savoirs mobilisés par les élèves se construisent souvent en référence à des savoirs exposés par les médias, c’est peut-être que ces médias réalisent une forme de contextualisation qui rend possible un début de problématisation. Les élèves identifient le sens social de ces savoirs. On retrouve en partie la fonction d’opérateur social de sens attribuée aux productions médiatiques par Davallon (1992). Ce que pointent les résultats des études didactiques de représentations, c’est peut-être un manque d’opérativité social du contexte scolaire, dans le cadre des communications qui s’y élaborent.

didactiques. Comme le précise Simonneaux (communication personnelle, août 2009), on constate malgré tout que certaines stratégies didactiques autour de l’enseignement des questions socioscientifiques sont parfois opérantes socialement, avec une évolution d’opinion

à l’issue d’une séquence d’enseignement. Selon Simonneaux, il existe d’autres déterminants

qui expliquent le maintien des représentations sociales en situation didactique, et notamment un facteur temporel : une situation limitée dans le temps a probablement peu de chance de

mettre en évidence une évolution des représentations sociales.

Quoi qu’il en soit, avec l’étude des représentations sociales en situation d’enseignement, il faut reconnaître que la didactique s’ouvre à la prise en compte des savoirs sociaux. Je reviendrai dans l’analyse du corpus sur ce que font les enseignants des représentations sociales des élèves, dans le cadre du traitement de la question climatique. Le développement d’un travail didactique sur les représentations sociales suppose également le passage d’un modèle d’éducation positiviste et républicain à un modèle d’éducation scientifique citoyenne, constructiviste et critique.